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gene vincent - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 608: KR'TNT 608 : THIN LIZZY / PM WARSON / THE REVEREND PEYTON'S BIG DAMN BAND / O.C. TOLBERT / LOU REED / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO / MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU / AMER'THUNE / ROCKAMBOLE

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    LIVRAISON 608

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    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 07 / 2023

     

    THIN LIZZY / PM WARSON

    THE REVEREND PEYTON’S BIG DAMN BAND

    O.C. TOLBERT / LOU REED  

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 

     ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO

      MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU

     AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 608

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    NE CROYEZ SURTOUT PAS

    QUE NOUS PRENONS DES VACANCES,

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    VOUS PUISSIEZ ENFIN VOUS REPAÎTRE

    DE CES CHRONIQUES SANS LESQUELLES

    VOTRE VIE MANQUERAIT

    D’UNE INJECTION HEBDOMADAIRE

    DE ROCK’N’ROLL !

     

     

    Tête de Lynott

    - Part Two

     

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             Chacun de nous a eu sa dose, et même son overdose, de Lizzy, surtout les ceusses qui dévorent la presse anglaise, une presse toujours aussi friande du rise and fall of the Lizzy King, Phil Lynott. On voit même encore paraître des numéros spéciaux de Classic Rock consacrés à Lizzy. Oui, Lizzy fait vendre, mais pour de bonnes raisons, ce qui est rare, alors autant le signaler.

             Phil Lynott reste un cas unique dans l’histoire du rock anglais. Black, il n’avait aucune chance. De la même façon que Jimi Hendrix, il doit tout à son immense talent. Sur les 13 albums de Lizzy, tu vas trouver une série de hits qui comptent parmi les joyaux de la couronne. On considérait jadis les albums de Lizzy comme des huîtres, tu les ouvrais et tu pouvais trouver une perle, parfois deux. Et pas des petites perles, ces grosses perles noires qui embrasent ton imagination. 

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             Il existe une petite bio du Lizzy King, signée Mark Putterford : Phil Lynott: The Rocker. Putterford n’est pas Nick Kent. Il propose néanmoins un bon book, un book sans prétention, dont la discographie constitue l’épine dorsale. Putterford ne s’est pas cassé la tête, il avance par petites étapes, comme un pèlerin sur le chemin de Compostelle, et s’arrête à chaque album pour s’extasier et sombrer dans une sorte de béatification. Quand on connaît la qualité des albums, on sait qu’il n’y a rien de choquant dans cette posture. 

             Dans son intro, Putterford met le doigt sur ceux faits essentiels : Lizzy est «the first internationally successful Irish rock band», et Phil est devenu «the biggest rock star since Jimi Hendrix». Putterford cite aussi son «astonishing capacity for drinks and drugs». Il a raison de chanter les louanges de Phil qu’il qualifie de first real Irish rock star - A musician, a poet, a performer, a leader, a Lothario, a Casanova, a fighter, a charmer, a gambler, a gyspsy, a rogue, a cowboy, a renegade, a hellraiser, a hero... he was unique in every way - Pas mal comme hommage, non ? Il le qualifie plus bas d’Hollywood Romeo avec son œil caché et sa fine moustache, ses longues jambes gainées de cuir noir, style and charisma, Putterford n’en finit plus de s’extasier, et il a raison. Phil est un très beau mec. Il cite encore son cheeky grin, son sourire assassin. Et ça continue avec le côté proud, «the proud man, l’homme fier de sa mère, Philomena, et de ses deux filles, fier de sa couleur de peau et fier de sa patrie, l’Irlande.» Réciproquement, Dublin est une ville qui se montre toujours fière de lui. L’Irlande, nous dit Putterford, c’est aussi «James Joyce, Oscar Wilde, George Bernard Shaw, W.B. Yeats, Sir Thomas Moore, Brendan Behan, Oliver Goldsmith, Jonathan Swift and more.» 

             Smiley Bolger rappelle tout de même qu’avant Phil, il y avait Van Morrison - But he was a more cool-headed kind of guy - et Rory Gallagher - Tout ce qu’il voulait c’était rester en 65, still playing the guitar - Phillip was different. He was the party man. He was into the grace of a black man, the cool dude - Et il ajoute : «He had the looks. He had the style. He had the ideas. He used to say, ‘Give me half an idea and I’m away.’» Bolger le voit comme a natural rock-star. Phil qualifiait sa facette rock star de ‘me act’. Parfois, il admettait qu’il était «sick of himself». Phil devenait trop Phil. Geldorf ajoute que Phil fut the only true Irish rock star : «Van Morrison ne fut jamais considéré comme une rock star, parce qu’il ne ressemblait pas à une rock star, d’une part, et d’autre part, il ne voulait surtout pas ressembler à une rock star.» Phil va vivre the mythical rock star existence jusqu’au bout, et selon Geldorf, ce qui causera sa perte.

             Au début, Phil est fan de Jimi Hendrix. Il se passionne aussi pour Astral Weeks et Beck-Ola. Il flashe en plus sur l’Hang Me Dang Me d’Heads Hands And Feet, et notamment sur le bassman Chas Hodges, qu’on retrouve dans Chas & Dave - One of his main bass playing influences - Phil flashe aussi sur There’s A Riot Goin’ On de Sly & the Family Stone, et of course, sur le White Album. Wow ! On comprend mieux d’où sort de génie de Phil Lynott. Il adore aussi Humble Pie.

             L’homme clé dans le destin de Lizzy n’est autre que Ted Carroll, le futur Ace man. Il s’occupe d’eux quand le groupe s’appelle encore the Black Eagles. Phil et Brian Downey tapent des covers des Yardbirds et des Small Faces. Puis Phil chante dans Skid Row, avec Brush Shiels, and a kid from Belfast called Gary Moore. Mais Shiels vire Phil qui est pourtant son meilleur ami. En dédommagement, il lui apprend à jouer de la basse. Skid Row va continuer de son côté et fera une petite carrière riquiqui. C’est Phil qui va percer.

             Il apprend vite. Il montre une détermination à toute épreuve. Il monte Orphanage avec son copain d’école Brian Downey, puis rencontre Eric Bell, qui jouait alors dans John Farrell & The Dreams. Bell propose de monter un groupe. Phil pose ses deux conditions : jouer ses compos et jouer de la basse. Bell : «Well let’s give it a go.» Par sa détermination, Phil impressionne Bell Bell Bell et Brian Downey - he worked hard to achieve that distinctive Lizzy sound - C’est Bell Bell Bell qui trouve le nom du groupe dans un comics nommé Dandy : un personnage robot nommé Tin Lizzy, «the Mecanichal Maid», qu’ils transforment en Thin Lizzy. Et pouf c’est parti ! Ted Carroll les co-manage. Ils jouent en Angleterre avec notamment les Flirtations, ou encore l’Edgar Broughton Band.

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             Frank Rogers signe l’early Lizzy à Dublin et les envoie enregistrer leur premier album sans titre au studio Decca de West Hampstead, à Londres, là où les Stones et Mayall ont enregistré. Dès Thin Lizzy, Phil montre les prédispositions d’une superstar. La qualité des compos ne trompe pas, surtout quand il s’agit d’«Honesty Is No Excuse». Il est là, épique épique et colegram, troubadour d’afro Irish roots, précoce expert du big fat deepy deep mélodique. Il met un certain temps à poser les éléments, accompagné par Bell Bell Bell le bien nommé, et soudain le Phil à la patte déploie ses ailes immenses - And now I know/ I see the light/ And honesty was my only excuse - On tombe plus loin sur un «Ray Gun» quasi hendrixien que nous wahte le Bell Bell Bell comme le jour. Il faut entendre Phil chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Il se situe déjà à l’extrême pointe du progrès. On le sent intimement déterminé à vaincre. Il dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon le Phil en aiguille. Une autre perle noire se niche en B : «Return Of The Farmer’s Son», fabuleux shake d’heavy jam. C’est le pinacle du power trio, avec le Brian qui bat son beurre et le Phil qui rôde dans ses basses œuvres. Le voilà lancé, rien ne l’arrêtera plus. Il termine ce très bel album avec «Remembering» qu’il attaque à l’éplorée, mais avec une réelle assise. Il bâtira son vaste empire sur cette assise. Lizzy se barre en mode jam power, c’est leur petit apanage, Phil adore taquiner la bête, et il redémarre au keep remembering

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             Tout aussi impressionnant, Shades Of A Blue Orphanage paraît l’année suivante. Le titre s’inspire des deux formations précédentes : le Shades of Blue de Bell Bell Bell et l’Orphanage de Phil & Brian Downey. Tu as trois perles noires dans cette huître : «Buffalo Gal», «Chanting Today» et le morceau titre. Phil y fait son retour de mélodiste magique, il affabule sa Buffalo Gal dans le vestibule, c’est un homme fin et doux, et derrière, Bell Bell Bell le bien nommé joue liquide. Lizzy, c’est déjà une affaire sérieuse. Ils vont tourner pendant dix ans avec une moyenne de trois perles par huître. Avec Chanting, Phil pose sa tension mélodique en appui sur les espagnolades de Bell Bell Bell. Phil chante à la merveilleuse arrache. Il y a du Lord Byron en lui, une sorte d’élan naturel vers l’absolu marmoréen. Et puis il peuple son morceau titre de personnages, the clever con, the good Samaritan, the ras claut man, the loaded gun, the charlatan et plus loin, the laughing cavaliero, the wise old commanchero, the desperate desperado, the gigolo from Glasgow, the good looking Randolph Valentino & the female Buffalo. Comme Dylan, il pose les fondations de sa mythologie.

             Pendant l’enregistrement de Shades Of A Blue Orphanage, Blackmore fait de l’œil à Phil. Il essaye de le débaucher pour monter un super-groupe nommé Baby Face avec Ian Paice et Paul Rogers. Quelques répètes, mais Phil préfère rester avec Lizzy plutôt que de tenter l’aventure avec le big name Blackmore. Fin de Baby Face. Blackmore rentre à la maison, chez Purple.

             C’est l’époque de la fameuse tournée avec Slade et Suzi Quatro, et Lizzy en première partie. À Liverpool, Lizzy se fait jeter au bout de deux cuts à coups de canettes. Mais c’est en voyant Noddy Holder driver son public que Phil pige tout. Il apprend littéralement son métier de performer lors de cette tournée. Chas Chandler vient même trouver Lizzy dans la loge : «Soit vous faites un effort, soit vous dégagez de la tournée. Vous êtes là pour chauffer le public, pas pour l’endormir !» Chas s’énerve, il a raison, «Sort yourselves out!». Ce sera la grande leçon. Mais le public anglais est féroce. Un mec lance à Phil : «Get off yer black arse - get back to Africa!». Phil garde son calme et répond : «Look pal, just give us a chance, eh?». Putterford restitue bien le style vocal de Phil, ce slang irlandais aux tonalités descendantes - Gigantic pair of legs and thick Irish accent.

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             Troisième et dernier album de l’époque Bell Bell Bell, Vagabonds Of The Western World. L’huître propose trois nouvelles perles noires : «Whisky In The Jar», «The Rocker» et «Song For While I’m Away». Le Whisky est sans doute le hit le plus connu de Lizzy, Phil le prend à la bonne arrache. Ils sont tous les trois parfaitement à l’aise dans leur bel univers mélodique. C’est monté au petit beurre du brillant Brian. Bell Bell Bell te claque la grosse intro de «The Rocker». L’énergie est purement hendrixienne - I’m a rocker/ I’m a roller too baby ! - Saluons aussi le heavy boogie blues de «Mama Nature Said» en B. Phil grimpe directement au sommet de son chat perché, il est toujours très héroïque, très élancé, très brillant et derrière, Bell Bell Bell te claque des riffs au bottleneck. Comme on l’a vu dans l’hommage qu’on lui rendait ici même en 2019, Eric Bell est un fiévreux virtuoso, un tisseur de toiles faméliques. Le clou du spectacle est bien sûr «A Song For While I’m Away», qui donnera son titre au docu consacré à Phil - You are my life/ You are my everything/ You are all I have - Fantastique orchestration, bien nappée de violons, c’est une merveille intimidante, Phil chante un fondu de tendresse chaude. Impossible de se lasser de ce mec. L’autre grande particularité de l’album est sa pochette. C’est la première que dessine Jim Fitzpatrick pour Lizzy. Comme Petagno avec Motörhead, Fitzpatrick va signer quasiment toutes les pochettes de Lizzy.

             Bell Bell Bell craque. Il ne tient pas la pression - I was losing my mind and I couldn’t handle it - Pour finir la tournée, Phil fait appel à Gary Moore qu’il connaît depuis le temps de Skid Row.  Phil aimerait bien continuer Lizzy avec Gary Moore, mais Moore est incontrôlable. En quelques mois, il fait un burn-out. Et il y a une petite rivalité entre Phil et lui. Moore capte l’attention et ça ne plaît pas trop à Phil. Moore se barre. De toute façon, il n’allait pas tenir. Phil teste ensuite John Du Cann pour une tournée en Allemagne, mais ça se passe mal entre Phil et lui. Du Cann se prend pour Blackmore. Encore des problèmes d’ego - He expected to be treated like a superstar - Frank Murray raconte qu’en arrivant en Allemagne, Du Cann a posé sa valise par terre, attendant que quelqu’un la porte, et Murray lui dit : «Look pal, in this band you carry your own fucking case!». Fin des haricots.

             Puis Phil remonte le groupe avec deux guitaristes. Il entre dans une ère nouvelle, celle du twin guitar attack de Scott Gorham/Brian Robertson. Gorham est un Californien installé à Londres, et Robbo vient d’Écosse. C’est à ce moment-là que Ted Carroll arrête de manager Lizzy pour se consacrer à son Rock On stall. Il va ensuite monter Chiswick Records et signer Motörhead.

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             Premier album du quatuor flambant neuf : Nightlife. Lizzy décroche une belle avance de Phonogram et Fitzpatrick dessine la pochette. Par contre, la relation avec le producteur Nevison tourne au cauchemar. Phil compose à bras raccourcis, toujours au sommet du lard. Ah il faut l’entendre groover son morceau titre sur sa basse, c’est d’une classe invraisemblable, un vrai tour de force melodico-bassmatique. En B, tu tombes sur «Philomena», c’est-à-dire sa mère. Cut mélodiquement pur, monté sur un brave petit mid-tempo. Pas trop de twin guitar attack sur cet album, sauf ici, à la fin du solo de «Philomena». Phil renoue avec l’Hendrixité des choses sur «Sha La La». Gorham et Robbo jouent au puissant délié de twin guitar, avec le buzz buzz de Phil. Brian Downey se tape la part du lion, c’est lui qui claque le beignet du cut. L’album s’achève avec «Dear Heart», une nouvelle merveille d’harmonie mélodique, doucement violonnée. Le bassmatic de Phil transparaît bien dans le mix, on ne le perd jamais de vue. Globalement, Nightlife est un album élégant. Ce «Dear Heart» te va droit au cœur.

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             Ils jouent les gros durs des Batignolles sur la pochette de Fighting. Ils sont marrants, car pas crédibles. Il y eut même, nous dit Putterford, une photo de Lizzy avec les pifs sanguinolents, mais le label l’a refusée. Comme Nevison a laissé un très mauvais souvenir, Lizzy s’auto-produit. Le «Rosalie» d’ouverture de balda tape dans la Stonesy. C’est quasiment «Happy», même sens de l’envol et de l’insistance. L’album est très classique, très boogie rock. Phil y va au ya ya ya sur «Suicide» et on retrouve le twin guitar attack en contrefort de «Wild One». On les voit essayer d’exprimer la violence dans «Fighting My Way Back», en exacerbant le riff et le beurre. C’est assez marrant. Ça pourrait presque marcher. On se régale aussi du «King’s Vengeance» en B. Il y a toujours du flourish et du blooming dans l’univers musical du grand Phil à la patte. Les morceaux pauvres de l’album sont ceux des autres (Robbo signe «Silver Dollar»). Retour au vrai son de Lizzy avec «Freedom Song» qui préfigure «Boys Are Back In Town».

             Phil flashe pas mal sur l’Amérique, comme le rappelle Putterford, «un pays où les hommes sont des cats et les femmes des chicks, la police des cops, et les barmen des bartenders, les autoroutes des highways et les trottoirs des sidewalks.» Il est fasciné par la culture américaine, par cette loi de la jungle qu’on retrouve bien sûr dans ses lyrics.

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             On parlait du loup, le voilà : «The Boys Are Back In Town» ouvre de bal de B de Jailbreak, un Vertigo sorti en pleine aube punk, en 1976. C’est le hit définitif de Lizzy. Tout le town est là, merveilleusement là. C’est balancé, chaloupé au bassmatic. Retour du Dublin Cowboy dans «Cowboy Song», Phil y ramène son Buffalo et son Romeo. Le morceau titre de l’album est bien gratté, mais il peine à jouir. Par contre, «Running Back» ne paye pas de mine au premier abord, mais ça devient du pur Lizzy. C’est avec cet album que le twin guitar attack entre en full bloom.  Gorham avoue que Wishbone Ash l’utilisait déjà avant eux, mais en moins agressif. Le twin va devenir «the Lizzy sound». Après la catastrophe graphique de Fighting, Fitzpatrick est de retour.

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             Pendant qu’il est à l’hosto pour une petite hépatite, Phil compose les cuts de l’album suivant, Johnny The Fox. Tu vas y trouver deux inexorables Beautiful Songs : «Borderline» et «Old Flame». Phil épouse la mélodie de Borderline, une véritable merveille d’élégance. On retrouvera cette qualité mélodique chez Midlake. Et en B, «Old Flame» sonne comme l’idéal Lizzy : chant mélodique enduit de Twin. C’est un son unique dans l’histoire du rock anglais. Dans «Johnny The Fox Meets Johnny The Weed», Phil travaille à l’insidieuse, avec un riff têtu comme une mule. Et avec «Massacre», il revient à ses chers Buffalos. C’est une obsession. On entend une belle mélasse de twin dans «Rocky». Ces mecs savent s’entremettre. Phil chante son «Fools Gold» sous l’alizé d’un twin douceâtre et il boucle cet album avec un «Boogie Woogie Dance» percé en plein cœur par un solo liquide. Lizzy reste sur des charbons ardents jusqu’au bout du Fox. Pour l’anecdote, il faut savoir qu’on a demandé à Fitzpatrick de dessiner la pochette de l’album alors que Lizzy n’avait pas encore choisi le titre. Il insiste auprès de Phil, «Just think of any title», alors Phil répond : «Ah call it Johnny The Fox, that’ll do.»

             Mais Phil a des problèmes avec Robbo, qui est incontrôlable. Robbo cogne. Phil demande à Gary Moore de partir en tournée américaine avec Lizzy. Robbo sait que Moore ne va pas rester avec Lizzy, il n’est pas trop inquiet.

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             Bad Reputation restera dans l’histoire du rock pour «Southbound», un chef-d’œuvre de ghost town mélodique, sucré au twin de rêve. Phil est dans son élément, c’est une merveille de contrôle des mesures, il sait driver une extra-balle de southbound. On retrouve ici le magicien, le fantastique pourvoyeur de chansons parfaites. Alors évidement, les autres cuts ont du mal à rester au même niveau. On trouve du twin bien moelleux, et même délicieux, dans «Soldier Of Fortune», et dans le morceau titre, joué nettement plus sous le boisseau. Scott Gorham joue tous les shoots de twin tout seul. Phil boucle avec un «Dear Lord» qu’il prend à l’éplorée, comme il sait si bien le faire, bien lubrifié par une lampée de twin. Pas de Robbo sur la pochette. Lizzy a voulu lui donner une leçon. Pas de Fitzpatrick non plus.

             Pendant la tournée américaine, Phil sniffe des tonnes de coke et prends des downers pour essayer de dormir un peu, mais il faut se réveiller de bonne heure pour monter dans le bus en partance pour la prochaine ville, alors Phil est de mauvaise humeur. Il cherche la bagarre.

             Puis Robbo revient dans Lizzy. Gorham est content, même si Robbo «is a fucking nutcase». Phil le tient à distance. Terrie Doherty : «Le problème de Robbo est qu’il était trop agressif. Il était toujours prêt à se battre avec quelqu’un, il m’a même menacé de me casser la gueule.» Dans les bars, Robbo, «completely out of it», cherche tout le temps la cogne. Quand on essaye de le calmer, il s’énerve encore plus. Alors Phil le chope et lui demande de s’excuser, ce qu’il ne fait pas. Robbo finit par être viré pour de bon - I was really just out of control, a complete asshole - Il boit comme un trou et prend du speed, ce qui n’arrange rien. Il se sent en permanence comme un bâton de dynamite, prêt à exploser. Il dit siffler à cette époque deux bouteilles de Johnny Walker Black Label par jour : «une demi-bouteille au soundcheck, une demi-bouteille juste avant de monter sur scène et une autre bouteille pendant le gig.» Maintenant, il sait qu’il s’est comporté comme un con - I now know what a prat I was. And we all know what a prat Phil was, parce qu’il n’est plus avec nous aujourd’hui - Pas mal, le Robbo. Il conclut ainsi : «Mais tu ne vois tes erreurs qu’une fois commises. Et alors, c’est trop tard.» Gary Moore le remplace. C’est son troisième stage en temps que «full time member» dans Lizzy en quatre ans.

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             C’est l’année suivante que paraît Live And Dangerous, considéré avec No Sleep Till Hammersmith comme l’un des meilleurs albums live de l’histoire du rock anglais. Facile pour Phil : il n’a que des hits. Comme Lemmy, d’ailleurs. Le balda est irrésistible. La marée commence à monter avec un «Emerald» gorgé de twin, et ils enchaînent avec «Southbound». Ah il faut le voir, le Phil, entrer dans son lagon d’’argent, suivi du twin le plus mélodique du monde. S’ensuit un medley «Rosalie/Cowgirl’s Song», heavy boogie de Bob Seger, idéal pour des blasters comme Lizzy. Avec les deux cocottes, ils ramènent tout le sel de la terre. La brutalité du riffing restera dans les anales. La B retombe complètement à plat et il faut attendre «The Boys Are Back In Town» en C pour reprendre de l’altitude. C’est le hit, pas de problème. On peut en dire autant de «Don’t Believe A Word». L’exercice du pouvoir doublé au twin, voilà le grand art de Lizzy, voilà sur quoi repose leur extrême crédibilité. Putterford rapporte une anecdote délicieuse. Chris O’Donnell évoque avec Bernie Rhodes la possibilité d’une double affiche Lizzy/Clash at the Roundhouse et Rhodes lui dit : «We don’t just do gigs, we make political statements. Everything has to be dangerous, do you understand?». Ça fait bien marrer O’Donnell qui appelle Phil pour lui suggérer un titre pour ce double album live : «How about Live and Dangerous?»

             Lizzy est l’un des rares groupes qui a su échapper à la purge punk. Phil a su garder sa street credibilty. Lizzy ne fait pas partie de ce qu’on appelle alors les dinosaurs. Phil est fin, il a tout compris : keep in the move. Il reçoit les punks chez lui. Sid & Nancy in the toilet - That fucking Sid he comes round here shooting up, il pose la seringue par terre, la ramasse et vlahhh straight back in his arm, it’s fucking terrible - Même si Phil en a vu d’autre, le Sid & Nancy in the toilet, c’est quelque chose ! Chez Phil, c’est porte ouverte et table ouverte - He was an open house, 24 hours a day - Phil est bien pote avec les London punks. Il monte une première mouture des Greedy Bastards avec Steve Jones, Paul Cook, Gary Moore, Scott Gorham, Brian Downey et Chris Spedding. Vient jouer qui veut. Les voilà sur scène à l’Electric Ballroom, «a few Lizzy songs, a few Pistols songs, le «Morotbiking» de Chris Spedding, le «My Way» de Sid Vicious and whatever.» Cette année-là, Phil joue aussi sur le So Alone de Johnny Thunders.

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             L’année suivante, Lizzy enregistre Black Rose à Paris avec Tony Visconti. Un Visconti qui sa plaint du Phil trop méticuleux : il peut passer en effet six ou sept heures sur un cut avant qu’il ne soit content de sa partie chant. Il a raison le Phil à la patte d’être méticuleux : ça engendre des coups de génie. Tu as deux perles dans l’huître : «Do Anything You Want To» et «Waiting For An Alibi». Gary Moore remplace Robbo. Le twin guitar attack est encore plus virulent qu’avant, et Phil y va à coups de compromise you, c’est plein de vagues de twin, Lizzy est au sommet du lard. Encore une chanson parfaite de Phil Lynott. «Waiting For An Alibi» sonne bien les cloches, avec la fantastique résonance de l’Alabaï dans les ponts de basse. Phil drive sa pop rock comme s’il drivait l’attelage d’une diligence et c’est couronné de fabuleux shoots de virtuosité signés Gary Moore et Scott Gorham. Leurs tours de twin donnent le tournis. «Toughest Street In Town» est plus poppy, mais Phil crée quand même l’événement, il produit du blossom et du blooming anthemic en permanence. Ses chansons sonnent pour la plupart comme des hits immémoriaux. On s’extasie encore à l’écoute de «Get Out Of Here», en B, car c’est chanté à la clameur sur de belles brisures de rythme et des relances mélodiques extraordinaires. Fitzpatrick se dit fier d’avoir dessiné les quatre Lizzy, surtout Phil : «Je lui ai mis les cheveux sur l’œil pour lui donner un petit air de Max la Menace, et un petit air de Little Richard avec la fine moustache (un look que va pomper Prince plus tard).»

             C’est pendant le séjour parisien que l’héro fait son entrée dans Lizzy, même si Gorham en prenait déjà quand il vivait encore en Californie. À partir de ce moment, ça ne s’arrêtera plus. Gorham : «It was always right there on the table, right in front of his face, all the time.» Mais Lizzy ne tape pas que l’hero, Lizzy tape tout - It was the real downfall of Thin Lizzy - Gorham ajoute : «We were living the image of the rock’n’roll band to the full, and it has to be said that we loved every minute of it.»

              Bob Geldorf rapporte une anecdote pas très glorieuse pour Phil. Geldorf vit alors avec une certaine Paula Yates. Un soir, Phil débarque chez eux et propose un rail à Bob qui sniffe sans savoir que c’est de l’hero. Il se retrouve aussitôt aux gogues en train de vomir ses tripes, et pendant ce temps, Phil file dans la piaule pour aller baiser Paula qui est couchée. Phil sort sa bite et dit à Paula : «This is my biggest gun, darling» !», ce qui ne la fait pas rire : «For fuck’s sake, don’t be so ridiculous, Phillip!». Geldorf : «Pour aller tirer ma poule, il m’a fait un rail d’hero qui m’a presque tué.» Mais au fond, il n’arrive pas à en vouloir à Phil. «Il tentait le coup, c’est tout. Comme il l’avait toujours fait. C’était pour rire. Et tu finis par en rire aussi.» Ces mecs-là ont un sacré savoir-vivre.

             Phil est donc un curieux mélange «de diamond geezer et de complete bastard, d’easy-going drinking pal et de moody ogre, the joker, the sulker», Putterford voit clair dans le jeu de cette superstar, «ce simple Irish boy qui regarde la télé avec sa grand-mère, et qui est aussi the international Playboy raging around the world in a chemically-induced frenzy.» C’est vraiment très bien senti et très bien écrit. 

             Chris O’Donnell rappelle que la vie de rock star est essentiellement constituée d’attente : avant les concerts, pendant les sessions d’enregistrement, d’où les drogues. Et puis après le rush d’adrénaline du concert, aller au lit ? Impossible ! Drugs ! 

             Mais ça reste tendu entre Phil et Gary Moore. Sur scène, ils s’insultent. Fuck you ! Pire encore : Don Arden fait de l’œil à Gary Moore. Il aimerait bien le signer en tant qu’artiste solo sur son label, Jet Records. En plus, sa girlfriend lui dit qu’il est trop bon pour Lizzy et qu’il devrait entamer une carrière solo. C’est à San Francisco que l’orage éclate entre Phil et Gary Moore. Scott Gorham doit jouer seul sur scène. Lizzy redevient brièvement un trio. C’est là que le manager Chris Morrison fait appel à Midge Ure pour rejoindre Lizzy en tournée. Ure joue dans Ultravox et accepte de dépanner Lizzy. Il prend l’avion pour l’Amérique. Phil compare Ure à Steve Marriott.

             Puis Phil embauche Snowy White, un mec réputé qui a joué avec «Peter Green, Linda Lewis, Al Stewart, Cockney Rebel et d’autres», nous dit Putterford.

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             Chinatown pourrait bien être le meilleur album de Lizzy. En B, tu as une nouvelle preuve du génie mélodique de Phil Lynott : «Don’t I». Il ramène de la mélodie dans le twin, et là, il atteint des sommets. Ce merveilleux artiste utilise le balladif pour prolonger sa vision. Cet homme est un ardent perfectionniste, un amoureux inconditionnel de la beauté. Il a su mettre le pouvoir mirifique du twin au service de la mélodie. Lizzy attaque «We Will Be Strong» au full twin guitar attack. Phil arrive à point nommé pour poser avec aplomb son will be strong. Le morceau titre sonne encore comme une fantastique machine, Brian Downey bat le beurre affreusement bien, il tape au beat rebondi. Cette fois, le twin se compose de Scott Gorham et Snowy White. Encore du classic Lizzy avec «Sweetheart». Phil a toujours un peu la même attaque au chant, son Sweetheart est beau comme un cœur, on ne se lasse pas de ce son gorgé de chœurs de lads et de twin. On se goinfre aussi de «Killer On The Loose» et de sa fantastique tension. Tu as là tout l’Irish power. L’«Having A Good Time» qui ouvre le bal de la B est encore une rock song à thème mélodique suspensif, l’une des grandes spécialités compositales du Phil à la patte. Pour l’anecdote, Fitzpatrick raconte que pour la première fois, on lui a donné un bon délai et un titre d’album - Je ne comprenais pas ce qui déconnait, car pour la première fois Lizzy semblait well-organized - Mais finalement ça finit par déconner pour de bon, car Lizzy a choisi le mauvais visuel pour le recto et le bon pour le verso. Mais Phil, qui se savait déjà iconique, préférait laisser planer le mystère sur la pochette, ce qui, de sa part, était extrêmement avisé.

             Sur scène, Snowy White n’est ni Robbo et encore moins Gary Moore. Il ne bouge pas. Bill Cayley, qui fait partie de l’équipe de tournée, raconte que les mecs du road crew se planquaient derrière le rideau avec des manches à balais pour le titiller et l’inciter à bouger sur scène.

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             Snowy White est encore là pour Renegade, paru en 1981, l’année de l’élection de François Mitterrand. Les perles sont en B : «No One Told Him» sonne comme un hit intemporel, un de plus à l’actif du grand Phil Lynott. Il sonne comme le roi du without you baby. Nouvelle rock-song parfaite, enveloppée au chaud dans la magnifique interprétation du Phil à la patte. Il termine Renegade en prenant son envol avec «It’s Getting Dangerous» - When we were young - C’est encore une fois du très grand art, du big Phil out, il développe sa mélodie, lui donne de l’air et des moyens, c’est assez fascinant de le voir à l’œuvre, de le voir s’élever dans son espace mélodique, il le fait en douceur, sans jamais forcer, when we were small, pur genius. Phil Lynott est le tenant de l’aboutissement. Snowy White est fier d’avoir joué sur cet album. Il estime que Lizzy «was a lot more song-oriented than most heavy bands.» Mais l’album connaît un retentissant échec commercial. Lizzy perd de la puissance. Lizzy runs out of steam.

             Snowy White se désintéresse de Lizzy. Il a pourtant adoré la première année de tournées, mais l’ambiance se dégrade, «Lizzy being Lizzy, repeating the same things over and over, c’est le problème de tous les groupes à succès, liés à une certaine image, à certaines chansons et à une façon de jouer sur scène.» Et puis Phil tient mal la pression du succès. Il picole et prend de l’hero - L’hero lui a permis de se relaxer avec l’idée de se retrouver au sommet - Même Chris O’Donnell en a marre de voir Phil et Lizzy se détériorer sous ses yeux - A once brillant band was turning into a pile of crap before my very eyes - Fin des haricots. Même Scott Gorham en a marre. Il dit à Phil qu’il se barre mais Phil réussit à le convaincre de faire encore un album et une tournée.

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             Phil embauche John Sykes pour enregistrer le dernier album de Lizzy, Thunder And Lightning. Malgré son titre prometteur, l’album retombe comme un soufflé. Le morceau titre est un peu metal. On sent une légère dérive. On perd complètement le Phil à la patte. Même les solos sont bizarres. On perd aussi le twin. On perd tout. En fait, lorsqu’on lit les crédits, on s’aperçoit que ça ne marche pas, lorsque Phil co-signe. Il retrouve sa veine avec «The Holy War», mais c’est trop tard, l’album est plombé. En B, ils sonnent comme un mauvais groupe de metal avec «Cold Sweat», et «Baby Please Don’t Go», qu’on trouve plus loin, est tout de suite plus lumineux, car signé Phil. Plus vivant, plus élégant, plus awsome, plus select. L’album et la carrière de Lizzy s’achèvent brutalement avec «Heart Attack». Adios amigos, thanks for the ride.

             Lizzy a gagné beaucoup de blé, nous dit Putterford, Jailbreak s’est vendu à 1,5 million d’exemplaires, mais tout a été dépensé : Phil voulait des avions et des limousines, pour les tournées américaines, il voulait des hôtels de luxe - He would insist on the rock star lifestyle - Chris Morrison lui dit que ça coûte cher, mais Phil s’en fout. Il indique que Lizzy coûtait à l’époque £500,000 a year, Phil veut que toute l’équipe soit salariée. Morrison ajoute qu’aujourd’hui, un groupe coûte £50,000 par an, alors on voit la différence. À la fin, il ne reste pas un rond.

             Le split de Lizzy est insupportable pour Phil. Il commence à déprimer, ce qui ne lui arrivait jamais. Fitzpatrick le voit prendre du poids, ce qui pour Phil est terrible, car il était très fier de son apparence. Rien n’empêche la dérive, tout part à vau-l’eau, son mariage, le groupe - Phil was so popular. Coke, speed, joints, champagne, anything you wanted, you could have it, dit Mark Stanway. Comme Phil ne supporte pas d’être seul, des tas de gens zonent chez lui, at the Ken Road house, jour et nuit. Porte ouverte, table ouverte, des gens dorment là pendant des mois. Robbo débarque en pleine nuit, John Sykes a sa chambre à l’étage, nous dit Sue Peters. 

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             Juste avant Thunder And Lightning, Phil enregistrait The Phil Lynott Album. Le problème c’est qu’on y entend de la diskö. Il rend hommage à sa fille Cathleen avec «Cathleen», a beautiful Irish girl, et il faut attendre «Ode To Liberty» en B pour renouer avec la bonne vieille heavy pop. C’est excellent. Il montre qu’il peut encore composer des hits. Il termine avec «Don’t Talk About Me Baby», un beau hit qui te réchauffe le cœur.

             On retrouve Phil inanimé chez lui le jour de Noël 1985. Il casse sa pipe en bois à l’hosto une semaine plus tard. On dit que c’est le «prolonged drug abuse» qui a eu sa peau. 36 ans, ça fait quand même un peu jeune. «Philip could eat and drink and do everything more than everyone else. He liked it like that», indique Smiley Bolger. Il était paraît-il solide comme un bœuf.

    Signé : Cazengler, Phil Gnognote

    Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

    Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

    Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

    Thin Lizzy. Nightlife. Vertigo 1974

    Thin Lizzy. Fighting. Vertigo 1975

    Thin Lizzy. Jailbreak. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Johnny The Fox. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Bad Reputation. Vertigo 1977

    Thin Lizzy. Live And Dangerous. Vertigo 1978

    Thin Lizzy. Black Rose. Vertigo 1979

    Thin Lizzy. Chinatown. Vertigo 1980

    Thin Lizzy. Renegade. Vertigo 1981

    Thin Lizzy. Thunder And Lightning. Vertigo 1983

    Phil Lynott. The Phil Lynott Album. Vertigo 1982

    Mark Putterford. Phil Lynott: The Rocker. Omnibus Press 2002

     

     

    PM at six p.m.

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             Il régnait sur ce parc d’attraction un tenace parfum d’ennui, qu’amollissait en le réchauffant un soleil ardent. Les esprits dylanesques appellent ça the Desolation Row caniculaire. On se souvient que Mark E. Smith haïssait l’été et préférait rester chez lui au frais - J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell - L’organisation du festival avait réussi l’exploit de dresser une petite scène en plein cagnard, ce qui semblait convenir parfaitement aux festivaliers appâtés par la gratuité de l’événement. Cette période de l’année marque l’apogée du fameux pantacourt, une coquetterie à laquelle le caveman moyen ne se prête guère.

             Histoire de varier les plaisirs, la prog cultivait l’éclectisme. Trois groupes étalés sur l’après-midi. Nous n’étions pas là pour les fruits de l’éclectisme, mais plutôt pour un certain PM Warson. Il devait être six p.m. lorsque PM est monté sur scène. 18 h en français.

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             Pour être tout à fait franc, PM en plein cagnard, ce n’était vraiment pas idéal. Ce jeune groover de London town propose une Soul-jazz très sophistiquée, qui conviendrait plutôt à un club de style round midnite, certainement pas au contexte décrit plus haut. En comme un cours d’eau longeait le parc, on entendait en plus glouglouter les petits flots bleus et quelques rires d’enfants occupés à s’éclabousser. Mélangez ça aux odeurs que dégageait le camion à pizza garé tout près et vous aurez une idée du malaise que dut éprouver PM sur scène. Pour corser l’affaire, il dut jouer devant une assistance réduite à portion congrue, le gros des festivaliers ayant préféré rester à bonne distance, à l’ombre des jeunes filles en fleur et des tamariniers. Par miracle, PM est un artiste passionnant, ce qui nous permit de tolérer des conditions aussi peu propices à l’éclosion de l’art. Alors il enfila ses perles, une par une, il joua softy-softah, accompagné d’une petite gonzesse à l’orgue, d’un excellent beurreman et d’un bassman jazzy qui groovait tout au doigt sur sa bonne vieille Fender. PM portait un chapeau de mover-shaker du jazz world et des lunettes noires. Il semblait sortir tout droit de Mo’ Better Blues, le chef-d’œuvre de Spike Lee. Et pour compléter ce tableau presque idyllique, PM sonnait exactement comme Nick Waterhouse. Il évoluait dans ce son, cet élégant groove de Soul Jazz que promotionne Eddie Piller sur son label Acid Jazz. Profitons de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler qu’Acid Jazz et Daptone sont devenus les deux pôles de la modernité, et donc arbitres des élégances. Leur enfant caché s’appelle Colemine.

             Donc pas de problème. PM jouait sa carte avec brio. Il claqua une belle cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il tapa même un bref instro de surf. Sur la plupart de ses cuts, il passait des solos flash extrêmement bien ficelés. Il boucla son set avec une autre cover, «The Letter», qu’il groova admirablement. Ce ravissant clin d’œil aux Box Tops fit danser la maigre assistance. On était vraiment ravi de l’avoir vu jouer, même dans ces conditions exotiques. Comme la scène était ouverte aux quatre vents, le groupe dut en plus surmonter le handicap d’une extrême déperdition du son. Quelques mots échangés après coup avec PM permirent de découvrir un personnage éminemment sympathique, comme éclairé de l’intérieur par un regard d’un bleu très vif. À tout hasard, on lui demanda s’il connaissait James Hunter. Pouf ! En plein pot aux roses : c’est son idole. Pas surprenant, quand on y réfléchit. Tous ces artistes fantastiques, James Hunter, Nick Waterhouse et PM Warson ont un sacré point commun : l’avenir leur appartient.        

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             PM a déjà enregistrés deux albums. Coup de pot, ils sont au merch. Le premier date de 2021 et s’appelle True Story. On y retrouve la cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il en fait une cover qu’il faut bien qualifier d’évolutive. Le hit de l’album est une merveille nichée au bout de la B, «(Just) Call My Name», c’est un groove magique, qui se faufile comme une couleuvre de printemps, PM chante ça au coin du menton, à l’accent sinueux des nuits chaudes de Soho. Par contre, le «Losing & Winning» d’ouverture de balda va plus sur une ambiance à la «Fever», c’est un heavy groove de London town joué à pas feutrés dans la chaleur de la nuit. PM joue à fond sa carte de dark groover blanc, exactement comme le fait Nick Waterhouse. Avec «In Conversation», il force un peu la main du groove, il vise la fournaise sous le boisseau. Il fait du Waterhouse à l’Anglaise, et au fil des cuts, lui et ses musiciens semblent avoir de plus en plus de son. PM est un mec très fin, c’est l’image qu’on retient, celle d’un groover qui se faufile et qui place des petits solos bien ciblés.

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              Dig Deep Repeat date de l’an passé. On y trouve une nouvelle cover évolutive en deux parties, le fameux «Leaving Here» signé HDH, qu’enregistra en son temps Eddie Holland, puis repris par les Birds de Ron Wood et aussi - et surtout - Motörhead. PM tape sa version au wild groove de jazz et c’est excellent, comme réinventé. Il y revient pour un Pt 2 travaillé au shuffle d’orgue et au sax. C’est incroyable comme il le groove bien - Caught the right train/ Found the right place - C’est du pur London jive, tu ne saurais espérer plus jivy. Ce deuxième album est un festin de groove, et ce dès «Insider», pur jus de Waterhouse, c’est le même déballonnage de déballage, et des filles couinent «insider» derrière. C’est smoothé à l’orgue, très fin, très Mod Jazz. Jean-Yves aurait adoré cet album. PM retrouve son terrain de prédilection avec «Game Of Change», il tape ça de plein fouet avec une réelle élégance. Il se glisse encore partout avec «Never In Doubt», il est le gendre parfait, celui auquel on souhaite la bienvenue avec sincérité. Tout est bien lisse et bien foutu, pas d’histoire, ça coule de source. Voici son petit shoot de surf, «Dig Deep», puis retour au groove avec «Out Of Mind», puissant car bien balancé des reins, il joue un peu en crabe, il a des chœurs épisodiques qui entrent quand il faut, sa structure semble dessinée par Le Corbusier, un peu oblique, mais solide. Il s’enfonce dans l’excellence à la Waterhouse avec «Nowhere To Go». Ça finit par devenir envahissant. Disons que c’est le petit privilège du groove : il finit toujours par conquérir l’Asie mineure.

    Signé : Cazengler, PM enrayé

    PM Warson. Festival Rush. Union B. Malaunay (76). 25 juin 2023

    PM Warson. True Story. Légère Recordings 2021

    PM Warson. Dig Deep Repeat. Légère Recordings 2022

     

     

    L’avenir du rock

    Peyton c’est du beyton

    (Part One)

     

             Quand on demande à l’avenir du rock s’il va à l’église, il hausse les épaules. Mais il ne s’en va pas. Ça l’intrigue qu’on puisse lui poser une telle question. Oh ce n’est pas le fait qu’elle soit indiscrète, il s’inquiète plutôt de savoir pourquoi c’est resté un critère de jugement. À une autre époque, oui, mais aujourd’hui ? Les Révolutions sont passées par là, et les bouffeurs de curés ont dératisé les villes et les campagnes, en exterminant cette faune ecclésiastique qui pendant des siècles avait réussi à maintenir les populations dans la peur la plus abjecte. Comme tous les gens qui réfléchissent un peu, l’avenir du rock sait que la spiritualité ne se trouve pas dans le sein de l’église catholique. Elle se trouve dans chaque être, comme le voulait, à l’aube des temps, la gnose. Connais-toi toi-même. Si l’avenir du rock admire tant Tommy Hall, c’est justement parce qu’il professait la gnose à son petit auditoire de freaks psychédéliques. C’est la raison pour laquelle la musique du Thirteen Floor est tellement spirituelle, tellement révélatrice. Depuis, d’autres saints sont venus prêcher la bonne parole gnostique parmi nous. L’avenir du rock s’agenouille volontiers devant le Reverend Horton Heat qui professe à coups de Gretsch les principes gnostiques du rockab sauvage. Chacun trouve sa voie, le Reverend Horton Heat indique la direction. Viens par là, mon gars. 400 Bucks ! Tu y vas en courant. Un autre saint homme montre aussi la voie, le Reverend Beat-Man, plus austère parce que suisse, mais diablement œcuménique, il bat sa coulpe en mode binaire et parcourt le monde avec sa gratte et son big bass drum. Les adeptes du Reverend Beat-Man se comptent désormais par centaines, dit-on, dans les campagnes. C’est ce que les Catholiques n’ont jamais compris : si les curés avaient pensé à jouer du rockab, les églises seraient pleines à craquer. Au moins, les afro-américains sont moins cons, car ils savent rocker leurs églises en bois avec du gospel batch. L’avenir du rock est tombé en adoration pour un autre saint homme, le Reverend Peyton. Avec ses grattes et des doigts en or, il t’engnose dès le premier coup de bottleneck, et offre à chacun de ses adeptes d’un petit paradis personnel.

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             Si tu as la chance d’assister au soundcheck du Reverend Peyton’s Big Damn Band, tu sais que la soirée va être torride. Hot as hell. Car le Reverend est une bête de Gévaudan, mais pas le Gévaudan d’ici, le Gévaudan de l’Indiana. Son fury blues sort des bois les plus sauvages d’Amérique. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Son expertise du roots punk-blues dépasse l’entendement. Il s’enracine dans Charlie Patton et Bukka White, mais joue avec le gusto d’un hard punkster. On cherche à le comparer, mais il est incomparable. Le seul qui s’en rapproche est sans doute Fred «Joe» Evans IV, le slinger fou de Left Lane Cruiser, mais force est de constater que le Reverend sort du lot.

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    L’homme est assez massif, large d’épaules, une sorte de gros dur des Batignolles de l’Indiana, il porte une barbe noire et une casquette de marlou, des beaux tatouages sur les épaules, un marcel blanc dans la journée, un noir dans la soirée, et une vraie salopette de farmer des backwoods. Son éthique est la même que celle d’Hasil Adkins, Sur scène il utilise sept guitares, bien rangées près de lui, des instruments chargés d’histoire, il se branche sur un petit rack de ricks et sort sur un ampli Silvertone. C’est l’enfer qui sort de son ampli. Il vise le loud. Il carillonne des quatre doigts et joue les basses à l’onglet du pouce. Cet homme a les allures d’une superstar, au bon sens du terme. Jamais le blues électrique ne s’est aussi bien porté.

