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gene vincent - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 693 : KR'TNT ! 693 : BILLY CHILDISH / RAVEONETTES / WADE FLEMONS / LOWLAND BROTHERS / FRANKIE AND THE WITCH FINGERS / KID DAVIS & THE BULLETS / ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 693

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 06 / 2025

     

     

    BILLY CHILDISH / RAVEONETTES

    WADE FLEMONS / LOWLAND BROTERS

    FRANKIE AND THE WITCH FINGERS

    KID DAVIS & THE BULLETS

    ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 693

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

    (Part Three)

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             Sur la jaquette de cette belle bio de Ted Kessler, To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish, Wild Billy Childish se fait une tête de Singing Loin : le regard perdu dans le souvenir de ses aventures, il tire une bouffée sur sa pipe sculptée.

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             Pourquoi cette bio fait-elle partie des ouvrages déterminants de la rock culture ? Parce que le petit Kessler s’est imaginé pouvoir faire entrer un géant dans les 300 pages du book, et bien sûr, c’est raté, mais on respecte cette tentative, car en tant que telle, elle est assez brillante. Pour rendre sa tentative plus vivante, l’opiniâtre Kessler donne la parole à des tas de témoins, et ça prend une tournure très appropriée d’oral history.

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    Ted Kessler

             Pendant qu’ici sur les Chroniques on met le paquet sur l’œuvre rock, dans son tentative-book, Kessler met le paquet sur l’homme : il passe l’harem de Big Billy au peigne fin et rappelle qu’avant d’être la prolifique rock star underground que l’on sait, il est surtout poète, écrivain et peintre. Il expose aujourd’hui dans le monde entier. Et puis il vieillit. C’est le côté déplaisant du book : Kessler n’ose pas dire que Big Billy ralentit, mais c’est tout comme. Ce sont des choses qu’on n’aime ni lire ni voir. La traduction française du mot ‘rock’ est ‘jeunesse éternelle’. Donc pas question de nous pourrir la vie avec des histoires de ralentissement. Fuck it !

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             Dans son introduction, Stewart Lee se souvient de la première fois qu’il a vu Big Billy sur scène à Glastonbury, en l’an 2000 avec les Buff Medways. Il s’est exclamé : «This is absolutely amazing». Pour lui, ça revenait à voir les Who en 1966. Ce qu’il décrit s’appelle un coup de foudre. At first sight. Tu la vois et tu la veux. Il rend ensuite hommage à la période Dylanesque de Big Billy et la douzaine d’albums de The William Loveday Intention. Il qualifie ça d’overwhelming et ne trouve qu’une seule comparaison : Robert Pollard, sauf que, ajoute-t-il, «Billy Childish makes Robert Pollards look like Taylor Swift in terms of his engagement with the media.» D’ailleurs Big Billy revient sur l’affaire William Loveday Intention. Il dit qu’un jour, il en a marre de peindre, alors il a l’idée saugrenue de faire «a carreer in a year». Il est sans le moindre doute le seul au monde à pouvoir se lancer dans une telle aventure : une carrière entière en un an. Et quand on connaît la qualité des albums, force est de se prosterner jusqu’à terre.

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             C’est sa grand-mère qui s’appelait Loveday : Ivy Loveday. Quand Big Billy voit le jour en 1959, sa grand-mère l’enregistre sous le nom de William Ivy Loveday. Mais ça ne plait pas à John Hamper, son père, qui en 1960, corrige le tir en enregistrant son fils sous le nom Stephen John Hamper. Des noms qu’on va retrouver dans les aventures de Big Billy. Il développe très vite une passion pour les pseudos. À 6 ans, il se fait appeler Virgil. En 1972, il devient Horatio Hamper. En 1977, Gus Claudius. C’est aussi en 1977 que son pote Button Nose Steve le baptise Billy Childish - That one stuck - Quand il ouvre un compte pour son asso, il se fait appeler du nom de son mentor, Kurt Schwitters. En tant qu’éditeur, il est Bill Hamper. Et en tant que directeur d’Hangman Books, il est Jack Ketch. Quand il fonde Hangman Books en 1986, il qualifie ça de «non-profit making label specialising in releasing the unreleasable.» Et comme il ne veut faire aucun compromis avec la société et devenir l’esclave d’un salaire - the slave of wages - il choisit de vivre dans la pauvreté.

             Sa seule expérience salariale remonte eu temps où il bossait chez un tailleur de pierres, et pour être sûr de ne plus pouvoir y bosser, il s’est fracassé une main à coups de marteau. Il n’était donc plus un «member of the salaried workforce». Il est devenu un artiste, a musician, a writer and poet - He signed on the dole. Aux frais de la princesse.

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    Oeuvre de Tracey Enim

             Le petit Kessler attaque l’harem en expliquant que «the romantic relationships of his life are absolutely key.» Big Billy reconnaît qu’il avait plusieurs poules en même temps, «multiple relationships at once», il ne s’en cachait pas. Tracey Emin est l’une de ses premières poules. Elle témoigne longuement dans le book-tentative et rappelle que l’art de Billy était la même chose que sa musique : «It was LeadBelly, blues, rock’n’roll, two-beat.» Elle ajoute : «It had to be clear, it had to be obvious.» Puis en 1982, Tracey découvre que Big Billy s’est marié pendant qu’il était en couple avec elle - I was beyond devastated - Elle ne supporte pas l’idée qu’il ait pu se marier en cachette. Effectivement, Billy a épousé Shelia, mais ils n’ont pas eu de relations sexuelles. Shelia voulait juste un council flat à Brixton et pour l’obtenir, elle devait être mariée, alors Billy lui a donné un coup de main. Il dit aussi que l’appart serait un bon refuge, pour échapper à cette «sex-crazed woman that I was going out with.» Il parle de Tracey, bien sûr, et il ajoute, en mode tongue in cheek : «But as well as being a problem, the sex-crazed woman bit was the attraction.» Il y a mille façons de décrire une relation avec une nympho, mais celle de Big Billy est réellement délicieuse. Il utilise son langage punk. Mais attention, il ne faut pas entendre «punk» au sens de McLaren. Le punk de Big Billy est antérieur, comme il l’explique dans «Punk Rock Enough For Me», sur l’Acorn Man de CTMF : «John Lee Hooker without Santana is punk rock enough for me/ I said John Lee on a half track is punk rock enough for me/ Hendrix in Beatle boots is punk rock enough for me/ Freddie & The Dreamers are punk rock enough for me.» Et dans le couplet suivant, il ajoute The Beatles at the Star-Club et Joe Strummer & The 101ers - I said Keys To Your heart is punk rock enough for me - Dans le troisième couplet, il cite Billie Holiday, a cup of tea, Dostoievsky & Gogol, Knut Hamsun & John Fante, puis dans le couplet suivant, Bo Diddley, Son House, Robert Johnson, les Downliners Sect, puis Jimmy Reed, the Who, Buddy Holly, Bill Haley, Wire at the Roxy, et miming in the mirror is punk rock enough for me. Il définit un état d’esprit. Et quand le punk-rock est récupéré, Big Billy s’en écarte et continue d’évoluer à sa façon, c’est-à-dire en mode punk. Libre. Sans concession. Wild-as-fuck.

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             Après Tracey (et d’autres), il y aura Kyra, qu’il rencontre à Bruxelles. Elle vient s’installer à Chatham, pour remplacer Tracey. Et quand Big Billy entame une relation avec Holly Golightly, Kyra met Huddie, le fils de Big Billy, au monde. Il va rester 15 ans avec Kyra et plus tard, 22 ans avec Nurse Juju. Kyra témoigne elle aussi dans le tentative-book. Elle raconte que Big Billy lui autorisait une petite télé portative, mais elle devait la ranger quand elle avait fini de voir son émission - Billy had his rules - Puis sa relation avec Big Billy commence à se détériorer, car il picole un peu trop. Il voit d’autres femmes et menace Kyra de lui dire la vérité. Elle lui consacre toute sa vie et avoue qu’elle n’a rien en retour. Quand leur relation s’achève, Big Billy devient un peintre célèbre - Everything took off - Elle évoque bien sûr Thee Headcoatees, avec Sarah Crouch, Debbie Green et Holly Golightly qui à l’époque est la poule de Bruce Brand. Elles prennent modèle sur les Delmonas, dont Sarah avait fait partie. Thee Headcoatees vont enregistrer 5 albums et Kyra se souvient des répétitions dans la cuisine. Les gens disaient à Kyra qu’elle ne savait pas chanter et elle répondait : «I know, it doesn’t matter. It’s punk!». Elles sont même allées jouer au Japon. Elle garde un souvenir ému des tournées des Headcoatees avec les Headcoats. Puis ça se termine en eau de boudin, car Big Billy commence à fricoter avec Holly Golightly - That was horrendous - L’atmosphère est toute pourrie pendant la dernière tournée américaine. Elle voit Billy et Holly trafiquer avec «the label people and trying to make deals with them.»

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             Big Billy revient sur l’harem : ça ne pouvait pas être uniquement local, évidemment, il avait des gonzesses au Japon, Aux États-Unis, en Europe, à Londres - My bastion against the world scattered across the nations - Et Kessler de conclure : «But it had to stop, and so it did.» Et pendant qu’il baise avec Holly, Kyra lui annonce qu’elle est enceinte. Ce qui agace Holly.  

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    billy + Tracey : photographie : Eugene Doyen

             Puis le petit Kessler entre dans le vif du sujet : la force de la nature. Big Billy se lève le matin pour faire de la musique, pour peindre, pour écrire. Il prend en charge le groupe, trouve le gig, ramasse le blé et le partage à parts égales, au pub, après le gig. Eugene Doyen : «It was the truest sense of punk DIY thing you can imagine. He kept everyone busy.» Et l’Eugene d’enfoncer son clou : «That’s what Billy did. He just did the work.» Quand l’Eugene rencontre Big Billy, ils sont tous les deux fans de Dada. Puis l’Eugene va devenir le photographe de la Medway Scene.

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    Billy + Sexton

             Autre personnage clé de la légende childishienne : Sexton Ming. Doyen : «Sexton was a unique mind, a fantastic sense of humour; he was a bit like Captain Beefheart.» Il ajoute que Big Billy le soutenait à 100% : «We’re making music with Sexton. We’re going to put exhibitions of Sexton’s work on, we’ll sell his work, sell his albums, put his poetry on.» C’est dire la modernité d’esprit de Big Billy. Il monte The Phyriod Press en 1979 avec Sexton Ming.

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             C’est en l’an 2000 que la réputation de Big Billy a commencé à grossir, grâce à ses toiles, à ses books, à ses albums et à ses concerts. Il est devenu une influence. Et puis cette facilité qu’il a de monter des groupes. Quand Graham Day lui annonce qu’il quitte Thee Mighty Caesars à cause de son job de pompier, Big Billy fait rentrer sa femme Juju à la basse et change le nom du groupe qui devient The Chatham Singers, puis The Musicians Of The British Empire, et ensuite CTMF, toujours avec Wolf au beurre.

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             Sa principale activité reste néanmoins la peinture - Painting, he often says, is his main job - Il peint chaque lundi. Il admire Van Gogh et Munch en tant que «heights of modernist work» et «cutting edge». On décrit aussi Big Billy comme quelqu’un de très demandeur - Billy is the centre of the universe - Billy ne regarde pas la télé. Il ne va pas au cinéma ni voir les matchs de foot. Il ne collectionne pas les disks et se fout des charts comme de l’an quarante. Il n’écoute la radio (Radio 3) que le lundi quand il peint. Il n’aime pas trop aller voir des concerts - He doesn’t like  to be in a crowd of «grey-haired old cunts like me» - Quand Huddie qui a 23 ans joue sur scène, ajoute-t-il, les gens qui sont dans le public sont tous des grand-pères.