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    Le voir à l’œuvre te permet de réaliser à quel point ce son reste essentiel. Tout vient de là et du gospel, et tout repart de là. Il attaque le set avec «My Old Man Boogie», tiré d’un album assez ancien, Big Damn Nation, mais c’est «Ways And Means» qu’on attend au virage, car c’est le cut qu’il sound-checkait, et là, mon gars, tu as l’un des hits du siècle, dans le genre descente au barbu, t’as pas mieux, il carillonne ses accords dans un délire de slide et joue un petit motif de basse à l’onglet de pouce. C’est un peu la même dynamique que le «Milk Cow Blues» des North Mississippi Allstars, mais en plus Peyton, c’est-à-dire ravageur. D’ailleurs, il annonce le cut en précisant qu’il en est très fier - Wayssss ‘n means, pour que tout le monde comprenne bien - Il lève tout simplement un véritable vent de folie.

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    Sa femme Washboard Breezy l’accompagne au washboard, un washboard qu’elle porte accroché autour du cou, et qu’elle gratte avec des gants rouges équipés de griffes d’acier. Et pour compléter cette piste aux étoiles, tu as un mec au beurre derrière qui bat son ass off, il est très spectaculaire et s’appelle Max Senteney. Beurreman américain, diabolique d’efficacité, qui ne ménage pas ses efforts. Il va souvent battre son beurre au bord de la Méricourt.

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    Comment peux-tu faire autrement, quand tu accompagnes le Tornado Peyton, l’un des plus grands guitaristes d’Amérique ? Il faut le voir balayer son manche de gestes larges et lâcher de véritables rafales d’accords, c’est à la fois violent et magnifique.

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    Le show est explosif. Bim bam boom du début à la fin. Ils tapent aussi le morceau titre de Poor Till Today et font bien le train avec l’imparable «Train Song». Rien à jeter chez le Reverend Peyton, il est bel et bien l’aw my Gawd du blues moderne. 

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             Tu plonges dans l’œuvre du Rev comme dans un lagon d’argent : chacun de ses albums sonne comme une bénédiction. Tiens, prends Big Damn Nation, au hasard. Six coups de génie. Tu découvres en plus que c’est produit par Jimbo Mathus. Le Rev attaque avec «My Old Man Boogie» qu’il reprenait sur scène. Il ramène tout le flux et tout l’influx du peuple noir. C’est chargé à ras-bord. Il gratte des frivolités dans l’enfer du beat. C’est puissant et sans pitié pour les canards boiteux. Le Rev joue le boogie des bois. Autre splendeur tentaculaire : «Worrying Kind». Il se fond avec ça dans un prodigieux heavy groove de black blues. Et ça continue avec «Left Hand George». Fatal ! Fantastiquement inspiré ! Il porte son chant à la force du poignet. Avec «Long Gone», il sonne encore plus black que les blacks, il joue à la syncope des trois notes. Tout est somptueux sur cet album. Il s’immerge dans l’excellence du big damn blues, le Rev est fou de black genius, comme le montre encore «Mud». «Plainfield Blues» sonne comme le blues le plus lumineux du fleuve. Il finit par échapper à toutes les catégories. Le Rev détient le power du fleuve. Il y a dans «Plainfield Blues» une énergie fondamentale. Il te repeint tout Dockery. Il ramène du punk dans le blues.

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             Chaque album du Rev sonne comme un passage obligé. The Wages n’échappe pas à la règle. Beau visuel, qu’on dirait peint par Wes Freed, le mec qui faisait les pochettes des Drive-By Truckers. Mais non, ce n’est pas Wes Freed, il s’agit d’un certain Shelby Kelley. Le coup de génie de l’album s’appelle «Clap Your Hands», qu’il reprend sur scène. C’est avec ça qu’il chauffe la salle. Il veut le clap your hands et le stomp your feet. Il peut déclencher l’enfer sur la terre. Il propose trois shoots d’Americana, à commencer par «Born Bred Corn Fed», qu’il prend au wild bottleneck. Toute l’Amérique résonne en lui. On dira la même chose de «Sugar Creek» - Take my baby back/ To Sugar Creek - C’est une Americana bien wild, bien poilue. Il ramène son immense talent dans «Just Getting By». Il fait l’une des meilleures Americanas de son temps, bien drivée et fluide. Son «Two Bottles Of Wine» est wild as superfuck, et puis avec «Train Song», il fait le train. C’est en plein dans le mille. Il redevient le white nigger de rêve. Il module toutes les substances, tous les jus informels. Le Rev est si bon que tu finis par écouter tous les cuts de tous ses albums mécaniquement. Ce mec te balaye tout, même le devant de ta porte.

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             So Delicious reste dans la même lignée : ça grouille de son et de génie révérentiel. Il attaque en mode colonne infernale avec «Let’s Jump A Train». La niaque est là, dès la première mesure. Il gratte sa National, et derrière, ça bat le tribal des sous-bois. Il shoote du punk dans son hard-blues rural. Quelle barbarie et quelle bravado ! Il enchaîne avec l’aussi énorme «Pot Roast & Kisses». Il tient la dragée haute à l’Americana. Il claque un thème ambivalent et s’appuie sur le hard beat. Que de musicalité ! Il amène un gratté de poux ardent et coloré, unique en son genre, un gratté multi-facettes. Un enchantement. Il joue encore son «Dirt» dans d’effroyables règles du lard. Il n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du blues messianique. Avec «Raise Hell», il fait exactement ce qu’il annonce : il raise hell. Il joue le punk-blues des origines de l’humanité, bien wild as cro-magnon. Plus loin, «Front Porch Trained» sonne comme un fantastique jump d’Indiana gratté au washboard et au bottleneck délibéré, il ramène toute l’énergie white trash et toute la Méricourt des bois. Il devient le white nigger le plus pur avec «Pickin’ Pawpaws». Il ne fournit aucun effort. Tu vas encore tomber de ta chaise avec «We Live Dangerous», il drive ça vite fait, fast and wild. Il mène sa barque en enfer. Il est all over the place, jusqu’au bout de la nuit, et il finit en beauté avec le mirifique «Music & Friends.

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             Comme le montre encore Front Porch Sessions, le Rev crée sa mythologie tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il n’en finit plus de défoncer la rondelle des annales. C’est un vieux bouc. Il ne rencontre aucune résistance. Avec «We Deserve A Happy Ending», il rentre dans les annales comme dans du beurre. Il profite de «When My Baby Left Me» pour faire son heavy white nigger, c’est puissant, ouvert sur l’univers, la force du Rev est d’ouvrir de nouvelles portes. Il tape «What You Did To The Boy Ain’t Right» au stomp des backwoods. Power du diable ! Il gueule dans sa cabane, c’est du pulsatif primitif, avec un écho terrifique, le Rev t’aplatit tout ça vite fait. Il couvre tous les domaines du genre, avec le souffle de sa voix chaude. Le solo de slide qu’il passe dans «One Bad Shoe» est une merveille apocalyptique. Tu suivrais le Rev jusqu’en enfer. Il fait encore tournoyer son bottleneck ad nauseum dans «It’s All Night Long». C’est la Méricourt du rodéo. Le Rev est un effarant virtuose. Puis il s’en va te shaker le gospel blanc de «Let Your Light Shine» au stomp du fleuve. Il gueule tout du fond du cut, le Rev est une bête, sans doute la meilleure bête du monde. Il repart à l’aventure avec «Cornbread & Butterbeans», accompagné de Breezy au washboard. Il reste égal à lui-même, c’est-à-dire effarant de wild présence, saturé de sous-bois. Il t’explose l’Americana en plein vol. Il porte tous ses atouts au sommet du lard. Il est à la fois un éminent spécialiste de l’Americana et un gratteur de poux hors normes. Il va bien au-delà de toutes les expectitudes.

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             Quand on les voit tous les trois sur la pochette de Poor Until Payday, on comprend bien que ça va chauffer. Et c’est exactement ce qui se passe. Boom dès «Dirty Swerve», slab de wild boogie blues. Embarqué sur le beat du diable. Le Rev secoue toutes les parties molles des cuts. Pendant que Breezy fait des chœurs sataniques, le Rev descend au barbu avec des doigts crochus. Te voilà transporté dans un Conte d’Andersen, dans l’âtre du diable, c’est l’apothéose de tous les apanages. Le Rev conduit le bal des vampires. Et ça continue avec «So Good», il va chercher le meilleur wild punk blues, c’est à la fois explosif et contenu, ça vaut tout le JSBX, avec toute l’énergie du genre, mais magnifiée. Comme le montre encore «Church Clothes», il surmonte tous ses cuts au chant pur. Le Rev est intrinsèquement black, l’éclat de sa voix ne trompe pas. Encore un coup de génie avec «Get The Family Together», c’est tout simplement l’heavy enfer sur la terre, le Rev cultive les menaces définitives, il intra-utérine les intérims, il ramène toute l’urgence du beat black, il fait du wild as Rev. Diable, comme sa pulsion est pure ! Sa barbarie l’est encore plus. Il harangue encore les harengs avec «I Suffer I Get Together», c’est l’Apollinaire du punk-blues, avec une barbe. Il termine cet album superbe avec «It Is Or It Ain’t». Tu retrouves tout le gaga du monde dans le boogie du Rev. Il finit par t’assommer à coups d’heavy slide. Il parvient toujours à ses fins. Ce saint homme est un démon.

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             Voilà encore un album qu’il faut bien qualifier de génial : Dance Songs For Hard Times. Il date de 2021, le dernier en date. C’est là que tu retrouves le cut magique joué sur scène, «Ways & Means», monté sur un riff obsédant, ces quatre notes grattées à l’onglet du pouce. Le Rev maintient une pression hors normes, il maîtrise l’excellence du hot rod blues, il faut le voir riffer à blanc, avec le thème qui revient. Il devient à moitié fou avec «Rattle Can», comme s’il chantait au dessus de ses moyens, puis il retourne écumer les archipels avec «Dirty Hustlin’». Oh le Rev est un pirate ! Il coule tous les vaisseaux qu’il croise. Que dire d’une abomination comme «I’ll Pick You Up» ? C’est sa façon de te tomber dessus avec une barbarie indescriptible. Tous ses cuts sont des idées géniales, tout est bourré d’énergie, chanté à pleins poumons et mené à train d’enfer. Que demande le peuple ? Ce Rev de rêve peut même taper un cut en mode fast jazz, comme le montre «Too Cool To Dance». Quel que soit le format, le Rev est à l’aise. Comme il t’aime bien, il te groove le jazz vite fait. Puis on le voit tenir «Sad Songs» par les cornes. Le Rev est le roi du hard punk-blues. Tu as là tout ce que pu peux désirer en la matière : c’est d’une rare puissance et chanté d’en haut. Le Rev condescend. Il relance et Breezy fait les chœurs. Un petit coup de stomp d’Indiana avec «Crime To Be Poor», et il repart en mode heavy blues avec «Til We Die». Le Rev reste un fervent cognoscente, et son chant une merveille d’authenticité. On le sent concerné à la vie à la mort. Il boucle avec un «Come Down Angels» des enfers, tu as le big Rev, le washboard et le fou au beurre - Come down angels/ Please come down - Il arrose tous ses cuts de prodigieuses giclées de blues électrique. Tout ce qu’il entreprend est visité par la grâce du power pur. Si tu aimes l’action, alors écoute le Rev, l’ultimate punk des bois.

    Signé : Cazengler, Reverend Péteux

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Big Damn Nation. Family Owned Records 2006

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Wages. SideOneDummy Records 2010

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. So Delicious. Shanachie 2015

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Front Porch Sessions. Family Owned Records 2017

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Poor Until Payday. Family Owned Records 2018

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Dance Songs For hard Times. Family Owned Records 2021

     

     

    Inside the goldmine  

    Tolbert nique

             Nous formions en ce temps là un joyeux conglomérat. Tous un peu paumés, un peu peintres, un peu poètes. Si un mec comme Talbin faisait partie de cette fine équipe, c’est uniquement parce qu’il savait conduire une machine offset. Et l’offset constituait le cœur de notre activité. Sans cette bécane et son conducteur, nous n’existions pas. La revue tournait bien, on tirait à 5 000, on diffusait sur abonnements et on parvenait à assurer les équilibres vitaux, c’est-à-dire la croûte, les encres et le papier. On tirait en A3+ et on façonnait à la sortie : assemblage, pliage, piqure deux points, massicotage et routage. Talbin était beaucoup plus âgé que nous. Il portait en permanence une veste à carreaux. Physiquement, il se tenait encore bien. Il avait encore ses cheveux qu’il peignait soigneusement, les traits du visage assez fins, toujours rasé de frais, avec un léger soupçon de malice dans le regard. Une sorte de vieux beau. Talbin avait dû beaucoup plaire aux femmes. Il restait très solennel dans ses propos et n’aimait pas les questions trop personnelles. Alors évidemment, on passait notre temps à l’asticoter. Il s’arrangeait toujours pour paraître plus con qu’il ne l’était. C’était son système de défense. Il ne risquait pas de se voir entraîné dans une conversation sérieuse. Il savait aussi que les petites vannes s’arrêtaient d’elles-mêmes. Chacun sait que les charrieurs n’ont guère d’imagination. Talbin se contentait de charger ses rames, de monter ses plaques et de préparer ses encres. Lorsqu’il préparait ses couleurs Pantone, il utilisait une petite balance pour peser ses mélanges et ça nous épatait de le voir faire, car on croyait vraiment qu’il faisait n’importe quoi. Il participait à toutes les fêtes, notamment les fêtes de parution, car ça faisait partie des usages. Il aurait préféré rentrer chez lui s’occuper de son chat, mais il savait qu’il devait rester parmi nous. Ces fêtes étaient toujours des moments d’extrême dissolution. Nous avions initié Talbin aux agapes d’alcool, d’herbe et d’acides. Ce soir-là, nos moyens nous permirent de tester le speedball. Confiant et même jovial, Talbin inhala en singeant les autres, et comme il avait coutume de le faire, il se leva pour déclarer que la dope ne produisait aucun effet. Soudain il s’écroula à la renverse. Son crâne heurta le carrelage de l’atelier. Il venait de faire sa première overdose. 

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             Il n’existe bien sûr aucun lien de parenté entre Talbin et Tolbert, mais on se demandait à une époque s’il existait un lien entre Colbert et Tolbert. Des fouilles approfondies permettraient certainement d’y voir plus clair, mais en attendant, contentons-nous d’affirmer que Tolbert en impose, à la différence de Colbert qui imposait le peuple de France. Mieux vaut en imposer que d’imposer, comme chacun sait.

             Dans le booklet de la compile Black Diamond, Andy Croasdell rappelle qu’O.C. Tolbert n’a pas fait long feu : cassage de pipe en bois à 52 ans. C’est grâce aux gens d’Ace qui ont racheté les archives du producteur Dave Hamilton qu’on peut découvrir cet immense Soul Brother qu’est O.C. Tolbert. Parcours classique : fils de pasteur en Alabama. Bambin, l’O.C. chante à l’église. Comme les prêches ne rapportent pas gros, le père d’O.C. doit conduire le tracteur et cueillir du coton pour arrondir les fins de mois. L’O.C. cueille donc le coton. Quand Daddy Tolbert casse sa pipe en bois en 1966, l’O.C. monte dans le Nord et s’installe avec sa femme à Detroit. Il tape à la porte d’un gros label black qui lui dit de revenir dans un an. Vexé, l’O.C. se met à haïr les gros labels. C’est là qu’il se maque avec Dave Hamilton. L’histoire d’O.C. est classique, mais Croasdell la raconte très bien. Son récit est passionnant. Puis un certain Fat Man Jack Taylor entre dans le circuit avec son label Rojac. Sur son label, il a Big Maybelle. Croasdell insinue que Big Maybelle ne dépend pas de Jack Taylor que pour les royalties. Il parle bien sûr de dope. Comme Jack Taylor opère à New York, l’O.C. s’y installe, laissant sa femme Velma et ses deux fils à Detroit. Et comme Velma finit par en avoir marre de Detroit et de la violence urbaine, elle retourne s’installer à Selma, Alabama. Le couple tient le choc. L’O.C. descend régulièrement passer du temps en famille. À un moment, Croasdell insinue qu’O.C. fut garde du corps de Jack Taylor, ce que Velma réfute catégoriquement, arguant qu’O.C. était un homme bien élevé.

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             Black Diamond grouille littéralement de coups de génie, tiens, on va en prendre un au hasard : «Fix It». L’O.C. y va au hard drive de hard funk liquide, c’est dire si l’O.C. est bon, si l’O.C. a la niaque ! Il y va au scream de fix it, il prend feu, c’est exceptionnel de sauvagerie et derrière, ça joue à contretemps. Ah il faut entendre l’O.C. hurler ! Il t’invite plus loin à monter à bord du Gopsel Train dans «Ride The Gospel Train», c’mon get on board, il chante à la silicose de pur genius. Et pris en sandwich entre ces deux hits de rêve, tu as deux autres énormités, «Everybody Wants To Do Their Own Thing» et «Along Came A Woman». Derrière lui, ça joue à la folie, les petites guitares funky fuient dans la brousse, l’O.C. est un dur à cuire, il chante tout à la grosse arrache, il fait mal, tellement il martyrise sa glotte, il chante son gloomy r’n’b dans des lueurs de néon. Là, tu as une Soul hors du commun. Autre énormité digne de ce nom : «Hard Times» - Since my baby’s been gone - Il en bave, avec du woke up this morning. Ah comme il est raw ! Il gère le heavy groove comme on gère l’amour physique : avec un tact purement organique. Pas la peine de faire un dessin. Il tombe toujours sur le râble de son r’n’b avec une extrême violence. Avec «That’s Enough», il ramène le groove en enfer. Il y va l’O.C., c’est un vrai black de combat, il s’arrache encore la glotte sur «You Gotta Hold On Me». Ne commets pas l’erreur de prendre l’O.C. pour un branleur. Il passe par tous les états de la grande Soul de son temps, «You Got Me Turn Around» sonne comme un hit de r’n’b, et quand il rend hommage aux blackettes dans «Message To The Black Woman», il le fait avec une réelle profondeur d’intention. Fantastique Soul Brother ! Il t’en met encore plein la vue avec «Goodness», il fond sa niaque dans le groove, l’O.C. est un géant, Hello Goodness ! La séance d’électrochocs révélatoires se poursuit avec «Message To Mankind». L’O.C. est un scorcher extraordinaire. Tiens, encore une merveille avec «Rough Side Of The Montain», monté sur un heavy bassmatic. Si tu aimes la Soul, te voilà au paradis, amigo. Comme elle n’est pas rentrée cette nuit, l’O.C. lui demande : «Where Were You?». Il revient au gospel batch de son enfance avec «Somebody Is Here With Me», un mood vertueux de presbytérien dédié à Jésus. Il finit avec «All I Want Is You», du heavy O.C. de diamond ring qu’il tartine au baby baby baby ! Il remonte le courant à coups d’all I want is you, les cuivres pouettent comme des fanfarons à une table de banquet, pouet pouet, et l’O.C. navigue, comme on dit, dans la semoule, il avance, vaille que vaille, oh babe ! 

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             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Dave Hamilton est un ancien guitariste de session pour Motown. De là à aller choper Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975), il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Car oui, quelle compile ! On y retrouve bien sûr l’O.C. avec «The Grown Folk Thing», shoot de hard funk, et «Message To Mankind», gros paté de pathos. On se prosterne devant les Barrino Brothers et «Just A Mistake», un fantastique shoot de r’n’b soufflé à l’énergie pure. Ils sont sur Invictus. Belle presta aussi de The Future Kind avec «The Devil Is Gonna Get You», un drive à la Screamin’ Jay. Mais le crack de la compile s’appelle Billy Garner, avec quatre bombes, à commencer par «Brand New Girl Part 1», un shoot de funk à la James Brown, il y va à la tête cognée, il t’emmène au cœur de la fournaise, c’est le hard funk de Detroit. Même topo avec «You’re Wasting My Time», Billy Garner rivalise directement avec James Brown - You make me so mad/ You’re wasting my time - Il y revient avec un Part 2, il y va le Billy, il charge la barcasse du relentless. Et puis voilà «I Got Some Part 1», suivi du Part 2, montés tous les deux sur un real deal de riff de funk. Dave Hamilton est un sacré point de repère.

    Signé : Cazengler, Tolbec dans l’eau

    O.C. Tolbert. Black Diamond. Kent Soul 2011

    Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975). BGP Records 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part One)

     

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             Mick Wall s’est bien amusé à épingler le côté tordu du grand méchant Lou. Le petit book qu’il lui consacre (Lou Reed The Life) est un véritable précis de décomposition, comme dirait Cioran, un mode d’emploi à l’usage des anti-carriéristes et des amateurs de néant, une ode à l’amer, une exégèse des pieux communs, un vrai Necronomicon. Eh oui, Mick Wall a très bien compris que Lou Reed ne supportait pas les cons, c’est-à-dire ceux qui ne comprennent rien. Comme Léon Bloy en son temps, il rêvait de les anéantir.

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             Lou Reed en a bavé. Pas facile d’être un artiste visionnaire incompris - A complete one-off, utterly misunderstood in his lifetime, poorly treated and ignorantly underevalued - Le mépris qu’affichait la critique rock pour Lou Reed ne date pas d’hier, elle remonte au temps du Velvet. Ne va pas croire que le Velvet était un groupe célèbre aux États-Unis, oh la la la, pas du tout. Lou Reed a créé un monde que le grand public ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre - La vérité, c’est que Lou Reed commence là où le rock s’arrête. Avant lui, le rock était de l’entertainment, avec lui, le rock devenait littéraire, dark, disturbing et incroyablement honnête. Son œuvre a plus à voir avec William S. Burroughs, Hubert Selby Jr., Andy Warhol et le brillant Delmore Schwartz, son mentor, qu’avec les Beatles et les Stones - Et Mick Wall conclut son introduction avec l’une de ces chutes spectaculaires dont il s’est fait une spécialité : «Voici donc mon hommage, sincère, écrit au speed, taché de sang, torché d’une façon que Lou, qui avait enregistré le premier album du Velvet Underground en quatre jours, aurait appréciée.»

             Et pouf, il attaque violemment - A jew. A fag. A junkie - Avec Mick Wall, on n’en finit plus de se marrer. Juif, pédé, junkie - À 17 ans, il avait atteint deux de ces objectifs, et ses parents l’envoyèrent subir des séances d’électrochocs, une thérapie en vogue dans l’Amérique des années 50, utilisée pour soigner les délinquants en herbe. Grâce à cette thérapie, Lou Reed allait rapidement atteindre le troisième objectif, junkie - C’est merveilleusement bien amené. Mick Wall le fait mieux qu’on ne le fera jamais. 

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             Un peu plus tard, quand Lou compose à la chaîne pour le compte de l’éditeur musical Pickwick, il se sent tellement frustré qu’il propose un jour «The Ostrich», a new dance-craze tune. Pour jouer, ça, nous dit Wally, Lou accorde ses six cordes sur la même note. Il s’en explique : «J’ai fait ça parce que j’ai vu un mec qui s’appelle Jerry Vance le faire. Il n’était pas vraiment un artiste d’avant-garde. Il bricolait. Il ne se doutait pas qu’il avait un truc, mais je l’ai vu.» Lou fait une parodie des cuts dansants de l’époque, «The Twist», «It’s Pony Time», mais il y fout son grain de sel - Take a step forward/ Step on your face - et, nous dit Wally, il remplace le refrain par un hurlement terrifiant. Ça va loin cette histoire, car Lou Reed se servira de ce modèle pour «Sister Ray». Avec «The Ostrich», il ouvre une porte. Deux ans plus tard, il joue de l’Ostrich guitar sur le premier album du Velvet. Pour Lou, ce n’est pas le son qui compte, c’est l’idée de la subversion. C’est la raison pour laquelle il va bien s’entendre avec John Cale, «jumeau intellectuel et provocateur d’instinct». Tous les deux, ils allaient créer «something new and possibly even dangerous.»

             Il faut bien comprendre que Lou Reed & John Cale, au même titre que les Stooges et Bob Dylan - et avant eux Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Chucky Chuckah - sont les pionniers sans lesquels rien de ce qu’on aime aujourd’hui n’aurait pu exister.

             Mick Wall consacre pas moins de la moitié de son petit book au Velvet. Lou Reed & John Cale, oui, mais aussi Andy et Nico. C’est un tourbillon de légendes qui n’a rien perdu de sa fraîcheur, depuis l’époque de la découverte, via un article d’Actuel. Le Velvet de Lou Reed & John Cale s’appelle d’abord, comme chacun sait, The Primitives. Quand John Cale revient d’un voyage à Londres avec une pile de 45 tours des Who, des Small Faces et des Kinks, il demande à Lou Reed de laisser tomber son Dylan twang et d’évoluer sur un autre son, c’est-à-dire le sien, «ostinato piano and droning repetitive-to-the-point-of-screaming viola.» L’impulsion de John Cale est fondamentale. John Cale vient de l’avant-garde, et Lou Reed du rock. Lorsqu’elle est bien racontée, on se délecte chaque fois de la genèse du Velvet qu’on croit bêtement connaître par cœur. Mick Wall ramène son énergie dans ce qui est déjà une énergie. Il faut en effet comparer la genèse du Velvet à celle de Dada à Paris en 1919, lorsque Tristan Tzara vient retrouver Picabia qui vit alors chez Germaine Everling. C’est exactement le même Krakatoa de créativité, l’invention du fameux something new. Comme Tzara et Picabia en leur temps, John Cale & Lou Reed créent un monde. Mick Wall charge bien sa chaudière, ça y est, le Velvet avance, Sterling Morrison : «The path suddenly became clear. We could work on music that was different from ordinary rock’n’roll.» Le Velvet commence à jouer à la Cinémathèque, lors de la projection du Scorpio Rising de Kenneth Anger et là, Wally se régale : «Scorpio Rising mixait des thèmes occultes avec l’imagerie des bikers, le catholicisme, le nazisme et tout ce que les spectateurs camés à outrance pouvaient y lire.» Et boom, il fait entrer en scène Al Aronowitz, un hip American rock writer qui traînait en 1965 avec Brian Jones et qui manageait un groupe nommé The Mydle Class. Aronowitz propose 75 $ au Velvet pour jouer dans un lycée du New Jersey. Puis ils recrutent Moe Tucker qui ne touche pas aux drogues, une Moe qui bat debout, sans cymbales ni charley ni caisse claire, boom boom, metronomic, sur le tom bass, un son qui va devenir la signature du Velvet avec le crazed viola de John Cale et la deadpan voice de Lou Reed. Lou déclare en 2003 : «I think Maureen Tucker is a genius drummer.» Il dit même qu’elle a inventé cette façon de jouer. Toujours en 1965, le Velvet joue au Café Bizarre sur Bleeker Street. John Cale se marre, il rappelle que les seules personnes qui restaient pour les écouter jouer étaient ceux «qui étaient too drunk to leave.» Pas grave, on avance. S’ils sont pas contents, qu’ils se cassent. «Black Angel’s Death Song» est fait pour ça, pour que les gens se cassent, surtout que John Cale l’arrose d’un «distordant sonic hailstorm of manic electric viola.» Quand le patron du Café Bizarre chope Sterling pour lui dire que s’ils rejouent encore une fois ce «Black Angel’s Death Song», le groupe est viré. Pouf, ils le rejouent immédiatement, deux fois plus long et beaucoup plus fort. Virés ! Mais Barbara Rubin les a vus jouer au Café Bizarre et elle parle d’eux à Andy. Elle insiste. Viens les voir ! Bon d’accord. Andy rapplique avec elle et Gerard Malanga. Andy flashe !

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             Andy, c’est déjà un monde magique, le monde que chante Bowie sur Hunky Dory. La Factory, les portraits, et puis les personnages que cite Wally, Edie Sedgwick («le plus beau papillon dont on allait bientôt arracher les ailes»), Brigid Polk, et puis les drag queens venues de la rue comme Jackie Curtis et Candy Darling, et puis aussi la transgenre Holly Woodlawn. Et puis les superstars d’Andy, Ultra Violet et Baby Jane Holzer, et bien sûr d’autres superstars se pointent à la Factory, Wally les cite, Dylan, Jimbo, Leonard Cohen. Quand Lou voit Andy rappliquer au café Bizarre, il flashe. Et c’est réciproque. Lou ne sait pas qui est ce mec, mais il sait qu’il est one of us - And so smart with charisma to spare - Lou ajoute une remarque fondamentale : «But really so smart, and a, quote, ‘passive’ guy, he took over everything. He was the leader.» Lou sait tout de suite que ça va fonctionner, c’est hallucinant comme il le sent bien : «Bingo. Interest? The same. Vision? Equivalent. Un monde différent et il nous a intégrés. It was mazing. I mean, if you think in retrospect how does something like that happens? C’est incroyable. J’étais avec Delmore Schwartz qui m’a appris à écrire, et me voilà avec Andy where you get all the rest of it.» Mais Andy va encore plus loin que Lou Reed : il veut le remplacer au chant par Nico. L’idée est d’avoir sur scène «something beautiful» pour «contrebalancer the screeching ugliness they were trying to sell.»  

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             Nico ? Elle arrive en 1965 à la Factory au bras de qui ? Brian Jones, bien sûr. L’érudit Wall fait feu de tous bois : «Nico qui avait pris des cours chez Lee Straberg apparaissait sur la pochette de Moon Beams de Bill Evans paru en 1962 et avait joué deux ans plus tôt dans un film de Jean Poitrenaud, Strip-Tease, dont elle chantait le morceau titre composé par Serge Gainsbourg.» Andy demande deux choses à Lou : composer des chansons pour elle, et la laisser chanter sur scène. Lou est scié, Quoi ? «Comment aurait réagi John Lennon si Brian Epstein lui avait demandé de céder sa place au chant à Cilla Black ?» Wally se paye un petit délire avec ce comparatif, mais c’est exactement ça. Lou est le boss du Velvet et il s’offusque, mais il compose quand même «Femme Fatale» et «I’ll Be Your Mirror» pour Nico. Il lui file aussi «All Tomorrow’s Parties», «another post Ostrich wig-out». Nico ramène sur scène ce que Wally appelle le «monochrome European avant-gardism.» Et hop, on avance ! Andy invente le concept du show multimédia, «plus spectaculaire, plus innovant, more of a real art happening» que celui de Piero Heliczer, le show s’appelle Andy Warhol Uptight, qui va devenir The Exploding Plastic Inevitable.

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             C’est encore Andy qui pilote l’enregistrement de ce qu’on appelle tous «le premier Velvet». Quatre jour au Scepter Studio sur West 54th Street. Andy co-finance avec Columbia, mais à l’écoute des bandes, Columbia rejette le projet. Pareil pour ceux que Wally appelle «the A&R geniuses at Atlantic Records and Elektra Records» : ils n’en veulent pas. Berk. Andy réussit à passer un deal avec Verve qui fait partie d’MGM. Verve vient de signer les Mothers Of Invention. Andy négocie avec Tom Wilson qui a produit cinq albums de Dylan et le Freak Out des Mothers. Andy produit tout l’album sauf «Sunday Morning» que produit Tom Wilson. Ouf, le Velvet est entre de bonnes mains. Comme quoi ! Ça tient parfois à peu de choses. Lou reconnaît qu’Andy est leur protecteur - We were nothing. Qui pouvait nous critiquer ? Personne ne nous avait entendus. Comme ils ne pouvaient pas nous critiquer, ils ont critiqué Andy. C’était le cadet de ses soucis - Et il ajoute, au sommet de son dégoût pour la critique rock : «(Ils disaient :) comment peut-il produire un album ? Il n’est pas musicien.» Et Wally opte une fois encore pour une chute fantastique : «People were stupid. How many times did Lou have to tell ‘em?».

             Le Velvet va jouer sur la côte Ouest, mais leur son ne passe pas - These Velvet Underground motherfuckers looked like a bunch of junkies and fags - Lou Reed en a autant à leur service : «Well, we were also really, really smart and the (West Coast hippy) stuff was really, really stupid.» Et il croasse pour conclure : «It was purely a matter of brains.» Par contre, Jimbo flashe sur le Velvet, et notamment la danse du fouet de Gerard Malanga, dont il va s’inspirer pour sa danse shamanique. Il va aussi récupérer Nico. Et puis, «The End» s’inscrit comme chacun sait dans le prolongement d’«Heroin».

             Le Velvet est lancé, mais Lou envisage de se débarrasser d’Andy, de Nico et du «seemingly more calm, self-assured John Cale.» Le grand méchant Lou veut rester le seul maître à bord du Velvet. Rupture avec Andy. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de sérigraphie de Lou Reed. Rupture avec Nico qui enregistre en 1967 Chelsea Girls avec Tom Wilson. En juillet de cette année-là, elle se pointe au Monterey Pop Festival au bras de qui ? De Brian Jones.

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             Le Velvet enregistre son deuxième album au Mayfair avec Tom Wilson. Boom, «White Light/White Heat» ! Boom, «I Heard Her Call My Name» - another methedrine-spike of feedback and hollow backing vocals - Boom ! Wally consacre une page - UNE PAGE - à «Sister Ray» - an unheard of confluence of the male and the female - et Wally tire l’overdrive, c’est pour ça qu’on est là, pour le voir injecter son énergie dans l’high enegy du Velvet, et là ça devient de la littérature, tu comprends, tu n’es plus dans R&F - to its woozy, falling-out-of-your-seat fairground ride of crunching, whinning guitars, brutal, face-slapping drums and truly nightmarish pantom-of-the-opera keyboards, supplied by Cale by running the organ through a distorted guitar amp, c’est une étrange et terrifiante nouvelle forme de rock, dont personne ne soupçonnait l’existence, et que personne n’avait essayé d’explorer - Et là Wally délire complètement, la page est sublime, tout fan du Velvet devrait la lire et s’en repaître, car il parvient à dire avec des mots ce qu’on éprouve quand on écoute «Sister Ray», même cinquante ans après sa découverte.

             Le plus gros morceau reste à évacuer : John Cale. Cale sent bien venir le truc, il résiste. Il se bat pour préserver «the very soul of the Velvet Underground». Lou se bat pour «son rêve de rock stardom, pure and simple.» Alors Lou convoque Sterling et Moe dans une réunion pour leur annoncer que John est viré. Ils acceptent, mais nous dit Wally, Sterling n’a jamais pardonné à Lou. D’autant plus qu’il est chargé s’aller porter la bonne nouvelle à John Cale qui est écœuré par ce coup fourré. Il crie à la trahison. Pour aggraver les choses, le manager Sesnick publie un communiqué de presse annonçant le départ de John Cale, dans lequel Lou déclare : «Espérons qu’un jour John sera reconnu comme the Beethoven of his day.» C’est du pur grand méchant Lou, son cynisme dépasse les bornes. Mais Lou ne vit que pour ça : dépasser les bornes. C’est l’essence même du Velvet. Alors il ne faut s’étonner de rien. 

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             Le Velvet enregistre son troisième album sans titre. Et là, tu as «Pale Blue Eyes». Le Velvet perd son avant-gardisme et gagne en pureté pop. Puis c’est Loaded. Comme les mecs d’Atlantic voulaient que l’album soit «loaded with hits», Lou le baptise Loaded. Il se sent enfin libre - Free to sit down and actually write a song called «Rock And Roll». Free at last to be a star, goddammit, motherfucker - Lou engage Doug Yule et là, on commence à laisser tomber, parce que le Velvet n’a plus d’intérêt. Sterling se barre en 1971 et retourne enseigner à la fac. Pour le remplacer, Yule embauche en CDD Willie Alexander. Le problème, c’est que Yule se prend pour Lou. Il finira par le bouffer tout cru, et Lou quittera le groupe. Mort du Velvet et naissance d’un mythe. Voilà le genre d’épisode qui nous occupe la cervelle depuis cinquante ans : vie et mort du Velvet, vie et mort de Brian Jones, vie et mort de Jimi Hendrix, vie et mort d’Elvis et de Gene Vincent. Et tous les autres, ceux dont on parle ici. On a de quoi s’occuper. 

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             S’ensuit un sérieux passage à vide. Lou rentre chez ses parents et prend un job de typist. Puis, sous l’impulsion de Richard Robinson, il entame une carrière solo. Autant le dire tout de suite : le Lou Reed solo doit tout à David Bowie. C’est Robinson qui négocie un deal chez RCA pour Lou. Wally s’empresse de préciser que sans l’intervention de David Bowie, il est certain que Lou Reed n’aurait jamais pu poursuivre sa carrière solo, à la suite du two-album deal chez RCA, signé en 1971. Bowie est alors dans sa phase «Lauren Bacall», c’est-à-dire Hunky Dory. À ce moment-là, Lou Reed ressemble à un plombier. Il porte du denim et une coupe de l’armée - His air cut almost army short - En 1972, Lou va travailler un nouveau look et «s’habiller chez Hernando, sur Christopher Street, là où Andy Warhol achetait ses cuirs.» Il va se farder le visage de blanc et se barbouiller les yeux de mascara, comme on le voit sur la pochette de Transformer. 1972 ? Mais oui, le glam ! Lou a toujours vécu dans l’ombre de mentors : Delmore Schwartz, Andy, maintenant, c’est Bowie, le sauveur d’idoles en danger. Il vient de sauver Mott The Hoople, il va sauver Iggy, et maintenant, il propose de sauver Lou Reed. Mais il faut agit vite, car son calendrier est chargé. Si tu veux emmener Lou en studio, mon gars, c’est maintenant ! Early 1972. Direction le Trident, à Londres, le studio où Bowie a enregistré Hunky Dory et Ziggy Stardust, avec bien sûr Ken Scott qui a produit les deux albums. Ronno fait des arrangements qui stupéfient Lou. Un Lou qui se goinfre de downers et que Ronno trouve «laid-back». Il le voit s’asseoir et gratter sa gratte, oublieux du fait qu’il «was way out of tune». Ostrich guitar ? Paul Trynka ajoute que Lou «was extremely messed up. Like a parody of a drug fiend.» Mais bon, on avance. Bowie est de la partie, alors c’est comme avec Andy, il faut que ça avance. No time to lose. Trois backing tracks dans la journée, Ronno et Bowie font des chœurs déments. Bowie explose «Stallite Of Love», un vieux leftover du Velvet. De toute façon, Transformer grouille de hits. On n’avait encore jamais vu un album de cette qualité - The whole album was a hit from start to finish - Wally n’en finit plus de s’extasier. C’est bien qu’un mec comme lui s’extasie : «The songs were simply so good.» Il cite «Walk On The Wild Side» et «Perfect Day» comme faisant partie des meilleures qu’il ait jamais écrites. Ça crève les yeux. Et pouf, comme il l’a fait avec «Sister Ray», il part en délire sur le walking upright bass d’Herbie Flowers, les doo-doo-doo des Thunderhighs, les violons de Ronno lifted up, comme suspendus dans le ciel, et puis alors que le cake n’en pouvait plus de toute cette crème, nous dit Wally en proie à la pire extase, on fait entrer le sax de Ronnie Ross, le vieux prof de sax de Bowie, comme une sorte d’apothéose de la mort lente. Au dos de la pochette, on voit un mec avec une trique énorme. C’est Ernie Thormahlem, un pote à Lou, un Lou qui ajoute, goguenard : «We just put a banana down there.»

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             Mais Lou étant Lou, il ne supporte pas longtemps d’être le protégé de Bowie. Il va tout faire pour saborder le succès de Transformer, et à la première occasion, il va agresser violemment Bowie, auquel il doit tout, mais Lou étant Lou, il ne veut rien devoir à personne. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre ?

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             Pendant quelques années, Lou vit avec Rachel. Wally marche sur des œufs : «Rachel était-il un transsexuel ? Probablement pas. La rumeur disait que Rachel haïssait sa bite, mais rien n’indique qu’il s’est fait opérer. Lou adorait la bite de Rachel. Et alors ? Ça ne regarde personne. C’était le New York des années 70. Lou se battait tout le temps avec tout le monde.» Et Wally te refait le coup de la chute du siècle : «L’essentiel est de savoir que Rachel a rendu Lou heureux à cette période de sa vie, alors que le bonheur était devenu un concept inventé par les beaufs pour écarter les gens comme Lou et Rachel d’un monde auquel ils ne souhaitaient d’ailleurs pas participer.» Avant Rachel, Lou avait épousé Bettye, puis avait divorcé. Après Rachel, il épousera Sylvia, puis Laurie Anderson. Et puis, il reste les albums qui vont faire l’objet d’un Part Two. Un vrai continent. Saluons encore une fois l’extraordinaire écrivain rock qu’est Mick Wall, avec cette perle chopée dans l’huître  : «Like, hey man, a cat like Don Cherry ain’t gonna put up with no fag junkie shit, better getcha ass up there and wail, bro. Which, pleasingly, is exactly what Lou Reed now did.»

    Signé : Cazengler, Lou Ridé

    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

     

     

    Talking ‘Bout My Generation –

    Part Seven

     

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             Alors tu ouvres le nouveau numéro de Rockabilly Generation et pouf, patapouf, aussitôt après le dossier Cash salué bien bas par Damie Chad la semaine dernière, sur qui tombes-tu ? Wild ! Pas le wild as fuck qu’on croise ici à tous les coins de rue, mais Wild tout court, le label rockab de Reb Kennedy, basé en Californie.

             Pour tous les fans de rockab, Wild est devenu en vingt ans the function at the juction, le real deal du ding-a-ding, le Rockamadour du Rockab, le phare dans la nuit, comme le fut In The Red Recordings au temps béni du raw gara-punk. Mis à part les singles, Wild ne sort pas trop de vinyles, essentiellement des CDs, des petits objets vendus au compte-gouttes par quelques disquaires TRÈS spécialisés. Quand tu arrivais sur le stand de ton disquaire préféré à Béthune, la petite box Wild était déjà dévalisée. Rentré à Paris, tu en trouvais quelques-uns chez Born Bad, mais c’était la croix et la bannière. Le mieux était encore le merch des groupes, quand par bonheur Béthune Rétro en programmait.

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             Rockabilly Generation consacre onze pages au Wildest Weekender qui s’est tenu en Hollade au mois de mars, avec vingt groupes. C’est à la fois un vrai festin d’images et une machine à remonter le temps, car on retrouve de vieilles connaissances, à commencer par Little Victor qu’on eut le privilège de voir stormer le Vintage Weekender de Roubaix en 2016. Little Victor porte toujours son fez. Il reste assez souple pour son âge, car une photo nous le montre à genoux avec sa gratte. Comme on a déjà salué en 2018 son excellent album, Deluxe Lo-fi, on ne va pas le re-saluer, mais on peut en profiter pour rappeler que cet album est un passage obligé pour tout fan de rockab averti. Signalons aussi les deux albums demented qu’il a mis en boîte avec Louisiana Red sur Ruf. Pareil, on a épluché tout ça en 2016, après que ce démon de Little Victor nous eût sonné les cloches au Weekender roubelaisien. Depuis, il n’a rien enregistré et c’est dommage. Le fait qu’il soit invité au Wildest Weekender préfigure peut-être l’imminence d’une actualité discographique. Little Victor de retour sur Wild ? On peut toujours rêver, ça ne coûte rien, comme dirait Jo-le-pingre.

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             Au rayon des vieilles connaissances, voilà Roy Dee & The Spitfires, un groupe qu’on avait découvert au Rétro 2017. Ils venaient tout juste de signer sur Wild, mais leur album ne parut que l’année suivante. Sur scène, Roy Dee et ses Portugais cassaient bien la baraque, ils portaient des casquettes de Gavroches et d’immenses anneaux de pirates aux oreilles. Leur look de gouapes des faubourgs tenait sacrément bien la route. À droite de Roy Dee, le slappeur fou volait le show. On savait en les voyant qu’ils allaient devenir énormes. En tous les cas, ils faisaient bien la différence, en 2017, dans une affiche extrêmement chargée. Ils étaient à l’exact opposé du rockab professoral qu’on devait parfois subir.

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             On retrouve aussi les Desperados, qui furent la révélation du Rétro 2015, quatre Chicanos toqués de rockab sauvage comme on l’aime. Diable comme ils étaient bons ! Ces Chicanos shootaient une grosse bouffée d’air frais dans le vieux rockab et lui redonnaient une nouvelle jeunesse. On avait salué bien bas leur album Won’t Be Broken. Wild, c’est d’abord un son, les fans ne s’y trompent pas. On devient accro et on finit par guetter tout ce qui sort sur Wild. Tiens, voilà Gizelle, qui fut tête d’affiche du Rétro 2013, mais ce n’était pas du rockab. Autre chose. Il faudrait peut-être réécouter, voir ce que c’est devenu.

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             Ce n’est pas fini ! Voilà Barny & The Rhythm All Stars, qu’on avait chopé au Rétro 2017, la même année que Wildfire Willie qui porte bien son nom, mais qui n’est pas sur Wild. Ils avaient un album sur Lenox, le légendaire disquaire de la rue Legendre. Par contre, Barny l’est, sur Wild, comme le fut son père Carl, sans doute le meilleur rockab français, un pionnier, puisqu’après avoir démarré sur Sfax, il est allé enregistrer trois fan-tas-tiques albums sur Wild, et là, mon gars, si tu veux entendre du real deal, c’est lui. Drunk But Thirsty ? Pochette démente, album dément, on a salué tout ça plus bas que terre ici-même en 2013. On avait vu Carl sur scène à Crépy et ce fut la révélation. C’est assez rare de voir un rockab français piquer une vraie crise d’épilepsie et se rouler par terre avec sa gratte et la bave rockab aux lèvres. Il vendait à l’époque de la main à la main son single Wild, «I’m Gone» qui est du même niveau que les classiques de Charlie Feathers. Wild as fucking fuck ! Carl reste un héros du rockab, et son fils Barny a pris la relève, avec la même formation. Pour une fois qu’on a une lignée digne de ce nom, profitons-en. D’ailleurs, l’une des deux photos de Barny dans le dossier Wild nous le montre à terre avec sa gratte. En 2017, on a aussi salué le premier album de Barny sur Wild, Young And Wild. Tous les albums évoqués ici sont des classiques du genre, tu peux y aller les yeux fermés. Surtout Carl.

             Pas mal de nouveaux noms dans les pages Wild, donc des découvertes en perspective. Miam Miam. Par contre, les anciennes têtes de gondole semblent avoir disparu : pas de Delta Bombers, ni de Stompin’ Riffraffs, ni de Pat Capocci, ni de Luis & The Wildfires, ni d’Omar Romero.

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             Alors l’occasion est trop belle : on va sortir l’Hog Wild d’Omar pour dire à quel point Wild est un label révolutionnaire. L’Hog Wild est l’un des albums les plus sauvages de l’Ouest. Pareil que pour Carl : pochette démente, album dément. Sur la pochette de l’édition spéciale, Omar les cheveux dans les yeux ! Et le sooooooon ! C’est du hard Wild ! On comprend que des mecs se fassent tatouer le logo Wild sur le bras. Pas de plus belle allégeance. Kaboom dès le morceau titre, Omar ramène l’énergie punk dans le rockab, c’est d’une beauté ultraïque, du magnifico de Chicano, coulent dans les veines d’Omar tout le génie de Charlie Feathers et tout le ramdam du proto-punk, il te claque le beignet de la praline, il violente le cul rose du slap, il pète et il clique en montant chez Kate. T’es sonné en deux minutes, dès le premier round. Mais tu y retournes. Le deuxième punch-up s’appelle «Step Back Baby», monté sur un riff fatal de Johnny Kidd, c’est quasi-Please Don’t Touch délinquant avec dans la glissade le super killer solo flash. Dire qu’il y a des gens qui croient que le rockab est un truc de vieux. Vazy Archibald prends ta gratte et essaye de sonner comme ça. À la fin du deuxième cut, on espère sincèrement qu’Omar va se calmer. Mais derrière lui joue un démon nommé Santiago Bermudez qui va clouer «You May Run» comme une chouette à la porte de l’église. Pire que ça : il te carillonne tout le beffroi d’effroi de pâté de foi. Chez Wild, les chicanos font la loi. Si tu es guitariste, écoute ce que fait Santiago Bermudez. Un autre Chicano accompagne Omar sur «That’s Fine». Il s’appelle Danny Angelo, il est fin et puissant, précis et présent. Avec «I’m Gone», Omar fait du Wild as chicano fuck. Big brawl ! Tout est bien sur cet album, le truc d’Omar, c’est le pur jus d’unstoppable. Il remet la pression plus loin avec «Gypsy Woman», il te carbonise ça vite fait à la calamine chicanotte et au put a spell on me ! Il repart sur des charbons ardents avec «Gonna Find You». C’est complètement ravagé de la façade et en prime, tu as un killer solo flash d’Angelo.

             Comme c’est une limited edition, tu as un deuxième CD d’outtakes et de démos, alors on ne va pas cracher dessus, d’autant qu’il attaque avec un «My Baby Don’t Breathe» tapé au déboîté de slap sans clignotant. Pure madness, la craze de la craze. Omar est un bon. Il est le meilleur indicateur de Wild, avec Carl. Plus loin, «Rock To It To My Baby» va t’envoyer au tapis, fais gaffe. Encore un vieux relent de Johnny Kidd dans «Put The Blame On Me» et nouveau coup de génie avec une démo d’«Everybody’s Trying To Be My Baby», tapé au pur slap, avec une gratte au fond du son. Omar devant, tout seul avec le slap, c’est quelque chose !   

             Alors merci Rockabilly Generation pour des onze pages en forme de bouffée d’air frais. 

    Signé : Cazengler, wild as phoque

    Omar Romero. Hog Wild. Wild Records 2007

     

    *

    Non ce n’est pas pour rien que j’ai mis la chro du Cat Zengler sur la présentation du label Wild dans Rockabilly Generation News ( 26 ) et que je l’ai faite suivre par une autre consacrée à Gene Vincent, c’est pour glisser entre les deux la photo d’Alain, il aurait préféré un papier sur Eddie Cochran, mais entre Wild et Gene Vincent, je sais qu’il se sent bien.

    Alain Couraud

    nous a quittés ce 02 juillet 2023

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    ( Si vous lisez KR’TNT ! c’est grâce à lui ! )

     

    *

    Vendredi 30 juin, aux alentours de 10 heures, je rentre les chiens dans la voiture, je démarre et roule la galère, la radio se met en route, sur France Inter, facile à deviner, Provins étant dans un trou, seules quelques grandes stations peuvent être écoutées, pour une fois le hasard fait bien les choses, Bruce Springteen cause dans le poste, dernière émission de l’année, Rebecca Manzoni qui présente Totemic livre en best-of de courtes séquences, lorsque Bruce Springteen a fini de parler résonnent les premières notes de

    BE BOP A LULA

    GENE VINCENT

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                    C’est Hervé Guibert qui parle, je connais un peu, voici quelques années j’ai chroniqué dans le mensuel Alexandre le premier tome de Le Photographe qui raconte les aventures du photographe Didier Lefèvre en Afghanistan… aucun rapport avec Gene Vincent mais Hervé Guibert raconte que ses parents possédaient le disque acheté à sa parution, c’est à l’âge de huit / neuf ans qu’il l’entend pour la première fois. Commotion immédiate il a l’impression d’entendre la voix d’un enfant comme lui, débordant de désirs comprimés et de vitalité débordante. Cela n’est pas étonnant, lorsque en 1967, dans sa séquence rock de 23 heures du Pop Club de José Arthur, Pierre Latttès interviewe Gene Vincent, je constate à ma grande surprise que Gene, le rocker sauvage, possède un timbre de jeune fille… les années passent mais Hervé Guibert n’en a pas fini avec Gene Vincent, il grandit, il entre au collège, il doit être en troisième lorsqu’ en français il étudie le mouvement poétique de La Pléiade cornaqué par Du Bellay et Ronsard. S’impose à lui comme une évidence que les vers du célèbre poème de Ronsard Mignonne, allons voir si la rose présentent la même facture octosyllabique que les lyrics de Gene Vincent… je vous laisse juge de cette assertion versificatrice, toujours est-il qu’il interprètera avec ses premiers groupes de rock cette littéraire adaptation. Preuve à l’appui il se lance en direct dans un frénétique Be Bop Lula ronsardien, ce n’est pas mal du tout et il reçoit les applaudissements du public.

             Nous l’en remercions, d’autant plus chaleureusement que Rock’n’Roll et Poésie sont les deux mamelles auxquelles nous nous abreuvons.

    Damie Chad.

     

     *

    Etrange comme les choses sont faites, en règle générale ceux qui proclament rechercher la lumière sont le plus souvent attirés par  l’obscurité, un peu comme nos lecteurs vous leur montrez en premier plan un cimetière ils ne regardent que le corps nu de la jeune femme relégué sur le côté, au moins avec Demonio vous êtes tranquilles, affichent leur objet de prédilection, le côté obscur de la force, dès leur dénomination, leur démonination suis-je tenté de dire, de surcroît je rassure les curieux, nous écoutons leur quatrième opus, les pochettes de leurs deux premiers parutions sont fémininement très suggestives.

    SEARCHING FOR THE LIGHT

    DEMONIO

    ( Piste numérique Bandcamp / Juin 2023)

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    Viennent d’Italie. Sont trois : Anthony :  stratocasters, vocals / Paolo : drums / Matteo : bass, production.

    La pochette est de ZZ Corpse, son Instagram est fort instructif quant à ses zones érogènes, elles se réduisent pratiquement à deux, éros et thanatos, il n’est pas le seul en ce bas monde, mais avec une force expressive attachante. A son actif : nombreuses pochettes, t-shirts, posters… Il est aussi membre du groupe argentin The  Black Furs, appellation très évocatrice.

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    Heavy dose : généralement dans les notes des pochettes les guitaristes sont annoncés comme des joueurs de guitars, parfois sans ‘’S’’ terminal, plus rares sont ceux qui se revendiquent d’une marque ou d’un modèle précis, pas pour rien qu’Anthony mentionne qu’il joue sur stratocaster, la strato il en use et en abuse pour notre plus grand plaisir, rien de plus râlant que le tigre dans sa cage qui ne pousse pas un seul rugissement et dédaigne de feuler, ici la strato gronde de la première à la dernière note de l’opus. Anthony n’a pas trop le temps de faire autre chose, or comme c’est lui qui se charge des lyrics, il évite les longues tirades, petits ruisseaux, entre sept et douze lignes. De l’éloquence spartiate, c’est un avantage, vous recevez le message en une seule dose, effet remède de cheval administré avec le coup de sabot qui va avec. A vous de vous débrouiller avec les effets secondaires qui ne sont pas répertoriés sur la boîte. Y-a-t-il une intro dans ce morceau ? Non vous êtes projeté dans un fleuve torrentueux qui vous emporte sans préavis, c’est sûr que tous les trois assurent le job sans discontinuer. Une basse trémoussante qui se niche dans le creux de votre oreille et qui ne le quitte plus sinon de temps en temps pour d’étranges circonvolutions dans votre conduit auditif, Paolo joue deux rôles en même temps, il fuse ses fûts comme l’on roulait les tonneaux de poudre et de rhum sur les bateaux pirates, comment fait-il pour ne pas oublier un millième de seconde de frapper ses cymbales qui claquent comme le vent dans la voile de misaine et gonflent le clin-foc à l’arracher. Anthony ne joue pas de la guitare, il la fait parler, courir, sonner, raisonner, frétiller, tirebouchonner, je crois qu’il y a douze mille verbes dans la langue française, vous comprenez que je ne vais pas vous recopier la liste, surtout que parfois elle se laisse aller à d’étranges sonorités venues de nulle part et d’ailleurs qui vous éblouissent et vous inquiètent… Question vocal, l’est fondu dans la masse sonore, se marie avec et ne se fait pas trop remarquer. Une ruse démoniaque, le démon vous parle tout bas pour que vous ouvriez tout grand vos oreilles, et hop il en profite pour s’introduire dans votre esprit. Ne vous étonnez pas si vos amis disent de vous que vous êtes habité par le démon. Fire guru : davantage bruissant, c’est le mystère des incarnations stonériennes, parfois vous écoutez et vous restez à l’extérieur, et parfois vous êtes dans la musique, elle s’installe en vous et vous êtes prisonnier de cette chaîne répétitive qui ne se répète jamais, c’est illogique certes mais c’est ainsi et la strato d’Anthony vous imite le vol du papillon qui s’envole plus haut que le ciel et qui déclenche en vous un tsunami d’émotions extatiques que vous ne pouvez contenir, un peu comme si vous étiez noyé dans votre propre sperme. Par-dessus le marché alors que vous vous prenez pour le roi tout puissant de l’univers, Demonio vous fait le coup du morceau-baisser-de-rideau-terminal, avec coup de frein brutal, chuintement instrumental et coup de baguette magique. I’m free : attention le morceau de la toute puissance, pire que l’anarchiste déclaration stirnérienne du Moi absolu, se moquent de vous, la strato dans un simili groove qui vous perce l’ouïe, la basse qui poinçonne les billets du concert commencé avant l’heure à toute vitesse, Paolo qui court à fond les caisses, relax max, je suis libre donc j’y vais tout doux, pas tout à fait un rythme d’enterrement, juste de belles sonorités planantes qui vous coupent en deux à la manière des chars à faux de Darius à Gaugamèles. Et ça s’arrête, pourquoi continueraient-ils puisqu’ils vous ont découpé en tranches de saucisson pour accompagner les apéritif-cubes. Shiva’s dance : vous devriez arrêter les substances illicites, vous devenez totalement fou, avec la rythmique vous êtes Nyarlathotep le dieu du chaos rampant qui agonise sur le sable du désert parmi les étrons des serpents, et de l’autre la strato vous ouvre les cercles divins et vous dansez le jerk avec Shiva la croqueuse d’hommes, et vous remuez vos jambes jusqu’à ce qu’elles soient usées, vous êtes devenu un cul-de-jatte, ce n’est pas grave la voix d’Anthony vous dévoile les secrets de l’univers et vous n’êtes plus qu’un tourbillon de sarabandes, de vous maintenant ne reste plus que votre tête, aussi le rythme diminue-t-il un peu, la strato hallucinante vous poignarde les yeux, elle vous emporte en un délire hendrixien vers la planère Mars rouge de votre sang. Death trip : trop beau, ça ne pouvait que bien finir, psychez-moi le camp de cette vie d’ici, ça roule et ça rolle plein rock avec ces strates de stratos que vous suivriez les yeux fermés de l’autre côté juste pour l’entendre vagir dans le désert, Matteo   passe le rouleau compresseur de sa basse sur les herbes du sentier du Paradis, mais la Strato nous fait le coup de la trompette de Jéricho qui vous réveillerait un mort, reprenez votre esprit. Reaching for the ligth : c’est le réveil, vous recouvrez vos esprits, l’est sûr que vous avez avalez la maxi-dose ce qui n’empêche pas cette diablesse de strato et  ses deux gardes du corps de foncer à la vitesse interplanétaire, descente sur le parachute ventral, ce qui souffle à Anthony l’envie de se taper un petit solo d’anthologie, juste pour montrer qu’il sait le faire, alors qu’il joue comme s’il baisait les étoiles, d’ailleurs les deux autres adoptent le background de croisière pour qu’on puisse admirer comment il s’envole haut très haut… quand il a dépassé les limites de l’univers on ne l’a plus entendu.

             On ne lutte pas contre un démon. Socrate se vantait d’en avoir un. Moi aussi, je peux vous donner son nom Demonio. Je vous le prête, n’oubliez pas de me le rendre.

    Damie Chad.

     

    A BAND CALLED MELT

    Ils sont trois et ils s’appellent Melt, ce qui m’a attiré c’est leur façon de titrer leur FB, c’est tout simple, tout bête, une formule à la Just Call Me Blue Berry, suffisant pour retenir l’attention. Z’et puis dans la courte définition du premier single qu’ils ont sorti ce mois de juin 2023ils se revendiquent de Led Zeppelin, pourquoi pas, Gérard de Nerval ne prétendait-il pas qu’il descendait de l’empereur romain Nerva…

    MELT

    PROBLEM CHILD

    ( Juin 2023 )

    Proviennent de Pittsburgh en Pennsylvanie, cité qui s’enorgueillit de posséder le plus grand musée américain consacré à un seul artiste, les fans de Lou Reed ne manqueront pas de le visiter puisqu’il s’agit d’Andy Warhol.Joey Troupe : guitar / James May : bass, vocals / J. J. Young : drums, vocals.  

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              La pochette pose tout de suite problème, elle est signée d’Emily Woodell, apparemment l’enfant a grandi, l’est devenu adulte, l’est au cœur de cible de quatre cercles colorés, s’affiche sur un fond cosmologique noir, l’est assez inquiétant avec ses lunettes noires. Une entrée classique, un groove s’installe, il peut mériter l’épithète zéplinesque. Dès qu’arrive le vocal ce n’est pas Robert Plant, mais le gars a la prudence de se cantonner dans le cercle de ses possibilités, question accompagnement manque un peu la pesanteur, la force de gravitation, du Dirigeable, ce sont les lyrics qui emportent le morceau, émanent d’eux un attrait mystérieux qui vous donne envie de comprendre l’incompréhensible. L’ensemble reste problématique. N’est-ce pas la preuve qu’ils sont parvenus à leurs fins ?

    DIVINER

    ( Juin 2023 )

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                Le problème s’éclaircit avec un deuxième single sorti quelques jours après le précédent. Une pochette moins inquiétante mais tout aussi curieuse. Cette fois ils sont deux, enfin un seul en duplicata dupliqué, toujours ses lunettes noires, une barbe plus fournie, toujours sces mêmes insignes sur son sweat-shirt blanc, à moins que ce ne soit un uniforme,  l’est comme le Dieu Janus regarde des deux côtés, mais une des faces de Janus donnait l’impression de voir le passé du monde et l’autre son avenir, ici notre enfant problématique semble s’interroger sur sa propre situation en notre monde. Bye-bye Led Zeppelin, du moins fuzz en pédale douce, une nonchalance rythmique typiquement américaine, sur laquelle se pose la voix, ça se corse bientôt, c’est que la situation est grave, au début le gars faisant semblant d’être comme tout le monde, arborait le visage souriant de l’américain moyen plein de bonne volonté. Dans sa tête il barjote méchamment, l’est un enfant des étoiles, abandonné sur la terre on ne sait dans quel but, l’aurait bien besoin d’un devin pour connaître son avenir, le chant et l’accompagnement imposent, la guitare ne fuzze plus elle fuse comme un engin interplanétaire… Splendide.           

              Pour nous aider à comprendre ils ont sorti an official video : Nos extra-terrestres sont des terrestres extra, des maris reconstruits pour les féministes – l’on ne dira jamais assez de mal de nos philosophes déconstructivistes – ils nettoient le parquet et ils repassent le linge, en ce bas-monde rien n’étant parfait il y a un résistant, une forte tête qui bouquine une canette à la main,  un chien se repose sur le canapé et brusquement tout change, des zébrures colorées parcourent l’écran, c’est la fête dans l’appartement, z’ont organisé une party dans l’appartement avec un mec déjanté déguisé en chat, rassurez-vous, les filles sont là et éclusent en rigolant les boissons, y a juste un gars dans ce charivari qui n’est pas à place, l’est protégé de l’ambiance collective par une ouate de solitude qui lui embrume le cerveau et le met hors-circuit, une copine compatissante mélanges quelques cristaux dans un verre  et en offre à l’assistance, le chat de la maison devient fou, transe collective bientôt tout un chacun vomit une espèce de mousse verdâtre et gluante, nos trois compères sortent dans nuit et portent leur regard vers le ciel noir, sont tous les trois tout seuls et  eux aussi commencent à vomir. Je vous laisse apprécier l’avant-dernière image, par contre la toute dernière est essentielle, c’est la couve de leur nouvel album à paraître le 07 / 07 / 2023 : Replica Man dont les trois derniers singles viennent de sortir.

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    SIGHT TO SEE

    ( Mai 2023 )

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                Evidemment on écoute illico, le lecteur intelligent les remettra dans l’ordre vinylique. Couve toujours d’Emily Woodell. Gros plan sur le bustier de notre problème maintenant enfantin, l’on voit entièrement le emblèmes qui ornent sa combinaison spatiale, Astronaut est-il écrit dessus. Vient juste d’arriver, déjà les curieux le photographient. Rires bruyants, intro élastique, la basse de James May est à la fête, la guitare de Joey Troupz s’attroupe autour de ces grondements bassmatiques, la batterie de J.J. Young les précipite dans leurs retranchements, ainsi se permettent-ils d’expliciter le pourquoi du comment de cet ‘’enfant’’ beaucoup plus perdu que l’homme qui tombait des étoiles de Bowie, ne comprend rien à rien, ni aux questions qu’on lui pose, font entendre un bruit d’engin spatial qui décolle et s’évanouit dans l’espace. On s’y croirait, on monterait dedans si ce n’était ce magnifique vocal désespéré qui pour un peu nous tirerait des larmes de crocodile.              L’histoire complète de cet E. T. adulte est-elle une métaphore pour décrire notre extra moderne solitude, la lecture de la phrase d’introduction sur le FB de Melt apporte une réponse glaçante : ‘’ a future we desserve’’ : le futur que nous méritons.

    Damie Chad.

     

    *

    THE WORLD SEEMS TO BE FADINGMY

    DEATH BELONGS TO YOU

    ( Funere / Octobre 2020)            

    Drôle de nom pour un groupe, vous n’avez pas tort ce n’est pas un groupe mais un homme seul. Enfin pas si seul que cela, l’a ses propres hétéronymes comme Pessoa le poëte portugais à la différence près que ces hétéronymes ne sont pas des personnages poétiques mais des effulgences musicales. Chacun de ses opus correspond à un état d’âme particulier, ou à une expérience dirigée, une espèce de rassemblement de forces élémentales en vue d’explorer des aspects du monde dont le commun des mortels préfère se détourner. C’est que beaucoup de gens sont davantage à l’aise pour explorer leur part communautaire que mortelle.           

              Bornyhake Ormenos, disons que c’est son nom d’artiste, mène de front plusieurs projets depuis 2010 à aujourd’hui, ainsi Ancient Moon, Astral Silence, Borgne, Décomposition, Diurnal, Enoid, Excreta, Lypectomy, Moisissure, Nivatakanachas, Pure, Porifice, Serpens Lumini, Snorre, de lui jusqu’à ce soir je n’avais croisé que The Two Boys Sandwich Club croyant avoir affaire à un groupe de rockabilly, aux premières notes je m’étais aperçu de mon erreur et n’avais pas poursuivi… Le lecteur aura remarqué que notre multiplex one man band emploie beaucoup de vocables français, une explication toute logique : Bornyhake est suisse. Attention en plus de ces hétéronymes il utilise aussi certains pseudonymes. N’entrevoyez aucune ironie dans l’adage suivant : pourquoi faire simple quand on sait faire compliqué. Le monde est vraisemblablement beaucoup plus complexe qu’on ne le suppute, alors pourquoi ne pas diversifier les moyens d’approche. Sur certains projets, Bornyhake peut être accompagné par d’autres musiciens.  

                 Toujours est-il que la phrase My death belongs to you a attiré mon attention, j’ai d’abord cru que c’était le titre d’un morceau, mais non, c’est celui du groupe, groupe réduit à une seule unité : celle de Bornyhake.

              Avant même d’écouter l’on peut s’interroger sur la manière d’interpréter le nom du ‘’groupe’’. Si l’on tient compte de l’image qui l’accompagne, elle est d’Ekahyn Rob, on peut facilement la comprendre comme une modulation ultra-romantique, selon laquelle l’on est prêt à mourir pour quelqu’un d’autre, peut-être déjà mort, peut-être vivant. Les esprits plus pondérés ou moins exaltés diront que tout un chacun fait ou fera la même expérience de la mort que quiconque. En ce cas la mort ne peut être mienne, elle est interchangeable avec toutes les autres, déjà réalisées ou à venir.

                Quant au titre, le monde semble s’affadir, signifie-t-il que le monde perd de son intérêt car la seule existence de la mort qui nous attend en atténue violemment les saveurs, ou au contraire que c’est l’attrait de la mort qui pourvoie le monde d’une fadeur décevante. Dans la première postulation la mort gâche le plaisir de vivre, selon la seconde la mort nous procure l’infini et suprême plaisir de mourir, auprès duquel la vivacité mondéenne perd tout éclat.

                Une courte note nous apprend que le projet My death belongs to you commence à 2013, sept longues années seront nécessaires à l’élaboration de l’opus composé à partir de nombreuses bandes enregistrées qui laissèrent à Bornyhake un goût amer de profonde insatisfaction… Il lui aura fallu retirer tous les éléments dont elles regorgeaient et les réorganiser d’une telle manière qu’ils deviennent significatifs. Si la mort lui paraissait obscure c’est parce que l’obscurité par laquelle il l’appréhendait n’était pas en elle mais en lui. La mort se brûle elle-même et se réduit en cendres blanches et volatiles – il ne donne aucune explication – et Bornyhake la considérait comme une œuvre au noir.

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    The morning after death : funèbre combien de fois devrai-je répéter cet adjectif pour qualifier cette musique auprès de laquelle le Requiem de Mozart manque de densité, coups de butoirs, une frayeur insondable, celle de l’inéluctable, déjà réalisé dont les pas lourds ébranlent les fondations de la raison humaine, une voix sourde parle, le sens des mots est inutile, ils éclatent comme des bulles de non-savoir et de piètre consolation, tumulte grumeleux, après la catastrophe la catastrophe est encore là, elle ne s’achèvera jamais, elle ne marche pas, elle n’avance pas, elle piétine, tout se délite, se fragmente, se désosse, terrible fatigue, hurlements de loups dans les tuyaux des grandes orgues sépulchrales, il faudrait que cela s’arrête, l’on ne stoppe pas la mort, elle est immobile, elle occupe le monde et le transforme en le monde de la mort. Tout est consumé. Tomorrow is the last day : notes aigrelettes, demain ne sera pas un autre jour, la musique revient encore plus violente, encore plus écrasante, le jour d’après est semblable au jour d’avant, il n’y en aura pas d’autres car il n’est plus possible qu’il existe d’autres jours, le son s’amplifie, il s’accroît et accapare tous les espaces temporel s du monde, la mort souffle dans sa trompette et lance sa malédiction aux hommes effondrés de son pouvoir unilatéral. Rien ne saurait résister, une grande fatigue encore une fois celle de l’assaut de ces vagues géantes et grondeuses qui envahissent le monde. Le jour d’après est pire que le jour d’avant, il est parti pour durer une éternité. Ce qui est répété deux fois procure un plaisir doublement victorieux. Des feuilles se détachent de l’arbre du monde. Mon tombeau : retour à soi-même, l’art du tombeau est un art total qui apporte une certaine autosatisfaction non négligeable, il est un cri de triomphe, un hululement grandiose qui perturbe les assises du monde, car ce qui croît, s’élève et se dresse est ce qui est le plus prêt de tomber, si je suis tombeau, le monde est mon tombeau et je suis le monde, le monde mort ou le monde vif, le son déborde et s’empare de l’entièreté de la terre.  Un dernier fracas, juste avant de reprendre la route, ton beau tombeau si beau. Tourne autour afin de… Your dark embrace : est-ce toi,  est-ce le noir, toujours la même lourdeur, où que tu ailles le pas de la mort m’accompagnera, une plainte, un hurlement, ce qui entre ou ce qui jaillit, le bruit devient assourdissant, est-ce normal que la mort reprenne encore des forces, elle semble détruire ce qui déjà n’existe plus, très grand excitation destructrice, noce de ce qui existe encore avec ce qui n’existe plus, folie submergeante, tout est arasé, réduit en pierres, en cendres, en poussières, rien ne saurait résister à cette étreinte sauvage, beuglements de bête ardente et du sacrificateur , tout dérape, tout s’emmêle, s’entrechoque, s’entredéchire, j’égrène les égrégores, de plus en plus gores. Tout est consommé. The world seems to be fading : résonnances de notes calmitudes, la marche reprend, un peu moins forte, est-ce ainsi que le monde s’érode, à moins que ce ne soit la mort qui brille maintenant de mille éclats de joie, dans ma poitrine, sur le monde, partout et ailleurs, des degrés d’intensité en moins, la bête deviendrait-elle civilisée, est-ce seulement une impression, quelque chose a-t-il voulu avoir lieu, un soupçon de fatigue, serait-ce le signe de la vieillesse du monde, pourquoi pas de la vieillesse de la mort, si vieille que l’on commence à s’y habituer, que rien n’est commencé, n'a commencé pour décréter un changement quelconque dans l’ordre immuable de l’apparence des choses. De celles qui sont vivantes. De celles qui sont mortes. Une cloche sonne. Sont-ce les marteaux désormais qui donnent l’heure. L’on ne pire qu’ils veulent nous réveiller. Peut-être juste nous dire au revoir. Une sonate d’adieu éternel. 

               Lugubre. Magnifique.

    Damie Chad.  

     

     LA MONNAIE DE LEURS PIECES AMER’THUNE

    ( Autoproduit  / 2012 )

     Sébastien Fournier, Mathieu Relin et Mickaël Denis

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              Ce qui frappe l’auditeur au premier abord, dès la première écoute, c’est l’humanisme, l’humanité des trois artistes.      

                Tout au long des sept titres de cet album se déploie le cri de révolte contre un monde qui cherche à faire passer les profits des puissants avant l’existence des hommes. Il ne s’agit pas là d’une indignation à bon compte, pour se donner bonne conscience, mais bien d’une condamnation sans appel de la destruction de ce qui est au cœur de l’existence humaine, de l’esprit humain. La recherche des profits pour leur accumulation et non pour permettre à la vie de se déployer dans toutes ses dimensions, la recherche des profits comme fin et non comme moyen est la négation même de ce qu’est, de ce que doit être la vie d’êtres de chair. 

               L’argent, non celui qui, fruit du travail, est nécessaire pour vivre, mais celui qui s’accumule dans les poches boursouflées de quelques uns, peut rendre amer, mais cette amertume est de celles qui font ressortir la richesse des saveurs du monde. Elle permet de lutter contre les tentatives d’adoucir les volontés de révolte, d’édulcorer les pensées, autrement dit elle est l’instrument qui appelle au réveil face aux discours mielleux et lénifiants dont nous sommes abondamment abreuvés, dans lesquels d’aucuns voudraient bien que l’on se noie avec la complicité de ceux qui devraient au contraire sonner le réveil. Le titre, La Monnaie de leurs pièces, montre bien que nous sommes plongés dans une lutte entre deux classes, deux visions de la société, deux conceptions du monde.

                Les compositions des trois compères permettent de mettre en valeur les mots de Mathieu Relin tout en laissant toute sa place à la musique. Cette recherche de l’équilibre entre ces deux pôles de la chanson contribue à donner plus de poids à cet engagement dont la présentation des trois membres du groupe, que l’on découvre à l’intérieur de la pochette, témoigne de manière exemplaire. Avec cette mesure au service de l’humanité, nous voyons encore la dénonciation de la démesure financière, de l’hybris de ceux qui veulent dépouiller le peuple de son pouvoir.

                Cet album est un appel à se souvenir que notre liberté ne se négocie pas, que l’Histoire de France est avant tout une histoire de lutte, lutte pour la liberté, lutte pour l’humanité, lutte pour l’humanité libre !

    Philippe Guérin (28/06/2023)

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 32 ( Exterminatif  ) :

    179

    Le père d’Alice s’approche de nous. Il m’adresse un regard haineux, je comprends qu’il n’a pas aimé mon entrée fracassante dans son bureau.

    _ C’est Alice qui a tenu à ce que ce livre vous soit remis, parce que vous étiez beau m’a-t-elle avoué – en moi-même je me dis que cette jeune Alice a du goût, un véritable sens esthétique développé – comme toujours depuis que sa mère est morte je cède à toutes ses lubies, j’ai retrouvé  ce volume dernièrement dans ses affaires de jeune fille que ma femme avait remisées dans une vieille valise au fond d’un placard, je ne savais même pas qu’il existait, il était dans une enveloppe sur laquelle elle avait tracé quelques mots : A remettre à celui qui viendra le chercher. Alice a décidé que c’était vous, je lui obéis, si ça ne tenait qu’à moi vous auriez été la dernière personne à qui j’aurais permis de le lire.

    Le directeur de la Bibliothèque Nationale attrape la main de sa fille et l’entraîne à grands pas. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’Alice lui échappe et court vers nous en criant :

    _ Papa, attends-moi, je fais un bisou aux chiens et on s’en va !

    Elle est déjà à genoux devant Molossa et Molossito qui l’accueillent en sautant de joie. Elles les caresse, elle ne nous regarde pas, mais entre deux ‘’ braves toutous’’ elle glisse à voix basse : ‘’ c’est moi qui l’ai mis dans la valise, maman me l’a donné la dernière fois que je l’ai vue à l’hôpital’’, elle rejoint son père excédé qui l’attendait : ‘’ Dépêche-toi papa, on va à Disney !’’. Tous deux s’éloignent main dans la main.

    180

    Carlos nous ramène au local. Il paraît soucieux. Comme il arrête la voiture pour nous permettre de descendre :

              _ Je suis peut-être un peu curieux mais qui de vous deux lira le livre en premier ?

    Le Chef qui a déjà entrouvert sa portière, allume un Coronado avant de répondre :

              _ Aucun des deux Carlos, seul l’Agent Chad le lira, c’est à lui qu’Alice l’a tendu, ce n’est pas un cadeau pour faire plaisir ou être gentil, c’est une transmission, quelque chose d’important, de sacré, d’une morte à un vivant.

              _ Chef, songez à ce livre que vous étiez en train de lire lorsque j’ai pénétré en rêve dans votre mental, je ne suis peut-être que l’un des maillons de la chaîne.

              _ Agent Chad s’il en était ainsi vous vous en apercevrez et vous me le ramènerez demain matin, laissez-moi avec Carlos nous trouverons bien un bon resto où nous pourrons inviter sa nouvelle Alice, rentrez chez vous Agent Chad et plongez-vous dans cette lecture que je pressens fort instructive.

    181

    Ils m’ont laissé avec les deux chiens. Ils passèrent une excellente soirée. L’Alice avait eu l’excellente idée d’amener avec elle une de ses amies, oui chers lecteurs, vous commencez à comprendre, elle se prénommait aussi Alice…

    Rentrés à Provins, après le repas Molossito et Molossa s’installèrent sur le sofa et fermèrent les yeux. J’ouvris une bouteille de Moonshine, m’installai à ma table de travail et me saisis du livre.

    182

    Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus. Mon enfance fut solitaire, mes premiers souvenirs résident des courses vagabondes sous les cimes majestueuses d’arbres centenaires… Je me suis enfoncé avec Ecila sous le dôme majestueux de ces épaisses frondaisons, j’ai essayé de la suivre dans ces errements, plus j’ai avancé dans ma lecture plus je l’ai perdue de vue. Au bout d’une vingtaine de pages Ecila avait disparu, certes elle disait toujours ‘’je’’, c’était bien elle qui racontait son histoire, mais elle n’était plus là. Il était indubitable que c’était elle qui errait dans une vaste sylve, mais elle n’existait plus. Etrange sensation de lecture, la narratrice n’est plus là mais elle continue son récit.

    A la fin de ce premier chapitre, j’ai décidé une pause réflexive, je me suis versé deux grandes rasades de moonshine, peut-être la suite me permettrait de mieux comprendre. J’ai sursauté aux premières lignes du deuxième chapitre : Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus… Je n’en croyais pas mes yeux le deuxième chapitre se révéla du début à la fin identique au premier.

    Je n’étais pas au bout de mes surprises, après trois rasades de moonshine j’attaquai le troisième chapitre qui était la simple répétition du premier et du deuxième. Peut-être d’infimes variations me permettraient-elles de comprendre, j’ai comparé minutieusement les trois textes, c’étaient bien les mêmes, je me suis même amusé de mesurer le blanc qui séparaient les mots, non les trois versions étaient identiques.

    Je le reconnais, oui j’ai bu quatre rasades de moonshine avant d’aborder le quatrième chapitre, cinq avant le cinquième, six pour le sixième. Je vous rassure il n’y avait pas de septième chapitre. Quel intérêt de recopier six fois la même chose ? 

    Etais-je bête, pas besoin de recopier, il suffit d’imprimer six cahiers identiques et de les relier, mais dans quel but ?

    A cinq heures du matin, je me suis endormi entre mes deux chiens…

    183

    Le Chef fumait un Coronado lorsque j’ouvris la porte du local. A son regard interrogatif j’ai compris qu’il avait dû se lever tôt pressé de recueillir mes impressions de lecture. Je lui ai tout de suite résumé le satané bouquin :

              _ C’est simple Chef, c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt ensuite c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, après c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, c’est encore une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, puis c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, enfin c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt.

            _ Agent Chad je vous remercie pour ce résumé qui m’a si bien tenu en haleine que j’ai laissé s’éteindre ce Coronado, un roman passionnant, vous avez dû passer une soirée fertile en émotions, quand je pense qu’avec Carlos nous nous sommes contentés d’un bon repas qui s’est terminé par une petite sauterie avec sa nouvelle copine qui d’ailleurs avait emmené une de ses copines à elle. De la roupie de sansonnet si je compare à votre soirée.

              _ Chef permettez-moi de modérer vos ardeurs, lire vingt pages qui n’apportent rien à notre enquête s’avère un peu décevant, mais les lire six fois de suite c’est carrément ennuyeux…

              _ Agent Chad, je vous connais, vous avez dû agrémenter votre lecture de trois ou quatre bouteilles de moonshine, votre esprit trop embrumé n’a pas été capable de saisir le sens de ce roman aussi évident qu’un troupeau de pachydermes dans un couloir.

              _ Chef, à part de dire que le livre raconte six fois la même histoire, je ne vois point poindre le moindre éléphant significatif !

              _ Agent Chad pas d’éléphant je le concède puisqu’il s’agit d’un éléphant femelle, une éléphante si vous préférez !

             _ Chef, je ne comprends rien à vos chinoiseries !

             _ Agent Chad je vous trouve un tantinet obtus ce matin, laissez-moi éclairer votre lanterne.

    Le Chef allume un Coronado. Il prend son temps je le soupçonne de faire durer le plaisir :

               _ Agent Chad, je n’ai pas lu le livre, mais vous l’avez si bien résumé que j’ai tout compris. Il faudra aussi que vous fassiez un stage de perfectionnement CP pour que vous appreniez au moins à compter jusqu’à dix ! Voyez-vous Chad…

    Le Chef écrase son Coronado dans le cendrier, il en choisit un autre dans le tiroir de son bureau, le soupèse délicatement, le repose, en saisit un autre, ce doit être le bon puisqu’il l’allume :

              _ Non Chad, il n’y a pas six fois la même histoire dans ce livre, vous avez mal compris, il y a six Ecila !

    Je reçois une décharge électrique de six mille volts, mon cerveau tourne six fois sur lui-même dans ma boîte crânienne, illumination transcendantale, je viens de comprendre :

             _ Chef vous voulez dire que dans ce livre on ne voit que des filles qui s’appellent Ecila comme dans notre vie toutes celles que l’on rencontre s’appellent Alice !

              _ Bravo Chad vous progressez, toutefois dans votre bouquin vous avez trouvé six Ecila, rajoutez celle du titre vous en avez sept…

              _ Chef, votre lecture nous ouvre des perspectives infinies, serions-nous sur une application physique de la théorie de alephs de Cantor !

               _ Au fait Chad, sur le chemin du resto, j’ai passé quelques coups de téléphone, savez-vous que la mère de notre jeune Alice s’appelait Ecila ?

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 584 : KR'TNT 584 : P. P. ARNOLD / JON SPENCER / GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER / SWELL MAPS / GOZD / GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 584

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 01 / 2023

     P.P. ARNOLD / JON SPENCER

     GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER

    SWELL MAPS / GOZD

    GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA  

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

     ROCKAMBOLESQUES

     

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    Arnold Layne

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             Indépendamment de ses qualités de Soul Sister, l’élément le plus intéressant chez P.P. Arnold est sa double nationalité artistique : elle est à la fois une Soul Sister à Los Angeles et une star du Swingin’ London. Ikette d’un côté et First Lady of Immediate de l’autre. Amie de Gloria Scott, de Maxayn et de Johnny Guitar Watson d’un côté, amie de Jagger, de Steve Marriott, de Barry Gibb, de Brian Jones, de Madeline Bell et de Doris Troy de l’autre. Elle est avec Jimi Hendrix l’une des rares à avoir réussi sa relocalisation. Mais à la différence du pauvre Jimi, elle a survécu. D’où le titre de son autobio, Soul Survivor - The Autobiography.

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             Sacré book, en vérité. Pas forcément bien écrit, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour les Ikettes. Avant d’entrer dans le backstage, mettons les choses au point : P.P. Arnold n’est pas son vrai nom, c’est un choix (bizarre) d’Andrew Loog Oldham. P.P. se prononce Pipi. En français, ça ne passerait pas. K.K. non plus. On voit d’ici l’étendue du désastre. Inutile d’espérer que le Gaulois va se civiliser, il est trop tard. En réalité, elle s’appelle Pat Cole, Arnold étant le nom du mari qui lui tapait dessus. Bizarrement, elle réussit à divorcer mais elle garde le nom, comme le fait d’ailleurs son ancienne patronne, Tina Turner. Et comme le fera aussi Brix Smith. Elles se plaignent toutes de leurs maris, mais elles gardent le nom, c’est assez incompréhensible. Alors pour avancer, on va l’appeler Pat.

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    ( Tina à droite / PP Arnold à gauche )

             Si on veut tout savoir sur les Ikettes, c’est là, dans le Pat Book. Pat commence par passer une audition chez Ike & Tina. Elle nous explique qu’il existe alors deux moutures d’Ikettes, les backing singers d’Ike & Tina : Robbie Montgomery, Venetta Fields et Jessie Smith constituent la mouture A qui part en tournée avec Ike & Tina, et la mouture B qui tourne avec The Dick Clark Show. Pat postule pour la mouture B en compagnie de Gloria Scott et de Maxine Smith. C’est Ike le renard qui a l’idée des deux moutures. On appelle ça avoir plusieurs fers au feu. Ike fait déjà du big biz. À l’époque, Gloria Scott est assez expérimentée, nous dit Pat, pour s’être retrouvée à la même affiche que les Supremes et d’autres Motown acts. Quand la mouture A se mutine et démissionne, la mouture B monte en grade et part en tournée avec l’Ike & Tina Turner Revue. Et c’est là que Pat démarre.

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             Elle ne brosse pas un portrait très flatteur d’Ike Turner : «Il avait la peau très noire et n’était pas très grand, un peu dégingandé, avec une tête allongée qui semblait trop grande pour son corps, un visage taillé à la serpe et des yeux très grands. Il avait les jambes arquées, ce qui le rendait sexy au yeux de certaines femmes. Il avait un sens de l’humour Southern, mais je ne savais pas quoi penser de lui. Il n’était pas laid, mais il n’était pas non plus très beau. Il racontait des blagues salaces qui me mettaient mal à l’aise. Il m’a demandé mon nom avec un petit rire bizarre et semblait fasciné par la taille de mon cul.» Pat passe l’audition avec succès, mais à l’époque, elle est mariée et mère de deux enfants. Ike réussit à convaincre le mari psychopathe de laisser Pat partir en tournée pour plusieurs mois. C’est tellement bien raconté qu’on s’y croirait. Pat narre cette première tournée à travers les États-Unis, la Revue sur scène, et l’arrivée de Tina qui chaque soir provoque l’explosion du public - She broke into «Shake» and boy could she shake her money-maker - Chacun sait que Totor a craqué en la voyant sur scène. L’early Tina était fantastique, she was beautiful and wild - She was the female James Brown - Pat compare aussi les nouvelles Ikettes aux anciennes : «We were pretty green, but we were in tune with the latest trends. We were like a baby Supremes, only raunchier. Our youthful zest is what Ike and Tina liked. We could inject their show with that high-energy teen Go-Go vibe.» Ike ne veut ni drogues ni alcool dans les Ikettes. Il fout des prunes quand un truc ne va pas, par exemple une perruque de travers. Elles reçoivent 250 $ par semaine, mais doivent payer leur bouffe et l’hôtel. Elles portent toutes les trois des perruques. Pat donne tous les détails. Il faut savoir qu’à l’époque, toutes les Soul Sisters portent des perruques. Il faudra attendre la mode des afros pour voir les perruques disparaître. La seule des trois qui tient tête à Ike, c’est Gloria Scott, parce qu’elle le connaît depuis longtemps et qu’elle a du caractère.

             Et puis un jour, Maxine, Gloria et Pat ratent le bus pour Houston, où est prévu un concert. Elles doivent prendre l’avion à leurs frais et en arrivant, Ike leur colle en plus une prune. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors Maxine et Gloria décident de quitter la Revue. Mais Pat qui a deux gosses à charge se désolidarise et décide de rester, trahissant ses amies. Elle ajoute que Maxine ne lui a jamais pardonné cette trahison. Par contre, Gloria lui dira plus tard qu’elle avait compris les raisons de sa décision. Eh oui, le résultat est que Maxine et Gloria ont sombré dans l’anonymat, alors que Pat a choisi la survie. Soul Survivor. La vie ne tient qu’à un fil. Surtout la vie artistique.

             Alors tout le monde attend de savoir : Pat s’est-elle fait sauter par Ike ou pas ? Oui, ça paraît évident. Toutes les Ikettes passaient à la casserole et Tina ne disait rien. Ike avait pour habitude de se pointer dans les loges avec la bite à l’air. L’idée étant que tailler une pipe permettait de s’agrandir la gorge et de mieux chanter. Ike finit par baiser Pat qui nous donne tous les détails, «the big black ugly dick inside me». Mais à côté de ça, elle apporte des éclairages sur ce personnage tellement contradictoire, dont le père avait été lynché par des blancs. Comme il n’avait pas été soigné, le père s’était chopé la gangrène. Installé sous une tente plantée devant la maison, il a cassé sa pipe en bois sous les yeux horrifiés du petit Ike. Un drame pareil, ça te transforme un gamin. Ike est alors devenu un wild child, Il trafiquait du moonshine pour survivre et au tout début des années 50, il a formé les Kings of Rhythm, l’un des meilleurs combos ayant jamais existé aux États-Unis. Puis il a monté la Revue et s’est inspiré des Raylettes de Ray Charles pour rassembler ses Ikettes. Et comme Ray Charles baisait ses Raylettes, Ike baisait ses Ikettes. Ça fait partie du jeu.

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             C’est en août 1966 que Pat débarque en Angleterre avec les Ikettes, pour la tournée anglaise des Rolling Stones. The Ike & Tina Turner Revue joue en première partie, avec les Yardbirds, Long John Baldry et Peter Jay & The Jaywalkers. Les Ikettes sont trois : Pat, Rose Smith et Ann Thomas, qui ne chante pas et qui mime pendant que Jimmy Thomas fait sa voix en coulisse. Ike dit «pas touche !» aux petits culs blancs qui louchent sur le petit cul noir de Pat Arnold. Mais Jag a commencé à loucher sur le petit cul noir de Pat, et Bill sur celui de Rose. Pat se dit fascinée par les Stones - This was some serious hardcore elecrifying rock’n’roll - Quand elle voit Jag danser, elle se marre - He was hilarious, with gangly white-boy sex appeal, trying real hard to look black - Quand il secoue les bras, elle le compare à un poulet dans la basse-cour. Et hop, au lit ! Elle devient la girlfriend de Jag, en concurrence directe avec Marianne. C’est Glyn Johns qui alerte Ian Stewart, le sixième Rolling Stone - You got to come and hear the girl sing - Stewart alerte à son tour Andrew Loog Oldham qui la signe sur Immediate et qui la baptise comme on l’a dit Pipi Arnold. C’est ce contrat et sa liaison avec Jag qui vont la convaincre de rester en Angleterre. Stewart commence par sortir Pat des griffes d’Ike qui lui ordonne de rentrer à Los Angeles. No way. Stewart la met à l’abri dans sa maison de campagne. Puis Pat doit téléphoner à son père pour lui demander l’autorisation de tenter sa chance à Londres. Le père lui donne six mois et lui fait confiance : «On ne sait rien à propos de l’industrie du disque, mais on sait que tu as du talent et on ne voudrait se mettre en travers de ton chemin.» Pat chiale toutes les larmes de son corps en entendant ça. Mom & Dad vont s’occuper des gosses, donc Pat peut foncer.

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             Elle commence par tourner en Angleterre, avec les Blue Jays, puis T.N.T. dont le bassiste n’est autre qu’Eddie Phillips, le flash guitar slinger de Creation. Comme c’est une tournée Immediate, elle se retrouve à l’affiche avec les Small Faces. Elle a une petite aventure avec Steve Marriott - a little extra-curricular sexual activity - Elle baise aussi avec Rod The Mod - We had a lot of laughs and sex was cool - Elle fréquente Marianne Faithful avec laquelle elle se trouve pas mal de points communs, même si elles sont d’origines sociales radicalement opposées : «On était toutes les deux des teenage mothers and teenage brides, on avait été découvertes toutes les deux par Andrew Loog Oldham and we were both Mick Jagger’s lovers.» Pat va chez Jag quand Marianne n’y est pas, mais Marianne déboule une nuit avec une copine américaine et elles se mettent au lit avec Pat et Jag - Je me suis retrouvée au milieu d’une orgie with these two soft white blonde girls all over me - Démarre ensuite une petite période de ménage à trois, mais Jag s’écarte un peu de Pat, lui préférant Marianne. Un peu plus tard, Marianne va passer à l’héro, et au moment de l’hommage à Brian Jones à Hyde Park, elle verra Jag se pavaner avec Marsha Hunt qu’il vient d’engrosser. Marianne va tenter de se suicider aux barbituriques en Australie, pendant le tournage de Ned Kelly. Elle va rester six jours dans le coma. À son retour à Londres, elle ramasse ses affaires et quitte la maison de Chelsea et, nous dit Pat, Marsha s’installe à sa place. Elle est pas belle la vie ?