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             Et puis bien sûr, il y a les groupes. À commencer par les Pop Rivets et les racines sixties, «Hippy Hippy Shake» et «Watcha Gonna Do About It». Big Billy rappelle au passage que Big Russ «was the powerhouse behind the Pop Rivets». Premier album en deux ou trois jours, titré The Pop Rivets’ Greatest Hits, puis ils vont jouer en Suisse et à Hambourg et établir des connexions qui seront utiles par la suite pour les Milkshakes. La fin des Pop Rivets est assez calamiteuse : le drummer Little Russ quitte le groupe et t’as la girlfriend qui se prend pour la manageuse et qui dit à Big Billy qu’il devrait sonner plus comme Jimmy Pursey, «which didn’t go down well with me.» Le guitariste des Pop Rivets n’est autre que Bruce Brand. Lequel Bruce va commencer à s’intéresser aux drums - I took notice of drums whatsoever - Il s’aperçoit que personne ne joue plus comme au temps des sixties - It was either heavy rock or disco at the time - Et il y prend goût.

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             Et crack, aussitôt après les fin des Pop Rivets, Big Billy monte les Milkshakes - I wanted to do more rock’n’roll songs. I really liked Gene Vincent and wanted to go in that direction - Ça tombe bien, Mickey Hampshire adore lui aussi les Beatles du Star Club. Et à la demande de Big Billy, Bruce devient le batteur des Milkshakes. Sur scène, Big Billy et Mickey dansent en grattant leurs poux. Ils jouent essentiellement dans les pubs. Russ Wilkins rappelle qu’alors que tous les groupes voulaient quitter le circuit des pubs, les Milkshakes au contraire se battaient pour y rester - Those small venues are the best places to play - Tous ses meilleurs souvenirs de concerts sont dans les small venues. Quand il va voir Led Zep dans une grande salle, il trouve ça horrible - Yet seing the Damned at the Hope and Anchor was just earth-shattering - Russ revient un temps dans les Milkshakes pour remplacer Bertie à la basse. Les Milkshakes tournent essentiellement avec les Prisoners qui cultivaient un son plus psyché «and the muscular sixties mod-preening of the Small Faces.» Entre 1982 et 1984, Big Billy dit avoir enregistré 57 albums - 1984 : The Milkshakes release four albums around the world on the same day in an attempt to commit commercial suicide.

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             C’est aussi l’époque où Big Billy monte les Delmonas avec les girlfriends des Milkshakes : Hilary (copine de Russ), Sarah Crouch (aka Miss Ludella Black, copine de Mickey Hampshire) et Louise Baker qui doit être la copine de Bruce Brand. La seule copine de Milkshaker qui ne soit pas dans les Delmonas est celle de Big Billy, Tracey Emin, Mais comme Big Russ est marié et qu’il a des gosses, il doit quitter le groupe, remplacé par un fan nommé John Gawen. Et comme ça picole sec dans le groupe, Mickey décide d’en rester là. Russ : «Much too much booze, but just booze». No drugs.

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             Fin des Milkshakes. John Gawen chiale. Alors Big Billy décide de remonter Thee Mighty Caesars. Bruce : «Thee Mighty Caesars was basically the Milkshakes without Mick.» Mais Bruce n’aime pas trop jouer sans Mick - I didn’t like it without Mick - Big Billy demande à Graham Day de battre le beurre dans les Mighty Caesars - I told him I’d never played drums - Big Billy lui répond : «I know. That’s the point.» Les Mighty Caesars vont faire du «brutally basic garage rock» et Graham Day en chante les louanges : «It’s probably one of the favourite bands I’ve been in. I loved it.»

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             L’autre acteur clé de la légende childishienne n’est autre que Ian Ballard, le boss de Damaged Goods. Jamais de problème avec Big Billy. Il dit se contenter de sortir les albums - Si les gens attendent des miracles, alors ils ne sont pas sur le bon label. S’ils attendent un bon boulot et de la constance, alors ils sont sur le bon label - Il ajoute qu’un album de CTMF se vend à 2 000 ex. Les compiles se vendent mieux. Il aime bien Julie et admet qu’elle ne s’appelle pas Nurse Julie pour rien - She won’t fuck about - Ballard dit aussi que les choses se sont compliquées quand il bossait avec Holly Golightly, car la relation Big Billy/Holly s’est terminée en eau de boudin. Alors pour ne pas interférer, Ballard ne parlait ni d’Holly avec Big Billy ni de Big Billy avec Holly. Ballard qualifie la fin des Headcoats Headcoatgate. It was a mess.

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             Miss Ludella Black témoigne elle aussi dans ce book. Elle est avec Mikey Hampshire depuis 40 ans. Sa relation avec Big Billy a connu dit-elle des hauts et des bas - Plenty of ups and downs - Elle ajoute ça qui est rigolo : «He’s not very patient with me. So if I irrititate him, that’s the end of the conversation. He irrititates me too, but it’s only his opinion that counts, so we clash a lot.» Elle n’en reste pas moins énamourée de ses chansons : «I love singing his songs. Playing with him live has always been good.» Par contre, elle indique que Mick et Big Billy ne se parlent plus beaucoup. La fin des Headcoateees fut horrible, dit-elle. À cause de la relation qu’entretenait Big Billy avec Holly. En tournée, Sarah/Ludella partageait une chambre avec Kyra qui était encore la poule officielle de Big Billy, lequel Big Billy en partageait une autre avec Holly. Et chaque soir, Bruce qui était le copain officiel d’Holly s’asseyait derrière ses fûts, «stormingly brooding». Le pauvre Bruce était encore amoureux d’Holly, aussi grinçait-il des dents. Et pour couronner le tout, Kyra était enceinte de Billy. Ah quel bordel ! Alors que nous, on ne voyait que deux «good-time, sixties-styled garage-punk groups from Kent.»