             Comme Pat a besoin d’un chauffeur, Andrew lui file Kenny Pickett, l’ex-chanteur de Creation. À cette époque, elle baise aussi avec Jimi Hendrix qui vit tout près, in Montague Square, right around the corner from my flat in Bryanston Mews East.

             Pour son premier album Immediate, Pat a tout le gratin dauphinois derrière elle, notamment les futurs membres de Nice. Andrew voit en Pat une sorte de superstar et veut qu’elle ait les meilleurs auteurs, les meilleurs arrangeurs et les meilleurs producteurs. Il agit comme son mentor Totor. Pat : « Andrew was into the West Coast Phil Spector girl group thing. » 

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             Paru en 1968 sous une pochette iconique signée Gered Mankowitz, The First Lady Of Immediate pourrait bien se retrouver sur l’île déserte, car cet album grouille littéralement d’énormités. Elle démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, qu’elle embarque à la grimpette foldingue, c’est tapé à la puissance Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney Jones. Marriott et Lane pensaient d’abord lui filer « Afterglow », mais ils changèrent d’avis et lui proposèrent Groovy. Avec « Something Beautiful Happened », Pat tape dans le Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur. Sacrée Pat, elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Avec « Born To Be Together », elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur de première. C’est une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire, une énormité montée à l’adrénaline de mini-jupe, un jerk des enfers. Tu viens danser, baby ? Elle finit l’A avec le fameux « The First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. « Everything is Gonna Be Alright » s’ouvre sur une grosse pelletée d’orchestration. C’est signé Oldham. Pur jus de Swingin’ London. Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat direct, Pat le chante à bout de voix et l’explose à la fin. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A Lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. Encore une fois, Pat explose tout. C’est son seul vice. Elle se montre chaque fois terrifiante de force et dégoulinante de jus de présence. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk d’Andrew Loog Oldham avec « Speak To Me », un hit fait pour danser, et secouée par des tourbillons de violons, Pat chante à outrance.

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             Comme les albums Immediate sont devenus inabordables, on peut se rabattre sur une fantastique compile parue en 2001, The First Cut, qui est du triple concentré de dynamite à la tomate. On y retrouve tous les hits de The First Lady Of Immediate, notamment « Everything’s Gonna Be Alright », ce stomp composé par Dave Skinner, de Twice As Much, duo qu’Oldham avait signé sur Immediate et qu’il payait pour composer. En 1967, on savait stomper. On y retrouve aussi le gros hit de Pat, « The First Cut Is The Deepest », signé Cat Stevens et orchestré à la Totor par Mick Hurst, un type qui fit partie des Springfields, avec Dusty chérie. C’est joué aux trompettes de la renommée et très cousu de fil blanc, mais à l’époque, ça plaisait beaucoup. Pat revient au pur jus de juke avec « The Time Has Come » et dans la foulée voilà que déboulent tous ses hits Immediate, « Angel In The Morning » (du Chip Taylor bien produit), « Speak To Me » (stomper des enfers, Pat éclate comme Aretha, elle grimpe là-haut sur la montagne), « Born To Be Together » (production à la Totor - Normal, c’est une compo signée Spector/Mann/Weil que reprendra aussi Dion - Alors bien sûr elle l’explose - on dirait qu’elle ne sait faire que ça). C’est le même problème avec toutes les grandes interprètes, il faut leur donner de bonnes chansons, sinon elles tournent en rond. Avec une belle compo de Totor, Pat devient un shouteuse fascinante, comme l’est Dusty chérie avec une belle compo de Burt. D’ailleurs Pat sait comment s’y prendre avec Totor, puisqu’elle a participé aux mythiques sessions d’enregistrement de « River Deep Mountain High ». On trouve encore une belle perle de juke avec « Am I Still Dreaming ». Là, elle fait sa Martha Reeves, elle se fait vacharde et bousculeuse, puissante et insidieuse, elle envoie sa voix claquer au firmament. Et la fête se poursuit avec « Treat Me Like A Lady », un autre r’n’b brûlant, musclé, rapide et raunchy, doublé de chœurs déments, visité par un solo de guitare cabossé. Tout cela file à une vitesse supersonique. Pat a le diable au corps. Elle crache le feu sacré du r’n’b. Par contre, son « Would You Believe » est plus cérémonieux et même massacré par des violons. On trouvera un peu plus loin un sacré coup de chapeau à Brian Wilson, puisqu’elle reprend « God Only Knows », tiré de son deuxième album, Kafunka. Elle tape dans le dur du mille. Elle y va au bluff. Comment peut-on oser taper dans un tel classique ? Elle s’y colle vaillamment et serre ses petits poings noirs. Elle force tellement qu’elle fait mal aux oreilles. Puis elle tape dans les Beatles avec « Eleanor Rigby » et surtout « Yesterday » qu’elle transforme en powerhouse. Elle se bat jusqu’au bout et en cela, elle est admirable. En fin de parcours, on va trouver deux autres merveilles : « To Love Somebody » des Bee Gees qu’elle transforme en r’n’b magique, et « Welcome Home » dont elle fait une monstruosité mélodique.

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             On trouve assez facilement un Best Of de Pat édité en Hollande sur Immediate. Tous les gros hits pré-cités s’y trouvent, bien sûr. Nous sommes là au cœur de l’âge d’or d’Immediate. Cette époque sentait bon la veste en velours et la mini-jupe, le jabot et la mèche folle. On pataugeait dans l’insouciance des jours heureux. Des artistes comme Pat Arnold et les Small Faces parvenaient à cristalliser toute cette fantastique énergie. 

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             Dans une interview qu’elle accorde à Lois Wilson, Pat cite les Staple Singers, Aretha et Dionne Warwick comme ses premières influences. Quand Ike & Tina reviennent en Angleterre, ils ramènent une nouvelle brochette d’Ikettes : Ann Thomas, Paulette Parker et Claudia Lennear, une Claudia, nous dit Pat, qui louche sur Jag. Alors Pat en profite pour faire le point sur «Brown Sugar» : «La rumeur dit que Mick s’est inspiré de Claudia pour ‘Brown Sugar’. Mais c’est plus compliqué. Un jour, à la fin des années 70, nous dînions à Los Angeles avec Marsha Hunt et notre amie mutuelle Linda Livingston, et selon Linda, Mick se serait inspiré de moi pour ‘Brown Sugar’. Ça m’a bien fait rire, mais ça n’a pas fait rire Marsha qui est convaincue d’être la vraie Brown Sugar.» On ne saura jamais la vérité et on s’en fout. Fataliste, Pat dit que Jag a baisé Marsha et Claudia, mais elle ajoute qu’elle était là avant - Mick was my first white lover, back when interracial relations were taboo.

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             Elle enregistre son deuxième album Kafunka en 1968. Album étrange. Pat y porte une sorte de coiffure indienne du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans son autobio, elle rappelle qu’elle a du sang Choctaw dans les veines. Elle ajoute que les Choctaw étaient l’une des ‘Five Civilized Tribes’ qui ont adopté le mode de vie des blancs, allant jusqu’à faire travailler des esclaves sur leurs plantations. Sur Kafunka, Pat tape dans l’intapable, c’est-à-dire le « God Only Knows » de Brian Wilson, l’une des pierres angulaires de Pet Sounds. C’est à sa main, car elle force bien. Elle ne se résigne pas et repousse ses limites en quête de l’octave impérieuse. Andrew était quand même gonflé de lui demander de chanter ça. Elle chevrote admirablement. Deux autres merveilles se nichent en B : « To Love Somebody » et « Dreamin’ ». Les Small Faces l’accompagnent sur « To Love Somebody » et Mac nous nappe ça d’orgue. Il faut voir comme ça swingue. « Dreamin’ » est une reprise des Bee Gees qu’elle va chercher au beau chat perché. Si on apprécie les beaux balladifs, on se régalera aussi de « Welcome Home ».

             Puisqu’on parlait des Bee Gees, voilà Barry Gibb qui devient pote avec Pat et qui lui compose des cuts. Pat connaît Barry Gibb grâce à Jim Morris, son mari, qui fut à l’époque le chauffeur de Robert Stigwood. Par contre, Pat ne s’entend pas du tout avec Lulu, la poule de Maurice Gibb. Lulu lui montre un peu de mépris, ce qui n’est pas le cas de Dusty chérie - always warm and friendly with me - Barry lui compose des super-cuts, et dans les backing vocals, on retrouve Madeline Bell et Doris Troy.

             Après la fin d’Immediate, Robert Stigwood demande à Barry Gibb de produire le premier album de Pat sur RSO, mais comme les Bee Gees viennent de splitter, le projet est abandonné. Clapton prend la suite, en tant que producteur sur trois cuts, mais Stigwood n’aime pas les enregistrements. Il ne les trouve pas assez commerciaux. Alors il enterre le projet. Pat est virée - Dropped and lost - Et pourtant, elle repartait du bon pied, puisqu’elle avait comme backing band Ashton Gardner & Dyke, Steve Howe on guitar, et Lesley Duncan aux backing vocals. Autant dire la crème de la crème. Mais ça n’a servi à rien. Comme Pat portait une afro, I got revolutionary, I got attitude, elle pense que ça ne plaisait pas à Stigwood. Les bandes vont prendre la poussière sur une étagère pendant 50 ans. Hein ? Oui, tu as bien entendu : 50 ans !

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    Dans Classic Rock, Henry Yates indique que Pat a passé sa vie à courir après son passé. En effet, pour récupérer ces fameux enregistrements de 1969, elle a dû frapper à des tas de portes et se montrer insistante - I’ll be an old lady soon. I want my music ! - Et c’est justement le jour de ses 70 ans, en 2017, qu’elle reçoit enfin une réponse d’Universal par mail : elle peut tout récupérer, les enregistrements, les licences et les droits !

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             L’album s’appelle The Turning Tide et sort donc sur Kundalini Music, le label de Steve Cradock d’Ocean Colour Scene, un Cradock génial qui a soutenu Pat pendant toutes ses démarches. Ça valait le coup d’attendre 50 ans, car forcément l’album est génial. Rien que pour cette cover du « Medicated Goo » de Traffic. Pat mène le bal des Anglais et cet enfoiré de Carl Radle navigue à vue sur le manche de sa basse. C’est du groove de black anglomaniaque mené par une Pat qui pulse son jus d’Angelinote. Encore un coup de génie avec « Spinning Wheel », le vieux hit de Blood Sweat & Tears. Elle n’en fait qu’une bouchée. Elle explose le Wheel du Spinning en plein vol. Tout aussi génial, voilà « You’ve Made Me So Very Happy », groove de bar de nuit rendu célèbre par Brenda Holloway. Pat gère bien son affaire. Elle sait. Pas besoin de lui expliquer. Sa façon de groover relève du génie pur, aucun doute là-dessus. Elle enchaîne deux slowahs monumentaux : « If This Were My World » et « High & Windy Mountain ». Pat peut grimper dans les étages, elle n’a aucun problème de ce côté-là. Elle grimpe tellement haut qu’elle finit par donner le vertige. Elle force son passage vers les étoiles, à la manière de Cilla Black. Elle se bat comme une reine avec les octaves. Madeline Bell vient chanter avec elle « Burry Me Down By The River » qui est un cut de gospel batch, alors ça explose. On entend Madeline hurler dans le fond ! Tiens, encore du gospel avec « Children Of The Last War ». Tout est démesuré sur ce disque sauvé des eaux, comme Boudu. Même le gospel relève d’une incroyable véracité. Elle explose aussi « The Turning Tide », une compo somptueuse, on se croirait à Broadway. Alors oui, Pat peut éclater au firmament, en voilà la preuve. Elle est tout simplement extravagante de démesure octavienne. Ian Stewart avait raison : « You got to come and hear the girl sing ! » Tout est bon sur cet album, elle chante tout à plein temps, elle remplit l’espace de chaque cut et comme Sharon Tandy, elle vise chaque fois l’explosion finale. Elle termine avec une version démente du « Can’t Always Get What You Want » des Stones. Elle tape dans l’intapable, comme Merry Clayton avant elle, et s’en sort avec les honneurs, d’autant qu’elle le trashe d’entrée de jeu. C’est tout de même incroyable que Stigwood ait pu enterrer des enregistrements de cette qualité.  

             À l’époque, Pat est bien pote avec Brian Jones - He was very cute and sexy and looked aristocratic, eccentric and yet elegant in his flamboyant attire, his dandy scarves and beautiful smoking jacket - Elle n’est pas attirée sexuellement par lui, mais Brian se conduit en gentleman avec elle. Pat dort avec lui, mais note-t-elle, il n’est plus en état de fricoter. La mort rôde déjà dans le Swingin’ London. Pat va voir ses bons amis disparaître : Brian Jones et Jimi Hendrix. Elle se lie avec Madeline Bell - She had the clearest cristaline vibrato I’ve ever heard - et avec Doris Troy, via Madeline. Doris et Madeline se sont rencontrées à New York. Doris est une battante, elle passe sa vie à courir après ses royalties. Un jour en Californie, elle emmène Pat chez Nina Simone. Pat se dit fascinée par le spectacle de ces deux stars qui se racontent leurs mésaventures avec le music biz et comment elles se sont fait plumer. 

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             Comme elle est bloquée par Stigwood, pour vivre, elle doit faire des backing vocals. Elle se retrouve avec Doris derrière Nick Drake pour les sessions de Bryter Layter, derrière les Move pour celles de Looking Back et, avec Claudia, derrière Humble Pie pour les sessions de Rock On. Elle cite des tas d’autres choses moins intéressantes. Elle se réinstalle à Los Angeles avec le batteur de CSN&Y et de Manassas, Calvin Fuzz Samuels, et lui donne un fils, Kodzo. Elle devient pote avec Paulette Parker qui fut comme on l’a déjà dit une Ikette, avant de devenir Maxayn Lewis. Pat rappelle que Marlo Henderson, le guitariste de Maxayn, fit partie du Buddy Miles Express et de Wonderlove (Stevie Wonder). Elle rend aussi hommage à Andre Lewis, le mari de Paulette, la reine des paupiettes, qui lui aussi a joué avec Buddy Miles, et Frank Zappa. Le groupe que Pat tente de monter avec son mari Fuzz s’inspire de Maxayn : il s’appelle Axis, en hommage à Jimi Hendrix. Ils reçoivent même une avance d’EMI. Mais rien ne sort.  

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             En 2007, elle enregistre un album avec Dr Robert : Five In The Afternoon. Dr Robert avait été le chanteur des Blow Monkeys. Et donc forcément, cet album prend une coloration groovy, puisque les Blow Monkeys s’étaient spécialisés dans la pop sophistiquée. On entre dans ce disque comme dans le lagon du groove bluesy. Ils bricolent tous les deux des balades enchanteresses et frileuses. On sent bien la reptilienne conjugaison des feelings. Avec « Careless Blues », ils passent à l’exotica de haut rang. Il règne une certaine élégance dans leurs parages dégingandés, une sorte d’excellence caraïbe. Un alizé gonfle doucement les voiles de tulle suspendus au toit de palmes, et au loin, l’océan se charge d’un mystère ancien. Ils maintiennent ce sentiment d’aisance nonchalante pour le morceau titre de l’album et avec « I Saw Something », on passe au grand groove, celui de Marvin Gaye. C’est superbement balancé et gorgé de langueur. Pat fait vibrer sa glotte au grand air et une fois encore, elle atteint les cimes. En général, la majesté du groove ne pardonne pas. Le groove ne fait pas de prisonniers. Il asservit les sens et enchaîne les membres. Il n’existe pas d’échappatoire. Tout doit se plier aux exigences du frisson. Avec « Stay Now », Pat revient faire un petit tour chez Stax. Mais ce n’est pas évident. Retour au groove avec « Ghost Of Winter ». C’est un genre qui leur va comme un gant. Celui-ci est d’autant plus impressionnant qu’il est sensible, intelligent et distingué, comme disait Alain Souchon à propos de Michel Berger. Ils font monter la chose en chantilly et nous dilatent le bulbe. Voilà une pièce d’antho à Toto. Puis Dr Robert se transforme en requin et entre dans le lagon d’un cut nommé « Shape It For Me ». On voit son aileron disparaître au loin, sous le ciel en feu du crépuscule tropical.       

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             En 2017, la presse anglaise se déchaînait. Elle annonçait le grand retour de Pat avec le lancement d’une tournée, la parution d’une autobiographie et l’enregistrement d’un nouvel album avec Steve Cradock. Justement, le voilà ! Paru en 2019, il s’appelle The New Adventures of P.P. Arnold et c’est un é-nor-me album. Sur la pochette, Pat est superbe de kitschity et elle démarre avec un coup de génie intitulé « Baby Blue ». Elle revient immédiatement à son cher pinacle, c’est extrêmement bien chanté, poussé dans ses retranchements, avec un bel esprit de conquête et une inflexible volonté d’en découdre. Spectaculaire ! Pat retrouve sa niaque d’Ikette - In peacock colours/ Like you used to do/ Before you were baby blue - Stu-pé-fiant. Elle va continuer de s’imposer cut après cut, comme avec « Though It Hurts Me Badly », oui, elle tape dans le haut de vieille glotte et c’est aussitôt relayé par des vagues de son énormes, elle ultra-chante au collet monté d’Ikette et swingue admirablement ses pointes, elle chante à la niaque supérieure. Avec « The Magic Hour », elle crée tout simplement de la magie, the spirit of the Swingin’ London is alive and well - Just look at the sunlight magic/ It’s everywhere/ If only paradise/ It could take us there - Fabuleux ! Nouveau coup de génie avec « Different Drum », elle fait exploser le groove dans une apothéose d’excellence - I’m not ready for any prison - C’est de la pop magique, elle pulse autant que Ronnie Spector, elle va au-delà de toute expectative, elle ramène aussi toute la dramaturgie orchestrale de Totor - Pull the reins in on me/ If you live without me - Demented ! Pat a tous les droits, même celui de proposer des mauvais cuts, puisqu’elle est bardée de crédit. Elle revient aux choses sérieuses avec « When I Was Part Of Your Picture » qui sonne comme un hit obscur de l’âge d’or Motown. Elle ramone sa Soul orchestrale in the dark - Remember when we could fly - Elle amène « I Finally Found My Way Back Home » au grand mystère extraordinaire. Sa force est de transformer la découverte d’une île en bonheur de vivre, let it shine. Elle relance à n’en plus finir, elle secrète des hormones de magie pure, elle puise son power dans le gospel des origines, yeah-eh eh - People living in fields/ Living in dirt - C’est d’une rare puissance et elle revient avec son refrain totémique, I found my way back home. Elle passe à l’état d’extase. Le temps d’un « You Got Me », elle domine le monde, elle devient astounding, comme dirait un Anglais, elle claque ses cuts au sommet du lard fumé, oooh baby baby baby, cette petite diablesse descend son baby baby baby avec toute l’ampleur du Soul System. On la voit aussi chanter par dessus les toits dans « Still Trying » et elle boucle cet album pour le moins effarant avec un « I’ll Always Remember You » qu’elle chante a capella. Pat Arnold est une princesse de l’aristocratie britannique. Elle tient la dragée haute à son rang. Cet album est avec celui du grand retour de Merry Clayton (Beautiful Scars) l’un des albums phares de ce début de siècle.  

    Signé : Cazengler, Pipi au lit

    PP Arnold. The First Lady Of Immediate. Immediate 1968

    PP Arnold. Kafunka. Immediate 1968

    Dr Robert & PP Arnorld. Five In The Afternoon. Curb Records 2007

    PP Arnold. The Best Of PP Arnold. Immediate

    PP Arnold. The First Cut. Sanctuary Records 2001

    PP Arnold. The Turning Tide. Kundalini Music 2017

    PP Arnold. The New Adventures Of. Ear Music 2019

    Pat Gilbert. First Cuts Are The Deepest. Mojo#287 - October 2017

    Henry Yates. PP Arnold. Classic Rock #240 - September 2017

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    Paul Ritchie/ A Cut Above The Rest. Shindig #68 - June 2017

    Lois Wilson. The tide comes in at last. Record Collector #473 - December 2017

    P.P. Arnold. Soul Survivor - The Autobiography. Nine Eight Books 2022

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Two

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             S’enfoncer dans l’œuvre épaisse de Jon Spencer, c’est comme s’enfoncer dans l’œuvre d’un auteur qu’on aime bien, parce qu’il ne déçoit jamais. Exemple : Alexandre Dumas, ou encore Balzac. Les tomes qui s’amoncellent produisent une sensation de confort, on peut s’y pelotonner indéfiniment. Jon Spencer est l’un des rockers américains les plus prolifiques et dès le commencement de sa carrière, il met un point d’honneur à se distinguer du troupeau bêlant. Pussy Galore ne ressemble à aucun autre groupe des années quatre-vingt. Jon Spencer révèle très vite un goût prononcé pour l’avant-gardisme, il développe avec le concassage sonique de la Galore une modernité de ton qui va faire école, non seulement dans son réseau personnel, mais dans la scène new-yorkaise. Il n’est pas étonnant de le voir croiser les chemins de Jerry Teel, de Ron Ward, d’Andre Williams ou encore de Monsieur Jeffrey Evans.

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             Il s’entoure bien pour lancer le train fou de Pussy Galore : Bob Bert aux metallic drums (qu’on retrouvera plus tard dans les Chrome Cranks et dans les Hitmakers) et Neil Hagerty qui ira former Royal Trux. En 1986, ils démarrent par un sacré coup d’éclat : une adaptation libre d’Exile On Main Street.  Album de rêve, pourrait-on dire. Alors bien sûr, Jon Spencer et sa fine équipe tapent dans la Stonesy dès «Rocks Off», mais ils font ça au trash suprême. Les Stones n’auraient jamais osé aller jusque-là. Les Pussy claquent tout à la volée. Welcome in hell. L’autre fabuleux shoot de Stonesy est bien sûr l’«Happy». Ils traînent Keef dans la boue du trash de Galore. C’est une admirable déflagration, rien d’aussi réjouissant sur cette terre, voilà un son bardé de stridences et concassé à coups de bassmatic. Ils font un «Shake Your Hips» bien raw to the bone, assez demented, imbattable de primitivisme. Voilà la grande force des Galore : la surenchère primitiviste. Ils se montrent inconoclastes avec «Tumbling Dice». Ils trashent la structure des atomes du rock, ils jettent de l’huile sur le feu du Dice. Difficile d’aller aussi loin dans ce genre d’entreprise de démolition. On peut dire la même chose de «Sweet Virginia». Quelle allure ! Ils démolissent aussi le vieux «Casino Boogie» et saturent «Torn And Frayed» de guitares désordonnées. «Loving Cup» est certainement le meilleur hommage aux Stones jamais enregistré. C’est à la fois admirable et sans retour possible. Une fille essaye de parler dans «Turd On The Run» mais Jon Spencer lui dit de la fermer. Shut up ! Abominable homme des neiges. Ils jouent tout dans une purée de basse fosse. Ils jouent des squelettes d’accords. «Let It Loose» sonne comme un souvenir précis dans un moment de défonce. Extraordinaire de véracité, car oui, c’est comme ça que se passe. Tu vois ton souvenir vibrer dans le cosmos. Ils jouent aussi «Stop Breaking Down» à ras des pâquerettes. Ils ne prennent pas de risques. Ça joue tout seul.

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             L’année suivante paraît l’explosif Right Now. On pourrait même dire qu’avec cet album, Pussy Galore invente le trash-rock. Ça démarra avec un «Pig Sweat» martelé et sans espoir, une merveille de désespérance jusqu’au-boutiste. On ne saurait imaginer son plus trashy. Ils jouent aussi «Upright» au boogie new-yorkais des bas fonds. Jon Spencer commence à se spécialiser dans les onomatopées, comme on le voit dans «Biker Rock Loser» - Fuck ya ! Watch out ! - Avec un solo d’arrache cœur. Comme son nom l’indique, «Fuck You Man» te fucke et ils couronnent ce balda avec un «New Breed» d’antho à Toto, admirablement shaké par Bob au beat metallic KO et un «Alright» quasi-garage. En B, «Punch Out» se distingue du lot par son beau trash galorique. Jon Spencer joue déjà les enfonceurs de portes ouvertes. Il déploie d’immenses quantités d’énergie pour démolir son rock. On le voit hurler dans la tourmente de «Trash Can Oil Drum» et il monte avec «Really Suck» un coup fumant en multipliant tout simplement les exactions. Il démolit son château de cartes à coups de tronçonneuse. Ce mec est très intéressant.

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             Attention au Sugarshit Sharp paru l’année suivante. On trouve en B un excellent coup de Stonesy intitulé «Handshake» et deux énormités, «Sweet Little Hifi» et «Renegade». C’est du straight ahead rock, véritable shoot de Galore garage pouilleux. Bob bat ça sec, si sec. C’est d’une solidité à toute épreuve. «Brick» impressionne aussi par sa carrure. On voit bien que Pussy Galore était en avance sur son temps. Avec ce genre de punch, ils préfiguraient le JSBX.   

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             À une époque, on jouait dans un groupe avec un guitariste qui possédait Dial M For Motherfucker. Le problème est qu’il n’aimait pas l’album. Au fond, le vrai problème était de savoir ce qu’on foutait tous les deux dans le même groupe. Eh oui, Dial M For Motherfucker est un superbe album de trash-rock, un disque bien vivant, qui reste assez inégalable, trente ans après. Boom badaboom dès «Understand Me». Schtroumphé d’entrée de jeu. Magnifico ! C’est dégoulinant de classe - Don’t ! Don’t ! - Ça marche dans la gadouille du trash, ça riffe dans le bone, c’est allumé comme une chaudière à l’ancienne. Encore pire, voici «SM 57», gratté à l’os du bone. Ces mecs ont le génie du son, inutile d’aller chercher midi à quatorze heures. «Kicked Out», c’est le rock du Revenant, un DiCaprio coincé dans la glace, avec des flèches dans les cuisses, véritable apologie du no way out. Avec «Solo Sex», Jon Spencer avance à la titube, on entend des filles crier au loin et puis il va ensuite au bois avec «Undertaker». Il abat les chords à la hache, il n’a pas le choix. Il faut alimenter le Pussy Galore, il shoote le shake dans le ventre béant du son. Il tape à la suite son «DWDA» à la petite revoyure de revienzy. Pur riffing de king of trash. On est dans le vrai truc. Il s’installe définitivement dans le trash avec «Dick Johnson» et «1 Hour Later». C’est dans les deux cas un chef-d’œuvre de trash-rock global avec un Jon Spencer qui joue ses trucs en fourbe, par derrière. Il peut aussi gratter le pire boogie de l’univers. C’est effarant de puss & boots. Encore une horreur avec «Eat Me», qui sonne comme une exaction fatidique. Il réinvente la frénésie avec «Waxhead». Il gratte ça à l’os du Pussy, c’est buté du bulbique, le cut avance tout seul contre vents et marées, ça arrose les murs. L’album est tellement organique qu’il semble vivant. C’est à ça qu’on reconnaît le génie d’un mec comme Jon Spencer. En plus, il ne demande rien à personne. Avec «Wait A Minute», il taille une fabuleuse tombe de pierre philosophale cinéphale. Il chante avec des boules de billard dans la bouche. Il fait du battage patibulaire. On passe au heavy sludge avec «Hang On». Pussy galère dans la Galore, ils ont tout bon, jusqu’au bout des ongles sales. Ils déglutissent le meilleur son d’Amérique, cut après cut. Ils travaillent tous leurs cuts au corps, ils jouent des coups de dé qui jamais n’aplatiront le bazar. Jon Spencer chante à l’arrache invertébrée et lève des lièvres dans le buisson ardent. Il adore aussi cavaler ventre à terre, comme on le voit avec «Handshake». C’est joué aux trublions de vrille, à la Wilko, avec de l’incendie en fond de scène. Quel festin orgiaque ! On entend des voix éclater dans tous les coins sur «Adolescent Wet Dream» et ils nous explosent «Sweet Little Hi Fi» d’entrée de jeu. Ils rockent leur shit comme personne et multiplient les départs fulgurants. C’est battu dans la chair de la brèche par ce dingue de Bob Bert et explosé par des retours de cavalcade. Rien d’aussi précieux que ce rock insurrectionnel. Tout est souligné de fuzz. Ils ramènent des gimmicks à la Wilko dans «Brick» et cet album faramineux s’achève avec «Renegade», infernale déclaration d’intention dotée d’un son de batterie révolutionnaire, très métallique, comme si Bob Bert jouait sur un sommier rouillé. On a même un solo de gras double et un Jon Spencer qui n’en finit plus d’allumer la gueule du pauvre cut. C’est définitif autant que déterminant. Rien que pour le son du drumbeat, cet album est un passage obligé. Les guitares croisent dans le dépotoir comme des requins en maraude. Ils finissent aux clap-hands, hey clap your hands, alors vas-y.     

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              Bob Bert volerait presque le show sur Historia De La Musica Rock paru en 1990. Il crée une sacre ambiance sur «Song At The End Of The Side» qui clôt l’A et sur «Ship Comin’ On» qui ouvre la B. Il joue un beat clair de bord de caisse sur le premier et bas bien sec le deuxième. Ils adorent ces ambiances à la dépenaille avec les guitares au fond et des chœurs légèrement foireux. Le hit de l’album se trouve aussi en B : «Mono Man» - I got the power ! - C’est du garage de saw buzz à la Galore. Un peu de provoc avec «Eric Clapton Must Die». C’est une interprétation libre de «Little Red Rooster» et cette fois, on entend Neil Hagerty chanter. Belle giclée de trash dans «Don’t Jones Me». Voilà encore un cut privé d’avenir, mal ficelé, mal chanté, un pur joyau trash. On voit aussi Bob Bert battre «Revolution Summer» comme plâtre et le départ en solo de Neil Hagerty vaut tout l’or du monde.

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             Le meilleur album de Pussy Galore est certainement le fameux Live In The Red paru tardivement, en 1998. C’est là qu’on trouve le plus beau killer solo flash de l’histoire du rock américain, celui de «Pig Sweat». C’est joué au pire binaire de l’univers et soudain, Neil Hagerty troue le cul du cut. On voit une falaise de son s’écrouler et Neil jouer dans les décombres. Ils ne parviendront jamais à surpasser ce coup de génie. Tous les cuts sont tartinés à la disto, joués au pulsatif d’agonisant et troués à coups de killer solos flash. Ils battent tous les records d’invraisemblance avec «Sweet Little Hifi». Jon Spencer y cherche des noises définitives à la noise, il repousse les frontières de son empire trash et vise l’absolu de l’ultimate dévastateur. Derrière, Bob Bert martèle, awite ! Ce diable de Jon Spencer chante comme un requin affamé, l’œil fou. Avec «Understand Me», ils donnent une vision claire du sludge et Bob Bert bat «1 Hour Later» si sec qu’il semble lui briser les reins. C’est un beat sec spécifique, du big bad Bert quasi rockab. Hallucinant. Il faut entendre jouer ces quatre mecs. On trouve à la suite un «Dead Meat» infesté de guitares, ça joue dans les eaux troubles du rock le plus enragé qui soit. Ils bouclent l’A avec un summum du punch-rock qui s’appelle «Kicked Out». On peut les féliciter pour ce souci de cohérence. La B reste au même niveau d’explosivité permanente, avec des trucs comme «Undertaker» monté sur le kick ass metallic KO du grand Bob, et plus loin l’effarant «Kill Yourself», pur jus de désespérance, cut idéal pour se tirer une balle dans la tête.

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             Paru en 1986, Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body) est présenté comme une compile, mais en réalité, c’est l’un des meilleurs albums de ce groupe d’avant-garde que fut Pussy Galore. Là-dessus, tout est poussé dans ses extrémités. Ils sont tellement enragés qu’ils élèvent le trash au rang d’art majeur. Ils ne basculent jamais dans le hardcore. Jon Spencer veille à ne jamais mordre le trait. C’est toute sa force. On entend Juila Cafritz gueuler dans «Cunt Tease». Elle est archi fausse. Les gros coups du balda sont «Constant Pain» et «No Count». Ils font de l’hypno avec «Constant Pain» et s’y soûlent de beat metallic KO. «No Count» va plus sur le garage de type «She’s My Witch». Par contre, avec le «HC Rebellion» d’ouverture de bal de B, ils vont plus sur le Velvet, car ils chantent à deux voix dans l’écho du temps de «Murder Mystery». On voit jusqu’où s’étend leur empire. Ils développent des énergies fondamentales dans «Get Out» et battent tous les records de punch avec «Die Bitch». Jon Spencer est fou à lier. On retrouve l’excellent «Kill Yourself» et ça se termine avec l’apocalyptique «Asshole» et son solo glouglou. I’m restless !

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             Après avoir fait tourner R.L. Burnside en première partie du JSBX, Jon Spencer lui propose d’enregistrer en 1996 un album devenu mythique : An Ass Pocket Of Whiskey. Toute l’équipe du JSBX descend dans le Mississippi. Russell Simins, Judah Bauer et Jon Spencer se retrouvent dans une cabane de chasseurs en compagnie de RL et de Kenny Brown. Ensemble, ils foutent le souk dans la médina. Ce disque est l’une des pires pétaudières de l’histoire de l’humanité. La tension monte dès le premier morceau, «Goin’ Down South», monté sur un beat sourd et mauvais comme une teigne. Russell Simins bat ça bad. On entend bien les quatre guitares jouer ce groove mortel du Mississippi qu’on appelle la purée du diable. S’ensuit un hommage à John Lee Hooker, «Boogie Chillen». Jon Spencer donne la réplique au maître RL - Yeah ! Ça repart de plus belle avec «Snake Drive», belle fournaise de boogie downhome. Jon Spencer pousse des cris - Snake driiiiiiiiiiiiiive ! et RL fait Yeah ! Ils s’amusent comme des fous. RL mène le bal. C’est un vrai boute-en-train. La cerise sur le gâteau se trouve en B : «The Criminel Inside Me» - Mama I wan’ some meal ! - et le voilà le meal : le gros groove spencerien. Ils refont un gros duo d’enfer tous les deux :

             — Hey RL !

             — Yeah !

             — You get goin’ you son of a bitch aw !

             Et RL prévient Jon Spencer que s’il ne dégage pas rapidement, il va lui botter le cul :

             — If you don’t get out fast I’m gonna get my feet right in your ass !

             — Aw !

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             Si Memphis Sol Today est arrivé jusqu’à nous, c’est grâce à Jon Spencer. En 1993, il fut enrôlé par Monsieur Jeffrey Evans pour jouer dans le ‘68 Comeback. Attention, cet album est d’une nature violente. On peut y voir Monsieur Jeffrey Evans, Don Howland, Rick Lillah et Jon Spencer démantibuler le trash dans «Memphis Chicken», puis démantibuler le stomp dans un «Barbara» claqué à coups d’accords fatals - Do the boogaloooo ! - Puis démantibuler Charlie Feathers dans «Lil’ Hand Big Gun», en guise d’hommage. Puis démantibuler Junior Kimbrough avec «I Feel Good Little Girl», puis démantibuler Nathaniel Mayer avec «I Had A Dream». En fait, ils ne le démantibulent pas vraiment, ils le passent à la moulinette, ce qui est un concept différent, le but restant bien sûr d’atteindre le stade du trash ultime. On les voit aussi démantibuler le venin dans «Coming Up». Attendez ne partez pas, ce n’est pas fini ! Cette entreprise de démantibulation se poursuit avec «Let’s Work Together». Ils ne laissent aucune chance à ce vieux coucou rendu célèbre par Canned Heat - C’mon c’mon - Jon Spencer le tarpouine à l’arrache de la rascasse, le mâchouille et le crache ensuite à la face de Dieu. Puis une grosse dérobade de solo complètement foireux tombe du ciel. On entend hurler un fou. Nous voilà rendus au cœur du trash. Ils vont même s’amuser à démantibuler les enfers avec «Down In The Alley» et démantibuler le blues avec «I’ll Follow Her Blues» qui empeste la vieille cabane branlante. Don Howland chante et c’est gratté sec. Ils tripotent la puissance du son et vomissent dans le réservoir. Ah il faut les voir claquer leur son.

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             Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer grommelle so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un aboutissant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon pousse dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la petite vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus primitifs que les Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle paupérisée, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix, et derrière, ils font Massacre à la Tronçonneuse. Bon, il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

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             En 2001, Jon Spencer enregistre un album avec les fils Dickinson au Zebra Ranch de Jim Dickinson. Il faut savoir que pour tous les aficionados du Memphis Beat, le Zebra Ranch est une sorte de Mecque. Au moins autant que Graceland. On en voit quelques images dans le booklet. Cody et Luther Dickinson accompagnent le Yankee Spencer et Dad joue un peu de piano sur deux cuts. On entend aussi l’harmo de Jerry Teel sur «Cryin’», un groove à la Screamin’ Jay Hawkins qui sonne comme une progression dans la douleur. Fabuleuse dégueulade de big heavy sugarshit. Luther y va de bon cœur sur sa guitare et Cody nous bat ça si sec. Le jackpot de l’album s’appelle «Primitive». C’est du Primitive de Zebra Ranch, chanté dans le rond de lunette de Méliès sur un beat originaire du Rif marocain, mais avec des tortillettes marioles des Batignoles. On y est, on est au cœur du mythe, chez Dickinson. Aw c’mon car voilà «Sat Morn Cartoons» chargé comme une mule et fouillé par un killer solo flash, aw c’mon ! Luther joue comme un dingue, il nous fait les Stooges, il bascule dans la folie - Do you remember/ Nothing at all - Ils sont encore plus royalistes que les Stooges, comme si c’était possible. Ils rendent un bel hommage à Zigaboo Modeliste avec «Zigaboo» et tirent une belle décharge de chevrotines avec «That’s A Day». C’est tellement chargé de son que ça chevrote dans la cuvette - That’s a draaaag - Ils n’en finissent plus de colmater le collimateur et ça continue avec un «I’m Not Ready» beaucoup trop puissant. Ils jouent comme des cons. Jon Spencer profite de «(Chug Chug) It’s Not Ok» pour s’adonner au screamin’ - I don’t believe you - Screamin’ Jon domine bien la situation. Ils terminent cet album haut en couleurs avec «Book Of Sorrow» - I’m gonna write/ A book of sorrow - Ce démon de Jon Spencer allumer sa mèche quand ça lui chante, chapter one, chapter two, il gueule du book tant qu’il peut, il s’appuie sur le pire heavy beat de la région, I’m gonna write, ça sonne comme du gospel batch de possédé et comme si ça ne suffisait pas, il en fait une sorte d’abomination substantifique.

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             Dans les années 2000, Jon Spencer fricote avec Ron Ward et Bob Bert dans Five Dollar Priest, un super-groupe de l’underground new-yorkais. Sobrement titré Five Dollar Priest, leur premier album paraît sur le mighty label basque Bang Records en 2008. Dès «Fingered», on sent le souffle d’une sacrée démesure battue en brèche par Bob Bert. On est dans le heavy New-York City urban beat, spécifique et dur, chargé d’un son d’obédience pirandellienne. Ron Ward amène «Bobby Chan» à la harangue de Bobby Chan, c’est secoué d’explosions. Sur l’album, Jon Spencer est crédité au térémine qu’on n’entend que sur «Cunty Lou». Fantastique atmosphère, tension énorme. Jon Spencer fait le con au fond avec sa machine. Le reste de l’album se tient magnifiquement. Ron Ward est le roi de la harangue vénéneuse. Il nous emmène dans les bas-fonds de Babylone. Il fait aussi du funk blanc avec «Ghost Of Bob Rose», c’est extrêmement digne du no-wavisme dévorant, d’autant plus digne que James White joue aussi sur l’album. Ron Ward et ses amis dotent chaque cut d’une longue dérive abdominale et de poussées de fièvre spectaculaires. «Decatur Street Blues» sonne comme un boogie industriel abominablement bien balancé. Ron Ward jive sur l’orgue et sur le monster beat que bat Bob à la syncope de charley. Il faut les voir jiver Conway Twitty sur «Conway Twitty’s Bag», solide shoot de r’n’b blanc explosé au free. Ils montent aussi «Mao Tse Tongue» sur une rythmique pressée bien nappée d’orgue et violemment perforée au sax. Ron Ward y pulse sa chère surenchère.

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             Dans les années quatre-vingt-dix, Jon Spencer monte Boss Hog avec sa femme Cristina Martinez. Elle fit en temps partie de Pussy Galore et c’est elle qui prend le lead dans Boss Hog. Mais on se doute bien que Jon Spencer fait tout le boulot. Avec un premier album paru en 1990, Boss Hog faillit rester bloqué au fond de l’underground. Cold Hands n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. On y trouve cependant deux belles réminiscences de Pussy Galore, «Gerard» et «Duchess». Jerry Teel qui fait alors partie du groupe ramone son manche de basse sur «Gerard» et ça sonne comme une sorte de trash-core d’underground de désaille new-yorkaise. Tout le jus est là. Jon Spencer pousse des soupirs de géant dans «Duchess», véritable modèle de heavy groove menaçant à la Gilles de Rais. Il s’en va chercher son groove très loin au fond d’une animalité répugnante. On sauvera encore deux cuts sur cet album : «Eddy», heavy comme pas deux, sonnant et trébuchant comme le ducat d’or du duc de Dôle, et «Go Wrong», way back to the basics instincts de Pussy warmer de Galore. Oh et puis tiens, le «Pete Shore» qui ouvre le bal de la B vaut bien le détour, à cause de cet épouvantable riff que triture Jon Spencer à l’ongle sale.

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             Leur second album s’appelle Boss Hog et paraît en 1995. C’est un album classique, 100% pur jus. Tout est là : le raunch, le goût de l’aventure et les exactions foudroyantes. On compte au moins deux coups de génie sur Boss Hog, à commencer par «Beehive». Le mari Jon prend le lead avec des ahhhh graves et bascule dans le JSBX apocalyptique. Jon sait mastiquer des grooves de génie. Il chante ça de l’intérieur du menton, personne ne l’entend, il foutrait presque la trouille, cet imbécile. Il nous claque ça à l’atmosphère inventive. Seul Jon Spencer peut se lancer dans ce type d’aventure sauvage. On le sait, il cultive depuis le début la pure démence de la partance ! Jon Spencer appuie là où ça fait du bien et ça jingle dans le jangle. L’autre coup de Jarnac s’appelle «Green Shirt», joué à la syncope fatale, avec de vraies coulées de lave. Nouvelle explosion de son, et à un moment, on voit du trash liquide couler au milieu, pareil à une rivière de flammes. Le cut d’ouverture s’appelle «Winn Coma» et sonne comme du garage dévastateur, explosif, jouissif, gorgé de son, nothing to lose ! Puis Cristina fait sa rampante dans «Sick», mais elle ne convaincra personne, en dépit du renfort inopiné du Sixième de Cavalerie, c’est-à-dire son mari. Disons que c’est rampant au sens du fumant, c’est du parfaitement inconvenant, du gras qui se fout du monde. Ils veillent tous les deux à la parfaite intensification du conflit. Ce qui frappe le plus dans le «Ski Bunny» qui arrive un peu après, c’est l’énormité du son. Jon Spencer et Cristina chantent ensemble, mais sous le boisseau. Les voilà extrêmement exacerbés - Ski Bunny ! Suicide ! - Ils sont enragés et ça joue sourdement. Arrivé à ce stade de l’album, on ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça se calme. «What The Fuck» ! Cristina prend la main pour ce cut visité par des vagues de son gigantesques - Get the fuck ! - Jon en ramène des caisses. La fête se poursuit en B avec «White Sand», chanté à la mystérieuse. Ils ramènent un peu de son, surtout le mari. Oh il adore ça. Une fois encore, ça chante sous le boisseau et le mari arrive au triple galop pour lui porter secours - Break dance ! - C’est claqué aux pires gimmicks new-yorkais. Puis Jon attaque «Strawberry» d’une voix de vieil alligator. Affreux et génial ! Il groove son baryton et fait du JSBX au grand jour. Le «Walk In» qui suit rappelle «Memphis Soul Typecast», et ils finissent par faire exploser leur jouet. Ils bouclent avec «Sam» qu’ils pulvérisent à coups de killer solos et de nappes d’orgue.

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             Quatre ans plus tard paraît Whiteout. Cristina pose en petite tenue sur la pochette. Elle porte du blanc immaculé et c’est forcément en hommage à Elvis qui préférait voir ses poules porter de l’underwear blanc. L’image attire l’œil et la musique fait dresser l’oreille du lapin blanc, seulement l’oreille. Surtout «Get It While You Wait», une pop atmosphérique absolument envoûtante. C’est bardé de dynamiques infernalement sucrées. Appelons ça une pure merveille d’élévation spirituelle. Ils s’ébrouent dans le lagon de la pop magique, yeah yeah yeah, elle se jette dans la vague et s’abandonne aux langues de la clameur. L’autre gros cut s’appelle «Defender», gratté au gros riff sixties et Cristina part à l’aventure. Elle gueule, mais elle n’est pas fiable à 100%. On voit bien qu’ils tentent de faire un vrai truc, mais ce n’est pas toujours facile. On fait avec ce qu’on a, comme dirait le patron du PMU de la rue Saint-Hilaire. Jon Spencer multiplie les effroyables départs en solo et les arrêts brusques sur la voie. Il électrise à outrance et envoie de sacrées giclées de gras double. Dans «Trouble», Cristina explose son I can’t stand it. Non elle ne peut plus supporter ça, c’mon, et voilà les clap-hands. Elle se révèle excellente dans les redémarrages en côte. On trouve aussi sur cet album un «Chocolate» dur à croquer. Jon Spencer fait le show avec sa baby all down the machine. Dans «Nursery Rhyme», Cristina se met à sonner comme Hope Sandoval. Il reste deux animaux : «Jaguar» et «Monkey». Jon Spencer leur shake le shook à sa façon, c’mon let’s do it ! Ce mec est incapable de se calmer.