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             Après la déconfiture des Headcoats et des Headcoatees, Big Billy monte les Buff Medways, avec l’ex-Daggermen Wolf au beurre - Forms a new group, the Friends of the Buff Medways Fanciers Association (named after an extinct breed of chicken) with Wolf Howard and Johnny Barker - Wolf : «When we started the Buffs, it was all the Who.» Wolf va aussi jouer dans les autres groupes de Big Billy, The Chatham Singers, CTMF et The William Loveday Intention. 

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              Et puis il y a ce qu’on appelle «l’affaire Jack White». White demande à Big Billy de faire une première partie à Londres pour lui, tout seul, «a solo blues set». C’est risqué. Mais Big Billy relève le défi - Good, I’ll do it - Le petit Kessler rajoute son grain de sel : «He always loves a disaster.» Le public applaudit sagement. Puis Jack White demande à Big Billy de peindre sur scène pendant que les White Stripes jouent pour Top Of The Pops. Le petit Kessler est mort de rire : «No way. You have got to be kidding. Forget it.» Alors vexé par ce refus et pour protester, Jack White écrit «B Childish» en grosses lettres sur son avant-bras. Quand il rentre aux États-Unis, il appelle Big Billy pour lui demander de jouer avec lui au Late Show With David Letterman. Big Billy lui répond : «Well, that would depend on whose songs we do - yours or mine.» Jack White le prend de travers. La relation s’envenime. Comme Big Billy dit toujours ce qu’il pense, il déclare dans une interview pour GQ qu’il n’aime pas les chansons des White Stripes - I can’t listen to that stuff. They don’t have a good sound - Jack White s’étrangle de rage et va sur Internet pour accuser Big Billy de plagiarism. Quand Big Billy décroche son téléphone pour appeler Jack et s’excuser, on lui répond qu’il ne peut pas parler à Jack White et qu’il ne faut plus essayer de l’appeler. Alors Big Billy va lui aussi sur Internet et il balance ça qui est du big Big Billy : «Though I have undoubtedly angered Jack White, I think it’s a bit nasty to accuse me of plagiarism merely because his former admiration of my work was not reciprocated. It all smacks of jealousy to me. I have a bigger collection of hats, a better moustache, a more blistering guitar sound and a fully developped sense of humour. The only thing I can’t understand is why I’m not rich.» Et dans le PS, il rebalance ça dans les dents du pauvre Jack White qui aurait mieux fait d’écraser sa petite banane : «But no matter who my influence may be, I would never stoop so low as to rip off Led Zeppelin.» Et il ajoute en guise de PPS hilarant : «I hope I’ve gone and offended Led Zeppelin now.»

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    Nurse Julie

             Et la vie de Big Billy reprend du poil de la bête avec la rencontre de Nurse Julie en Californie. Elle bat le beurre dans un groupe nommé the Stuck-Ups, «a punky new-wave thing.» Elle va jouer de la basse dans CTMF. Big Billy lui demande de composer des chansons pour CTMF. Il épouse Nurse Julie en l’an 2000 à Seattle. Nurse Julie est aux anges : «I’d never had that level of stability before. He had a house, he knew what he wanted to do and was on his path. He was offering me this huge amount of love, interest, excitement, creativity.» Big Billy lui demande de monter un groupe avec Kyra, so they did : the A-Lines - Julie learnt to play guitar and Kyra sang - Et le petit Kessler balance une chute superbe : «And there, at least, we have a tangible example of how being married to Julie Hamper has eased Billy Childish’s troubled mind.»  

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             Et puis, un jour qu’ils sont sur la route, Big Billy et Julie entendent «Visions Of Johanna». Alors Big Billy se tourne vers Julie et lui dit : «Bob Dylan is the best pop star who’s ever been isn’t it? I didn’t realise this before.» Julie answered in the affirmative. D’où l’épisode magique de The William Loveday Intention.

    Signé : Cazengler, débilly

    Ted Kessler. To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish. White Rabbit 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Rave on with the Raveonettes

             L’avenir du rock presse le bouton de la sonnette.

             — Driiiiiiiiiiiiiiing !

             La porte s’ouvre. Une vieille dame apparaît, tenant un plumeau à la main. Elle devait être en train de faire le ménage. D’une voix de petite souris, elle demande :

             — C’est pour quoi ?

             L’avenir du rock esquisse un sourire affable et, d’une voix claire, déclare :

             — Je vends des Raveonettes. Avec une bonne remise...

             — Des quoi ?

             — Des Raveonettes, chère madame.

             — Excusez-moi, monsieur, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez...

             — Mais des Raveonettes ! Des Ra-ve-o-nettes !

             — Ça a quelque chose à voir avec les raviolis ?

             — Oh pas du tout !

             — Alors avec les savonnettes ?

             — Non plutôt avec le rave...

             — Ah oui, je comprends mieux... Ô rave Ô désespoir !

             — Non non, vous n’y êtes pas du tout, madame...

             — Alors, ça a forcément à voir avec ravénique ta mère !

             Le vieille pique une petite crise de fou rire. Ça faisait une éternité qu’elle ne s’était pas marrée comme ça. Et de voir la gueule atterrée de l’avenir du rock sur le palier avec son attaché-case, ça ne fait qu’aggraver les choses. Elle parvient à se calmer et lance d’une voix hystérique : 

             — Chuis sûre que ça a à voir avec César !

             — Quoi ?

             Elle lève alors le bras et brandissant son plumeau, elle crie de toutes ses forces :

             — Ravé César ! Ceux qui vont mourir te saluent !

             

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             Pas facile de vendre les Raveonettes en porte à porte. Il s’agit pourtant d’un article de très grande qualité. Pour les situer, disons qu’il s’agit d’un duo danois qui exploite depuis vingt ans l’héritage de Totor. Le Wall Of Sound n’a aucun secret pour Sune Rose Wagner et sa copine  Sharin Foo.

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             Ils refont surface cette année avec un concert parisien, et avec Sing, un album de covers, et pas des moindres, car t’as le «Goo Goo Muck» des Cramps, ils sont en plein dedans, avec tout le when the sun comes down/ And the moon comes up, et de sacrées dynamiques de machines, bien sûr, mais le fond est bon. Ils tapent aussi le «Venus In Furs» du Velvet à l’heavy drum bass de shiny shiny boots, c’est Sharin Foo qui le prend au chant, elle est presque aussi bonne que Nico. D’autres covers de prestige encore avec «Shakin’ All Over», plongée dans l’univers shaky du plus grand des Pirates, Johnny Kidd, via Vince Taylor superstar. Ils tapent aussi le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las à la Totor. The impossible dream. Sune Rose Wagner l’a fait. Pur Totoring ! Bel hommage à Buddy Holly le Texas King avec «Whisky». Bel éclat pop, superbe allure ! Ça frise le coup de génie. Ils attaquent le «Return Of The Grevious Angel» de Gram Parsons au heavy stash raveony, ils t’éclatent cette merveille au Sénégal. Sans doute est-ce là le plus bel hommage jamais rendu à Gram Parsons, excepté le «Brass Buttons» de Something Happens, sur le fameux Tribute à Gram Parsons, Commemorativo. Avec ce «Return Of The Grevious Angel», les Rav rendent un hommage spectaculaire, gorgé de cosmic power extravagant. Encore plus stupéfiant : leur cover de «The Kids Are Alright», whoisssh en diable, ils l’attaquent en mode pop de Brill. Quel prodige ! Sune Rose Wagner réussit ce tour de force. Brill it baby ! Encore pire avec «The End» :  il prend le pathos des Doors en mode pop élégiaque, avec du power de perlimpinpin, des diapasons diaphanes dans la lumière orange d’un acid trip, la mélodie éclate en rosaces de solace, c’est du pur génie visionnaire. Ils tapent aussi une cover du «Love How You Love Me» des Paris Sisters, pour en faire une pop sépulcrale d’ampleur considérable. Tiens encore une cover miraculée : le «Will You Love Me Tomorrow» des Shirelles. Sune Rose Wagner est un magicien.

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             Évidemment, tu comptes bien les voir jouer tout ça sur scène. Eh bien, pas du tout. Que dalle ! Pas plus de Goo Goo Muck que de beurre en broche. Mais ils ont suffisamment de coke en stock pour remplir 90 minutes de set. And what a set, my friend ! Ils jouent tous les deux avec un batteur. Sharin Foo gratte le plus souvent

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    une gratte, elle ne prend la basse que sur trois quatre cuts. Ils préfèrent le son des deux guitares. T’en as pour ton billet, le petit Wagner plonge inlassablement dans ses vagues de Tannhäuser et chevauche ses Walkyries ad nauseum. Il pique de belles crises de poux et tiguilite dans un faste d’Exploding Plastic Inevitable. Il est l’anti-rock star par excellence, il parle d’une petite voix douce d’hermaphrodite fellinien et avoue timidement aux Parisiens qu’il est content d’être là. Ça fait vingt ans qu’il bat le pavé avec Sharin et il n’a pas pris une seule ride : un petit double menton est la seule trace de vieillissement, mais pour le reste, il conserve cette allure d’éternel adolescent qu’il arborait sur la pochette de Whip it On.

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             Bon, tu patauges un peu en début de set, car tu ne reconnais pas les cuts, mais tu retrouves assez vite tes marques avec «Love In A Trashcan» et «Sleepwalking» tirés de cet album faramineux paru voici 20 ans, Pretty In Black. C’est moins produit, car sur scène, mais ça reste de la grande pop de Brill, et ils enchaînent naturellement avec ce gros clin d’œil à Ronnie Spector, «Ode To L.A.», ils font même venir la voix de Ronnie sur scène. Plus loin, ils tapent dans l’infernal Whip It On avec les très velvetiens «Attack Of The Ghost Riders», «Do You Believe Her» et «My Tornado». Tous ces vieux cuts sonnent comme des cuts idéaux, enracinés dans le Velvet et les Mary Chain. Tu sens battre le cœur du mythe. C’est vrai qu’on perd la magie de la prod sur scène, mais ils compensent avec un joli sens aigu du bordel doomique et de l’évangélisme cosmique. Ils fonctionnent par grappes de trois. On identifie aussi sec l’«Hallucinations» de Lust Lust Lust, bien sûr suivi de «Blush» et de «Dead Sound», qui à l’époque flirtaient avec l’electronica, mais cette fois, le bordel scénique les sauve de la dérive hégémonique. Le dernier cut de set avant l’encore sera l’hypnotique «Aly Walk With Me», toujours tiré de Lust Lust Lust. Tu l’aimes bien l’Aly, ça te réchauffe le cœur de la retrouver sur scène. Sune et Sharin

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    sont en train de devenir tes meilleurs copains, comme le sont d’ailleurs les frères Reid. L’Aly est aussi l’occasion rêvée pour l’éternellement jeune Sune de reculer de trois pas afin de plonger dans une gigantesque vague d’excelsior sonique. C’est le moment que tu préfères, tu le vois plonger et kicker son kilo de killer. En rappel, ils vont taper cette pure Marychiennerie qu’est «That Great Love Sound». T’es vraiment ravi d’entendre ça. Ils tapent encore en plein cœur du mythe Reid, c’est l’un des plus beaux clins d’yeux qui se puisse imaginer. Avec ce genre de set, tu vas littéralement d’explosion en explosion. Occasion unique de re-visiter une œuvre overdosée de coups de Jarnac.

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             En 2002, Sune Rose Wagner et Sharin Foo s’étaient lancés dans une périlleuse entreprise : réactiver la grande pop du Brill Building. On peut les saluer pour leur courage. Réactiver l’âge d’or du Brill, ça suppose du génie composital et une certaine forme de polyvalence. Les couples légendaires comme Cynthia Weil & Barry Mann, Carole King & Jerry Goffin, Ellie Greenwich & Jeff Barry savaient écrire des mélodies imparables et des producteurs comme Phil Spector ou Jack Nitzsche savaient leur aménager un cadre grandiose. Wagner & Foo ont donc essayé de se hisser à ce niveau de perfection pop et on peut bien admettre qu’avec leur premier album, Chain Gang Of Love, ils y sont parvenus. Et ce, de façon très spectaculaire.