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             Oh et puis tiens, puisque le dernier album de Boss Hog paraît sur In The Red, on va l’écouter. Il s’appelle Brood X et dès «Billy», on retrouve le son bien fuselé, lisse comme un suppositoire et joué à la menace sourde, très spencerish. C’est tellement parfait qu’on a l’impression que Jon Spencer n’y croit plus. Il a déjà accompli trop de miracles, que peut-il apporter de plus aujourd’hui ? Il reprend à son compte le coup des montées en puissance dans le mix qu’avait inventé Jim Dickinson. On note la constance d’une belle efficacité directorielle. Il joue ensuite «Black Eyes» au petit profilé malsain et maintient la pression d’une menace sourde. Joli travail de duo sur «Ground Control» dans une ambiance de guitare baryton, de beau plâtras bassmatique et de relances d’époux exacerbés - Turn the radio on ! - Ils bouclent l’A avec «Signal», joué à l’exaction d’exaltation. Jon Spencer joue sa meilleure carte, celle du sharp. Le groupe sort un son technique et très froid, comme s’ils manquaient d’idées et de chaleur humaine. Ils jouent tout au gimmick de bakélite, noir et glacé. Ça se réchauffe heureusement en B avec l’imparable «Rodeo Chica» pris au dig it up chica de Jon Spencer. Il duette avec Cristina à la décontracte maximaliste. C’est excellent, vraiment digne de «Memphis Soul Typecast» - What’s wrong baby ? - On retrouve là tout ce qui fit l’écrasante modernité du JSBX. Back to the big allure sportive pour «Elevator». On sent chez eux une vraie disposition à l’élan harmonieux, le souci d’une vraie cadence d’élancement bassmatique. Dans «Fomula X», Cristina se prend pour une formula X. Elle cherche la petite bête et Jon Spencer joue des riffs de harangue fumée apollinarienne. 

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             L’autre grand épisode de la saga Jon Spencer est bien sûr Heavy Trash qu’il monte dans les années 2000 avec Matt Verta-Ray. Leur concept consiste à taper dans un agglomérat de country sauvage, de gospel de bastringue et de ramshakle monochrome. Leur premier album sobrement titré Heavy Trash paraît en 2005. Ils optent pour une pochette dessinée qui ne les restitue pas très bien. Mais musicalement, on risque l’overdose. Dès «Lover Street», Jon Spencer blaste son r’n’b et lâche des ouh ! parfaitement justifiés. Il flirte avec le boogaloo pendant que le mate Matt tisse sa toile - Ouh ! - Jon Spencer fonce, comme il l’a toujours fait. Il jerke à la croisée des chemins et mélange Johnny Burnette avec Eddie Floyd. En bonne éponge qui se respecte, il récupère tout et recrache du shuffle de glotte - Sock it to me baby ! - Il enjambe tous les genres. Ce mec n’en finit plus de jouer avec le génie comme le chat avec la souris. Il reprend à son compte tous les effets vocaux d’Elvis dans «The Loveless». Sans problème. Tous ceux qui l’ont vu sur scène ont forcément été frappés par sa classe et une perfection morphologique digne de celle d’Elvis. Avec «Walking Bum», Matt the mate et Jon Spencer roulent sur les plate-bandes du Creedence Clearwater Revival - époque du premier album - le mate Matt nous gave de twang guitar. «Justine Alright» bénéficie d’une petite intro speedée à la Eddie Cochran. Jon Spencer rigole - ah ah ah - et il embraye brutalement sur un killer cut aux paroles mâchées, une espèce de rap country, pendant que Matt the mate place des chorus écœurants de perfection. Jon Spencer attaque tous ses couplets avec cette opiniâtreté bravache qui depuis est entrée dans la légende. Le son de «The Hump» se veut aussi épais que de la purée froide. Jon Spencer y enfonce son dard vocal et avance avec un foudroyant mépris de la résistance des matériaux. «Mr KIA» sonne comme le «What’d I Say» de Ray Charles. Jon Spencer chante ça d’une voix atrocement profonde, en fait un prêche à la Jerry Lee et plane au-dessus de nos têtes comme un vautour. Pendant ce temps, Matt the mate joue comme un dieu. On le voit tirer les cordes de sa Gretsch et en se contorsionnant. S’ensuit «Gaterade», un classique automatique monté sur une petite gamme diabolique. Jon Spencer espace ses phrasés pour laisser Matt the mate descendre sa petite gamme et balancer un solo de fête foraine d’une perfection intangible. Et puis voilà «This Way Is Mine» que Jon Spencer balance avec la ferveur d’un vendeur aux enchères texan sorti d’un film de Robert Altman. À sa parution, ce premier album de Heavy Trash créa l’événement. On savait Jon Spencer parfaitement incapable de sortir un mauvais disque.

             Il est probablement l’un des derniers grands rockers à maîtriser parfaitement le heavy-duty-talking-blues. Matt the mate et lui sont devenus les killers suprêmes. Ils échappent à toutes les catégories. On risque de s’embourber à vouloir décrire l’exceptionnel talent de Jon Spencer. Le problème est qu’il en a trop. 

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             Un second album d’Heavy Trash paraît en 2007 : Going Way Out With Heavy Trash. Encore une pochette dessinée. On les voit courir vers un train à vapeur comme deux hobos à l’ancienne mode, avec leurs guitares et leurs balluchons. Bel album, plein de bonnes surprises. On retrouve la dynamique du groupe sur scène dès le premier cut, «That Ain’t Right», gros solo de Matt the mate, beau son de stand-up et sacrées montées en température. Et en prime, les Sadies les accompagnent. «Double Line» est du typical Jon Spencer. Une vraie insurrection - Ouh ! - et c’est joué garage au prêche abricot. Avec «I Want Oblivion», Jon Spencer fait sa baraque de foire. Ça bat du tambour et il fait la retape, pendant que le mate Matt joue la fuite éperdue. Puis Jon Spencer s’en va croasser comme un vieil alligator dans «I Want Refuge» - I got a love - Et il gospellise. Il s’en va ensuite claquer ses syllabes au micro pour «You Can’t Win» - Another shot transmission/ You can’t win - c’est un heavy groove de boogaloo. Et en B, il revient à son admiration pour Eddie Cochran avec un «Crazy Pritty Baby» monté sur le riff de «Somethin’ Else». Bel hommage. Jon Spencer n’oublie pas la répartie au baryton et Matt the mate veille au sévère cocotage de Gretsch. Ils reviennent (enfin) au rockab avec «Kissy Baby», joliment slappé par un nommé Kim Kix. Wow, quel bop, Bob ! Ils restent dans la pure pulsion rockab avec «She Baby» et nous servent ça sur une rythmique de rêve. Et la fête continue avec «You Got What I Need», un fantastique brouet de slap bass et de bouquets d’accords garnis.

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             Leur troisième album Midnight Soul Serenade sort trois ans plus tard, avec une pochette illustrée, mais cette fois l’ambiance beaucoup plus lugubre annonce le ton de cet album qui bascule dans la sérénade heavily déviante. Dès le premier cut, «Gee I Really Love You», l’air glacial nous saisit. Jon Spencer et Matt the mate créent une ambiance délétère. On assiste ensuite en plein milieu de «Good Man» à un beau démarrage rockab. Jon Spencer et Matt the mate ne semblent s’intéresser qu’aux dynamiques des morceaux. «The Pill» est une mélodie malsaine et Jon Spencer se lance dans le film noir. Avec «Pimento», on passe à la samba du diable. Jon Spencer fait son Tav Falco. L’un des cuts les plus intéressants de cet album restera sans doute «(Sometimes You Got To Be) Gentle». Voilà une belle pièce d’exaction intrinsèque à la fois collante et abrasive, jolie et grandiose et pleine de rebondissements. On y sent de l’ambition. Ah look out ! Jon Spencer lance «Bedevilment» comme s’il jouait avec le JSBX et revient à ses vieilles concassures de rythme. Et le reste de l’album s’écoule paisiblement, sans que rien ne vienne chasser les mouches. 

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             Tiens ! Un nouvel album de Heavy Trash ? Matt the mate qui est le plus gentil des Canadiens nous avertit :

             — Ce ne sont pas des chansons... Ce sont des expérimentations.

             — What do you mean ? Oh pardon, qu’est-ce tu veux dire ?

             — On a expérimenté des sons en studio....

             — Mais quoi comme son, du rockabilly ?

             — Ouais, mais il y a aussi Stockhausen...

             — Oh la la !

             L’album s’appelle Noir, noir comme le café, dit Jon Spencer. Il traite de la question des cheveux dans «Good Hair», le cut d’intro, sous un faux air lagoyesque - beautiful hair, black like coffee - Franchement, ce premier cut est de nature à faire tomber de cheval n’importe quel desperado, mais il faut s’armer de patience, car ce disque réserve de belles surprises. Les cuts qu’il propose sont en effet des expérimentations enregistrées sur une période de dix ans et par moments, on a clairement l’impression de se trouver dans le studio avec Matt the mate et Jon Spencer, car l’esprit de ce disque se veut intimiste. On assiste au grand retour du format chanson avec «Wet Book» doté de la meilleure dynamique qui soit ici-bas. Ils claquent ça dans l’épaisseur de l’ombre et un sax vole au secours de la montée de fièvre. Jon Spencer sue la soul par tous les pores de sa pop. On revient à l’étrangeté avec un «Out Demon Out» qui ne doit rien à Edgar Broughton. Car ça slappe sec derrière ce mélange de talking jive et de clap-hands de Joujouka. Jon Spencer vise le cœur de la scansion. Le cut tourne au cauchemar, tellement le son de slap le bigarre. Au loin, des voix d’écho perdurent à n’en plus finir. Ce côté expérimental est d’autant plus troublant que Jon Spencer s’est montré tout au long de son parcours le plus carré des hommes. Tous les morceaux de cet album sont captivants, même «Viva Dolor» cette jolie pièce de pianotis de fin de nuit si douce à l’intellect. Matt the mate et Jon Spencer renouent avec le petit rockab ouaté en cuisant «Blade Off» à l’étouffée. Jon Spencer tape du pied et fait son strumming. Il ouh-ouhte de temps en temps, histoire de signaler son choo-choo aux passages à niveaux. Ils ouvrent le Bal des Laze de la B avec un «Pastoral Mecanique» d’orgue de barbares égarés et hagards, tels qu’on peut en voir au soir du sac d’une ville. Les sons s’échangent et relayent l’extase de l’ombilic des limbes. Comme deux compagnons d’aventures, Matt the mate et Jon Spencer brillent ardemment au soleil noir de l’expérimentation - This is pure heavy trash - Et puis voilà «Discobilly», un rockab déviant et gondolé. Ils brassent leur beat et ça frôle le mambo d’Alcatraz. Ça tombe en décadence d’Empire romain et ça glisse doucement vers le couchant. Avec «Jibber Jabber», Jon Spencer joue avec la musique des mots. Il raconte à sa façon l’histoire du rock, en partant de Big Bopper pour remonter jusqu’à Jimi Hendrix, Mama Cass et Jim Morrison - What happens to the real rock’n’roll heroes ? - Jon Spencer joue à merveille de cette diction blackoïde de nez pincé - Rock on my brother/ Rock’n’roll my sister/ And get down - Ils font ensuite une belle reprise de Johnny Cash, «Leave That Junk Alone», puis ils passent au relativisme écarlate avec «Notlob» et bouclent leur petite affaire avec un «Last Saturday Night» gratté au bord du fleuve et humé au glou-glou. Quelle bonne compagnie ! Jon Spencer miaule et substitue l’intention au chant, tout simplement. Il n’a pas besoin de paroles. Mais oui, il a raison. Pourquoi s’épuise-t-on à vouloir écrire des paroles ? 

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Pussy Galore. Exile On Main Street. Shove Records 1986  

    Pussy Galore. Right Now. Caroline Records 1987

    Pussy Galore. Sugarshit Sharp. Caroline Records 1988

    Pussy Galore. Dial M For Motherfucker. Caroline Records 1989   

    Pussy Galore. Historia De La Musica Rock. Rough Trade 1990

    Pussy Galore. Live In The Red. In The Red Recordings 1998

    Pussy Galore. Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body). Shove Records 1986

    R.L. Burnside. A Ass Pocket Of Whiskey. Matador 1996

    Gibson Bros. Memphis Sol Today. Sympathy For The Record Industry 1993

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Spencer Dickinson. Toy’s Factory 2001

    Five Dollar Priest. Five Dollar Priest. Bang Records 2008

    Boss Hog. Cold Hands. Amphetamine Reptile Records 1990

    Boss Hog. ST. DGC 1995

    Boss Hog. Whiteout. City Slang 1999

    Boss Hog. Brood Star. Bronze Rat Records 2016

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    Boss Hog. Brood X. In The Red Records 2017

    Heavy Trash. Heavy Trash. Yep Rock 2005

    Heavy Trash. Going Way Out With. Crunchy Frog Recordings 2007

    Heavy Trash. Midnight Soul Serenade. Crunchy Frog Recordings 2009

    Heavy Trash. Noir ! Bronzerat Rat Records 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Cher Usher

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             Le voisinage a-t-il joué un rôle important dans l’histoire du rock ? Dans le cas de Gary Usher, oui. Il vit à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles, et un jour, il entend de la musique dans la rue. Oh, mais ça vient de chez les Wilson ! Alors il va voir. Et pouf, il devient pote avec les trois frères Wilson, et plus particulièrement avec l’aîné, Brian. Les voilà copains comme cochons, et plutôt que de feuilleter des revues porno comme le font tous les autres copains comme cochons, ils composent une chanson ensemble, le fameux «409» qui en 1962 va se retrouver sur le deuxième single des Beach Boys. Mais Marty, le père Wilson, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un étranger dans un biz qu’il voit plus familial. Alors il vire Usher.

             Ce qui ne l’empêchera pas de devenir l’un des personnage clé de la scène californienne et devenir aussi légendaire que vont l’être Nick Venet, Kim Fowley ou Terry Melcher. Comme Brian Wilson, Gary Usher est l’un des pionniers de la surf culture. Cet auteur compositeur/producteur/chanteur/guitariste sera l’un des premiers collaborateurs de Brian Wilson. À cause de Marty, ils se voient en cachette. En 1963, ils composent ensemble «In My Room». Usher a aussi pas mal d’accointances avec Dennis, le petit frère de Brian, qui bat le beurre avec lequel il part en virée à Tijuana, en quête de «local action». On retrouve encore ce cher Usher aux côtés de Dick Dale, Jan & Dean, the Peanut Butter Conspiracy, Chad & Jeremy et bien sûr Curt Boettcher, avec lequel il monte Sagittarius. En 1963, il est engagé comme producteur par Challenge Records, mais à l’époque, le rôle de producteur n’est pas clairement défini. Il s’agit surtout pour le producteur de veiller à deux choses : tenir le budget et veiller à ce que tout le monde soit à l’heure dans le studio, interprètes comme musiciens. Le jeune Usher qui apprend vite. En parallèle, il enregistre. C’est sa période surf craze, drag & hot-rods.

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             Sur la compile que lui consacre Ace, Happy In Hollywood - The Productions Of Gary Usher, on trouve l’un de ses groupes de surf craze, The Hondells, avec un «Show Me Girl» signé Goffin & King, pur jus d’On The Beach, ils sont dedans jusqu’au cou. Pour enregistrer «Just One More Chance», ce cher Usher s’entoure des meilleurs : Glen Campbell, Dick Burns et Curt Boettcher. Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qui se passe sous les jupes des deux albums des Hondells, Go Little Honda (1964) et The Hondells (1965).

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    Ce sont deux fantastiques albums de surf craze, dans le même esprit que les premiers albums des Beach Boys. D’ailleurs, c’est Brian Wilson qui signe «Little Honda». Vroom vroom, toute l’énergie est déjà là. Ils font du classic surf avec «A Guy Without Wheels», bien sabré du champ et ce cher Usher signe cette merveille nommée «The Wild One», qui a du Beach Boys sound plein l’élan.

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    Le «Black Denim» qui ouvre le balda du second album est encore un fantastique pulsatif. Le hit de The Hondells s’appelle «My Buddy Seat», pur jus de Beach Boys craze, c’est même assez wild. Ces deux albums sont un vrai festival de joie de vivre et de grande précision guitaristique. Bien sûr, les Hondells roulent en Honda.

             Comme son ami Brian Wilson et d’autres visionnaires, ce cher Usher va évoluer rapidement et devenir l’un des producteurs les plus recherchés de son temps. On le connaît surtout comme producteur des Byrds. Il va produire trois de leurs albums, Younger Than Yesterday, Sweetheart Of The Rodeo et The Notorious Byrd Brothers. Le babal de cette compile s’ouvre sur «Lady Friend». Apoplexie garantie. C’est explosé de son, wow my Gawd, ce sont les Byrds, ils te chatouillent bien la rate, c’est joué au max de l’Usher Sound System, au plein son du plainsong, même niveau que Spector, mais c’est encore autre chose. En tous les cas, les Byrds volent très haut. Sans prod, pas de Byrds. Sans Totor, pas de Righteous brothers ni de River Deep. Les Byrds enregistrent «Lady Friend» en 1966. Gene Clark a déjà quitté le groupe. Croz et McGuinn ont engagé leur petit bras de fer. Kingsley Abbott qualifie «Lady Friend» de one of the Byrds’ crowning glories. Il parle aussi d’une prod scintillante, forcément, avec les Byrds, ça ne peut que scintiller, c’est leur fonds de commerce. Mais Croz refait les vocaux en douce, ce qui lui vaudra, en plus de son comportement au Monterey Festival, d’être viré du groupe. On trouve plus loin un autre cut des Byrds, «You Ain’t Going Nowhere», une cover de Dylan, jouée country upfront et chantée à la pure perfe, ça flotte dans l’ouate californienne, tout là-haut. C’est l’époque Sweetheart Of The Rodeo, Croz, Michael Clarke et Gene Clark sont partis et, nous dit Abbott, les Byrds sont devenus méconnaissables. Hillman et McGuinn recrutent Gram Parsons. Ce cher Usher descend à Nashville avec eux et reconnaît que l’ami Gram a du charisme. Trop. McGuinn veille à ce que Gram ne prenne pas le pouvoir. Le jeu consiste pour Usher à établir un équilibre entre McGuinn, Hillman, Gram et lui. Mais quand Sweetheart Of The Rodeo paraît, Gram a déjà quitté le groupe. Il aime trop sa liberté.

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             On reste dans la magie des Byrds avec Gene Clark et «So You Say You Lost Your Baby». Ça reste du très haut niveau. Fabuleuse présence que celle de Gene Clark, il est le psychedelic king of California. Usher va produire l’excellent Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’un des albums phares de cette époque. Petite cerise sur le gâtö : Tonton Leon signe les arrangements de «So You Say You Lost Your Baby». Les Gosdin, ça ne te rappelle rien ? Mais oui, un autre Gary, le Paxton. On est ici dans la galaxie des producteurs surdoués : Gary Usher, Gary S. Paxton, Brian Wilson. On reste dans le cercle magique avec Saggitarius et «My World Fell Down», une pop qui rivalise avec celles des Beatles et de Brian Wilson. Le power californien te jette dans le mur. Cut mouvementé : on assiste à quelques épisodes et ça repart à l’explosion. Notre cher Usher voyait Saggitarius comme un projet solo, mais il va le développer avec Curt Boettcher, l’autre surdoué de service. Sur «My World Fell Down», Glen Campbell chante lead, Bruce Johnston et Terry Melcher font les harmonies vocales.

             Tiens, une autre vieille connaissance : Keith Allison, avec l’énorme «Louise». Il est fabuleux, on peut même le couronner King of the Californian Hell, il claque sa Louise au heavy gaga. Notre cher Usher rappelle que Keith Allison et Terry Melcher sont de très bons amis à lui. Comme chacun sait, l’Allison ira rejoindre les Raiders et il montera un backing-band pour ses vieux amis Boyce & Hart. Sur cette compile détonante, on trouve pas mal de fast pop ultra-produite (The Wheel Men avec «School Is A Gas» et The Spiral Starecase avec «Baby What I Mean»). Usher produit aussi Chad & Jeremy qu’on trouve ici sous la forme de Chad Stuart & Jeremy Clyde avec un «Sunstroke» envahi par les sitars. Chad & Jeremy sont des florentins florissants intéressants, il paraît logique qu’ils traînent dans les parages d’un maître florentin comme Gary Usher, le Michel-Ange de la pop californienne. Par contre, Chuck & Joe sont deux mecs des Castells qui se prennent pour les Righteous Brothers. Ils montent tellement en neige l’«I Wish You Don’t Treat Me So Well» qu’il devient vertigineux. On retrouve les Castells un peu plus loin avec «An Angel Cried», et là, on entre dans le territoire des Four Seasons, avec de fantastiques harmonies vocales, notre cher Usher monte ça en ultra-neige, on serre bien fort la pince d’Ace pour dire merci, car «I Wish You Don’t Treat Me So Well» et «An Angel Cried» sont des hits immémoriaux. Sans Ace, ils seraient passés à l’as. On peut faire entrer le «Shame Girl» des Neptunes dans la même catégorie. Pour monter ce coup, notre cher Usher rassemble le Wrecking Crew. Tonton Leon fait partie de l’aventure. Encore un hit mystérieux, celui des Forte Four avec un «I Don’t Wanna Say Goodnight» signé P.F. Sloan. Tout n’est que mystère dans les ténèbres de la Maison Usher. Pourquoi tous ces hits n’ont-ils pas explosé au grand jour ?

              Jusqu’au bout, notre cher Usher défend l’esthétique des Beach Boys : avec le «Catch A Little Ride» des Surfaris, il continue de produire cette pop ultra-énergique drivée par les bagnoles au c’mon c’mon. Phénomène typiquement californien. Gary Usher découvre aussi les Sons Of Adam et s’intéresse assez à eux pour les emmener en studio, mais ça ne se passe pas très bien, nous dit Abbott, car ce cher Usher est un florentin qui cherche sa voie, alors que Randy Holden et son gang ne rêvent que d’une chose : retrouver le raw scénique, alors ça ne colle pas. Ils parviennent toutefois à enregistrer «Take My Hand», un beau slab de wild gaga. Notre cher Usher en profite pour envoyer les guitares rôder au fond du son. Abbott pense qu’Usher aurait pu être en avance son temps, «ahead of the psych game, mais il n’avait pas trouvé le bon groupe».

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             Vient de sortir dans le commerce une compile des Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961966. Chacun sait que le groupe fut baptisé par Kim Fowley, comme l’indique Michael Stuart-Ware, le futur batteur de Love, dans On The Pegasus Carousel With The Legendary Rock Group Love. On retrouve bien sûr l’excellent «Take My Hand» sur cette compile. Et d’autres merveilles, comme cette cover des Yardbirds, «You’re A Better Man Than I», qu’ils répliquent à la perfection, comme le fit en son temps Todd Rundgren avec «Happening Ten Years Time Ago» sur Faithfull. Les coups de génie se planquent à la fin, «Everybody Up» et «Highway Surfer». Deux bombes atomiques ! Moloch bouffe le surf craze tout cru. Moloch, c’est Randy Holden. Il tape sa craze à l’extrême. Il est le wild guitar slinger de la West Coast, il joue au big day out, comme Dick Dale. L’avantage de cette compile est qu’on voit Randy Holden revenir à ses racines, le surf. Il fait encore des ravages avec «Lonely Surf Guitar», c’est comme s’il s’enfonçait dans la craze, ça va vite l’enfoncement, d’autant qu’il noie ça de relents d’écho. Il fait aussi pas mal de Californian Hell avec «It Won’t Be Long» et «Saturday’s Son», enregistrés live à l’Avalon en 1966. Le groupe avait un potentiel énorme, ils généraient une fantastique élongation du domaine de la lutte, ils sonnaient même comme les Byrds avec «Saturday’s Son». Encore une cover des Yardbirds : «Evil Hearted You». Ils développent une énergie considérable et bouclent le show de l’Avalon avec une cover de «Gloria» qui tape en plein dans le mille, ils n’ont pas la voix, mais le wild passe dans le jeu. La deuxième partie de la compile est une série de singles et d’outtakes : les cuts de surf craze évoqués plus haut, et l’excellent «Tomorrow’s Gonna Be Another Day», un wild gaga d’antho à Toto. Tu y vas les yeux fermés. Ils expédient aussi leur «Feathered Fish» en enfer et le carbonisent à coups d’I don’t know. Nouvelle rasade de punch suprême avec «Baby Show The World» et avec «Mar Gaya», Randy Holden attaque sa capiteuse croisade de surf craze.

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             Encore un épais mystère : The Guild avec «What Am I Gonna Do», un heavy slowah traîné dans la boue argentée. Les Guild arrivent à appâter ce cher Usher en lui envoyant une cassette bourrée de covers des Beach Boys, alors évidemment, il mord à l’hameçon et vient les voir jouer dans l’Illinois. Ils est knocked outed : «The Guild sang Beach Boys songs far better !». Le chanteur Tom Kelly va même se porter candidat et auditionner pour le remplacement de Brian Wilson. Il est si bon que Carl Wilson veut l’embaucher on the spot. Et bien sûr, ce surdoué de Tom Kelly va disparaître, Abbott donne quelques infos, mais rien de très mémorable. On parlait du loup, alors le voilà : Brian Wilson avec «Let’s Go To Heaven In My Car». Les sessions pour l’album Sire de Brian Wilson vont durer trois ans, nous dit Abbott, mettant la patience de tout le monde à rude épreuve, notamment celles d’Andy Paley, de Russ Titelmann et de Lenny Waronker. Co-écrit par Usher et Brian, «Let’s Go To Heaven In My Car» est tout de suite au carré d’un certain carré, the Californian Wizard Of Oz s’agite dans son espace vital, quel power ! On pourrait même dire : trop de power ! Après le passage pénible des Peanut Butter Conspracy (ce cher Usher ne s’entend pas avec les hippies de San Francisco et c’est réciproque), Abbott finit sa compile en beauté avec California, le projet monté par Gary Usher avec Curt Boettcher. C’est le cut qui donne son titre à la compile, «Happy In Hollywood». Belle façon d’entrer dans le mythe de la pop californienne, ils sont tous là, Curt Boettcher, Chad & Jeremy, Bruce Johnston, c’est la pop de biais du génie pur. Rien d’aussi biaisé là-haut dans le firmament. 

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             En 1970, Gary Usher rend un bel hommage à son ami Brian Wilson avec un album d’instros intitulé A 1970 Symphonic Salute To The Great American Songwriter Brian Wilson, que Poptones a eu la décence de rééditer en 2001. Merci Joe Foster. C’est un album très spécial, ultra symphonique. Comme le dit si bien l’ami Foster dans les liners, better late than never, surtout quand on peut se régaler de la bossa nova de «Busy Doin’ Nothin’». Usher se fait aider par Curt Boettcher et Keith Olsen. Back to the cœur du mythe avec «Pet Sounds». L’excellence symphonique à l’état le plus pur. L’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il propose ensuite un medley «Fall Breaks & Back To Winner/Good Vibrations/Heroes & Villains» gorgé d’atonalités. Quand Brian compose «God Only Knows», il sait de quoi il parle. Power dément, on est au paradis. On reste dans les nuages avec «Please Let Me Wonder». Ce sont les grandes pompes, alors forcément on biche. Toute cette belle aventure se termine avec «In My Rom», l’un des fils mélodiques les plus purs de l’histoire du rock, et les vagues de violons aggravent encore les choses, ça bascule dans un gros shakeout astronomique digne, comme le rappelle Joe Foster, de Gershwin.

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             Les fans d’Usher se sont jetés sur Beyond A Shadow Of Doubt comme des requins sur des naufragés d’une bataille navale. Il faut savoir que sur cet album béni des dieux, Usher chante et Dick Campbell compose. On en profite pour saluer au passage Gene Sculatti sans qui Dick Campbell serait resté un parfait inconnu. Si on aime la pop paradisiaque, alors on est gâté avec «Grey Soft Black & Blue». Belle pureté d’intention, et assez mirifiquement orienté vers la lumière dans ce qu’elle peut avoir de plus aveuglant. On reste dans l’expression du génie mélodique avec «Sleepy Land», Dick Campbell et Curt Boettcher font des backing vocals. On a là une merveille de pop transie à la Brian Wilson, une pop qui grelotte de beauté sous le soleil exactement. Au fil des cuts, Usher développe une énergie de la beauté pure, comme le montre encore «Ships», ce fabuleux envol de heavy pop. Pas besoin de littérature, la musique parle toute seule. Elle est même assez toxique, au bon sens du terme. Comme Brian Wilson, Usher embarque ses amis les auditeurs dans une dimension du rêve mélodique. Avec «Everything Turns Out Right», Usher vire pychedelic et c’est une merveille insupportable. Les cuts de pop lourde et lente se succèdent jusqu’à plus soif, «So Long» est une chanson tellement parfaite qu’elle explose tout doucement et atteint tous les sommets qu’on voudra bien imaginer. Attention, il y a des bonus et ils nous réembarquent aussi sec pour Cythère. Avec «Slippin’», pas besoin de Brian Wilson, on a notre cher Usher. Il est en plein dedans. Magie du jour naissant. S’ensuit un «We May Like It Yet» joué au gratté d’arpèges californiens, avec une voix burinée par le soleil couchant, ça sent bon les drogues du paradis, il suffit d’écouter notre cher Usher pour le comprendre. Avec «Walk A Mile», il fait une pop d’early morning avec my love for you. Il y va de bon cœur. C’est vraiment très pur. Belle pop de walk in the grass. On en trouve d’ailleurs deux versions. Toute cette belle virée paradisiaque se termine avec «Go Rachel Go», gratté au heavy power d’acou dylanex, et Usher l’explose. Thank God pour cette pop d’Usher. 

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             En 2008, Sundazed arrachait Gary Usher à l’oubli en sortant un double album intitulé Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Il s’agit bien sûr de surf-music des early sixties, bien secouée du cocotier. Là-dedans, tout est pulsé au meilleur son d’époque et notamment «Cheater Slicks» un hit primitif ravagé par un solo d’orgue et des clap-hands. Ces mecs avaient comme les Beach Boys un sens aigu du juke, turn on ! Ah ah ah, il rit comme un pirate. Ce qui frappe le plus dans tout ce délire, c’est l’énergie. C’mon cher Usher, son «CC Cinder» file ventre à terre. On assiste à une extraordinaire résurgence de heavy beat dans «The Chug-A-Lug». On s’effare de tant d’énergie et de la virulence du solo de sax et on se prosterne jusqu’à terre devant toute cette débinade de surf craze. Ils jouent «Soul Stompin’» au dératé et piquent une belle crise de fever dans «Power Shift». Le disk 2 s’ouvre sur un «Wax Board And Woody» digne des early Beach Boys, ils se gargarisent de ce tagada early sixties. Le hit s’appelle «RPM». Avec Hal Blaine on drums et ce solo d’orgue, c’est imbattable. S’ensuit un «Barefoot Adventure» pulsé par une énergie démente, let’s go surfin’ ! On tombe plus loin sur un «Coney Island Wild Child» qui ne doit rien à Lou Reed, mais qui est explosé de petits cris délinquants. C’est embarqué vite fait, les Californiens savent envelopper un bonbon. Et petit à petit, ça vire pop, une pop un peu barrée. The teenage blonde Ginger Blake chante «You Made A Believer Out Of Me» et c’est tapé au fin du fin de l’Usher sound. On le retrouve ensuite dans «Waiting For The Day» où elle gueule tout ce qu’elle peut, et elle est dessus. Il faut savoir que Ginger Blake fait partie d’un trio vocal, the Honeys avec ses cousines Marilyn et Diane Rovell. Ginger est la girlfriend d’Usher et grâce à eux, Marilyn va rencontrer Brian Wilson et l’épouser.

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             Si on s’intéresse à Gary Usher, on ne perdra pas son temps à écouter l’album des Kickstands, Black Boots And Bikes, enregistré en 1964 et réédité par Sundazed. On est en plein dans le son des early Beach Boys, avec le session wiz Jerry Cole. Et comme Earl Palmer fait partie de l’aventure, c’est battu à la diable. On le voit battre tout ce qu’il peut battre dans «Hill Climb». «Mean Streak» sonne comme un hit des Beach Boys et Jerry Cole joue son gut out sur «Side Car». Mais attention, c’est avec «Two Wheel Show» que tout explose. Jerry Cole défonce la plage, ça outrepasse l’espace, ça dégomme le chamboule-tout du Beach craze. Il y a là-dedans plus de punk attitude que dans toute la vague punk anglaise, la violence est sous-cutanée, amenée aux clap-hands et au venin de Jerry Cole. On assiste à un fantastique démontage de la gueule du rock, Beach Boys to no avail. «Haulin’ Honda» pourrait bien être l’instro préféré du diable. Jerry Cole entre dans le son avec un gusto qui devrait servir de modèle à tous les guitaristes. Ah tu voulais en croquer, alors vas-y croque.

    Signé : Cazengler, qui vaut pas (U)sher    

    Happy In Hollywood. The Productions Of Gary Usher. Ace Records 2022

    Gary Usher. A Symphonic Salute To The Great American Songwriter BW. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Beyond A Shadow Of Doubt. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Sundazed Mucic 2008

    Kickstands. Black Boots And Bikes. Capitol Records 1964

    The Hondells. Go Little Honda. Mercury 1964 

    The Hondells. The Hondells. Mercury 1965

    Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961-1966. High Moon Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Taj in & Ry complet

     

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             Longtemps l’avenir du rock ne s’est pas couché de bonne heure mais plutôt levé de bonne heure dans les montagnes du Haut Atlas. Il adorait se rendre au Maroc pour y savourer la musique berbère, comme le fit en son temps Brian Jones, qui soit dit en passant, reste le chouchou numéro un au hit parade local. Alors attention, la musique berbère n’est pas celle qu’on croit, en tous les cas, pas celle qu’on entend dans les restaurants de Marrakech ou qu’on achète à la FNAC sur des petits labels branchés de musique world. Comme le fit en son temps Brian Jones, l’avenir du rock s’est rendu à dos de mule dans des villages isolés de la montagne, car c’est là, loin des villes, des magasins et des touristes, qu’on la joue. Et on ne la joue pas sur des guitares électriques, mais sur des instruments à cordes qui remontent à l’antiquité, et sur les fameux tambours berbères qu’on tient à la verticale par le pouce de la main gauche et qu’on frappe en rythme du plat de la main droite. Et puis bien sûr les chants, dans la meilleure des traditions orales. Puisque chez les Berbères jouer est une fête, le maître de cérémonie invite chaque convive à apprendre les paroles des chants traditionnels, souvent très simples et bien sûr allégoriques, les traduisant au passage pour que le convive sache de quoi il s’agit, à la suite de quoi il peut se joindre aux chœurs du village et vibrer avec tous ces gens magnifiques à l’unisson d’un saucisson qui remonte à la nuit des temps. Ces chants n’existent que dans les villages et l’avenir du rock en savourait chaque fois l’extraordinaire valeur sacrée. Si d’aventure la petite caravane qui emmenait l’avenir du rock vers son destin ne traversait pas un village, on installait un bivouac dans la montagne. Le cuisinier qui était la réincarnation pasolinienne de Charlie Chaplin préparait alors le thé à la menthe, puis épluchait quelques légumes pour préparer le meilleur plat du monde, le tajine berbère, après quoi l’avenir du rock et ses compagnons d’aventures Taj in et Ry complet se réunissaient autour du feu pour entonner les chants berbères dont ils connaissaient désormais les paroles par cœur.     

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             Le nouvel album de Taj & Ry n’est pas à proprement parler un album de chants berbères, mais, d’un point de vue mythique, c’est tout comme. Taj in & Ry complet repartent du vieux Get On Board de Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan paru en 1952, sur Folkways, un album célèbre qui captait bien l’esprit du folk et du blues d’une époque qui est celle des «pionniers noirs» de l’après-guerre. Taj in & Ry complet s’arrangent pour faire sonner leur album comme s’il était enregistré dans une cabane branlante et non dans un studio moderne. C’est presque réussi, mais on se sent pas les dents branlantes et la bloblotte occasionnées par la sous-alimentation. Ils cassent aussitôt la baraque avec «Packing Up Ready To Go», un fantastique rumble tiré des profondeurs de profundis, arraché aux ténèbres de la conscience asservie, ça sent le tribal du travail forcé. Des forces profondes remontent à la surface. Que peux-tu espérer d’autre qu’un coup de génie de la part de ces deux vieux crabes ? Pareil avec le cut d’ouverture de bal, «My Baby Done Changed The Lock On The Door», ils chargent la barcasse dès la première mesure, Taj in est en colère, cette salope a changé la serrure de la porte, alors il enrage, et derrière Ry complet fait le fantôme d’Elseneur, c’est l’un des géants de cette terre, il te vole dans les plumes avec un son des enfers. Tu te doutais bien qu’ils allaient te casser la baraque, mais pas à ce point. Ils tapent «The Midnight Special» à la concorde du coin du feu, Ry complet chante d’une voix blanche et Taj in passe des coups d’harmo du Mississippi, c’est plein de vieux jus, on a là un album de fieffés musicologues. Tu vis un moment exceptionnel. Ils n’en finissent plus de rootser les roots. Ils passent au heavy blues avec «Deep Sea River», mais un heavy blues de rootsy roots. Dans les liners, Taj in exulte : «C’est incroyable, après tout ce qui a été dit et fait, après qu’on ait joué long and hard enough, on s’est mis d’accords tous les deux, you Ry, me Taj, pour devenir the modern day exponents de ces très vieux musiciens et styles de musiques dont nous sommes tombés deeply in love quand on était des jeunes Turcs enthousiastes, voici sept décennies.» Et il ajoute : «Brownie McGhee & Sonny Terry, Rev Gary davis ! Un trio de Blues Rascals (si une telle chose existe) are shoulders on which we now stand and build upon.» Taj in a raison d’exulter ! Il faut entendre leur version chantée à deux voix de «Pick A Bale Of Cotton», fabuleux stomp de cotton patch blues - Big! Big! Big fun/ Loose n’tight/ Crazy ‘bout the/that rhythm/ Cause it’s ragged but right ! - Ils font le «Drinkin’ Wine Spo Dee O Dee» à la Tom Waits, Taj in chante à la glotte de mineur silicosé. Diable, on s’inquiète : qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ces vieux crabes s’enferment dans le deepy deep. Ils allument «Cornbread Peas Black Molasses» à coups d’harmo. Ils y vont de si bon cœur. Ils terminent cet album impressionnant avec «I Shall Not Be Moved» qu’ils chantent à deux voix dans l’enfer du paradis d’une très vieille Americana toute noire. C’est Ry complet qui a le mot de la fin : «Quand tu es jeune, tu peux tomber sur quelque chose qui va ouvrir ton esprit aux mystères et aux possibilités. Ça peut être un chesseburger sur la plage, une balade dans une décapotable la nuit, un livre ou alors un disque, oui, j’ai dit un disque. Dans mon cas, il s’agissait d’un 10’’ Folkways, Get On Board, by the Folk Masters, avec Brownie McGhee, Sonny Terry and the elusive Coyal McMahan. J’aimais bien les 10’’ Folkways, ils étaient différents, mystérieux, ils semblaient dire : ‘Ici, vous trouverez ce que vous cherchez.’ Folk-blues voulait dire une musique destinée aux gens normaux, avec des instruments acoustiques, des rythmes faciles, les paroles sensées. Blind Lemon Jefferson était trop triste, Howlin’ Wolf was out of contreol, Wynonie Harris avait l’esprit trop tordu. Le Folk Blues n’avait pas de double sens, pas de secret race subtext to worry about.» Ry complet explique ensuite qu’il a acheté ce 10’’ à l’âge de 12 ans, au Children’s Music Center in downtown Los Angeles, et qu’il l’écoutait chez lui, au grand ravissement de ses parents. «J’ai lu les notes de pochette, les paroles des chansons, j’ai mémorisé chaque note de musique, je pouvais jouer les chansons sur ma guitare en les écoutant. J’ai découvert le jeu de Brownie, j’ai appris ses bass runs et sa façon de jouer du pouce et des doigts. Maintenant que j’ai 76 ans, je les joue encore mieux. J’ai aussi compris que Sonny Terry fonctionnait comme un arrangeur, quelle invention, quelle puissance ! Il est le George Frederick Handel de l’harmonica, ça ne fait pas de doute. Get On Borad a été enregistré à l’apogée de l’ère McCarthy : bad times + good music = always a winning combination. Taj and I have lived and worked in this music, from those times forward. On espère vous apporter the best. We’re the old timers now.» Fantastique profession de foi. Dans sa critique très élogieuse, Terry Staunton parle d’un «loose, laconic labour of love». C’est la raison pour laquelle il faut écouter Get On Board.

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             Le fin du fin serait d’écouter à la suite le fameux 10’’ qui a révolutionné la cervelle du jeune Ry complet. On peut choper ce Folkways 1952 en bon état pour un prix convenable. Sur la pochette, Sonny Terry fout un peu la trouille avec son œil crevé. Le son du Get On Board original est d’une pureté absolue, Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan te claquent un Midnight special/ Shine a light on me assez puissant, bien calé dans ses rootsy roots. On s’effare de l’extrême qualité de l’«In His Case», le big gospel blues de Lawd, c’est de la pure black Americana. À ce petit jeu, ils sont imbattables. C’est une Americana qui n’est pas faite pour les petits culs blancs. En B, ils tapent le vieux «Pick A Ball Of Cotton» en mode hot shuffle, ils font du chain gang avec des renvois de chœurs de l’aube des temps. Pour l’époque, il s’agissait d’un album d’une grande modernité, à cheval sur le folk, le gospel et le blues. Ils sont intenses les pépères, pas étonnant que d’autres pépères leur rendent hommage.

             Dans Uncut, Terry Staunton rappelle que Taj in et Ry complet ont démarré ensemble dans les Rising Sons. C’est important de le savoir. Formés en 1964, les Rising Sons enregistrèrent un album qui n’est sorti qu’en 1992, soit quasiment trente ans plus tard. On y revient prochainement, car il faudra bien rendre hommage à ces deux mighty wizards.

    Signé : Cazengler, Tajine berk-berk

    Taj Mahal & Ry Cooder. Get On Board. Nonesuch 2022

    Sonny Terry & Brownie McGheee & Coyal McMahan. Get On Board. Folkways Records 1952

     

     

    Inside the goldmine

    - Swell Maps on the map (Part One)

             Avec sa dégaine de bureaucrate, sa veste à carreaux, son pull jacquard à losanges et à col en V, Zozo ne payait pas de mine. Il avait en plus le cheveu rare, d’une couleur improbable, une lippe pendante au-dessus d’un menton fuyant et ces lunettes horribles qu’on appelait à l’époque les «montures sécu». Il n’avait décidément rien d’un sex symbol, hormis ses deux petits yeux bleus. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Sous ces faux airs de toquard se planquait le mec le plus rock’n’roll du secteur. Il avait même mille longueurs d’avance sur les tenants du titre, tous ces mecs favorisés par la nature, qui avaient une bite à la place du cerveau et qui ne juraient que par Birthday Party et Hüsker Dü. Zozo s’asseyait couramment à la grande table conviviale pour trinquer à l’apéro, un apéro qui dégénérait systématiquement en nuit blanche, à longueur de bavasseries interminables et plus soûlantes encore que ces packs de bières qu’on descendait mécaniquement, et au matin, alors que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux des fenêtres, Zozo se levait d’un bond, réajustait son col de chemise et, d’une voix à peine esquintée par des heures de bavasserie, il lançait : «Salut les gars, c’est l’heure qu’j’aille au boulot !». S’il s’intéressait au rock, c’est uniquement parce qu’il fréquentait des gens de sa famille passionnés de rock. Lorsque pendant le week-end, on passait l’après-midi avec lui, et qu’il roulait des joints avec la beuh de son jardin, il ne passait qu’un seul et unique album, toujours le même, Never Mind The Bollocks. Il fallait élever la voix pour alimenter la conversation. Une autre fois, en plein cœur d’une nuit extrêmement arrosée, on le vit mettre les enceintes de la chaîne sur le rebord de fenêtre de la cuisine et il envoya le «400 Bucks» du Reverend Horton Heat arroser le voisinage, pendant qu’il se livrait dans le jardin à la plus impressionnante des crises de danse de Saint-Guy. Zozo disposait en outre d’une qualité qu’on croise rarement chez les oiseaux de nuit : la capacité de redémarrer en côte, au terme des trois premiers rounds que sont l’apéro, les vins servis pendant le repas, et les cerises à l’eau de vie après le repas. C’est là que ça se passait, au cœur de la nuit blanche, avec le quatrième round, lorsqu’on ramenait d’autres bouteilles bien plus redoutables sur la table et que bon nombre de participants avaient sombré dans les abysses. Zozo qui se trouvait toujours installé en bout de table remplissait de grands verres de rhum ou de whisky, et avec une énergie surnaturelle, il s’adressait aux derniers survivants pour relancer brutalement une conversation menacée d’inintelligibilité. Et ça allait loin car du même coup, il réveillait des interlocuteurs luttant contre la somnolence. La conversation reprenait comme si personne n’avait rien bu. Et Zozo n’en finissait plus de remplir les verres.

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             Nikki Sudden et son frère Epic font en 1978 exactement ce que fait Zozo au bout de la table : ils redémarrent en côte. Ces deux fans de glam eurent l’idée de redémarrer le punk en montant un groupe d’äfter-punk avec des copains du quartier. Ils mirent Swell Maps on the map. Zozo et Swell Maps puisent à la même source : la grande intelligence.

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             Hugh Gulland en fait six pages dans Vive Le Rock. Vas-y Hugh, on est avec toi ! En fait, c’est le bassman Jowe Head qui alimente le buzz autour de Swell Maps, avec un book à paraître, et une compile, Mayday Signals, dont on va parler un peu plus bas. Selon Jowe Head, on disait de Swell Maps à l’époque «qu’ils se diversifiaient tellement qu’ils semblaient se désintégrer». Mais heureusement, «leur sensibilité commune recollait les morceaux». Jowe Head est fier de rappeler qu’ils n’étaient pas comme tous ses groupes qui à l’époque se faisaient un «fast buck avec un ou deux punk singles avant de changer de style pour suivre la mode». Swell Maps restaient fidèles à leurs influences, notamment Faust. En citant Faust IV, Jowe Head parle d’un multi-facet work of genius. Beaucoup plus important, l’Head insiste sur la spécificité du groupe : «Maps were always quintessencially English to me - (...) But there’s a quality of eccentricity about it.» Et pouf, il tire l’overdrive : «Swell Maps were an odd cocktail of apparently unreconciliable influences: T Rex, Can, Buzzcocks, King Crimson, Sex Pistols - and Faust!». Il dit aussi qu’à l’instar de beaucoup de groupes allemands, Swell Maps rejetaient le monopole culturel américain, trop de groupes anglais à l’époque subissaient cette influence, «you know, all the blues, soul, funk and boogie clichés, with long guitar solo and so on. It was so boring!». Il pousse son raisonnement assez loin, affirmant que les seuls groupes progressifs anglais intéressants de l’époque étaient ceux qui cultivaient leur Britishness, et il cite Crimson, Genesis, Third Ear Band et Soft Machine. Bizarre qu’il oublie Van Der Graaf. Et puis en même temps, il dit avoir adoré the alien American sound de Captain Beefheart et de Sun Ra.