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    Tous les morceaux de cet album frisent l’énormité, tant au niveau de l’inspiration que de la production. Wagner & Foo se croyaient au Brill en 1963, et leur rêve est devenu réalité. Il suffit simplement d’écouter « Remember ». Ils nous plongent immédiatement dans la grandiloquence d’antan, avec les cloches, les harmonies vocales, le wall of sound, la profondeur, la puissance mélodique. Il ne manque rien de ce qui faisait la grandeur d’un hit des Ronettes. C’est dingue ce qu’ils sont bons. « Remember » sonne comme l’un des plus grands hits sixties, avec un côté insistant et une beauté plastique qui frise l’absolue perfection. Même chose avec « That Great Love Sound », où ils utilisent des machines, histoire de moderniser un peu. Mais on les sent déterminés. Ils embarquent leur truc avec la grosse énergie d’un Dylan de 1965 revu et corrigé par les Mary Chain. C’est le second hit planétaire de cet album. Il faut se faire à l’idée suivante : ce disque est mons-tru-eux. Les Danois parviennent même à surpasser les Américains du Brill dans le brasillage intempestif. Exemplaire ! Avec « Noisy Summer », on entre en trombe dans la puissance harmonique. Le chant à l’unisson du saucisson emporte tout. Sune Rose Wagner charrie une purée sonique ultime digne de celle d’Al Jourgensen. C’est le troisième hit planétaire de l’album. Comme William et Jim Reid, Wagner & Foo détiennent l’arme suprême : l’imagination. La B est encore plus spectaculaire. « Heartbreak Stroll » revient se lover dans le giron du Brill, mais avec un souffle de modernité supplémentaire. Sharin et Sune sonnent comme un groupe psyché américain des sixties. On retrouve ces racines psyché dans « Little Animal », puissant et irréprochable. On se régale de l’extrême pureté du chant psychout et des guitares ondoyantes. Même énergie fulgurante dans « Untamed Girls », encore un hit psyché gorgé de jus, d’éclat et d’ampleur sans précédent. Ça monte encore d’un cran dans le génie psyché avec « Chain Gang Of Love ». On se met à halluciner, on voit les chapeaux, les lunettes noires, les vestes à franges et les sourires américains s’agiter dans l’éclat de la lumière californienne. Sharin et Sune rendent un hommage considérable à cette culture psyché, le même genre d’hommage que lui rendit Joe Foster avec « Zé Do Caixão ». Ils se prennent aussi pour Suicide avec « The Truth About Johnny », mais ça leur va plutôt bien. On revient à la belle pop de haute voltige avec « New York Was Great », toujours chanté avec le prodigieux recul du psychout amphétaminé de chemises à fleurs et de colliers de dents d’ours.

             Grâce à cet album exceptionnel, Sharin & Sune devinrent des héros.

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             Du coup, on rapatria Whip It Off, un mini-album paru un an plus tôt. Bingo ! C’était aussi un très gros coup. « Attack Of The Ghost Riders » s’imposait immédiatement par l’éclair de son attaque et l’éclat de sa purée. Sharin et Sune faisaient passer les Cramps pour des enfants de chœur. Ils détrônaient tous les rois de la purée trash, puis, sans prévenir, Sune se mettait à jouer un petit solo tranquille. Comment ce fou avait-il réussi à échapper aux psychiatres ? Ils continuaient de détrôner les rois avec « Veronica Fever ». On les percevait alors comme des opportunistes danois plutôt doués. Fallait-il les classer parmi les faussaires de génie ? En tous les cas, « Veronica Fever » étonnait et stupéfiait en même temps. Puis Sune passait l’accord de ferraille ultime pour lancer « Do You Believe Her » et se montrait beaucoup plus radical qu’Oasis au niveau son. Ils nous livraient ensuite leur version de l’apocalypse avec « Cops On Your Tail » - Shine on - un cut littéralement implosé. Jamais encore on avait entendu un son aussi immonde, aussi sec et aussi violent. Ils visaient tout bêtement la démesure de la surenchère. Et ils bouclaient l’effarant bouclard de ce mini-album avec « Beat City », embarqué à la folie de la Marychiennerie, en pure perte de folie explosive, l’un des sommets du sonic trash.

             Avec ces deux albums, les Raveonettes avaient réussi l’exploit de s’imposer dans un marché garage alors extrêmement congestionné. Le revival garage battait son plein et les bons groupes pullulaient. La grande force des Raveonettes était de savoir mettre une mélodie en valeur grâce au son. 

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             Pretty In Black paru en 2005 vaut aussi le détour. Sune et Sharin chantent à l’unisson sur « Love In A Trashcan », une étonnante pièce pointilliste digne de Signac. Le jeu de guitare exacerbe le thème et le cut revêt par conséquent une classe internationale. Peu de gens savent exacerber la vulve d’un cut avec autant de dextérité. Ils le font sonner comme un vieux hit garage sexy californien. Sune prend un solo à la note qui coule. Il reproduit tous les poncifs. Ce mec est vraiment très fort. Il faut vraiment le prendre au sérieux. Il peut jouer comme Johnny Echols de Love. Avec « Sleepwalking », ils passent directement à la grande pop du Brill. C’est balancé dans le mur, et splish et splash, dans une grosse ambiance de prod extrémiste. Ça donne un étrange mélange d’Easybeats et d’Electric Prunes grillé dans le percolateur d’un Brill d’écho mortel. Il faut attendre « Twilight » pour renouer avec l’excitation libidinale et le vol des bourdons. Sune gratte ses notes sous un ciel d’orage, c’est chanté dans l’épaisseur d’un sixties sound et tiré au gimmickage supérieur. Ils chantent ensuite « Somewhere In Texas » à l’unisson. Rappelons au passage que le Danemark est l’antithèse du Texas. Mais ça n’empêche pas Sharin et Sune de revenir dare dare au big Brill Sound avec « Ode To LA ». En tous les cas, ils s’y croient. Pire encore, ils s’y projettent. Sharin se prend pour les Ronettes. La belle blonde miam miam tombe dans l’escarcelle sonique de Phil, mais Phil ne mange pas de ce pain-là. « Ode To LA » est une belle pièce de pop kitschy bitchy gorgée de tambourins, de female juice et de Ronnie Spector. Ils réussissent l’exploit de s’inscrire dans la mythologie.

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             Lust Lust Lust pourrait bien être l’un de leurs meilleurs albums. Évidemment, Richard Gottehrer - producteur légendaire et bête du Brill - est dans le coup. Ils attaquent avec « Aly Walk With Me » gratté à l’accord de Ricken. Bon d’accord, ça gratouille et soudain, au deuxième couplet, ça explose sous le crâne. Le cut se transforme comme par magie en bouillie sublime agitée de pulsions prédatrices. Ils sont incroyables, ils endorment le client et aussitôt après qu’il se soit assoupi, ils s’amusent à le Krakatoer, car c’est bien la démesure d’une éruption qu’on entend. Ça dégueule de partout. Une pluie de vomi sonique s’abat sur le malheureux qui s’est risqué à écouter ce disque. Ils sont très forts, nos deux Danois. On se croirait à l’Auberge Rouge. Personne n’en sortira indemne. Ils rééditent cet exploit avec « Hallucinations », qui s’ouvre sur une mélodie chant à la Mary Chain soudain étripée par un solo échappé d’on ne sait quel asile du XXe siècle. Toute la scène se déroule dans une tombe. Le solo s’éveille comme un zombie. Leur truc tourne un peu au procédé. Dommage. « Lust » est le genre de morceau qui une fois encore endort la méfiance, mais derrière, Sune joue ses solos à la note sèche dans une réverb d’écho analogique. Par chance, ils ne sont pas bons à tous les coups. Il vous faudra attendre « Blush » pour renouer avec le frisson pariétal. Ils poursuivent leur virée au pays du Brill et quand ils s’énervent, ils redeviennent subitement des héros. C’est précisément la raison pour laquelle on les adore. « Blush » ne demande qu’à exploser et ça explose. Ils nous plongent au cœur du son. Sune va fureter dans les couches et soudain, il tire l’overdrive, alors tout bascule dans la magie. Et là, on atteint les sommets. Un album des Raveonettes est proprement interminable, car il faut écouter chaque cut attentivement. Ils sont capables de tout, de hauts comme de bas et on ne sait jamais s’il faut les détester quand ils cèdent à la facilité ou les adorer quand ils atteignent des sommets. « You Want The Candy » est encore une pièce extraordinaire de power-pop trafiquée au son ultraïque. Ellie Greenwich aurait sans doute adoré ça. « Blitzed » sonne comme un exercice para-nubile de sexe adolescent. Encore une extraordinaire aventure énergétique. Ils réinventent le kitsch de la fièvre et c’est joué à la guitare avec une violence inconnue au bataillon, comme si Sune amenait une dimension nouvelle à la folie du juke - Our love is being blitzed - On a dans ce disque tout ce qu’il faut pour être heureux. C’est un trésor de pirate garage. « Sad Transmission » est encore une pièce de pop au crabe de génie, montée sur un groove admirable. Sune joue son solo là-bas dans la cuisine. Il faut entendre ce groove claqué aux castagnettes et ce solo qui vole dans le fond comme l’ombre de Dracula. Ce cut est une véritable purge. Et le solo percute la falaise de marbre de plein fouet. De là à déduire que Sune Rose Wagner a du génie, il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Ses coups de fin de cut sont des coups du lapin. Sharin a tellement de chance de pouvoir fricoter avec ce mec. À la fin de « With My Eyes Closed », on voit encore un solo extraordinaire tomber du ciel. Par les cornes du diable, ce disque est un enfer !

             Les Raveonettes finissent par poser un sacré problème : ils creusent l’appétit. Chaque fois que sort un nouvel album, on se met à baver.

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             Paru en 2009, In And Out Control soulagerait n’importe quelle fringale. Avec « Bang », ils se prennent carrément pour Sonny & Cher. Et pif et paf ! Voilà un cut épique, vraiment digne de la préhistoire de la Chrétienté. Le beat est tellement puissant ! Encore du blast avec « Gone Forever ». Ces deux Danois sont des démons. Rarement on entendra Sharin chanter de manière aussi sexy. Encore du violemment bon avec « Last Dance ». Sharin monte au créneau, une fois de plus. Elle tape à bras raccourcis dans la grande pop. Elle chante même beaucoup trop bien. On pourrait cataloguer « Boys Who Rape » de pop du Brill tombée dans une bassine d’amphétamines. Absolument stupéfiant ! Sharin chante comme la nouvelle reine du Brill, même si le Brill a depuis longtemps disparu. Elle fait des avances à la mythologie et le son la rattrape pour la dévorer toute crue. Et au cœur du chaos, elle en rajoute encore et encore. S’ensuit une nouvelle pièce démentoïde avec « Heart Of Stone », qui compte probablement parmi les plus gros coups des temps modernes. Ils reviennent au beat de guitares psyché et c’est franchement stu-pé-fiant de qualité. Sune recherche l’esprit psycho-psyché d’Anton Newcombe. La fête se poursuit dans cette ambiance unique de groove psyché. Les Danois sont encore plus californiens que les Californiens. On tombe des nues. Puis Sharin chante « Oh I Burried You Today » dans le fond du studio avec le charme d’une femme aimante. On va de surprise en surprise. C’est précisément ce qui fait la grandeur des albums des Raveonettes. Dans « Drugs », on entend des chœurs de filles bizarres. C’est exactement ce qu’on entend au moment où le tangage s’accompagne d’une soudaine envie de vomir - whoo eh eh oh - et ça part. En fait, ça soulage de vomir. On a même l’impression que ça nettoie la cervelle. Alors les Raveonettes jouent leur petit beat de mal de mer. Leur dernier coup de Trafalgar s’appelle « Break Up Girls » : le cut semble couler en dégageant de la fumée. 