             L’autre paradoxe de Swell Maps est qu’ils portaient les cheveux longs et quand ils montaient sur scène en 1978, on les traitait de Pink Floyd, l’injure suprême. Ils étaient donc victimes de leur singularité. Ils ne voulaient pas ressembler aux autres groupes punk. Pour eux, le seul élément important du mouvement punk, c’est l’anticonformisme. On le retrouve dans leur musique.

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             Leur premier album paraît en 1979 et s’appelle A Trip To Marineville. Une baraque prend feu sur la pochette, ce qui est un bon présage. Ils jouent en effet un punk-rock de front room en feu, avec les moyens du bord. Ce qui leur permet de refaire les Buzzcocks de Spiral Scratch avec «Another Song». Fantastique phénomène de mimétisme. Ils brûlent un peu les étapes et arrivent directement au coup de génie avec «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - On va qualifier ça de punk primitif digne du Magic Band. Avis aux amateurs ! On l’a bien compris, les Swell Maps cultivent le primitivisme. Les Buzzcocks en avaient fait leur sinécure et les Swell Maps s’en inspirent directement. Ils replongent dans l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle Luke la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines» qu’ils mettent en route l’aspirateur. Au passage, Midget est un excellent cut de rock insidieux. En B, ils vont faire un brin d’hypno avec «Full Moon In My Pocket» et devenir classiques avec «Blam», pur jus de classic Maps, bien tendu, plein de small swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki au chant - I don’t care/ I guess I’m nealy dead.

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             Jowe Head indique que le groupe a splitté à la fin de leur tournée, en avril 1980. Ils ne pouvaient plus se supporter les uns les autres. Ils parviennent néanmoins à compléter leur deuxième album, In Jane From Occupied Europe. Dès «Let’s Buy A Bridge», on sent une sorte de tendance au post-punk dylanesque, aussi étrange et concubin qu’un concombre compromettant. En voit-on l’intérêt ? Non. Par contre «Border Country» se distingue par un solide claqué de guitares. Brillant car joué à l’idée. Et ça continue avec «Cake Stop», joué au laid-back déviant de petite ramasse d’orgue et chanté à l’avenant. On comprend subitement que Nikki et son frère expérimentent. C’est donc tout à fait par hasard qu’ils développent une sorte de post-punk velvetien avec «The Helicopter Spies». D’autant plus inattendu que c’est suivi par un son de trompette. Quand même, il fallait oser. Ils singent l’esprit des Cramps avec un instro ambiancier intitulé «Big Maz In The Desert From The Trolley», mais c’est en B qu’ils stockent la viande, à commencer par «Collision With A Frogman», un instro monté sur un beat certain, solidement ancré dans une culture de l’hypno qui va de Can à Can. Oui, ils sont dans cette excellence. «Secret Island» pourrait sortir du pot de chambre de Pere Ubu, tellement c’est bien chanté et bien ramassé. Encore plus passionnant, voici «Whatever Happens Next», cut toxico à gogo, un vrai modèle d’hypno tentaculaire. Tout aussi dévoyé, voici «Blenheim Shots», joué à l’hypno calorique de dandysme perdurant, chanté au yoyo de voix de «Time’s Up», et viscéral d’élégance marmoréenne, comme le furent en leur temps les premiers singles des Pistols et des Buzzcocks.

             Après le split, Jowe Head continue de bosser un peu avec Epic. Ils enregistrent un album jamais paru, Daga Dag Daga, que Jowe compte bien exhumer. Il continue aussi de bosser avec Phones Sportsman avec lequel il a aussi des choses en cours. 

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             On trouve aussi une compile indispensable dans le commerce, l’infernal International Rescue. Tu es fixé sur ton sort dès le morceau titre, une bien belle slabberie d’after-punk montée au bassmatic énervé et sacrément proéminent. Epic y bat le beurre du diable et Jowe ramone bien sa cheminée, c’est complètement dévoré de l’intérieur, ces petits mecs sont très puissants, on entend même les chutes de «Time’s Up». Nikki joue déjà la carte de la prescience. «Real Shocks» vaut n’importe quel early hit des Buzzcocks et «Ammunition Train» sonne comme un coup de génie, un de plus, car c’est gratté sévère et Epic tatapoume à bras raccourcis. C’est bourré à craquer de punch, ils font à la fois le train et le Velvet, ils ont exactement le même sens de la consistance que l’early Velvet. Chez eux, tout est dans l’early. Ils sont les dandies de l’early. Et c’est chanté à deux voix. Charmant et complètement dépenaillé. On voit bien qu’avec «Ripped & Torn», ils ont déjà créé leur monde, et ce n’est pas un petit monde. La fête se poursuit avec un «Spitfire Parade» qui sonne comme un cut des Heartbreakers. Les Swell Maps ont exactement le même panache, mais avec du punk anglais en plus dans le mix. Oui, car Nikki chante à la hargne de Rotten avec des chutes à la Devoto. On reste dans le fabuleusement énergétique avec «New York», pur slab de naive-pop punk, comme l’indique Paul Morley au dos de la pochette. On se noie dans un océan de destroy oh boy ! En B, on se régalera du buzzcockien «Forest Fire» - même chant, même frénésie, même classe working-class - et de «Winter Rainbow», embarqué au meilleur after-punk d’époque. C’est d’une santé exubérante. Les Swell Maps se distinguent par la constance des éclats et un perpétuel éventail des possibilités. Encore plus indécent de santé sonique, voilà «Dresden Style (City Boys)». Nikki et Epic savent secouer un cocotier. Une fois de plus, ça sonne comme les Buzzcocks car c’est cisaillé par des embrouilles de solo, ils ont exactement le même sens du misérabilisme glorieux. C’est ce qui fait leur grandeur, ils n’ont aucune prétention. On retrouve à la suite l’excellent «Vertical Slum», véritable est-ender punkoïde des enfers chanté au straight cockney-strut de street. Infernal ! Et pour finir, voici «Hey Johnny Where’s The Chewing Gum», tapé à la carcasse du wild post-punkster Sludge System d’Angleterre. On assiste éberlué à l’incroyable sauvagerie de l’assaut, awite, le Sudden descend son awite avec une délectation de psychopathe, il bouscule au passage toute la léthargie de l’étal étoilé.

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             Jowe Head vient de faire paraître une jolie compile sur Easy Action, Mayday Signals. Il propose 36 tracks qui vont des primitive home-made recordings jusqu’aux derniers enregistrements studio. Jowe Head veut montrer l’évolution du groupe, tant en termes d’idées que de capacité à jouer tout en développant ce qu’il qualifie de charismatic weirdness. On y retrouve l’excellent «Vertical Slum» et un «One Of The Crowd» qui semble sortir tout droit d’un single des early Buzzcocks. Nikki embarque ça dans le punk de Manchester, il se prend pour Boredom, c’est exactement le dévolu de Devoto, avec un chant jeté en pâture. Ils font aussi du pur Dada avec «Read About Seymour» et «Bandits 1-5», ils développent d’énormes chevaux vapeur. Ils poussent même le bouchon assez loin puisqu’ils font du Dada guttural. C’est un groupe étonnant pour l’époque, extrêmement subversif. Ils passent au fast punk d’ultra-violence avec «Off The Beach» et on retrouve l’excellent «Ripped & Torn». Nikki est dessus vite fait bien fait, c’est l’endroit exact où le génie rejoint l’underground. Nouveau coup de semonce avec «Fashion Cult (Opaque)», encore une fois vite fait bien fait, monté sur un heavy grove de r’n’b, ils ont tout ce qu’il faut en magasin, ils ramènent du son et de l’esprit. Encore du punk de Maps avec «Johnny Seven». Et quand on retombe sur «International Rescue», on comprend que les Swell Maps étaient en leur temps l’un des meilleurs groupes underground d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Swell Maps. In Jane From Occupied Europe. Rough Trade 1980

    Swell Maps. International Rescue. Alive Total Energy Records 2009

    Swell Maps. Mayday Signals. Easy Action 2021

    Hugh Gulland : Prince of the nautical swells. Vive Le Rock # 83 – 2021

     

    *

    Avant même la couve, le nom du groupe m’a attiré, GOZD, diable se prendraient-ils pour DIEU, et qu’est-ce que ce Z que l’on placerait d’instinct en quatrième position, que veulent-ils nous signifier ? A moins qu’ils ne soient encore plus pervers que notre imagination ne l’imaginait, suffit de lire la liste des musiciens, ce n’est pas long, ne sont que deux : GOZDEK Jakub (guitars, lyrics, vocals, bass ) et GOZDEK Marek ( drums, backing vocals ), deux frères qui n’oublient pas de dédier ce premier album à la mémoire de Robert Sobansky  avec qui il a été initialement conçu et mis en œuvre. A partir de leur patronyme ont-ils voulu induire l’idée qu’il y aurait comme une césure, une zébrure, une fente dans le nom de God. Nous refairaient-ils le coup à la polonaise d’ En attendant Godot

    Viennent de Wroclaw, surnommée la Venise Polonaise, située en Silésie au Sud-Est de la Pologne, ville universitaire et culturelle au passé prestigieux… Mais il est temps de regarder la pochette signée de Pysemyslaw Kris, la visite de son instagram @nom4dsky est surprenante. A première vue pas d’artwork personnel, avant tout des paysages et des photographies d’immeubles, mais si l’on s’attarde quelque peu sur chaque post l’on s’aperçoit qu’ Industrialism Maximus, ainsi se surnomme-t-il, ne nous offre pas des cartes postales simplement agréables ou surprenantes à regarder, possède un regard architectural, il dissèque les lieux selon leur disposition, il en exprime leur signifiance profonde qui n’est pas sans produire un effet d’étrangeté, même lorsqu’ils ont été façonnés par le travail des hommes ou édifiés de toutes pièces… il parvient à donner l’impression que ces lieux existent par eux-mêmes en dehors de toute ingérence humaine comme si notre engeance n’avait jamais existé. Nous nous sentons exclus de notre monde…

    Si nous nous rendons sur l’instagram de Godz, @godzband, nous avons droit à quatre vues différentes de l’artwork de Pysemyslaw Kris, qui n’incitent pas à l’optimisme, sombres (même la dernière baignée de jaune ) et mystérieuses, qu’est-ce au juste, un paysage d’apocalypse et de fin du monde, ces boules rondes sont-elles des engins spatiaux venues apportées la destruction ou un enchevêtrement de planètes déviées de leurs orbites pour une raison ignorée.

    Conflagration interstellaire ou en of the world… Toutefois le titre qui s’étale en grosse lettres est davantage rassurant :

    THIS IS NOT THE END

    GOZD

    ( BSDF Records - 15 / 01 / 2023 )

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    La phrase de présentation de leur album : ‘’Bienvenue dans le monde de GOZD, plongez dans le chaos et le néant avec nous.’’ témoigne d’une sympathie inquiétante. Dans la série ‘’mais que fait la police ?’’ le lecteur s’attardera sur le lettrage du nom du groupe, les quatre lettres étant elles-mêmes graphiquement scindées en deux… Dieu serait-il fêlé ? Si ce n’est pas la fin, serait-ce la mort de Dieu ?

    Lost in chaos : malgré le titre ça commence relativement calmement, hélas très vite surviennent un frottis de cordes pas franchement désagréables ( même plutôt appétissants ) si vous n’êtes pas sensibles à ces mini-ruptures incessantes de tonalités un peu comme si vous marchiez sur un plancher qui se fragmenterait sous vos pas, surgit une voix très grave, elle semble appartenir à celui que l’on nommerait le Maître du chaos si tant est que le chaos pourrait se plier aux ordres d’un maître, toujours est-il qu’elles ( car apparemment Robert Sobansky aurait posé quelques lyrics )  sont sombres et graves, beaux échos de basse, et le chant liturgique reprend, qui dit kaos dit noise, mais ici la mélodie domine, Gozd ne décrit pas le chaos mais essaie d’exprimer les sentiments de déréliction engendrés par une telle occurrence, la batterie avance le chemin noir que l’on parcourt lentement malgré certaines brisures qui ne génèrent jamais d’accélération. Si ce n’est pas la fin, lorsque la musique s’éteint l’on reste sur sa faim. Unknown answers : décidément l’on n’est pas invité à pénétrer dans le chaos du monde mais à rentrer dans notre âme pour nous poser des questions sans réponses,  bulles successives de résonnances graves qui s’évanouissent dans leur propre splendeur comme si vous électrifiez et espaciez des notes du piano de Chopin et les faites résonner dans le vide de votre esprit, déferlements de guitares, les interrogations sont porteuses d’angoisses et de lourdeurs, l’on tourne en rond dans sa propre histoire rabattus par l’ampleur du son vers les murs de nos incapacités, la voix est sans pitié, elle énonce et dénonce, des couches de guitares mélodramatiques vous tombent dessus cisaillantes et engluantes, sortirez-vous un jour de vous-même, une basse inexorable vous porte des coups, vous tombez dans un entonnoir sonore, la batterie bat la chamade par-dessous, ne restent plus que les battements de votre cœur qui s’arrête. Un morceau dont on ne sort pas indemne. This is not the end : tambourinade, frétillements cordiques, chantonnements de basse, le rythme s’accélère lentement  et la voix se penche sur vous pour vous réveiller de votre mort mentale, le son s’épanouit, l’on vous prend par la main, l’on vous guide, l’on vous pousse dans le dos, la musique plantureuse est votre seule béquille, une onde sonore se lève et vous emporte, tout semble marcher comme sur des roulettes, arrêt, silence, re-tambourinade, mais plus forte, vous avez passé un degré d’initiation, voici le deuxième, batterie pratiquement militaire, cette fois c’est du sérieux la guitare résonne comme des cors de guerre, le riff implacable et saccadé ne vous laisse pas le temps de réfléchir, cymbales et la machine se met en route, à la vitesse à laquelle elle vous entraîne vous comprenez que c’est loin d’être fini, seriez même plutôt projeté sur un tobogan infini, les guitares sonnent comme des coups de sabre, ce n’est pas la fin vous répète-t-on puisque vous entamez le combat pour votre survie. Escape from the inevitable : l’on reste sur le même tissu sonore tout le long du morceau, l’on a échappé au pire, la voix susurre des conseils tout fort à l’oreille de l’impétrant, il ne suffit pas d’être initié, il faut encore comprendre ce à quoi l’on a échappé, faire le point, pour ne pas retomber dans les vortex dérélictoires, l’on est maintenant capable de marcher sur le tapis de cendre froide du néant, il suffit de se lever et d’avancer à l’intérieur de soi. La musique processionnaire vous accompagne. In extreme to extreme : même gravité, même intensité, même si quelque chose semble s’accélérer, la voix se fait profonde, elle dit, elle résume, elle reprend l’itinéraire du début à la fin, et la vérité fuzze, si l’on croyait être tiré d’affaire il n’en est rien, ne serait-on pas exactement au même point, ce n’est pas la fin uniquement parce que la fin n’est pas encore terminée, les guitares se font incendie, tout se précipite, rien n’a changé, le chaos et le néant sont toujours là tapis au fond de nous, batterie oppressante, nous n’y échapperons pas.

    ET dieu dans tout ça ? comme dirait l’autre, nom de Gozd ! Disons qu’il bénéficie d’un sursis. N’a pas réussi à remporter une victoire éclatante sur le chaos, mais ne semble pas avoir été vaincu. Se serait-il enfermé dans la forteresse de l’âme humaine ? L’on attend la suite dans le deuxième opus, celui-ci tout d’une pièce, certes il laisse la question (et la réponse ) en suspens, bénéficie de ce que dans le théâtre classique l’on nommait l’unité de ton, de la première note à la dernière une atmosphère analogue se déploie sans jamais provoquer la moindre parcelle de monotonie, ambiance doom stonner fortement mélodique, une parfaite réussite.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 6 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    GENE VINCENT’ S FANS

    JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    Nombreux sont les fans de Gene Vincent mais certains font tout pour perpétuer non pas le souvenir mais la présence de Gene. Je commencerai par évoquer :

    JULIANE GARSTKA

    J’ai découvert Juliane Garstka tout dernièrement, exactement depuis le 3 janvier 2023 par l’intermédiaire du groupe ( public ) FB Dance and Sing with Gene Vincent, un post provenant de sa participation à ce groupe qui défile à toute vitesse sur ma page d’accueil et que je stoppe immédiatement, touché coulé en plein cœur.

    En quelques mots elle explique que c’est une peinture qu’elle a exécutée voici longtemps alors qu’elle n’était qu’une gamine intéressée par le dessin. Mais autant la laisser s’exprimer elle-même : ‘’ Gene Vincent died on oct 12 th 1971, only 36 years old. He suffered throughout his life after smashing his leg in an accident and hurt it again in a second accident, that took the life of his friend Eddie Cochran. But also he was just pure RocknRoll. He also was my teenage hero and I painted this picture 1982, that sums up the sadness and depression of his life. He will always be in my heart and I deeply miss him although I never had the slightest chance to meet him. ’’

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    Des portraits de Gene Vincent, plus ou moins bien réussis, j’en ai vu des dizaines, mais comme celui-ci jamais. Manifestement inspiré de la pochette de The Day The World Turned Blue, ( 1971 ) l’ultime album de Gene. Mais vue de l’intérieur. La couve est assez parlante, Gene derrière une fenêtre aux vitres brisées, au vu de la façade décrépite la maison a dû être belle, comme Gene elle a connu des jours meilleurs, la sensation de solitude et de tristesse est accentuée par la cime nue d’un arbre dépouillé de ses feuilles. J’ai commandé ce disque à sa sortie, je ne sais plus si c’était en Angleterre ou aux States, la réception du précédent If  Only You Could See Me ( 1970 ) avait été un véritable coup de poignard dans le cœur, Gene allait mal, je le savais, mais là j’avais l’aveu devant les yeux, avec ce dernier disque j’eus la prémonition que les jeux étaient faits, que Gene nous quitterait bientôt, ces deux  albums sont sublimes et crépusculaires ils rayonnent de regret, de nostalgie, de colère rentrée et d’amertume désabusée, ce n’était pas Gene derrière la fenêtre, mais l’annonce de son départ pour autre part. J’ai vécu ces deux dernières années dans l’idée que la fin était proche. Au début du mois d’octobre 71 installé dans un autobus j’attendais le départ, j’entendais sans vraiment écouter le flash d’information de France Inter, rien de bien intéressant, mais sitôt le flash terminé sans aucune annonce ont retenti les premières notes de Be Bop A Lula. J’ai compris. Un tel titre à huit heures du matin ce ne pouvait être que… A la fin du morceau le speaker a confirmé…

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    Et maintenant, un demi-siècle plus tard cette œuvre de Juliane Gartska, qui ravive cette ancienne blessure jamais refermée, la mienne sans importance comparée à celle de Gene, cet homme qui a tant donné pour le rock’n’roll et ses fans, enfermé dans une immense solitude et un sentiment d’abandon et d’injustice, ‘’ I was standing by my window /  on one cold and cloudy day / When I saw that hearse come rolling…’’ le cercle impitoyable qui s’est refermé lentement sur lui, Gene a eu le temps de l’appréhender… tout cela une adolescente l’a ressenti et exprimé bien plus fortement que mes mots, cette pièce blanche, cet homme en noir à la fenêtre, dont pas même un corbeau ne s’aventure à toquer à l’un des vantaux, la représentation d’une âme enfermée dans le sépulcre de son agonie, dans le monde vide des illusions perdues, une vision intérieure…

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    Depuis Juliane Garstka a grandi, elle a gardé sa sensibilité artistique, une visite de son FB s’impose, vous y verrez de nombreuses photos de chevaux qu’elle sculpte. Elle a aussi gardé son attachement pour Gene. Les photos ne permettent pas de juger si ce sont des sculptures ( résines ? ) ou des figurines peut-être habillées ou des poupées,  voici Gene en action, lorsqu’elle se réunit avec des potes pour chanter et jouer ( devinez quoi !), autour de chez elle dans la nature, elle n’arrête pas de le mettre en scène, avec Jerry Lou, notamment avec Daniel Lanoy, producteur, chanteur, musicien canadien une autre de ses admirations,  elle qui a su traduire l’intérieur de Gene, elle l’affiche maintenant à l’extérieur dans sa vie, il est toujours là, objectif, vivant - car l’art immortalise – à ses côtés. Que voulez-vous, elle n’a pas renoncé à son rêve. Nous l’en remercions.

    *

    PRECISIONS HISTORICO-GEOGRAPHIQUES

    Topanga Canyon est situé au nord de Los Angeles entre Santa Monica et Malibu, il est peut-être moins célèbre que le Laurel Canyon beaucoup plus proche de Los Angeles, mais ces deux endroits sont constitutifs de ce qu’en France on appellerait la légende hippie, ce que plus pragmatiques les américains nomment le California Sound. Ces lieux encore un peu sauvages et désertiques attirèrent la faune des musiciens avides de ces libertés que nous qualifierons de sonores, extatiques et sexuelles. Jim Morrison, Mama Cass, Joni Mitchell pour ne citer que les plus célèbres, nous n’oublions pas la bande des quatre, Crosby, Stills, Nash and Young – le Cat Zengler pas plus tard que la semaine dernière nous entretenait de Stephen Stills – fréquentèrent le Laurel, Le Topanga accueillit la famille ( peu recommandable ) Manson mais aussi Woody Guthrie, Jack Eliott, Canned Heat, Emylou Harris, et bien sûr Neil Young… Tous ces artistes se sont produits au célèbre Topanga Corral vaste discothèque qui proposait de nombreux concerts. Le vivier n’était pas loin.

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    A l’inverse Anaheim se trouve de l’autre côté, donc au Sud-Est de Los Angeles, la ville est surtout connue pour ses deux Parcs Disney et un important salon annuel de musique de la National Association of Music Merchants Show.

    Précisions nécessaires pour bien comprendre les trois premières lignes de l’intitulé du concert qui suit :

    1971 : THE ANAHEIM SHOW

    06 - 06 - 1971 / TOPANGA CORRAL

    TOPANGA CANYON

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    DERNIER CONCERT DE GENE VINCENT

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    Les personnes qui se rendent sur le FB Kr’tnt Kr’tnt pour accéder au blogue Chroniques de Pourpre connaissent JACK BODLENNER, sur le bandeau de tête c’est lui à moitié allongé sur la scène dont les doigts atteignent l’attelle de la jambe blessée de Gene Vincent. Jack Bodlenner est un fan inconditionnel de Gene Vincent, il a assisté à de nombreux concerts, notamment en France, de Gene, il possède sans compter les photos plus de six cent heures d’enregistrements (scènes, coulisses, hors concerts), il n’est pas de ceux qui gardent égoïstement leurs documents, il les livre peu à peu au public. Il intervient souvent sur le groupe public FB Dance and Sing with Gene Vincent qui offre à tous les fans un espace où déposer en libre accès documents iconographiques et vidéos, connus, rares, inédits… Une mine d’or.

    En 1971, j’étais à Toulouse, beaucoup plus malin et avisé que moi Jack Bodlenner assistait au dernier concert de Gene Vincent aux USA, au Topanga Corral, il en a ramené quelques bandes.

    Si vous les retrouvez sur FB, vous pouvez remercier DAJANA LOUAAR c’est une des administratrices du groupe qui a proposé à Jack Bodlenner de mettre en images les extraits de ce concert – le but ultime est de le donner en son intégralité – ce ne sont pas les images de ce concert mais une succession de photos diverses qui défilent sous vos yeux et rendent en quelque sorte l’écoute plus vivante, ‘’ plus palpable’’.

    Dajana Louaar  et Jack Bodlenner font bien plus que rendre hommage à Gene Vincent, ils suscitent sa présence.

    WORKING ON THE RAILROAD

             Quand ce morceau a été révélé sur You Tube les oreilles ont tilté, il dépasse dix minutes une longueur inusitée pour Gene, à part Tush Hog et Slow times comin’ ce genre de long fleuve tranquille – quoique Tush Hog soit assez mouvementé - n’était pas dans ses habitudes.  Le premier enregistrement de ce traditionnel effectué par Leadbelly date de 1942, il en existe différentes variantes on le retrouve souvent sous le titre de Take this hammer, on classe souvent Leadbelly parmi les artistes de blues, toutefois la majeure partie de son répertoire est plus proche du folksong que du blues. C’est le goût prononcé de Gene pour le country qui a sans doute emmené Gene à s’intéresser à ce morceau. L’est vrai qu’il est idéal pour la scène, ses lyrics courts et répétitifs se prêtent à toutes les insistances et à toutes les improvisations. Nous ne possédons aucun renseignement précis sur Kid Chaos le groupe qui l’accompagne, tout ce que nous pouvons dire c’est que ce n’est pas un combo de rockabilly, la qualité sonore du document ne permet pas de préjuger de sa valeur mais il nous semble dans la moyenne de la manière dont on jouait le rock au début des seventies, autre remarque : la voix de Gene est moins desservie que ses musiciens. Mais arrêtons de pérorer sur le quai de la gare et montons dans le train, ou pour être beaucoup plus fidèle à l’esprit de la chanson arrêtons de trimer pour rien et prenons à toute vitesse la voie de la liberté. Ce morceau fleure bon l’idéologie des travailleurs adhérents à l’IWW ( Industrial Workers in the World ) syndicat à tendance anarchisante et autogestionnaire.  Le train démarre sur sa vitesse de croisière menée par la voix de Gene, la batterie a dû s’accaparer le plus grande largeur de la bande, elle ne permet pas à la guitare et à la  basse de donner toute leur impulsion, la voix de Gene est un peu reléguée au fond, avec les acclamations du public, ce qui est dommage car Gene est en pleine forme, un beau solo de guitare perce la brume sonore, l’on atteint à une belle intumescence lyrique, normalement ce devrait être la fin mais ça continue pour… mieux stopper, seul le batteur maintient l’imperturbable rythme, vite rejoint par la voix revendicatrice, coléreuse et agressive de Gene,  mais tout rendre dans l’ordre pour aborder un beau pont musical, nouvel arrêt, le batteur batifole Gene parle, et l’on repart pour mieux laisser à Gene clore la fin de la ligne. Vu la qualité sonore, je conseille de l’écouter plusieurs fois, c’est ainsi que ce qui pourrait apparaître comme un tantinet monotone se révèle empli de finesse.

    BE BOP A LULA

    Pendant longtemps écouter Be Bop A Lula restait relativement simple, la version 56 inimitable, la version 62 twist et rapide, la version lente que parfois Vincent interprétait sur scène ( Eddy Mitchell sen inspira pour sa version 63 ) et la version bastringue 69 musicalement si différente et si lourde que beaucoup ne savaient quoi en penser… avec le Net l’on ne compte plus les extraits de concerts qui proposent ce morceau, à tel point qu’il est difficile de trancher entre elles. De tous les morceaux de ce dernier concert in USA, c’est celui-ci qui bénéficie de la meilleure qualité sonore, c’est un peu dommage car l’on sent que l’orchestre ne rentre en rien dans ce parangon idéel du rock ‘n’ roll, patauge à côté de l’esprit rawkabilly, peu de subtilité, beaucoup de lourdeur au sens négatif de ce terme. Malgré les acclamations qui fusent dès les premières notes Vincent l’expédie rapidement – combien de fois l’a-t-il exécuté dans sa vie en final de show – il sait que pour resplendir ce joyau doit être enserré dans un chaton musical le plus pur. Sur les applaudissements terminaux un Monsieur Loyal remercie Gene.

    SUNDAY MORNING COMING DOWN

    Un morceau de Kris Kristofferson écrit en 1969, Gene a dû l’emprunter à Johnny Cash un de ses chanteurs préférés qui l’interpréta en 1970, il en existe aussi une remarquable ‘’ démo’’ de Gene d’une tristesse et d’une pureté qui vous serre à la gorge. La voix de Gene au premier plan mais voilée par un souffle qui heureusement de temps en temps s’efface, un accompagnement tout ce qu’il y a de plus traditionnel en country, est-ce le public qui chantonne ou les musicos, vraisemblablement le public car sur les dernières notes des voix féminines se détachent preuve que Gene à quatre mois de sa disparition séduit encore et imprime sa marque sur chacune de ses interprétations.

    CORINE, CORINA

    Une chanson douce pour les effusions sentimentales, encore un traditionnel, la basse en avant, les cris du public, le slow d’enfer qui tue les dernières résistances, rien qu’à la façon dont Gene triture et tord son nom, la Corine doit mouiller sa culotte, un peu d’orgue pour mettre du liant et la batterie qui rapplique pour rajouter un peu plus la pression, faut savoir lâcher un semblant de lest pour se permettre d’être plus leste en un second temps. Dès que ce grand rock ‘n’roller que fut Gene s’empare d’une ballade, une magie saisissante opère. Vous transmet l’émotion de ces moments de la vie somme toute banale, mais qu’il fixe dans une aura de nostalgie poignante.

    WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

     Le band visiblement plus à l’aise sur ce classique de Jerry Lou que sur Be Bop A Lula, la voix de Vincent trop en arrière ce qui est regrettable car il est évident qu’il est en forme, l’on se console avec ce piano qui rit de toutes ses dents d’ivoire, après la furie du début, l’on y va relax et la basse consent à monter les escaliers en courant, mais ça repart tout de suite sur les chapeaux de roue pour se terminer illico. Consacrer moins de cinq minutes pour un morceau taillé pour la scène, c’est râlant.

             Il resterait une émotionnante version d’Over The Rainbow à venir.

             Généralement c’est ce que l’on appelle des vidéos pour les fans. Cela tombe bien, j’en suis un. Il est sûr qu’il faut les écouter à l’ombre des enregistrements ‘’ officiels’’. Mais tout ce qui provient de Gene Vincent reste précieux. Merci à Dajana Louaar pour la mise en images.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 15 ( Ablatif ) :

    78

    Je suis un peu ( à peine plus de trois heures ) en retard ce matin au local. La journée de la veille a été très chaude et mouvementée, pas de quoi fatiguer ces hommes de fer que sont les agents du SSR, je n’y suis pour rien la faute en incombe à Calliope. J’étais tranquille chez moi en train de beurrer pour le petit déjeuner de Molossa et Molossito les biscottes - ces braves bêtes les adorent, à condition que je glisse entre deux toasts préalablement grillés à point, une entrecôte de bœuf saignante – je n’avais pas encore bu la moindre gorgée de café lorsque j’ai été submergé par l’enthousiasme poétique, c’était Calliope la muse de l’éloquence et de l’épopée qui à l’oreille m’enjoignit de rédiger dans mon autobiographie Mémoires d’un GSH ( *)  le passage relatant les évènements survenus dans la Forêt de Laigue. Je recopie ses paroles texto : ‘’ Damie, le monde de demain a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé hier soir ! C’est ton devoir de le relater ! Au travail gros paresseux !’’

    Compréhensif le Chef a tout de suite excusé mon retard : ‘’ L’on ne fait pas attendre une déesse’’ me déclara-t-il et il ajouta : ‘’ Peut-être qu’avec l’aide de Calliope et de votre stylo Bic, les actes du SSR ainsi rapportés ensemenceront-ils les esprits des grands hommes de la future Humanité et ainsi permettront-ils à notre misérable engeance de ne pas périr lors de la septième extinction…’’

    79

    C’est avec la voix que je prends spécialement pour réciter les épodes de Pindare que je me lançai dans la lecture de mon œuvre immortelle, par modestie je n’en recopie que quelques extraits : ‘’ … les deux Compagnies Républicaines de Sécurité que rien ne menaçait tirèrent à elles seules davantage de grenades de désencerclement – stratégie peu appropriés puisqu’ils n’étaient pas encerclés - que n’en tira le divin Héraklès sur les oiseaux du Lac Stymphale qui se ruaient sur lui dans l’intention de déchirer en lambeaux sanguinolents son corps de héros. Dans leur mansuétude proverbiale les Dieux ne ripostèrent point et se contentèrent de sourire, mais lorsque le Commandant Octave Rimont ordonna à la phalange du GIGN de donner l’assault, du haut de son trône Zeus grimaça, et une ombre gigantesque se dressa dans le ciel. On aurait dit un immense oiseau, était-ce l’aigle de Zeus, ou la chouette d’ Artémis, plus tard certains émirent qu’il s’agissait de la chienne d’Hécate la déesse des carrefours métamorphosée en vautour gypaète barbu, l’on ne sait, l’oiseau noir passe et repasse ( normal c’est un rapace ) à plusieurs reprises au-dessus de la tête des deux cents CRS alignés, peu prennent garde à sa présence, mais à la septième fois que l’ombre noire survole la colonne de ces cracheurs de brouillards puants, tous, un par un s’écroulèrent à terre, sans bruits de façon peu spectaculaire, comme si cédant à une grande fatigue ils s’adonnaient à un somme réparateur, par contre les membres du GIGN qui avaient déjà atteint les hautes ramures de la futaie chutèrent lourdement, l’on entendait leurs corps glisser et se fracasser sur les branches puis s’écraser à terre comme ces fruits trop mûrs qui éclatent à peine ont-ils touché le sol, aucun des assaillants ne se releva, le grand oiseau noir sembla se désagréger en des milliers de fragments qu’un coup de vent emporta on ne sait où… Octave Rimont se précipite vers ses hommes, il hurle de rage et de dépit, tous sont morts, il fait signe au petit groupe qu’il avait écarté de la première ligne de ne pas bouger mais Molossa et Molossito foncent en avant et je les suis, deux hommes sont en train de descendre des arbres qui cachent le mur d’enceinte, le Chef et un sympathique inconnu qui répond au nom de Carlos, laissant Octave Rimont à son désespoir nous nous éclipsons discrètement…’’

    80

    • Ah, ce Carlos quel homme providentiel, s’exclame le Chef, agent Chad votre récit est un chef-d’œuvre de la littérature universelle, mais il est temps de nous livrer à un petit examen herméneutique en le comparant avec l’article pondu par Lamart et Sureau, d’ailleurs repris ou cité par le reste de la presse, écrite, parlée, télévisée, réseaux sociaux à fond la caisse, tout ce petit monde en ébullition tant au niveau national qu’international… trop occupé par la rédaction de vos mémoires vous ne vous êtes pas penché sur les nouvelles matutinales, je vous laisse lire tranquillement la une du Parisien Libéré, je ne vous en ferai pas la lecture, le devoir m’appelle, je me dois d’allumer un Coronado.

    81

    TERRIBLE RECRUDESCENCE

    DU COVID 19

    UN NOUVEAU VARIANT HYPERCONTAGIEUX

    237 MORTS EN QUELQUES MINUTES

    Olivier Lamart : ce devait être une après-midi sans histoire. C’est un peu en traînant que nous nous sommes rendus, sur invitation spéciale du Commandant Octave Mirmont, mon collègue Martin Sureau et moi-même, en forêt de Laigue, pour assister à un entraînement des forces spéciales de Gendarmerie. Rien du tout nous avait assuré Octave Mirmont, un petit exercice de ‘’ lance-patates’’ pour les Compagnies Républicaines de Sécurité dans le but d’assurer une ‘’ sécurité offensive’’ du Président de la République lors de ses déplacements et un premier ‘’stage d’escalade arborée préventive’’ dédié au GIGN afin de lutter au plus près des pyromanes qui n’hésitent plus à s’attaquer à nos forêts indispensables à notre survie écologique.

    Martin Sureau : nous avions affaire à des fonctionnaires d’état hyper-spécialisés et particulièrement motivés. Une fois les ‘’grenadiers’’ ayant effectué leurs tirs sans anicroche, ce fut autour des membres du GIGN de prouver leur promptitude à monter le long des troncs des arbres choisis pour cet exercice périlleux. La plupart d’entre eux s’étaient déjà postés et dissimulés dans l’épais feuillage des frondaisons les plus hautes de la forêt lorsque se produisit un léger incident.

    Olivier Lamart : un CRS – on les avait laissés sur place pour qu’ils puissent bénéficier du spectacle et de l’exemple offerts par leurs collègues qui font partie de l’élite sécuritaire de notre nation – s’affaissa sans préavis, ses collègues les plus proches n’eurent pas le temps de se porter à son secours, eux aussi saisi par un mal mystérieux s’effondrèrent tour à tour, tous furent terrassés, pas un ne se releva.

    Martin Sureau : le plus terrible à regarder ce fut ces policiers du GIGN qui dégringolaient de branche en branche sans ménagement sans même pousser un cri.

    Olivier Lamart : en effet chose incroyable, ils ne se sont pas tués en tombant, ils étaient déjà morts lorsqu’ils ont commencé à chuter. Les premiers secours et les médecins du Samu étaient formels.

    Martin Sureau : passons sur le balai des brancardiers qui transportèrent les corps dans leurs ambulances stationnées à deux kilomètres dans une des grandes allées carrossables de la Forêt de Laigue. Il fallait faire vite pour autopsier les cadavres de ces malheureux.

    Olivier Lamart : à peine quatre heures plus tard les premiers résultats fiables commencèrent à arriver au PC de crise établi dans la cour de l’hôpital militaire de Paris. Les analyses étaient formelles et concordantes. Tous nos valeureux policiers ont été atteints par un variant du Covid 19 hautement virulent et hyper-transmissible.

    Martin Sureau : c’est dans la nuit, quelques minutes avant de finir cet article qu’un communiqué de l’Elysée nous est parvenu. Nous en copions l’extrait le plus important :

    ‘’ La situation est grave mais nous appelons nos concitoyens à garder leur calme. Certes plus de deux cents policiers ont été victimes d’une attaque foudroyante d’un variant encore inconnu du Covid 19. Mais il ne faut point s’affoler, aucun des soignants, brancardiers, ambulanciers, infirmiers, médecins, professeurs, qui ont été de par leur fonction invités à manipuler les cadavres ne souffrent d’aucun mal. Il semble que cette souche ultra-virulente se soit développée dans un unique endroit somme toute circonscrit de la Forêt de Laigue. Celle-ci est désormais fermée et interdite aux visiteurs tant que des scientifiques internationaux n’aient rendu leur conclusion nous   assurant de l’innocuité de ces lieux. D’après les premières données de nos plus grands experts, il y a peu de chances que de telles attaques foudroyantes se renouvellent puisque ce variant est tellement nocif qu’en tuant ceux qu’il contamine, il se tue lui-même. Honneur à nos forces policières victimes de ce fléau qui sans le savoir, ont sauvé le reste de la population française en formant de leurs corps le barrage nécessaire à la survie du pays. Leur sacrifice n’aura pas été vain. La France reconnaissante.’’

    Notre propre survie à nous deux journalistes qui suivaient de très près le déroulement de ces opérations militaires ne sont-elles pas la preuve de la véracité des propos de ce communiqué officiel ?

    Faisons confiance à notre gouvernement !

    Olivier Lamart & Martin Sureau.

    A suivre…

    *Les initiales GSH signifient : Génie Supérieur de l’Humanité.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 559 : KR'TNT 559 : GENE VINCENT / ETHAN MILLER / BUTTSHAKER / THE EYES / TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 559

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2022

    GENE VINCENT / ETHAN MILLER

    BUTTSHAKERS / THE EYES

    TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 559

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

    Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    - Part Two

     

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             On papotait paisiblement avec Damie quand, à un moment donné, la conversation est revenue sur Gene Vincent. Ça tombait à pic, car un journaliste anglais venait tout juste de créer la sensation avec six pages dans Record Collector ET un nouvel angle, une façon toute neuve d’exprimer son admiration pour Gene Vincent. En matière de presse rock, l’angle c’est capital : c’est ce qui détermine le fait qu’on lit ou qu’on ne lit pas. Yves Adrien ajoutait du style à l’angle, ce qui fait qu’on le relisait. Avec Mick Farren et Nick Kent, il fait partie du triumvirat des grands stylistes.

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             Le nouvel apologue de Gene Vincent s’appelle Jack Watkins. C’est un tour de force que de trouver un nouvel angle alors que la messe est dite depuis un bail, principalement par Mick Farren (There’s One In Every Town), par Luke Haines (dans l’une de ses columns) et par Damie Chad dans le Spécial Gene Vincent de Rockabilly Generation. Pour être tout à fait franc, il faut bien dire qu’on attaquait l’article du pauvre Watkins en craignant le pire, c’est-à-dire l’assoupissement. Quand on attaque des séances de lecture à des heures indues, on compte essentiellement sur l’excitation pour rester sur le qui-vive.

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             En six lignes de chapô, Watkins définit Gene Vincent comme personne ne l’a fait avant lui. Il commence par rappeler qu’on surnommait Gene the Screaming End et embraye avec ça : «Il a su rajouter une couche par-dessus le showmanship et les catchy hooks de Bill Haley & the Comets, les guitar licks et l’élégance ingénieuse de Chuck Berry, l’extravagance outrancière de Little Richard, le sex appeal et la musicalité d’Elvis. En retour, il n’a pas eu beaucoup de hits, mais il a obtenu en retour une loyauté à toute épreuve, notamment en Angleterre et en Europe.» La loyauté, c’est le cœur battant du mythe de Gene Vincent. C’est un truc précieux et fragile qui marche dans les deux sens. Watkins explique que Gene a continué de tourner en Europe avec le même son et le même look, alors que tous les autres avaient arrêté depuis longtemps - Vincent flew the flag for the primitive 50s rock when everyone else had abandonned - Watkins dit que c’est extra-special. On revient donc au cœur du mythe rock : la relation entre l’artiste et ses fans. C’est l’angle qu’a trouvé Watkins pour dire en quoi Gene Vincent est un artiste exceptionnel. En Angleterre, on a eu tendance à mettre Chuck Berry (les Stones) et Buddy Holly (les Beatles) en avant, mais Gene Vincent a influencé des tas de gens, Ritchie Blackmore, Ian Dury, Robert Plant et surtout Jeff Beck, qui dans une interview avoue qu’il n’appréciait pas trop Elvis, parce qu’il le trouvait «trop parfait», et qu’il préférait Gene Vincent pour son uglyness, c’est-à-dire sa laideur, et son ugly rock’n’roll - He was pure rebellion, the first punk - Voilà, les chiens sont lâchés, le mythe prend ses jambes à son cou.

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             Loyauté et ugly rock’n’roll. En lisant ça, tout s’éclaire. On sait pourquoi on a toujours vénéré Gene Vincent, depuis soixante ans : loyalty and ugly rock’n’roll. Bon, Watkins essaye de rattraper le coup en expliquant qu’au fond, Gene Vincent n’était pas vraiment laid, mais plutôt pâle et maigre comme un clou, skinny. C’est justement le côté ordinaire de son physique qui attirait les gens vers lui. Au moment du Rockabilly Revival des années 80, il réussit l’incroyable exploit de redevenir culte. Il refascine de plus belle, notamment Shakin’ Stevens et les Matchbox guys.

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             Watkins a aussi une façon assez originale d’évoquer «Be-Bop-A-Lula» - un hit qui est devenu un tel cliché qu’on a oublié how alien the record originally sounded - Il parle d’une production «sparse and echoey», c’est-à-dire légère et pleine d’écho, avec un tempo «très lent pour un rock» et le son de guitare de Cliff Gallup est «tellement précis qu’il en devient presque gracieux» - The frantic elements come from Vincent’s hipcupping, hyperventilating delivery of the puzzling lyric et des cris du batteur Dickie Harrell - Watkins a raison de dire que Be-Bop est devenu un cliché, alors que c’est un chef-d’œuvre d’ugly rock, comme le sera d’ailleurs la B-Side «Woman Love», encore plus porté sur le dirt sex - Vocal pornography, déclare le NME en Angleterre - Watkins est surtout impressionné par le professionnalisme des Blue Caps qui ne jouaient ensemble que depuis quelques semaines. Et Gene Vincent n’a alors que vingt ans.

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             Puis après, Watkins tombe dans la routine, avec l’accident de moto, la patte folle et le recours à l’alcool et aux pain-killers pour contenir la douleur. Il est un peu obligé de redonner tous ces détails, car en 2022, il est possible que certains lecteurs de Record Collector parmi les plus jeunes ne sachent pas qui est Gene Vincent. Si Gene Vincent atterrit chez Capitol, c’est uniquement parce que le label avait besoin d’un artiste pour soutenir la concurrence avec RCA qui venait de récupérer Elvis. Alors en 1956, Gene et les Blue Caps enregistrent 35 cuts à Nashville avec Ken Nelson. Watkins est dithyrambique : «Ces 35 cuts constituent l’un des most consistently excellent and beautifully recorded bodies of work of the early rock’n’roll era.»

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             Bluejean Bop et Gene Vincent & The Blue Caps sont deux des grands albums classiques du rockab. Pochettes parfaites, quatre faces hantés par l’un des meilleurs slap sounds de l’époque - oh la rondeur du slap sur «I Flipped» ! - avec un Gene qui chante en douceur et en profondeur. Il faut voir les Blue Caps jazzer la pop d’«Ain’t She Sweet», quand on réécoute ça soixante ans après la bataille, ça produit toujours le même effet et tu as Gene qui minaude en guise de cerise sur le gâtö. «Bluejean Bop» est le pur rockab de Capitol, avec tout l’écho du temps. Le bop s’articule comme un numéro de trapèze au cirque, break de caisse claire et solo de clairette. On reste dans le pur jus avec «Who Slapped John», pulsé au beat des reins. On entend Dick Harrell battre le big bad beat sur «Jump Back Honey Jump Back» et les Blue Caps recréent de la légende à gogo sur «Jump Giggles & Shorts», magnifique exercice de style de rock steady go à gogo. Sur le deuxième album de Gene avec les Blue Caps, le «Red Bluejeans & A Pony tail» d’ouverture de balda est un authentique coup de génie. On a là le vrai beat rockab original. Gene a une façon très spectaculaire de lancer ses Blues Caps à l’assaut, c’est tapé à la caisse claire et chanté à la délectation. Tout est beau ici, le groove de slap («You Told A Fib»), le «Cat Man» insidieux monté sur un Diddley beat, yeah, et la belle explosion de Blue Cap Bop sur «You Better Believe». Mais c’est encore en B qu’on se régale le plus avec la fantastique allure groovy de «Blues Stay Away from Me». On entend aussi les Blue Caps déclencher des tourbillons dans «Double Talkin’ Baby» - Please make up your mind - et quand Gene envoie «Pretty Pretty Baby» au firmament à coups de never saw a gal like you, les Blue Caps font «Pretty pretty baby» !». Ces mecs swinguent comme des démons.

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             Watkins parle d’un rockabilly holy grail. Il a du mal à préférer un cut, étant donné l’abondance de merveilles sur ces deux albums, «though Cat Man is Vincent at his most eerie». Alors après l’ugly, voilà l’eerie, c’est-à-dire le sinistre. Mick Farren avait bien perçu la dimension tragique de son héros, il en fit même un personnage shakespearien. Watkins ajoute : «Vincent and the Blue Caps swing like crazy on Jumps Giggles And Shouts». Crazy, ugly, eerie, tout est là.

             Watkins dit aussi que les cuts plus pop («Jezebel», «Peg O’My Heart» ou «Ain’t She Sweet») furent probablement choisis par Ken Nelson, mais, ajoute Watkins, «Gene les chante beautifully, with total commitment. Like Presley, he was a superb balladeer.» Ces deux albums sont tellement solides qu’ils se vendent bien, à une époque où le marché reste dominé par les singles.

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             Galloping Cliff Gallup quitte les Blues Caps fin 56. Gene et les Blue Caps vont enregistrer au Capitol Tower de Los Angeles. Watkins note que le son est fuller. C’est Johnny Meeks qui remplace Gallup. Le groupe passe aussi à la basse électrique, un piano et un sax entrent dans la danse. Ce n’est plus du tout le même son. Watkins parle de poppier sound. «Dance To The Bop» sera pour Gene sa dernière visite dans le charts américains et «Rocky Road Blues» est l’un de ses greatest, most representative vocals

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             Le son change, bien sûr, mais la voix ne change pas. Le Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll qui paraît en 1958 est encore un big album, pochette magnifique, Gene en vert pistache et la fabuleuse tension du «Brand New Beat» d’ouverture de balda. Il chante ça du coin des lèvres et derrière lui gronde le vieux beat rockab. Sur cet album, le coup de génie est sa version de «Frankie & Johnnie» swingué aux clap-hands, Gene interpelle Johnny Meeks - Oh Johnny - qui passe un solo d’éclate tragiquement désenchanté. On tombe plus loin sur un «Flea Brain» wild as fuck, un absolute beginner, rock it now !, et Johnny Meeks te passe dessus avec son killer solo flash.

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             La même année paraît A Gene Vincent Record Date avec un Gene en gros plan sur la pochette. Le son, la voix, tout est là dès «Five Feet Of Lovin’», mais c’est «Somebody Help Me» qui fait vraiment des étincelles. La qualité de la prod bat tous les records. On a une fantastique profondeur de son et des basses bien rondes. Il boucle son balda avec «Git It», un joli shoot de dance craze avec des chœurs de doo-wop and a diamond ring - I’ll do the best I can do to/ Git it/ Git ! - Et pour illuminer une B qui sent le filler, Gene nous claque «Look What You Gone And Done To Me», un wild & frantic rock’n’roll. Il y met toute sa niaque de Virginien.

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             Mais on sent bien au fil des albums que l’intensité baisse. En 1959, le rockab est mort et Capitol, comme tous les autres barons de l’industrie musicale, vise un son plus commercial. Ça va donner deux albums plus poppy, Sounds Like Gene Vincent et Crazy Times. On perd complètement le Gene du rock. Capitol lui a mimé les dents. «I Might Have Known» est encore un peu rocky road mais aussi cha cha cha, et avec le solo de piano, la niaque disparaît. Sa version de «Reddy Teddy» est un peu ridicule, il fait du sautillant, il est complètement aseptisé. Il faut attendre «I Got To Get To Yet» pour renouer avec le swing et il sauve son Sounds Like avec une version bien endiablée de «Maybelline».

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    Sur Crazy Times, «She She Little Shorta» fait office de Saint-Bernard sauveur d’album, un vrai délice de deepy deep, mais le morceau titre est trop poppy pour un artiste qui nous a habitués aux miracles. Il passe au heavy blues subtilement orchestré avec «Darlene» et on finit par s’ennuyer en B, car les cuts sont très produits, un peu à la limite de la variété. Et bizarrement, sur «Accentuate The Positive», sa voix est mixée à l’arrière des chœurs.

             C’est l’époque où Gene commence à faire le con. Il disparaît en Alaska et les Blues Caps qui ne sont pas payés se font la cerise. Comme sa carrière bat de l’aile aux États-Unis, Gene entame sa carrière anglaise. Joe Brown qui l’accompagne sur scène est très impressionné par Gene : «He had this evil eye he used to fix on you.» Ugly, eerie, crazy, evil. Ça ne s’arrange pas. Tant mieux.

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             Selon Watkins, Gene redémarre sa carrière à Abbey Road en 1961, accompagné sur un remake de «Pistol Packing Mama» par les Beat Boys, Colin Green (guitar) et Georgie Fame (piano), et «I’m Goin’ Home (To See My Baby)», accompagné par Sounds Incorporated. Fin 1962, Gene est le roi du circuit rock en Angleterre. Il va bientôt être détrôné par les Beatles. Gene est alors vu comme outdated. T’es passé de mode, pépère.

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             En 1964, Gene enregistre Shakin’ Up A Storm avec The Shouts, un groupe de Liverpool. Ce n’est pas l’album du siècle, Gene y propose une série de classiques, comme le faisaient tous les pionniers à l’époque. Il tape principalement dans Little Richard («Hey Hey hey Hey», «Slippin’ & Slidin’», un «Long Tall Sally» embarqué au fouette cocher, et «Good Golly Miss Molly»), il est bien énervé, mais cet Anapurna appartient à Little Richard. Et puis le son est trop anglais. Sur ces classiques, on est habitués au son de la Nouvelle Orleans. C’est avec «Private Detective» qu’il rafle la mise, car il chante ça au big raw, puis il se lance à l’assaut de «Shimmy Shammy Shingle» avec un courage qui l’honore, mais bon, il arrive après la bataille et les gens sont passés à autre chose.

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             Tous ses fans attendaient des merveilles de son retour aux affaires. L’album sans titre paru sur London Records en 1967 répondit aux attentes. Car on y trouvait «Bird Doggin», qu’il faut considérer comme l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock, puisqu’il illustre le grand retour de Gene Vincent. On le trouvait à l’époque sur un EP Challenge, mais pour les ceusses qui n’eurent pas la chance de choper l’EP, il restait la possibilité de choper le London album. Bon, on a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de «Bird Doggin’», Gene chante ça comme un dieu - All these sleepless nights/  I’m so tired of - pulsé par un beat des reins et fracassé à deux reprises par le wild killer solo de Dave Burgess, avec un retour en tiguili sur le tard. Cut magique. On trouve d’autres énormités sur cet album, comme par exemple «Poor Man’s Prison», un solid romp monté sur une belle structure de boogie, avec un Gene qui chante à l’insidieuse pervertie. Et puis «Ain’t That Too Much», belle giclée de Genetic power, monté sur un drive de basse atrocement dévorant et chanté au sommet du lard fumant. En 1967, Gene pouvait encore mener le bal des vampires.

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             On se souvient d’avoir éprouvé un grosse déception à la parution d’I’m Back And I’m Proud. On s’attendait à la merveille des merveilles, car l’album paraissait sur Dandelion, le label de John Peel, il était produit par Kim Fowley et on avait encore dans l’oreille le mythique «Bird Doggin’». En plus, la pochette du pressage américain était un petit chef-d’œuvre. Mais ce fut une déconvenue aussi sévère que celle occasionnée par Shake Some Action, l’album beatlemaniaque des Groovies : on avait dans les deux cas des versions édulcorées d’artistes qu’on vénérait. Le Shake est passé par la fenêtre et le Gene a été revendu aussi sec, mais racheté à la première occasion, en croisant un pressage anglais dans un bac de Goldborne Road. I’m Back And I’m Proud fait en effet partie des albums qu’il faut réécouter régulièrement, même si la fin de la B indispose toujours autant. On revient toujours à la triplette de Belleville, «Sexy Ways», «Ruby Baby» et «Lotta Lovin’», car Gene est un remarquable interprète, il remplit bien l’espace et derrière, on a l’heavy attack de Skip Battin et de Johnny Meeks. C’est du classic rockalama, mais quel son ! Kim Fowley ne fait pas n’importe quoi. En A, Red Rhodes illumine «Rainbow At Midnight» d’un solo de slide et Johnny Meeks arrose «White Lightning» d’une belle dégelée de wild craze. On le voit aussi rôder dans l’«In The Pines» - Where the sun never shines - Skip Battin y vole le show avec un bassmatic aventureux, ce qui paraît logique pour un Byrd.

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             En 1970, paraissait un nouvel album sans titre de Gene Vincent sur Kama Sutra. C’est l’un de ses meilleurs albums. Il ouvre son balda avec un «Sunshine» signé Mickey Newbury et tu sens aussitôt monter un parfum Tex-Mex, logique puisque Johnny Perez et Augie Meyers jouent derrière. On se croirait sur Mendocino, c’est bourré d’esprit, de feeling et de spiritual spiritus sanctus. Petite cerise sur le gâtö, c’est enregistré par Dave Hassinger à Hollywood et produit par Tom Ayres. Toute la bande embarque «Slow Time Comin’» pour un voyage hypnotique de 9 minutes, à la croisée du Tex-Mex et du Cubist Blues. Bien vu et bien foutu. On trouve un autre cut hypno en bout de B, l’excellent «Tush Hog», chanté à la Gene et allumé par des guitares vicelardes. Gene fait aussi du Cajun avec «Danse Colinda» - Elle dansait pour moi Colinda/ Elle dansait ce soir - Une pure merveille. C’est à ce genre d’exercice qu’on mesure la hauteur d’un géant. Le «500 Miles» qui ouvre le bal de la B sonne comme «J’entends Siffler Le Train». Et Augie Meyers ramène son shuffle sur «I f Only You Could See Me Today». On s’y sent tout de suite en sécurité, c’est fabuleux de Texarcana. 

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             Le deuxième (et ultime) album de Gene Vincent sur Kama Sutra s’appelle The Day The World Turned Blue. Il paraît en 1971, l’année de sa disparition. On a le choix entre deux pochettes : Gene en gros plan à côté d’un lion, et Gene photographié derrière une baie vitrée fracassée, à l’image de sa carrière. On sent qu’il se bat comme un beau diable sur cet album qu’il attaque comme le précédent avec une compo signée Mickey Newbury, «How I Love Them Old Songs». Il ramène encore une fois un parfum de Cajun dans le chant et c’est un délice que de l’entendre chanter. On le sait depuis le début, Gene adore les bluettes, alors il se ramène avec «You Can Make It If You Try» qu’il savoure dans sa bouche. Puis il s’enfonce encore un peu plus dans la romantica avec «Our Souls», une compo signée Jackie Frisco, the beautiful wife. Si on attend un miracle, il est en B, en ouverture de bal, c’est le morceau titre, une compo à lui, une big pop de type «Eve Of Destruction», il ramène pas mal de power dans son turned blue. Puis il rend un bel hommage à son copain Carl avec «Boppin’ The Blues». Il ramène pour ça du piano et des guitares bien rock. 

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             Absolument indispensable à tous les fans de Gene : le coffret Rock’n’Roll Legend, paru en 1977 en France sur Capitol. Très bel objet, quatre LPs et un book de photos, plus un 45 tours d’interview. Il est indispensable car on y trouve tous les hits qui ne figurent pas sur les cinq albums Capitol, tiens comme par exemple «Race With The Devil» ou encore «Crazy Legs», des vraies bombes de bop, uniques et parfaits, avec un joli départ en solo du grand Gallopin’. Pulsatif d’excelsior embarqué au slap de she’s may baby et ça tatapoume dans l’écho du Capitol. Et puis la pureté du slap ! Le son Capitol est capital. On réécoute avec un plaisir sans nom le vieux «Be-Bop-A-Lula». Que de soin apporté à ce hit ! C’est du niveau de ce que fit Uncle Sam avec Elvis. Encore du Capitol Sound avec «Well I Knocked Bim Bam», Gene adore lancer ses Blue Caps à l’assaut de la fête foraine et tu as toujours l’énergie du slap de Capitol. Sur le disk 2, tu vas croiser l’infernal «Lotta Lovin’», bien claqué par le Gallopin’, la classe absolue, solo insidieux comme pas deux. Et puis tu as la haute voltige de «Dance To The Bop» et un Gallopin’ qui croise le slap. À cette époque, tout est solide chez Gene, il est sur tous les fronts. Alors qu’Elvis s’enfonce dans la mouscaille chez RCA, Gene Vincent rocks it hard avec «Right Now» et «I Got A Baby». Sur le disk 3, tu vas te régaler avec «Rocky Road Bues», l’un des rockabs les plus parfaits de l’époque. Il le développe au cri de relance, avec une énergie considérable. Il monte au créneau du ooouh et laisse le champ libre au solo de piano. C’est ce qu’on appelle le pulsatif du diable. «Say Mama» sonne comme un classique intemporel, c’est même le bulldozer de Gene, il enfonce tous les barrages. Il s’en va tester sa voix avec «Over The Rainbow» et fait son Fatsy avec «Wild Cat». Mais c’est «Pistol Packin’ Mama» qui va t’emporter la tête comme le ferait un boulet d’abordage. Fantastique intro de basse et Gene chante à la frénésie exacerbée, c’est d’autant plus explosif que le bassmatic tend ce cut qui flirte avec une certaine exotica. Et puis comme on l’a vu avec les cinq albums Capitol, on perd le Gene qu’on aime sur le disk 4 du coffret. Trop mou du genou.

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             Si on est curieux et qu’on en pince pour le grand art de Gene Vincent, alors on peut se payer le luxe intérieur d’écouter une compile de wannabes, They All Wanna Sound Like Gene. On la trouvait facilement dans les bacs de rock’n’roll, à l’époque. Et tous les groupes qui y figurent s’arrangent pour rendre de vrais hommages à leur idole, tiens, par exemple Mike Waggoner & The Bops, avec un «Hey Mama» bien wild, ou encore les Muleskinners avec une fantastique cover de «Rocky Road Blues», on les voit débouler dans le Rocky Road avec une énergie similaire à celle de Gene. Johnny Carroll fait un Be Bop pas très bon, par contre, en B, The Keil Isles montrent une belle tenue de route avec «Boogie Boy». Et ça repart de plus belle avec Gene Rambo & The Flames et «My Little Mama», ils basculent dans le Gene pur, c’est extrêmement bien exacerbé aw yeah avec du piano à la Jerr. Le mélange monte droit au cerveau ! Le mec des Superphonics chante exactement comme Gene, au petit sucré pointu, son «Teenage Partner» fait illusion. Et on retrouve The Keil Isles avec une explosive version de «Say Mama» ce qui sera en ce qui nous concerne la plus belle des fins de non-recevoir.

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    Signé : Cazengler, Blême Vincent

    Gene Vincent & His Blue Caps. Bluejean Bop. Capitol Records 1956

    Gene Vincent & His Blue Caps. Gene Vincent & The Blue Caps. Capitol Records 1957

    Gene Vincent. Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll. Capitol Records 1958

    Gene Vincent & His Blue Caps. A Gene Vincent Record Date. Capitol Records 1958

    Gene Vincent. Sounds Like Gene Vincent. Capitol Records 1959

    Gene Vincent. Crazy Times. Capitol Records 1960

    Gene Vincent & The Shouts. Shakin’ Up A Storm. Columbia 1964

    Gene Vincent. Gene Vincent. London Records 1967

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

    Gene Vincent. Gene Vincent. Kama Sutra 1970

    Gene Vincent.  The Day The World Turned Blue. Kama Sutra 1971

    Gene Vincent & The Blue Caps. Rock’n’Roll Legend. Capitol Records 1977

    They All Wanna Sound Like Gene. Thunder Records

    Jack Watkins : Be-Bop don’t stop. Record Collector # 526 - Christmas 2021

     

     

    Miller Ethan son empire

     

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             Dans un bel article de Classic Rock, Dave Everley indique qu’Ethan Miller ressemble à sa musique - He looks equally as wild as his music sounds - Avec sa coupe de cheveux improbable, sa barbe d’ostrogoth en rut et son manteau afghan, Ethan Miller semble sortir des bois, comme le fit Jimi Hendrix à une autre époque : avec une classe animale. Si Miller sort des bois, c’est pour rocker la planète à sa façon. Il hume l’air : «On sent qu’il y a de l’espoir et du désespoir en même temps.» Et il ajoute : «I want to echo that.» Bien vu, Mister Miller. Il vient des Redwoods du Nord de la Californie. Située entre San Francisco et Portland, il appelle ça the lost coast. C’est la région des séquoias géants. Il a quinze ans quand il découvre la scène d’Eureka et Buzz Osbourne des Melvins, c’est-à-dire l’apanage de la heavyness. Mais il dit aussi garder un pied dans le rock classique des Beatles, de l’Airplane et de Crosby Stills & Nash. Monsieur a le bec fin. Et c’est à peu près tout ce que nous apprend Dave Everley.

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             Si les Hellacopters furent longtemps considérés comme les rois du blast, ce titre revient désormais à Ethan Miller. Son premier album avec les Comets On Fire est un chef-d’œuvre blastique incomparable. Ethan dit au bassman Ben : «Let’s do a little project where we just blast this thing out.» Alors ils blastent. Disons que Comets On Fire propose une certaine idée du son. Ça saute à la gueule dès «All I Need», trash démentoïdal d’action directe. On gagne beaucoup à connaître cette bande d’activistes. Avec son chant incendiaire, l’Ethan éclaire la plaine. «With the Echoplex, I went bananas», dit-il. Il se comporte comme un puissant défenestrateur, un horrible trasher. Il barde ses cuts de son et de spoutniks. Ce groupe fait plaisir à voir. L’Ethan prend tout à la hurlette contrite, à la grosse gueulante, il braille comme cet hérétique tombé aux mains de la Sainte Inquisition, ouuaaahhh, ça fait mal rien que d’y penser, c’est bardé de coups de wah enragés et ça trash-boome in the face of God. Encore une vraie dégelée avec «Got A Feeling», cut invraisemblable et bourré de son. Ils passent à la heavyness avec «Rimbaud Blues», l’Ethan hurle comme un damné, mais un vrai damné, pas un faux, il joue la carte du malheur définitif, avec le beat des éléphants de Scipion. Ils embarquent «Let’s Take It All» au pire trash-beat de la stratosphère, ils en arrivent au point où les notes ne signifient plus rien, ils livrent un blast liquide, tout est porté à incandescence, c’est du génie de destruction massive. Même chose avec «The Way Down» explosé d’entrée de jeu, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, et même encore bien au-delà de ça, l’Ethan est un démon, mais un démon avec une vision, celle dont parle Bourdieu, oui, brûler des bagnoles mais avec un objectif. Les comètes sont en feu, tout est battu comme plâtre, tout est poussé au maximum des possibilités, le Miller n’en finira plus d’Ethan son empire. Il explose littéralement le son des seventies. Il règle tous les problèmes à coups de wah techtronique, il retrouve les vraies clameurs des armées d’antan, il manie le son comme une hache de combat. Ses coups de wah vacillent dans la torpeur d’un désastre sonique. Il bouscule même «Days Of Vapours», le dernier cut d’apparence pourtant ordinaire, pour en faire une énormité, un truc qui contient toute la violence d’un combat de plaine, vous savez, cette orgie de violence dont personne n’espère sortir vivant.         

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             Si on lit les notes de pochette au dos de Field Recordings From The Sun, on voit qu’Ethan Miller joue de la Destruction Fuzz Guitar, et ça s’entend dans «Return To Heaven», un simili-cut balayé par des vents violents. En fait, ça sonnerait plus comme une tentative de hold-up, car voilà du violent freakout doté de soubassements dévastateurs. Avec «Unicorn», Ethan et son équipe de desperados trempent dans une invraisemblable bouillasse coactive, et même coaxiale. Ils n’ont aucune chance d’atteindre la tête des charts, mais ils montrent des tendances affirmées et d’authentiques réflexes de violence sonique. Quand on écoute «The Black Poodle» qui ouvre le bal de la B bazire, on comprend que leur style s’apparente plus aux vents de sable du désert qu’au rock traditionnel. Ils cultivent une sorte de violence par rafales et mettent les oreilles d’autrui en danger, ce qui est tout à leur honneur. Cet album dépenaillé est tendu à l’extrême, bousculé dans le son, avec une quête constante de chaos sonique. Et Ethan le destructeur nettoie les tranchées au sonic boom.

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             Bong Voyage : deux faces, deux dégelées. Pas d’infos, pas de rien. Tout ce qu’ils savent faire, c’est démolir un immeuble. Ils ont tout ce qu’il faut pour ça : le foutraque, les puissances des ténèbres, les rognures de wah, la démesure sonique, le nihilisme et toutes les outrances. Ils démolissent le sacro-saint format disk. Il ne reste que le son, rien que le son. Plus de repères, plus de rien. Ils montent leurs cuts sur des modèles parfois hendrixiens, mais avec un côté outrancier. Miller n’en finit plus d’Ethan son empire. Il réduit le live à l’état de clameur improbable. On reconnaît le riff de basse de «Who Knows». Vers la fin de l’A, ils trempent en effet dans le Band Of Gypsys.

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             Il faut suivre l’Ethan à la trace, car il est capable de belles exactions. Blue Cathedral en est la preuve criante. Dès «The Bee And The Cracking Egg», on voit monter la démence d’une virée tourmentée par une basse incontrôlée. Des vents atroces balayent ce pauvre cut. L’Ethan joue au petit jeu de la tempête shakespearo-hawkwinesque, il vise l’ultra de l’au-delà du monde connu. Les oreilles du casque palpitent, tout bouge dans la cambuse, on se croirait au passage du Cap Horn par une nuit de tempête. Les Comets On Fire font carrément leur Fun House. Ils nous proposent une chevauchée sauvage digne des Walkiries. Rien d’aussi dingoïdal. Mais attention, les cuts sont interminables. On risque de décrocher. Ces mecs sont bien gentils, mais ils ne se rendent pas compte. Ils repartent pour sept minutes de «Whiskey River», nouvelle giclée d’expérimentation co-axiale. L’Ethan s’étend à l’infini. Comme Néron, il vise la folie. C’est un amateur d’excès. Il a rassemblé toutes les légions de la prog aux frontières et les fait défiler en hurlant de l’imprécatoire. L’Ethan sait allumer les brasiers. On le sent investi d’une mission divine. Il gueule tout ce qu’il peut dans l’écho du temps. Et ça wahte dans des tourbillons de vents violents. Le seul moyen de s’en sortir avec ce genre de mec, c’est de se prêter à son jeu. Autrement, il vaut mieux s’en aller et donner le disque au voisin qui ne l’écoutera même pas. Avec «The Anthem Of The Midnights», on repart sur du quatre minutes - durée acceptable - mais quatre minutes de violence indescriptible. Ethan Miller est un fou dangereux, un amateur de violentes tempêtes, un Achab de Cap de Bad Espérance. C’est joué sans pitié pour les canards boiteux. Ce mec hurle tout ce qu’il peut hurler et graisse son mayhem aux pires guitares. On croirait entendre hurler la reine emmurée vivante dans le donjon. Trop d’énergie, beaucoup trop d’énergie ! Avec «Wild Whiskey», ils vont là où Syd Barrett n’a jamais osé aller. Too far out, baby. C’est tablé aux tablas et immensément wild. Mais too far out. Ils bouclent cet album d’époque épique avec «Blue Tomb», une pièce de heavyness étalée sur dix minutes. Qui peut résister à ça ? Nobody, baby. Ils partent sur les vieux accords de blues rock de Croz. Le groove est celui de «Cowboy Movie». Ils y plongent comme des dauphins. C’est inspiré par les trous de nez. Pure démence de baby low, heavy comme la tombe, lourd comme l’enfer, dur comme la mort, si bien vu. Bienvenue dans le son de l’au-delà.

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             Si on rapatrie l’Avatar paru deux ans plus tard, c’est uniquement pour écouter ce coup de génie intitulé «Holy Teeth». L’Ethan amène ça à la furia del sol du trash-gaga. On le sent déterminé à vaincre. Quelle tranche de trash ! Une fois de plus, il sort de sa réserve et devient violent. Comme le cut est court, ça reste de la vraie violence d’écho de guitares. Une fois encore, les Comets balayent tout ce qui est autour. Mais attention, les autres cuts valent aussi le détour, à commencer par «Dogwood Rust», jazzé du jive et chanté à plusieurs voix, on a du féminin et du masculin aux barricades, mais ils échappent à tous les formats. Ils continuent de jazzer le jive avec «Jaybird». Ils ne se refusent aucune figure de style et s’amusent une fois de plus à échapper aux formats. L’Ethan fait des bras et des jambes pour se montrer intéressant. Les Comets reviennent aux morceaux longs avec «The Swallow’s Eye». Quand on écoute un album des Comets, il vaut mieux éviter de prévoir des rendez-vous. L’Ethan vire proggy et on se demande ce qu’on fout là, sous le casque. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on écoute cet album. Ses long cuts intriguent tellement qu’on y revient. Ce sont des fourre-tout gorgés de sonic trash. Plutôt que de chercher à plaire, ils vont dans l’autre sens, ils en rajoutent. Même chose avec «Sour Smoke», 8 minutes de stomp barbare. On croirait entendre une armée antique en marche, celle dont les fantassins frappent leurs boucliers à coups de glaives pour se donner du courage face à un ennemi en surnombre, et soudain, les instruments se livrent à des fantaisies inespérées. Comme tout cela est curieux ! On voit même des pianotis chatouiller le stomp. L’Ethan nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il dit aussi que cet album est un destroyer pour Comets, car ils atteignent leurs limites.

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             L’Ethan conduit une autre meute à travers les plaines : Feral Ohms. Un Live In San Francisco récemment paru témoigne de leurs exactions soniques. Dès «Early Man», la violence s’impose. Ils jouent très vite, dans une sorte de folie incontrôlable avec un son à la Motörhead. C’est un peu comme si Attila avait inventé en son temps le rouleau compresseur. Nouvelle expérience tragique avec «Teenage God Born To Die» : tout est densifié aussi bien dans l’espace que dans le temps. On sent l’air se raréfier. Ethan et ses hommes trépident ventre à terre, ils tâtent du gros son américain. Pour les amateurs de napalm, c’est un bonheur. Tout est démesurément clamé dans la clameur, tout passe dans le rouge du vif de l’action, dans l’excès démentoïde de la furia del sol. Inutile de préciser que le carnage se poursuit en B. Tout y nivelé au plus haut niveau de la banalité du blast. Aucune rémission n’est envisageable. On assiste même au naufrage de «The Glow», noyé de son et destiné au néant psychédélique.

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             Il vient juste de réaffirmer sa tendance au blast définitif avec un nouvel album de Feral Ohms. Il y joue ouvertement la carte du power-trio déblastateur, de type Motörhad/Husker Dü, mais en mode californien, c’est-à-dire hautement énergétique. Dès «Love Damage» et «Living Junkyard», on est fixés sur ce qui nous attend. Il vise le grand large de l’ad vitam aeternam blasmatique. On note au passage qu’il travaille avec le mec du Dock, Chris Woodhouse, comme John Dwyer. Il chauffe toute l’A à blanc avec un chapelet de saucisses fumantes, «God Of Nicaragua», «Value On The Street» et «Super Ape». Chez lui, tout n’est que luxe poilu, calme impossible et volupté stridente. Il ultra-blaste en permanence. On dirait même qu’il parvient à aller plus loin que les autres, alors qu’on croyait ça impossible. Son «Super Ape» paraît extrêmement énervé, c’est une véritable bénédiction pour tous les tympans crevés. Relentless, telle est la morale de cette sombre histoire de blast marmoréen. N’allez pas croire qu’il va se calmer en B. Bien au contraire. Dès «Teenage God Born To Die», on est fixé sur ce qui nous pend au nez : une trombe cyclonique qui emporte tout sur son passage. Ethan pourrait bien être le grand balayeur définitif. Son «Early Man» est tellement blasté de la paillasse qu’il en devient inclassable. On pourrait presque parler de Millerisme. Chez lui, trop de blast ne tue pas le blast, comme on pourrait le croire, mais au contraire, son blast génère du blast. No seulement il le génère, mais il le dégénère. Cet album est plein d’une vie insolite. Il tape dans le heavy blues avec «Sweetbreads» et nous livre une pièce de gros rock coulant et onctueux. Tout y est : le stonage du stoner à la Monster Magnet et la démesure de Blue Cheer, c’est-à-dire l’excellence de l’intemporel. Il boucle cet album pour le moins faramineux avec «The Glow», qui sonne comme une délectation de heavyness considérable. Tout est joué sur le mode du raid d’aviation à la pulsasivité démoniaque, tout est saturé de son oint, de glue jaune. Ce génie de Miller Ethan encore l’empire du sonic trash.

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             La troisième mamelle de l’Ethan s’appelle Howlin Rain. Avec ce groupe, l’Ethan teste un autre son et un autre mode de fonctionnement : Comets est une démocratie, avec Howlin Rain, il est bandleader. Un premier album modestement titré Howlin Rain paraît en 2006. Il y fait des miracles en termes de pop atmosphérique, comme on le constate à l’écoute du premier cut, «Death Prayer In Heaven’s Orchard». C’est à la fois puissant et souverainement emmené. Il hurle sa fin de cut avec toute la puissance dévastatrice d’un Bob Mould frank-blacklisté, mais en plus raunchy, if you see what I mean. La fête se poursuit avec «Calling Lightning With A Scythe», une sorte de balladif possédé par le diable. L’Ethan est l’un des grands génies du songwriting américain contemporain. On a là un cut chargé de son et de texte, complètement ravagé par un solo d’une trashitude définitive. Ce mec a tellement de génie qu’on s’en émeut sincèrement. Il va encore plus loin que William Reid, comme si c’était possible. Avec «Roll On The Rusted Days», il tâte du rock rapide qui file ventre à terre. C’est presque de la Stonesy. L’Ethan est capable de taper dans tous les genres confondus. Il repasse un solo de distorse maximaliste. On sent chez lui une liberté de ton unique au monde et comme il savait si bien le faire au temps des Comets On Fire, il finit en belle apocalypse. Dans «The Happy Heart», on l’entend hurler à la tête de l’escadron et ça se termine évidemment en apothéose de destruction massive. Cet album se montre étonnant de bout en bout. L’Ethan tape dans la heavyness pour «In The Sand And Dirt», mais pas n’importe quelle heavyness, celle de la dernière chance - These beat a new heart in space and soil - Quel fabuleux explorateur d’espaces - Like a choice of rabid hens - C’est vrillé de son, gratté en fond de cale et pianoté dans un recoin de la conscience - Burry with you all of your songs/ All of your death dreams -  et il termine cet album mirobolant avec l’énorme «The Firing Of The Midnight Rain».           

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             Wild Life est un drôle d’album. L’Ethan y propose un cut sur chaque face, une sorte de slow burning heavy jam system of it all. Howlin Rain joue live, comme l’indique l’insert, together and with no overdubs, vocals or otherwise. L’Ethan ajoute que le morceau titre qui remplit toute l’A est une méditation improvisée sur la chanson de McCartney. On a donc un chant de fou dangereux, une espèce de jam immanente et sur la pochette, un painting de Raeni Miller intitulé Cow’s Heads, bien macabre, car les têtes des vaches sont pelées. Rahhhha oui, comme dirait Rahan, on se demande quel intérêt présente un tel album. On fuyait les longues jams jadis, mais on finit par s’intéresser au chant tantrique d’Ethan, qui, comme les prêtres martyrisés d’Andrei Roublev, avance dans la toundra les yeux crevés. De la même façon que l’ineffable Andreï Tarkovski, l’Ethan restera mystique jusqu’à la fin des temps. 

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             Un joli papillon orne la pochette de Magnificient Fiend paru en 2008. Quel album ! L’Ethan s’y révèle prince des apocalypses. Il dédie «Dancer At The End Of Time» à Michael Moorcock. On a donc du prog, mais du prog musculeux. L’Ethan n’est pas un plaisantin, on l’a bien compris. Il semble toujours vouloir se situer aux avant-postes catégoriels. Il cherche en permanence le plein du son et le délié des idées, et ne lésine jamais sur les quantités. Il tape dans la Stonesy de mid-tempo pour «Calling Lightning Pt. 2». Il ne laisse absolument rien au hasard. L’Ethan se veut fervent défenseur des droits du son. Pas question de maltraiter une chanson. Il lui redonne chaque fois un terreau d’élection et une manne nourricière sous forme de texte dodu - We are only slaves to our distant youths and coming graves - Comme il a raison ! Les choses se corsent sévèrement avec «Lord Have Mercy». L’Ethan s’impose en leader accompli. Il grave tout son art dans le meilleur marbre de Carrare. Il officie en vrai chef de guerre, il ne plie jamais devant l’adversité et tient tête quoi qu’il arrive - Lord have mercy on my soul - Il prie intensément. Oui, l’intensité reste son maître-mot, son passe-droit, son Memo from Turner, c’est extrêmement puissant, chargé de son et embarqué au-delà de toute mesure. Tiens, encore une énormité avec «El Ray». On assiste en direct à l’explosion d’un refrain. L’Ethan pulvérise tous les records de qualité intrinsèque. Il chante avec la voix blanche d’un mec qui a trop hurlé dans son micro. Les cuivres explosent le refrain. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie - You don’t have to go through any more changes/ It’s all done now - Il revient à sa chère démesure. Il faut vraiment ranger l’Ethan sur l’étagère des seigneurs. Sous ses aspects sauvages, «Goodbye Ruby» reste très classique. C’est tout de même très bardé de son, comme d’ailleurs tout le reste de cet album qui se noie dans l’océan du son.   

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             On retrouve ce chanteur exceptionnel sur The Russian Wilds paru en 2012. Rick Rubin entre dans la danse. L’Ethan est assez critique, car à l’époque Rubin est une superstar qui se mêle de tout et la pré-production dure trop longtemps - Masterpieces can be made in one session, nous dit l’Ethan - L’album est très décousu, car l’Ethan touche à tous les styles. Il attaque avec le heavy blues de «Self Made Man» - You’re a haunted man - C’est assez admirable de stonérisation des choses et une nommée Isaiah Mitchell vient mêler sa salive à celle de l’Ethan - You’re a violent dog/ Like the death squad boys down in Brazil - C’est sûr, ils créent un monde et ça fuit au long du cours d’un beau solo fleuve. Quelle extraordinaire expédition ! L’Ethan monte de sacrées architectures, comme savaient le faire les groupes ambitieux des années de braise, les King Crimson et autres Soft Machine. L’Ethan se veut plus poppy avec «Phantom In The Valley». Et puis on revient au fatras épique avec «Can’t Satisfy Me Now». L’Ethan semble vouloir absolument se disperser. Dommage car on sent en lui la force du géant. Il sait gueuler au moment opportun. Il peut screamer la Soul de pop avec aplomb. Il force la sympathie et vise inlassablement l’ampleur. Avec ce cut, il redevient un fabuleux Soul Man. Et puis avec les derniers titres, on voit qu’il s’efforce d’échapper aux genres. Avec «Dark Star», il revient à sa chère hurlette et passe à la Soul de pop avec «Beneath Wild Things». Il chauffe sa soupe avec un talent certain. Terminus avec «Walking Through Stone» qui a des allures de hit fatal. L’Ethan est une espèce de roi du Soul-baladif de barbu. Il brille comme un phare dans la nuit et se plait à porter les choses à ébullition. Petit conseil d’ami : ne le perdez pas de vue.

             Après la tournée de promo, l’Ethan perd ses copains Joel, Raj et Isiah. Le cirque Rubin et The Russian Wilds leur est fatal.

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             Le problème avec l’Ethan et son petit label Silver Current, c’est qu’il sort des albums tirés à 300 exemplaires et ils disparaissent aussitôt des radars. Et on comprend pourquoi quand on écoute The Griffin, paru en 2013, et qui fait justement partie de ces petits collectors de San Francisco. On y retrouve l’effarant «Calling Lightning PT. 2», pétri d’excellence et doté de toute la prestance des passations d’accords. L’Ethan s’ancre dans le Marriott System, avec une incroyable stature. Il enchaîne ça avec la merveilleuse explosion de «Killing Floor/Evil». Il y gère la folie de l’âge d’or du rock, et il y ramène tout le souffle de sa fournaise. Rien ne peut résister à un tel géant. On entre dans ce disque live comme dans un rêve, et ce dès «Phantom In The Valley», une pop qui attache bien au plat, grattée avec une détermination non feinte. Il sonne vraiment comme Steve Marriott dans «Darkside» et renoue avec la puissance exponentielle dans «Can’t Satisfy Me Now». Il faut vraiment écouter les albums de ce géant, il a toutes les puissances chevillées au corps, il peut prétendre jouer dans la cour des grands. D’ailleurs, il n’a besoin de l’avis de personne, puisqu’il y joue déjà. On retrouve aussi l’extraordinaire «Roll On The Rusted Days», soulfull en diable, ancré dans le meilleur Seventies Sound qui soit ici bas. L’Ethan y refait son Marriott avec un bonheur égal, c’est chargé de son à ras-bord et joué avec une fracassante aménité. Sa bonne foi finit par troubler le lapin banc.

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             En 2016, l’Ethan se retrouve sans groupe et sans label. Il forme un autre groupe, Heron Oblivion. Un album sort sur Sub Pop et encore une fois, c’est un album énorme. Il met une petite chanteuse au centre, une nommée Meg Baird et dans «Sudden Lament», elle se noie dans les vagues de son. L’Ethan ramène des guitares incendiaires dans le flou du cut et joue des notes à la traînasse, c’est un fabuleux tripatouilleur de brasier, et c’est d’autant plus choquant que Meg Baird chante d’une voix paisible. Même ruckus avec «Faro», où Miller Ethan une fois de plus son empire avec des power chords écrasants de béatitude, il défriche des zones de non-retour, il explore des corridors interlopes, il bouscule les limites de l’horreur sonique, il cherche des échappatoires impossibles, c’est un cœur qui bat et qui explose. Violence pure ! Il tire ses notes par les cheveux. Chaque fois, la voix de la petite Meg fonctionne comme un hameçon et t’es baisé, comme avec «Your Hollows», elle aguiche le chaland et l’Ethan se charge de le cueillir ! Et il te wahte dans le chaos. «Oriar» sonne encore comme une violente tempête, il en fait un jeu, une vierge chante et lui sème la chaos sur la terre comme au ciel. Il organise une fabuleuse fournaise de wah et de dévastation. La fête se poursuit avec «Rama», Meg Baird est toujours dans le vif du sujet et l’Ethan aussi, parfois il se met à sonner comme un requin devenu fou, il crée trop de tension, on s’attend au pire à chaque instant, la basse sature, elle va crever sur place, te voilà au milieu de Miller l’absolu dingoïde de freakout.

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             L’Ethan demande ensuite à Heron Oblivion de l’accompagner pour redémarrer Howlin Rain. Il décide cette fois d’improviser, the complete opposite to The Russian Wilds. Ça donne encore un album extraordinaire : Mansion Songs. Il s’y niche une merveille intitulé «Ceiling Far» dans laquelle l’Ethan cite Fellini, Werner Herzog et d’autres géants de la libre pensée - I’m in a white suit on a Herzog river/ Full of insects snakes and honeybees/ Wearing insane eye make-up and a silver gawn - Fantastique chanson littéraire et dans les deuxième et troisième couplets, il va sur Londres et Dylan. L’Ethan tape là dans l’universalisme. On reste dans la chanson d’exception avec «Lucy Fairchild», une histoire qu’il situe en 1895 - Down in Texas found our fight/ My head dripped in Apache blood and smoked in canon fire - Il rêve de revoir Lucy Fairchild’s bed. L’Ethan se situe au niveau de Midlake et des Drive-By Truckers. Oh et puis attention à ce «Big Red Moon» d’ouverture de bal car l’Ethan y fait du gospel batch de bitch. On assiste à une fantastique envolée d’ampleur cosmique - Shine on down - L’Ethan n’en finit plus d’étendre don empire. Il shoote dans son bras toute la démesure du rock américain - Shine on down - Il n’en finit plus de créer des mondes - Bleached in smoke and whiskey and/ Black hole nova eyes with nothing/ Left behind us when we/ Ride the skies - Et dans le «Meet Me In The Wheat» qui suit, les chœurs font hallelujah ! L’Ethan installe le gospel batch dans les champs de blé, c’est bardé de coups de gimmicks de vieille Stonesy et c’est chanté à l’incroyable feeling déflagratoire. Quel créateur d’empires ! Il tape là dans des ardeurs cosmiques de cinépanorama, c’est gorgé de son jusqu’à la nausée salvatrice. L’Ethan chante comme un Raspoutine des plaines d’Amérique, en vrai possédé. On retrouve la démesure du gospel batch dans «Wild Bush» et ça vire à l’exponentiel d’excellence cathartique. L’Ethan recrée un par un tous les bons plans du rock américain. Ici, on croit entendre un énorme classique de rock seventies, un truc qui serait du niveau des grands albums de Delaney & Bonnie.

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             Nouvelle équipe pour The Alligator Bride. On peut dire que l’Ethan s’est calmé. Il passe à une sorte de folk-rock hanté par les démons de la cavale. Ce qui ne l’empêche nullement de renouer avec le génie, comme on peut le constater à l’écoute de «Missouri». Quel shoot d’Americana ! Il part en bonne vrille dans un délire de bassmatic à la Jack Bruce. On peut parler ici de musicalité exponentielle. L’Ethan presse et presse encore, alors ça jugule dans les culbuteurs, jusqu’à l’apothéose des paradis perdus, un peu vieillis, un peu dandys. Comme toujours, ses cuts sont très écrits, il suffit d’écouter «Alligator Bride» pour s’en convaincre définitivement - I just stopped to light a cigarette/ And found a dime in the street - Ça joue à deux guitares, lui et Daniel Cervantes, épaulés par ce diable de Jeff McElroy au bassmatic. On pourrait les comparer aux Drive-By Truckers. Ils tapent le «Rainbow Trout» au boogie classique de type Canned Heat - It’s eating me alive/ And it’s just outside - L’Ethan colle le boogie au poteau pour le fusiller, et il coule in the cold blue sea. Il prévient, believe me, you’re gonna need another day. Très captivant. Il boucle cet album étrangement calme avec «Coming Down», un balladif éperdu - Only the shadows remain - Il a foutrement raison. On assiste à un final flamboyant, mais on sent une légère tendance à ralentir.

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             Annoncé dans Shindig! par un bel article de Johnnie Johnstone, on attendait The Dharma Wheel comme le messie. Un double album en plus ! Johnstone n’y va pas de main morte puisqu’il parle d’une renaissance d’Howlin Rain, de comet-shattering space-psych, de country funk et de down-home southern soul et il redouble de lyrisme en déclarant subitement : «It’s like a sonic ménage à trois between Danny Whitten, Paul Rodgers and Shuggie Otis, moving effortlessly through stadium, space and swamp.» Mais il semblerait que l’Ethan n’étende plus son empire et qu’il ait mis beaucoup d’eau dans son vin d’Howlin. Il va plus sur la country. On se croirait chez les Flying Burrito Bros. On s’ennuie en A et on aborde la B avec circonspection. Le cut s’appelle «Under The Wheels». L’Ethan se veut résolument poignant, juteux, plein de lumière et de vitamines. Il veut darder aux Dardanelles, il déclenche de vieilles averses de son radieux, son truc c’est l’apothéose, alors il se déguise en Saint-Jean pour que ça éclate et ça éclate enfin. Johnstone parle d’un huge sonic leap forward. Il remarque aussi que la musique d’Howlin bascule dans la spiritualité, comme si l’Ethan cherchait son propre dharma, c’est-à-dire la réponse qu’on se pose tous à propos du sens de la vie. L’Ethan se pose des questions, se demandant si l’air est Dieu ou une partie de Dieu ? Pareil pour la musique. Est-elle Dieu ou une partie de Dieu ? Mystère et boules de gomme. Alors Johnstone qui est rusé comme un renard en conclut que la musique d’Howlin Rain incarne l’esprit de ce mystère. Comme ça au moins on est content car on n’a rien compris.

           L’Ethan nous refait le coup de la petite apothéose sur le deuxième cut de la B, «Rotoscope». En C, il ne se passe rien, c’est même un peu mou de genou. On arrive hagard en D pour se farcir le morceau titre. L’Ethan y sonne un peu comme Stephen Stills, il cultive les bouquets d’harmonies vocales. Mais on sent aussi qu’il rêve d’apocalypse, il parie sur le démontage des éléments, il faut que le ciel noircisse, que la menace se précise et surgissent alors les pianotis d’Aladin Sane dans le chaos qui s’annonce. Après une petite accalmie, il refait son Saint-Jean et libère ses fureurs. Mais bon, Miller n’Ethan plus son empire.

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             Par contre, il conclut l’article de Johnstone sur une note d’espoir : «Il y a plus de grande musique et d’excellents albums qu’il n’y en avait auparavant.» Et il ajoute plus loin que les manœuvres sournoises de l’industrie du disque n’altèrent en rien la fantastique explosion de créativité actuelle - The incredible creative explosion happening out there - Il parle d’un infini de possibilités. Avec sa grande barbe, l’Ethan ressemble à un messie.

    Signé : Cazengler, Howlin Ruine

    Comets On Fire. ST. Not On Label.        

    Comets On Fire. Field Recordings From The Sun. Ba Da Bing 2002

    Comets On Fire. Bong Voyage. Bad Glue 2003

    Comets On Fire. Blue Cathedral. Sub Pop 2004

    Comets On Fire. Avatar. Sub Pop 2006

    Feral Ohms. Live In San Francisco. Castle Face 2016

    Feral Ohms. ST. Silver Current Records 2017

    Howlin Rain. Howlin Rain. Birdman Records 2006          

    Howlin Rain. Wild Life. Three Lobbed Recordings 2008

    Howlin Rain. Magnificient Fiend. Birdman Records 2008  

    Howlin Rain. The Russian Wilds. Birdman Records 2012

    Howlin Rain. The Griffin. Silver Current Records 2013

    Howlin Rain. Mansion Songs. Easy Sound 2015

    Heron Oblvion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Howlin Rain. The Alligator Bride. Silver Current Records 2018

    Howlin Rain. The Dharma Wheel. Silver Current Records 2021

    Heron Oblivion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Dave Everly : Howlin Rain. Classic Rock # 251 - Summer 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Nothing butt the Buttshakers (Part Two)

     

             On frappa à la porte. L’avenir du rock alla ouvrir. Un chevalier en armure rouillée lui tendit sans mot dire un rouleau de parchemin, salua d’un hochement de heaume et remonta péniblement en selle, poussé au cul par un valet ventripotent et court sur pattes. Puis le valet enfourcha sa mule et suivit le percheron de son maître. Avançant au pas, clapota-clapoto, ils s’enfoncèrent tous les deux dans les ténèbres. L’avenir du rock alla s’asseoir près du candélabre et déroula le parchemin. Il s’agissait d’une invitation d’Hugues de Gournay, sis en son domaine castral de Montfort, à venir festoyer de tout son Soul en gente compagnie, le premier samedi de juin de l’an de grâce en cours. L’avenir du rock loua donc un percheron chez Perchavis et prit le chemin de la vallée. Trois jours plus tard, il arriva en vue des ruines de la forteresse. Bien que transparent, Hugues de Gournay faisait un très beau fantôme. Comme l’avenir du rock l’aimait bien, il s’autorisa une petite familiarité :

             — Par Dieu, Seigneur Hughes, l’Anglais vous a citadelle bien démantibulé. Quelle outrecuidance !

             — Hélas oui, avenir du rauque, j’eus bien le malheur de murs livrer à Philippe Auguste, ce qui ne manqua pas d’attiser le courroux de Jean, roi d’Angleterre, lequel envoya ses gens d’armes tours détruire et puits boucher. J’en versai moult larmes de sang.

             — Puisque vous reçûtes Philippe Auguste, vous connaissez donc le preux Marquis Des Barres, lequel vint à la rescousse du roi son maître au plus noir de la bataille de Bouvines ?

             — Ah roi du ciel, certes oui, j’ai de le connaître cet honneur.

             — Savez-vous que son héritier, le 26e Marquis Des Barres, de nos jours rocke la calebasse de la rascasse ?

             — Nous rauquerons la calebasse de la rascasse un autre jour, avenir du rauque, car il est temps de festoyer jusqu’à l’aurore en compagnie des Buttes Chaquères, de hardis ménestrels qui comme le gentil seigneur de Bayart, rauquent la soule sans peur et sans reproche. 

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             Personne n’en voudra à Hugues de Gournay de franciser les noms des gens. On comprend qu’il soit traumatisé par le destroy no future des Anglais. L’avenir du rock est ravi, car il tient les Buttshakers en très haute estime. Ils sont sans doute les derniers en Europe à maintenir la sacro-sainte tradition des Revues, telle qu’elle existait au temps d’Ike & Tina Turner, de James Brown & the Famous Flames, et de Sharon Jones & The Dap-Kings.

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             D’ailleurs, ça la fait bien rire Ciara Thompson quand on lui dit qu’elle est meilleure que Sharon Jones. Elle capte l’humour du trait puis se reprend aussitôt en signe de respect, she’s in the ground, dit-elle, et cette soudaine gravité dans le ton de sa voix nous renvoie au voodoo. Voodoo reste le mot clé, car elle reprend le flambeau de Sharon Jones et danse sur scène pendant plus d’une heure, dans un hallucinant climat de Juju fashion craze, elle danse et elle shoute, elle a tout le Black Power en elle, et comme chez les Dap-Kings, ça swingue tout autour d’elle, rien que des blancs, mais des cracks de la Soul.

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    Comme le gang de Gabe, ces mec-là sont fiers d’accompagner une Soul Sister aussi puissante, elle peut tout chanter - She can sing anything (Révérend Cleveland à propos d’Aretha) - la Soul, le blues, le funk, le gospel, elle a tout en elle, Ciara Thompson, la Soul Sister aux yeux clairs, she sets the stage on fire, oui, elle te met un show en feu en deux temps trois mouvements, avec une niaque qui vient de loin, puisqu’elle remonte non seulement à Sharon Jones, mais aussi jusqu’à l’early Tina de St-Louis, Missouri, lorsqu’elle s’appelait encore Anna Mae Bullock et qu’Ike venait de la dénicher.

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    Ciara Thompson véhicule cette tradition purement américaine des petites blackettes élevées dans la religion du gospel et de la Soul, alors la voilà comme tombée du ciel sur la petite scène d’un festival exotique, organisé dans les tréfonds de l’Eure, au pied des ruines d’un château du Moyen-Age. Le côté improbable de ce contexte donne à ce concert la touche surréaliste qui fait hélas défaut dans la plupart des événements urbains. Le fait que le concert ait lieu sous un chapiteau de cirque accroît encore ce délicieux sentiment d’incongruité. C’est un festival, d’accord, mais ce n’est pas Woodstock.

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    Il n’empêche que Ciara Thompson va chauffer la petite assistance avec l’énergie qu’elle mit jadis à chauffer la grande salle du Tétris, elle veut de toutes ses forces partager le power de la Soul avec les gens, elle descend de la scène et va les trouver pour danser avec eux, elle fait tout à la force du poignet et remonte sur scène d’un bond, aussi légère qu’une plume. Elle attaque son set avec «What You Say» tiré de Sweet Rewards, grosse dégelée de hard funk, suivi de «Never Enough», pur jus de Stax Sound tiré d’Arcadia. De la voir danser et chanter donne le vertige. Toujours cette impression d’assister au plus beau show du monde, comme au temps de Sharon Jones,

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    c’est un émerveillement de chaque instant, tout est en place, tout est puissant, les pas de danse des musiciens, les solos de trombone et de sax, le bassmatic à la Gabe et cette Soul Sister en mouvement perpétuel, cette Tinguelynette de la Soul. Elle va revenir au hard funk avec «Hypnotized» et «Not In My Name». Ouvre bien tes yeux et tes oreilles, mon gars, car des spectacles aussi intenses et aussi parfaits que celui-là, tu n’en verras pas des masses. Quand on est confronté à des artistes de ce niveau, chaque fois se pose la même question : en est-on vraiment dignes ? Lorsqu’elle est bien faite, la Soul relève du domaine du sacré. Ce n’est pas un produit de consommation.   

             En 2014, on disait déjà le plus grand bien des trois premiers albums des Buttshakers (Headaches & Heartaches, Wicked Woman et Night Shift), alors maintenant on va dire le plus grand bien de Sweet Rewards et Arcadia, qui, comme l’a montré le show, marquent une nette évolution en direction du firmament de la Soul. Comme déjà dit, l’«Hypnotized» qu’ils jouent sur scène sonne comme un classique un hard funk digne de Parliament. Elle est dessus et les Buttboys aussi, ces mecs n’ont pas de problème, ils savent jouer le funk, malgré leur peau blanche. Ciara travaille son «Hypnotized» au corps, elle groove dans le giron du funk avec une fabuleuse ténacité, elle n’en finit plus d’y replonger.

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    Sweet Rewards est un album qui grouille de coups de génie, tiens comme ce dirty motherfucker monté sur un big bassmatic, «Weak Ends». Ciara la tigresse rentre dans le chou du lard fumant, elle shake son sock it, elle explose son Weak avec la niaque de Lisa Kekaula et là tu télescopes la réalité de plein fouet, c’est une démolition en règle, à coups d’I wanna know you now. Nouveau coup de génie avec l’enchaînement «Tax Man» et «Trying To Fool», Ciara est une pro du feel, elle commence par rôder dans l’ombre du groove, mais fais gaffe, elle allume sans prévenir, wow baby this is the tax man, un tax man submergé par un killer solo flash. «Trying To Fool» est plus groovy, elle le prend aux accents sucrés de petite Soul Sister légère comme une plume, elle fait son trying to fool now, elle sait de quoi elle parle, elle est dans la diction définitive. Le hard funk de «What You Say» monte droit au cerveau, à condition d’en pincer pour le funk, bien sûr - She got a mind/ So you better watch out/ Yeah yeah yeah - Wild as fuck, elle mène sa meute au better watch out et relance au c’mon babe. On se croirait sur un album de Lyn Collins ! Le morceau titre de l’album flirte lui aussi avec le génie de la Soul. On a le heavy sound et elle est devant, pulsée par un drive de basse infernal, elle pointe la Soul à la glotte en feu et génère de l’émotion pure. Elle tient tout à la seule force de sa voix. On reste dans les énormités avec «In The City» qu’elle chante à pleine voix. Elle chante avec des accents profonds de Soul Sister engagée dans le combat, sa présence est inexorable, elle chauffe tellement la Soul qu’elle en devient explosive. Elle se bat pied à pied avec ses cuts. Comme Merry Clayton, elle prend feu !

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             La plupart des cuts joués sur scène sont titrés d’Arcadia, paru l’an dernier, comme par exemple le «Back In America» d’ouverture de bal, une heavy Soul bien sciée du cocotier par les tikatics du guitar slinger Sylvain Lorens qu’ils enchaînent, comme sur scène, avec «Not In My Name» et là tu débarques chez les Famous Flames, bombardé au can’t you see/ That I don’t be free, elle est fabuleusement juste, I keep praying for a change, et petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de free digne d’Albert Ayler. Avec «Pass You By», on se croirait chez Stax, ça pulse au poumon d’acier, ça gratte à la Cropper et Ciara bouffe tout au chant comme une réincarnation féminisée de Sam & Dave. Ils reprennent aussi sur scène l’excellent «Keep On Pushing», elle est dessus et dévore tout au don’t push me down, il faut voir comme elle écrase la champignon du raw. Sur cet album hanté par l’esprit du funk, on trouve au autre classique, «Daddy Issues», on se croirait chez James Brown. Au beurre, Josselin Soutrenon fait un job fantastique. Vers le fin de l’album, on croise deux des autres temps forts du show, «Never Enough» qu’elle chante au meilleur raw de l’univers et «Gone For Good», plus soft et qui sonne comme un hit.

             En souvenir d’Olivier de Montfort, d’Hugues de Gournay, de Jean Sans Terre et de Philippe Auguste.

     

    Signé : Cazengler, Buttmontmartre

    Buttshakers. Rock Montfort. Montfort-Sur-Risle (27). 4 juin 2022

    Buttshakers. Sweet Rewards. Underdog Records 2017

    Buttshakers. Aracadia. Underdog Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Got my Eyes on you

     

             Toutmésis ouvrit soudain les yeux. Il quitta sa couche et réveilla les esclaves endormis à ses pieds. Debout ! Debout ! Passez-moi le pagne de lin blanc et la cape d’or fin, je dois me rendre sans tarder au temple de Sun Ra ! Ainsi paré, il traversa les salles du palais. Seuls les gardes plantés de chaque côté des larges portes ne dormaient pas. Toutmésis les avait tous fait châtrer, ainsi ne risquaient-ils pas de somnoler après avoir succombé aux avances des esclaves africaines, toutes ces belles nubiennes nues et polies comme l’ébène, aux sexes béants comme des bouches avides. Il se fit aider pour monter sur son char et indiqua la direction du temple, au bout de l’immense avenue déserte. Le jour allait se lever. Le conducteur fouetta l’attelage et le char fit un bond. Toutmésis se cramponnait d’une main à la rampe et de l’autre à l’épaule du conducteur, le seul être humain dans tout l’empire qui fut autorisé à partager les frayeurs de son maître. Le fouet claquait dans l’air chaud et les six chevaux blancs de l’attelage filaient comme l’éclair sur l’avenue mal pavée. L’ossature en bois précieux transmettait fidèlement l’enfer des chocs. En arrivant au pied des marches du temple, le conducteur tira violemment les rênes vers lui et stoppa net l’attelage. Toutmésis gravit les marches d’un pas pressé et s’engouffra dans la bouche d’ombre. Il réveilla les prêtres qui dormaient à même le sol et leur ordonna de peindre sur le mur principal de la grande salle l’image qu’il venait de voir en rêve : un œil symbolique, ouvert sur le néant et vide de toute rétine. Ainsi que le disait le rêve, l’œil accueillerait en son temps l’objet d’un culte circonstancié.

     

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             L’œil qui orne la pochette de My Degeneration s’inspire de toute évidence du songe de Toutmésis. D’autant plus évident que le groupe s’appelle The Eyes et qu’il fait l’objet, comme le voulait Toutmésis, d’un culte circonstancié. Donc, il semble logique qu’une photo ronde des Eyes s’encastre dans l’œil de Toutmésis. Quoi de plus sympathique au fond que la pertinence de la cohérence ? On ne se félicitera jamais assez de célébrer cette union. L’histoire va loin puisque cet album des Eyes qui reproduit le songe de Toutmésis est un bootleg, un album interdit par les préfets de Rome, l’un des objets suspects qu’on croisait à une époque dans les bacs du plus grand disquaire parisien, le Born Bad de la rue Keller. Ah comme ces bacs gaga pouvaient être tentateurs !

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             My Degeneration n’est donc plus en vente. Ce qui n’empêche pas de l’écouter. On croit y retrouver les Who dès «I’m Rowed Out», car les accords tintent bien, tout au moins avec le même aplomb, mais les Eyes ne sont pas les Who. Ce sont les covers des Stones dont est truffé cet album qui vont en faire son charme, car elles sont toutes criantes de véracité, à commencer par ce «Route 66» qu’on dirait sorti tout droit du premier album des Stones paru en 64. Même incidence de l’insidieux. Et ça continue avec «I Wanna Be Your Man». Pur jus d’early Stones. On dira la même chose d’«It’s All Over Now», de «19th Nervous Breakdown», monté au drive rebondi de look around et là on plonge dans la magie de la vieille Stonesy. Ils nous en bouchent encore un coin avec «Get Off My Cloud» et décrochent le pompon avec une version incroyablement racée de «Satisfaction». La fuzz est là, avec toute l’useless information, oh non no no, c’est là, intact, parfaitement restitué. Quand les Eyes enregistrent tous ces classiques des Stones, ils s’appellent les Pupils. Ils font aussi un peu de pop, «Man With Money» et une version de «Good Day Sunshine» qui n’apporte strictement rien. Par contre, le morceau titre se montre digne des Yardbirds, et la basse de Barry Achin sonne exactement comme celle de Paul Samwell Smith, ce qui vaut pour compliment. Ils font en B une version sournoise et mal intentionnée de «Shaking All Over», mais c’est avec «You’re Too Much» qu’ils raflent définitivement la mise. C’est le hit gaga-Brit par excellence, extatique, monté au riff freakbeat, ça sonne comme un classique, on peut même parler de coup de génie.   

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             Toutes ces merveilles sont rassemblées sur un CD, l’hautement recommandable, l’inestimable The Arrival Of The Eyes paru en 1996 sur un label anglais. Un booklet dodu nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux en savoir plus que pas assez dans le cas d’un groupe aussi méconnu que les Eyes. Comme des milliers d’autres groupes anglais, les Eyes ont tenté leur chance. Ils avaient deux gros avantages : ils vivaient à Ealing, un borough du Grand Londres, et avaient un chanteur nommé Terry Nolder qui composait des shokingly good numbers. Et pouf, ils enregistrent leur premier single en 1965 avec Shel Talmy, «When The Night Falls»/«I’m Rowed Out», un single qui aurait dû faire d’eux des instant legends. On retrouve bien sûr ces deux hits sur la compile, avec un son nettement supérieur à celui du boot, car le Rowed Out est amené aux accords de wild gaga, les mêmes que ceux de Really Got Me ou de Can’t Explain, du Talmy pur, du claqué d’accords invincibles, l’absolu modèle du genre. Même chose pour le Night Falls, c’est du freakbeat anglais pur et dur, avec ses coups d’harmo en plein dans le mille, in the face, avec en prime toutes les dynamiques des Yardbirds. On l’aura compris, les Eyes sont un concentré de tout ce qu’il y a de mieux à Londres à l’époque et on a encore rien vu : le pire est à venir, avec les covers des Stones. Les rares mecs qui découvrent le single des Eyes à l’époque n’en peuvent plus, ils parlent de sinewy whiplash lead guitar et de pounding demonic jungle telegraph drums. Ils ont raison : truly unforgettable ! Brash and raw. On dit même que ce premier single capturait the essence of Mod - Look no further - et le mec ajoute : «Two knock-out punches of pure angst expressed with a cocksure swagger.» Alors du swagger, on n’a pas fini d’en trouver chez les Eyes. Et pouf, les voilà en première partie des Kinks, des Move et des Action. Ils tournent pendant trois ans dans toute l’Angleterre. Leur deuxième single est l’insubmersible «The Immediate Pleasure»/«My Degeneration». Encore une fois, il est impératif de les écouter sur ce CD, car le boot aplatit le son, alors que le CD le fait exploser. L’Immediate Pleasure est tout de suite monstrueux, wow comme les Eyes voient clair ! Ils sonnent encore comme les Yardbirds et c’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur faire. Ils sont dans l’excellence du rave-up, ils jouent au shaking de clairons, dans l’immaculée conception, ces kids d’Ealing claquent plus de notes que les Byrds, ils sont brillants au-delà de toute expectative, il faut entendre ces descentes d’organes, tout y est. Avec «Degeneration», ils tentent de réactiver non pas la folie des Who, mais celle des Yardbirds. C’est fabuleusement tendu. Et quand ils jouent «I Can’t Get No Resurrection» devant un crucifix, ils sont mis au ban par la BBC. Ils parviennent néanmoins à sortir un troisième single, «Man With Money» / «You’re Too Much». Le Man est une cover des Everly Brothers qu’ils transforment en vieux shoot de power pop, par contre, le Too Much est une compo de Terry Nolder, et attention aux yeux ! Ils attaquent ça au riff insidieux. Il n’existe pas grand-chose qui soit au même niveau. Ils ramènent des chœurs de Yardbirds et bien sûr, on tombe de sa chaise. Le fameux EP des Eyes qui a le même nom et la même pochette que cette compile rassemble les deux premiers singles du groupe. Il paraît en 1966 et ne se vend pas. Si tu le veux, tu devras sortir un billet de mille. Ils sortent encore un single avec une reprise de «Good Day Sunshine», mais bon, leur destin est scellé. Il existe aussi une version de «Shakin’ All Over» qui ne figure pas sur les singles. C’est encore une merveille bien claquée du beignet, claire comme de l’eau de roche, ah il faut voir comme ces mecs taillent bien leur bavette.

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             En 1966, Philips leur demande d’enregistrer un exploitation album of Rolling Stones covers pour 180 £. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, les Pretties, avec de Wolfe et l’Electric Banana. Les Eyes changent de nom et deviennent les Pupils. La session d’enregistrement dure 8 heures - session that included flashes of brillance - On peut écouter l’intégralité de l’album qui s’appelle The Pupils Tribute To The Rolling Stones sur cette compile. Et là, wow ! Encore une fois, le son ici est mille fois supérieur à celui du boot, ça claque dès «Wanna Be Your Man», imparable, même énergie, «19th Nervous Breakdown» retrouve ses couleurs avec un puissant bassmatic, tout y est, l’here it comes, ils injectent des tonnes de fuzz dans «As Tears Go By» et vont rôtir dans l’enfer du mythe avec «Satisfaction», certainement la cover le plus wild jamais enregistrée de cet hit séculaire, c’est noyé de fuzz imputrescible, aw my gawd, quel déluge ! Tu ne peux pas lutter contre les Pupils, ils dépasseraient presque les maîtres, ils développent un véritable vent de folie, ils sont effarants d’and I try. Pure violence que celle de leur «Route 66», c’est une authentique leçon de niaque, ils sont dans le Chicago to LA, avec un drive de basse joué au tiguili, ce mec Barry Allchin est un fou dangereux, il rôde dans le son avec des tiguilis de pervers. «The Last Time» ne figure pas sur le boot et les Pupils le bouffent tout cru à l’I told you once I told you twice, c’est en plein dedans. Ils ramènent tout le heavy pounding dont ils sont capables pour «Get Off My Cloud», l’irréprochabilité des choses de la vie ! Hey you ! Ils sont l’œil du typhon, ils dardent au cœur d’un mythe qu’on appelle le Swingin’ London. Ils restent crédibles jusqu’au too lazy to crow for day du «Little Red Rooster», ils se tapent même les coups de slide et ils tirent soudain l’overdrive avec «It’s All Over Now», suprême hommage à la Stonesy, baby used to stay out all nite long, ils sont en plein dans cette exubérance canaille qui fit l’extraordinaire grandeur des Stones. Les Pupils ne font pas que la restituer, ils la subliment, avec un soin extrême. Ça va jusqu’au départ en solo de syncope d’excelsior, un truc de corps qui va tomber et Terry Nolder reprend le contrôle du brûlot dans une frénésie de tiguilis extravagants.

    Signé : Cazengler, coco bel-œil

    Eyes. The Arrival Of The Eyes. ACME 1996

    Eyes. My Degeneration. Emarcy Records (Boot)

     

     

    NEWS ( II ) FROM TWO RUNNER

    HIGHWAY GIRLS

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2022 nous écoutions Two Runner donner un concert depuis la maison, entre autres elles y interprétaient Highwayman ce classique country que Paige Anderson chérit particulièrement, elle l’écoutait souvent en voiture lorsque ses parents conduisaient leur marmaille de concert en concert. Ce titre la faisait rêver, il est vrai que la chanson écrite par Jimmy Webb est étrange, sur un rythme continu, un peu passe-partout, elle raconte une histoire si bizarre que l’on est obligé de la réécouter pour mieux la comprendre, et bientôt vous cédez à sa magie hypnotique. June Carter affirme que c’est elle qui a révélé à son père que les quatre couplets ne présentent pas quatre personnages différents mais les réincarnations successives d’un seul… Two Runner nous en propose deux interprétations. La première sur YT :

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    Highwayman ( acoustic ) Two Runner. Sont toutes deux assises sur le sable d’un des déserts de Californie, à leur chapeau et à leur tenue l’on comprend que le soleil chauffe, au loin derrière les monts enneigés de la Sierra Nevada. Emilie au violon et Paige au banjo, difficile de trouver une interprétation plus roots et si différente, la voix de Paige plus douce que d’habitude et les brefs coups d’archet d’Emilie Rose, transforment la chanson, elles en gomment l’aspect épique, cet homme de tous les dangers, de toutes les aventures, de toutes les époques qui crie la prochaine victoire de son retour, ne serait-ce que sous la forme d’une goutte d’eau, elles en offrent une interprétation, quasi-nietzschéenne, celle de l’horreur de l’éternel retour de la vie dans les passages les plus sombres d’Ainsi parlait Zarathoustra, l’homme roule sa peine, celle de la pensée la plus lourde, le chant devient poignant, l’implacable trottinement fatidique du banjo poursuit sa route inexorable,  du violon d’Emilie éclosent comme des pétales de larmes et de regrets, la voix de Paige se charge d’une indéfinissable tristesse, une interprétation de toute finesse, de toute beauté.

    Le deuxième aussi sur YT et autres plateformes de chargements.

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    Highwayman. Two Runner : avec Sam Gallagher ( drums ), Drew Beck ( guitar, bass ), Brady McGowan ( keyboard ).  La même équipe qui accompagnait Paige sur Burn it to the ground. Le background saute aux oreilles, surtout si l’on sort de l’écoute de la version acoustique. Omniprésent il réussit le miracle de rester discret tout en étant au premier plan, faut écouter deux ou trois fois avant de repérer le banjo de Paige et le violon d’Emilie, cet accompagnement joue le rôle que tient la musique dans les westerns, il apporte ampleur et se fond dans le paysage. Colle très bien à la photo (de Kaylalili ) qui accompagne  la bande-son, l’on espère un clip pour bientôt, les rares images vidéos que nous avons entraperçues  nous font rêver.  Cette version est sublimée par la voix de Paige, beaucoup plus claire, moins murmurante, elle transcende le morceau, le porte à son plus haut point d’incandescence, c’est une autre manière de rendre sensible l’inexorabilité du Destin, de nous faire réfléchir au sens de la courbe de notre propre vie, il ne s’agit plus de revenir, mais de s’interroger sur le fondement de notre existence, de ce qui nous appartient d’agir et de ce qui nous pousse, le violon d’Emilie Rose, par ces longues giclées fulgurantes indique les moments où nous sommes soumis à ces forces plus grandes que nous qui nous rabattent vers la tombe de nos illusions. Paige et Emilie qui nous regardent et avancent vers nous sont à l’image de tous les desesperados qui font face à la vie. Grandiose. Bluegrass métaphysique.

    Damie Chad.

     

    NEWS FROM THUMOS

             Dans nos livraisons 541 et 542 des 10 et 17 février 2022, nous avons chroniqué la discographie entière parue jusqu’à ce jour de Thumos groupe américain originaire du Kentucky, il semble que Thumos n’ait pas perdu de temps ces derniers trois mois puisque la sortie d’un prochain album est prévue pour le 4 juillet de cette année, toutefois pour calmer notre impatience, un des morceaux du futur opus est déjà sur Bandcamp. Leur Instagram annonce d’autres surprises, essayons donc de procéder avec ordre et méthode.

    *

    1°) Un titre de Thumos, The divided line apparaît sur la compilation Warband Comp United Together de Razorwire Handcuffs sur Bandcamp qui regroupe soixante-huit morceaux et presque autant de groupes. (Vendue au profit des réfugiés ukrainiens.)

             Rappelons pour ceux qui ne l’auraient jamais entendue que The Republic de Thumos est une œuvre strictement instrumentale. Parler de la philosophie platonicienne sans employer de mots pourrait paraître une entreprise de pure folie, cette démarche s’inscrit toutefois dans cette notion de mimesis chère à Platon selon laquelle un art peut traduire la dynamique d’une autre art, exemple la danse qui permet de visualiser les mouvements de la musique.

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             C’est à la fin du livre 6 de la République que Platon résume les différentes manières de percevoir la réalité, les deux premières très grossières restent prisonnières au pire de l’apparence des choses  au mieux des choses elles-mêmes, nous nous laissons guider par nos imaginations ou nos croyances, pour accéder aux suivantes nous devons quitter nos opinions doxiques non fondées sur une connaissance épistémologique en nous livrant à des hypothèses rationnelles dont la logique nous conduit au quatrième stade de la  connaissance intuitive qui nous permet de reconnaître la nécessité de la présence des Idées qui forment la véritable réalité. En début du morceau se déploie une espèce de fuzz sombre comme des ombres indistinctes qui flotteraient dans l’espace, s’installe un rythme binaire qui s’appuie sur la précaire solidité de choses claudicantes et instables, un long passage dans lequel le son des guitares s’intensifie correspond à ce moment où l’intelligence humaine met en route des stratégies d’appréhension du monde beaucoup plus fines, par lesquelles l’on s’abstrait du domaine du sensible pour entrer dans celui de l’intelligible, une gradation intensive s’amplifie, roulements mathématiques de batterie qui permettent d’entrer dans une dimension supérieure dont les bruissements des cymbales simulent l’éclat idéel et irradiant

    2°) Un autre titre de Thumos, The sun apparaît sur la compilation Cave dweller music com / album / mind over-metal 2 : volume 2 . (Vendue pour récolter des fonds au profit du mois de la sensibilisation à la santé mentale.)

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    Ces deux morceaux créés durant la gestation de The Republic ont été écartés lors du choix final des titres de l’album. Thumos espère bientôt les réunir en une trilogie avec The Cave sélectionné dans The Republic, afin de coller de plus près à l’articulation de la pensée de Platon.  

             Lorsque Platon cite le soleil dans le Livre VI de la République, il ne s’intéresse en rien à l’astre physique que nous connaissons bien. Se pose à lui une question importante : comment faire entendre ce qu’est une Idée, comment donner une idée de cette chose purement intelligible qui par nature n’appartient pas au monde sensible. Il emploie pour cela l’analogie de la lumière. Si notre œil voit un objet c’est grâce à la lumière qui fait le lien entre l’œil et l’objet. Mais d’où provient cette lumière, nous lui trouvons une cause, une origine : le soleil, c’est de la même manière que notre connaissance appréhende la réalité, cette connaissance procède d’un but et d’une origine : l’Idée.

             Musique plastique dans laquelle l’on retrouve les cymbales, nous sommes en voyage, le rythme est lent car la distance à parcourir est longue, plus nous nous rapprochons de cet ailleurs vers lequel nous nous dirigeons le son s’intensifie, l’on imagine facilement que nous voguons dans un vaisseau spatial vers le limites de l’univers, nous atteignons des zones éthérées qui ne sont pas sans danger, comment notre intelligence sensible même dopée par notre intuition se comportera-t-elle, arrivés à destination, comment assumerons-nous cette plénitude illuminante. Très beau morceau.

             L’on comprend mieux ainsi pourquoi Thumos souhaite un jour prochain joindre ces deux morceaux à The cave de The Republic, car tous deux évoquent des étapes intermédiaires et préparatoires qui selon Platon étaient destinées à faciliter la compréhension du mythe de la Caverne.

    3° ) Un renvoi au blog de Julien Voisin qui présente An Abriged History of Painting with Metal Album Covers. Les amateurs s’y reporteront avec délices, nous ne sommes pas si éloignés que cela de Thumos puisque la couve de The Republic y figure, mais surtout parce que le sujet de leur prochain disque est en rapport immédiat avec la peinture.

    4° ) J’ai d’abord aperçu l’image la couve du futur nouvel album de Thumos, sans savoir qu’il s’agissait d’eux, puisque la pochette ne porte aucune inscription, cette espèce de colonne trajane posée comme une tour d’ivoire immarcescible sur un champ de ruines antiques a tout de suite interpellé l’amateur de l’antiquité romaine qui toujours veille en moi. C’est en voulant en savoir plus que je me suis rendu compte qu’il s’agissait du nouveau projet de Thumos intitulé

    COURSE OF THE EMPIRE

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    qui peut se traduire par Cours de l’Empire ce qui n’évoque pas grand-chose en notre langue, il est aussi sous-titré sur You Tube : Course of the empire rewiew ( Revue du cours de l’Empire ) guère plus précis mais qui n’est pas sans évoquer le livre History of the Decline and Fall of the Roman Empire d’Edward Gibbons paru en Angleterre de 1776 à 1788, traduit en français en 1819, remarquons comme ces dates sont par chez nous symboliques, un an avant la Révolution française, un an avec l’éclosion du romantisme ( français ) marqué les Méditations Poétiques de Lamartine, le livre de Gibbons, aujourd’hui critiqué pour son anti-christianisme, nous souscrivons à cette thèse, reste un ouvrage considérable, de fait le premier livre de métapolitique, la première étude de géopolitique de notre époque. C’est d’ailleurs sa lecture qui a inspiré à Thumos leur nouvel opus.

             Le titre de l’album est emprunté à une série de cinq tableaux regroupés par le peintre américain Thomas Cole sous le titre de Course of the Empire que l’on a traduit en notre langue par Le déclin de l’Empire.  Il est important d’en donner les titres : The savage taste / The Arcadian or pastoral state / The consummation of Empire – consummation signifiant accomplissement, apogée  / Destruction / Desolation.

             L’album présente dix morceaux : ( Introduction / Commencement / Arcadian / Interlude 1 / Consummation / Interlude 2 / Destruction / Desolation.

             Nous reviendrons sur les tableaux de Cole lors de notre chronique sur l’album. Sa parution le jour de la fête nationale des Etats-Unis n’est pas fortuite. Quel devenir pour l’Empire américain d’aujourd’hui ? That is the question ! L’idée du tableau est venue à Cole par la lecture d’un poème du philosophe Berkeley : Vers sur la perspective d’implanter les arts et l’apprentissage en Amérique ( 1726) dans lequel Berkeley pronostique le futur développement de la colonie anglaise qui pourrait déboucher sur la création du nouvel empire, celui de l’Amérique.  

             C’est lors d’un voyage de trois années en Europe que se cristallise dans l’esprit de Cole le projet Déclin de l’Empire qui sera terminé aux Etats-Unis en 1836. Cole réalise en visitant les musées et les édifices la richesse du passé prestigieux de l’Europe et est en même temps séduit par le rayonnement contemporain du romantisme, l’on ne s’étonnera pas de l’influence de l’œuvre de Byron sur le peintre. Le romantisme n’est-il pas en même temps une renaissance entée sur la nostalgie de la grandeur humaine passée à retrouver.

             De Course of the empire, Thumos ne dévoile que le troisième titre : Arcadian. Les trois membres de Thumos ne sont pas seuls, ont intégré pour la réalisation de leur album l’artiste Spaceseer, un guetteur de l’espace qui traduit sur sa guitare les vibrations du cosmos. Nous nous intéresserons prochainement à sa démarche.

    ARCADIAN

    ( mis en ligne sur YT et bandcamp le 7 mai 2022 )

    Ce long morceau correspond au deuxième stade de l’Empire, le plus heureux, celui que les Anciens nommaient l’âge d’or, un monde que prophétise Virgile dans sa quatrième églogue, l’homme n’est plus une bête, il a atteint un certain bonheur menant une vie pastorale, nous ne pouvons nous référer à l’Arcadie sans évoquer les deux mystérieux tableaux de Poussin Et in Arcadia ego qui dans leur interprétation la plus platement insipide instillent une idée de fragilité au sein même du bonheur humain… Cette dimension n’apparaît pas dans Arcadian, au contraire la musique remplit son propre espace, pas le moindre trou creusé par la souris du doute, elle n’est que profusion instrumentale, une crête flamboyante que rien ne saurait éteindre, une avancée de plus en plus rapide emportée par une batterie ravageuse, avec en filigrane des motifs de danse populaire et de joyeuses farandoles, le tout est mis comme entre parenthèses par les tintements du début et le bruissement final, comme s’il était nécessaire d’isoler cette île de plénitude terrestre, de la préserver de toute fin dérélictoire, de la fixer dans sa propre êtralité, de sa propre éternité temporelle. Un chef d’œuvre hors du temps.

    Damie Chad.

     

     

    *

    - Damie, n’as-tu pas honte ?

    Je me fais tout petit, je n’en mène pas large, j’ai tout de suite reconnu la voix, non ce n’est pas celle de Dieu, il y a longtemps qu’il est mort, ni celle de ma conscience, je ne sais plus où je l’ai fourrée, c’est la voix de ma prodigieuse mémoire.

    • Euh, non, à première vue, je n’ai pas honte !
    • Damie n’essaie pas de jouer au plus malin avec toi-même, tu vas perdre !
    • Bon, qu’est-ce qu’il y a encore, j’ai oublié de remplir ma déclaration d’impôt ?
    • Damie, moi qui croyais que tu étais un gentleman, tu n’es qu’un goujat, un rebut de l’Humanité, la honte de la nation, la…
    • Bon, bon, dis-moi tout !
    • Tu ne te souviens donc pas Damie, c’était avant le confinement, tu scribouillais une de tes infâmes chroniques sur Pogo Car Crash Control, lorsque tu t’es aperçu que la bassiste Lola Frichet jouait aussi dans un autre groupe : Cosse. J’étais dans ta tête et j’ai entendu ta voix intérieure déclarer : ‘’ Super je vais écrire une chronique sur Cosse’’. Les jours ont passé, les mois se sont entassés, les années s’écoulent et si je n’étais pas là ce sont les siècles et les millénaires atterrés qui attendraient en vain que tu réalises ta promesse.
    • Ö ma divine Mémoire infaillible, mon altière Mnémosyne ! Tu as raison, j’ai failli à mon engagement, heureusement que grâce à toi je vais pouvoir réparer cet intolérable oubli, regarde je m’empare d’une plume de corbeau aussi noire que l’eau du Styx je la trempe dans la noirceur de mon âme et…
    • Plus un mot Damie, tu devrais déjà avoir terminé !
    • Ne me trouble pas, regarde, tel un dromadaire je bosse sur Cosse, c’est désormais une Cosse sacrée !

    *

    Tel un méhari arpentant le désert dans l’espoir hypothétique de rencontrer un puits d’eau croupie asséché je suis parti à la recherche de Cosse. Pour me donner du courage je chantonnais gaillardement l’hymne stirnérien que Long Chris a composé voici un demi-siècle pour Johnny Hallyday :

    Je peux brûler les églises

    Je peux éclater de rire

    Je n’ai besoin de personne

    De personne, de personne !

    ce qui était un mensonge puisque moi j’avais besoin de Cosse, et la première chose sur laquelle je tombe net, cela ne s’invente pas, serait-ce un intersigne du hasard ou du destin, c’est une vidéo  intitulée : Un concert avec Cosse dans l’Eglise du Sacré-Cœur d’Audincourt. Ça m’a fichu un sacré coup au cœur, moi dont un de mes oncles s’était distingué durant la guerre d’Espagne à faire sauter à la dynamite les clochers des maisons de Dieu, j’ai hésité, mais une promesse c’est une promesse, alors j’ai poussé la porte et je suis rentré. C’est tout beau. Voûte de béton à caissons boisés et large abside magnifiée d’un diadème de vitraux modernes de toute beauté conçus par Fernand Leger, et réalisés par le maître-verrier Jean Barillet.

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    Moi j’adore Jean Bazaine, je l’ai rencontré une fois à la Maison de la Poésie de Paris, tout autour de lui les officiels et sa famille étaient offusqués, lui tout joyeux était écroulé de rire, l’on avait accroché un de ses tableaux à l’envers, il trouvait cela génial et ne voulait pas qu’on dérange un manutentionnaire pour le remette à l’endroit. Non, je ne suis pas hors-sujet, cet aparté c’est juste pour regretter qu’avant de rentrer dans l’Eglise la caméra ne se soit pas attardée sur le tympan rectangulaire, qui comme chacun sait, est une mosaïque de Jean Bazaine…

    Pas le temps de nous attarder, dans une demi-obscurité Cosse traverse l’allée centrale de la nef, leurs pas résonnent dans le vide et le silence, je reconnais la silhouette de Lola Frichet, ce sont bien eux. Sont déjà en train d’accorder leurs instruments. Sur un fond d’halo bleuté s’élèvent les premières notes de Sun don’t forget me, silhouettes sombres et gros plans sur les doigts qui s’activent aux derniers réglages… profitons de ce court répit pour adresser nos compliments à l’équipe qui a filmé, mixé et monté, un véritable film, l’on sent que l’on a étudié les plans, un travail de pros qui aiment leur métier, les conditions techniques sont parfaites pas de public, nous sommes le 22 janvier 2021 en triste période coercition confinatoire… 

    Commencent comme finissaient les concerts de musique aux temps de l’antique Rome par une précipitation chaotique instrumentale, mais au lieu d’exploser en une apothéose sonore Cosse débute par une douce précipitation bémolique qui culminerait dans le silence si Nils Bo en solitaire n’égrenait ( on ne s’appelle pas Cosse pour rien ) quelques notes sur sa guitare, ondée sonore générale, rien d’orageux ou de cataclysmique, Nils s’avance, une résonnance de coup feutré de batterie le plie en deux et l’arrête, il s’approche du micro, le chant s’élève, toute l’orchestration suit cette voix frêle et tranchante, torturée, amplifiée par son visage romantique, la musique enfle mais n’éclate jamais, elle redescend comme la vague de la mer s’échoue abruptement sur le sable d’une rive désertique, c’est du précis et du millimétré, plans de coupe sur les musiciens, aux drums Tim Carson gère l’amplitude des temps forts, l’ensemble est assez prenant, l’on a l’impression d’assister à une tempête mais de si haut que le son qui nous parvient en est assourdi, maintenant seule la guitare de Nils frissonne, et le chant perd ses angulosités, la caméra dévoile Lola Frichet, elle double l’amertume du chant de Nils, par-dessous, en sourdine elle dépose un tapis de douceur qui apaise l’âpreté nilsienne, et le morceau prend de l’ampleur, s’élève comme le char d’Apollon surgit de derrière la mer pour atteindre le ciel, le soleil nous oublie, le morceau est terminé, alors que le son s’ébruite, la caméra s’enfuit hors-champ vers le calme du baptistère, est-ce un contraste voulu avec la tension des visages crispés de Tim Carson et de Felipe Sierra, deuxième guitariste,  que l’on nous emmène dans cette salle transpercée de lumière que laissent passer et réchauffent les vitraux dessinés par Jean Bazaine.

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    Après Sun Forget me, Cosse entame Seppuku,  les premiers moments ressemblent un peu trop à l’introduction de toute retenue du morceau précédent, mais le climat change, nous entrons dans un monde de brisures et de saccades, plus grave qui se termine sur quelques notes fragiles de Nils mais le son se vrille et nous voici partis dans une espèce de cavalcade ralentie qui n’est pas sans évoquer les images de Ran d’Akita Kurosawa, et l’on entre dans une transe répétitive de tintements aigrelets agressifs dont la fonction première semble d’être de vous horripiler le cervelet, afin que vous puissiez ressentir un semblant de plénitude lorsque tout s’évanouit en un dernier galop… Cosse enchaîne tout de suite sur le dernier morceau Welcome to the newcommers.

    Toujours Nils à la guitare mais très vite la section rythmique se met en place, le chant est beaucoup plus rock, c’est aussi le moment d’apprécier les interventions de Felipe Sierra à la guitare il impose un soutien abrupt et pousse la musique en des sortes de montées successives qui culmineront en   l’éparpillement zen de quelques notes finales.

    Cosse se définit comme un groupe post-rock noise. Je veux bien mais je réserve le dernier terme de cette étiquette pour des groupes qui ont le noise plus tintamarresque, même si je n’ignore pas que certains définissent le noise en tant que l’a-structuration de leurs composition qui confine, le plus souvent, à ce que j’appellerai le bruissement… quant au post-rock de Cosse je le qualifierai plutôt de post-prog, mais un prog qui tourne le dos à la symphonisation de leurs morceaux pour s’adonner à une espèce de quatuorisation de leur musique, sur la ligne de crête un pied dans  l’unité synthétique du quatuor classique et l’autre dans les ruptures du quatuor jazz, cette ambivalence se remarquant  quand un musicien joue seul il ne donne pas l’impression de se lancer dans un solo performatif mais qu’il prépare les pistes d’envol de ses camardes.

    Il ne nous étonne pas de retrouver Lola Frichet dans ce type de groupe à l’opposé des sauvages tumultes de Pogo Car Crash Control, elle procède du conservatoire et ce n’est pas un hasard si elle a remporté le concours (difficile) de meilleur(e) bassiste organisé par le magazine américain the Shreds. Un esprit ouvert, n’était-elle pas en mars dernier sur la scène de La Comédie Française interprétant le rôle de Marotte dans Les Précieuse ridicules de Molière. Sur scène avec les Pogo, au cœur de la tourmente, elle joue avec fouge et concentration, l’intelligence en éveil.

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    Revenons à Cosse : pour une deuxième vidéo Nuisances Live Session # 7. Cosse :  Pin Skin. En Live en studio ( Pantin ) dans une belle couleur orangée. Moins de mise en scène qu’Audincourt. Chacun rivé à son instrument. L’on a compris le fonctionnement : guitares en intro, signal battérial, entrée de la rythmique, Nils au chant, cède bientôt la place aux modulations de Lola, la musique monte pour s’arrêter bientôt, avec Cosse elle n’atteint jamais les neiges éternelles, l’on redescend vers des zones plus tempérées, pourtant l’on suit sans regimber, de nouveau Nils au chant, et l’on repart pour une gradation, plus sombre, plus appuyée, recoupée par la voix de Niels et soudain les alpages s’enflamment, le feu s’éteint, les cordes vrillent, Niels se tait et la voix de Lola s’évapore , telle une pensée qui perd contact avec sa propre représentation dans Iris et petite fumée le mystérieux roman  de Joë Bousquet.   

             Les quatre morceaux que nous venons d’écouter se retrouvent sur le premier EP de Cosse :

    NOTHIN BELONGS TO ANYTHING

    COSSE

    ( A tant rêver du roi Records / Juin 2020 / Bandcamp )

    Drôle de nom pour un label, de Pau, bientôt vingt ans d’âge, son responsable élude un peu la question que tout le monde se pose en répondant qu’il avait un groupe qui s’appelait Ravaillac, laisse donc la porte ouverte à toutes les suppositions, les plus gratuites, pour ma part j’y vois comme un écho du livre Dans la forêt de Fontainebleau de Jean Parvulesco.

    Que représente la couve, cette flamme de torchère dans le ciel serait-elle une capsule spatiale tombée des astres qui aurait pris feu en rentrant dans notre atmosphère. La terre triste n’a pas l’air très accueillante.

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    Le titre n’est guère encourageant. Que signifie-t-il, ou plutôt que voulons-nous qu’il signifie. Comment recevoir cet adage selon lequel rien n’appartient à rien, faut-il en rire ou s’en désespérer, ricaner cyniquement pour montrer que cette déclaration nihiliste qui nous libère de toute contrainte nous rend plus fort, ou se désespérer de cet atroce constat que l’existence n’a point de sens.

    Welcome Newcomers : un son assez différent de celle du live dans l’église d’Audincourt, plus ramassé et en même temps plus coulant, moins fragile et peut-être plus chaotique, davantage de climax, la voix quelque peu normalisée et les guitares davantage chantantes avec un léger parfum sixties-psyché. Pin Skin : chuintance de calmitude, la batterie en avant, le vocal moins aventuré sur les trapèzes de la mise en danger volontaire, plus rond moins épineux, la basse de Lola jazze en sourdine, les guitares  fuzzent et couvrent la suavité de son timbre, les attaques moins aventurées et plus brutales, très belle partie orchestrale, la voix esseulée de Lola illumine de rose paganité la fin du morceau. Sun forget me : entrée en matière ronde et affirmée, le chant de Nils n’est pas écorché de barbelé, il est interrompu par des clinquances noisy mais toutefois respectueuses des oreilles sans coton, duo Nils-Lola des mieux venus, la musique se teinte de romantisme et se tinte d’une musicalité de plus en plus entreprenante. Seppuku : une intro que l’on nommera civilisée pour des tympans orientaux, feulement de cymbale, Tim Carson tout en douceur tandis que les guitares batifolent, attendent que l’on ait le dos tourné pour marcher avec des gros pataugas cloutés sur le gazon anglais des rêves, s’immobilisent dès qu’on les regarde, doivent jouer à 1, 2, 3, soleil ! , sonorités cristallines qui s’enrouent avant d’éclater en mille pétales que le vent de la mort éparpille. The ground : nous l’écoutons avec la virginité de notre ouïe vite déflorée par cette vrille rouillée qui perce notre audition jusqu’à ce que la voix comme engourdie d’alcool de Nils nous jette dans une ambiance très Velvet, le drame s’éteint, l’on change de dimension nous flottons dans un entonnoir de rêves mais la voix revient et nous angoisse, elle crie dans notre tête, même balayée par une instrumentation de plus en plus violente elle revient, avant que le vaisseau spatial ne vienne en un sifflement de tuyères infernales s’écraser sur le sol. Très mauvais pour les passagers, excellents pour les auditeurs.

             Très différent mais très proche de Bowie, dans cette manière de composer des morceaux qui répondent à une certaine mise en scène intérieure, à une dramaturgie qui refuse les canons extatiques de la libération aristotélicienne. Une musique qui n’extériorise pas, qui se confine en ses tourments, qui exprime et résume à la perfection les indécisions des âmes de notre époque. Musique analytique et intellectuelle. Ces deux adjectifs étant pour moi signes de qualités extérieures.

    *

             - Voilà ô ma sublime mémoire prodigieuse ma mission réparatrice accomplie !

             - Damie ne fais pas le faraud, n’oublie pas que bientôt devrait sortir le prochain album de Cosse, tu n’as pas intérêt à l’oublier, je te tiens à l’œil !

    Damie Chad.