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             Et puis on vit le phénomène Raveonettes se dégonfler comme un ballon de baudruche, à cause de Raven In The Grave, un misérable album privé d’inspiration. Notre déception n’avait d’égale que la profondeur abyssale du vide que proposait ce disque. Pas de mélodies, pas de chansons, pas de rien. On ne croisait sur ce disque que des tentatives malheureuses. Pour Sharin & Sune, c’était la fin des haricots. Des morceaux comme « Summer Moon » n’étaient que morne plaine et la plupart des autres ressemblaient à du pâté de supermarché, un peu spongieux et sans goût. Le seul morceau sauvable de cet album était le premier, « Recharge & Revolt » qui sonnait comme du Mary Chain, avec des guitares en pointe, comme sur l’album Bandwagonesque de Teenage Fanclub. On se régalait de ce festin, même si le son trempait un peu dans le synthétique. C’était bien tenu, avec une touche anglaise.

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             Richard Gottehrer produit l’album Observator paru en 2012. Dès le premier cut, « Young And Cold », on sent que c’est un bon album. Pour ce balladif élégiaque, Sharin force sa voix et pénètre dans l’orgie d’une orchestration foisonnante. Ces gens-là ne semblent vivre que pour le son. Les orchestrations sont souvent fantômales. Elles se succèdent comme des saisons climatiques, et on passe du foggy nocturne au lumineux de clairière, comme c’est le cas avec « Observations ». Ils adorent torturer la pop et lui donner des atours préraphaélites. Ils adorent s’égarer la nuit dans les bois. Par son côté à la fois délicat et têtu, « Curse The Night » est un fantastique hommage au Brill. Alors que le beat s’installe dans le background, Sharin vise l’échappée belle et chante d’une voix de porcelaine. C’est très beau et ça se perd dans les couches de son, bien repris par des ouh-ouh-ouh amenés au ralenti. Ils passent ensuite à la petite pop replète avec « The Enemy ». La voix de Sharin illumine ces instants de pop. Elle ramène avec elle la grâce de sixties. En B, Sure Rose Wagner chante quelques morceaux, comme « She Owns The Streets ». Il sonne comme un vieux loup des sixties. Sharin vient se joindre à lui pour des chœurs magistraux. Ils recréent une magie qu’on croyait disparue. Le miracle se poursuit avec « Downtown », digne de la plus belle pop sixties californienne. On pense aux Byrds et aux Mamas & The Papas. Retour au Brill avec « Till The End ». Quelle prod !  Sune Rose Wagner chante et relance son truc indéfiniment, dans la splendeur d’un soir d’été. Sharin le rejoint à la brooklynaise, directe et dans détours.

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             Pe’ahi paraît en 2014. Sur la pochette, on voit un petit cran d’arrêt posé sur un fond vert d’eau. Si on l’écoute au casque, on est tout de suite indisposé par les machines. Ils flinguent successivement quatre morceaux et il faut attendre « Z-Boys » pour retrouver une pop de Brill apocalyptique. Ouf ! On se croit sauvé. Avec « A Hell Below », on ne peut pas espérer plus pop. Ils reviennent inlassablement à la source fatale qui est la pop du Brill. Deux autres titres mériteraient de défrayer la chronique : « When Night Is Almost Done » et « Summer Ends ». Le premier est une pop saturée de son. C’est à la fois beau et dingue. On a l’impression d’entendre un absolu de la grande pop oxygénée à l’extrême. Le second est une pop bien élevée montée sur un mouvement rampant, et comme l’ensemble est bien tempéré, ça passe comme une lettre à la poste. Ils cherchent à faire du Brill moderne, celui du temps des machines.

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             Et puis voici 2016 Atomized, ainsi nommé parce qu’ils firent chaque mois de l’année 2016 une chanson pour cet album. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par « Run Mascara Run », hit pop romantico bruité et mélodique - The palm trees burning down/ And your kisses are wild/ You smile at orange skies - Le deuxième coup de génie s’appelle « Wont You Leave Me Alone ». Elle lui dit qu’elle n’est pas faite pour lui -  Don’t sink your teeth in me/ try to understand where I’m at - C’est du pur druggy hell de bye bye tell me babe - You never had a chance/ I’m not the one you need - Belle démonstration de force ! C’est amené avec toute la puissance des Mary Chain. Troisième coup de magie pop avec « Fast Food ». Tout est explosé au son de Sune. C’est une horreur absolue, une désincarnation de l’incarnation. On parle ici de pop définitive. On assiste à l’assise du génie mélodique absolu : Sune Rose Wagner, oui, aussitôt après Totor. Il reste encore quelques grands cuts comme cet « Excuses », cut brillant, et même instinctif, au sens pop du terme. Sune y rase sa Rose. C’est vrai qu’on attend des miracles d’un mec comme Sune. Et puis t’as « Scout » - Looking so mean/ In faded jeans/ I’m ready to die - Encore un fabuleux décavement d’accès total, véritable blast caverneux d’extase à papa. Sune Rose Wagner envoie tout ça aux gémonies, il cherche un passage vers l’ailleurs. Difficile, à ce stade de décomposition orbitale. Dernier grand hit de cet album mirifique : « This Where It Ends », battu bizarrement et repris au bassmatic - Maybe one day/ I can live with myself - Sune envoie la légion au secours de son refrain magique. C’est énorme, sa pop emprunte une voie romaine. 

    Signé : Cazengler, saveonnette

    Raveonettes. Petit Bain. Paris XIIIe. 21 mai 2025

    Raveonettes. Whip It Off. Crunchy Frog 2002

    Raveonettes. Chain Gang Of Love. Columbia 2003

    Raveonettes. Pretty In Black. Columbia 2005

    Raveonettes. Lust Lust Lust. Fierce Panda 2007

    Raveonettes. In And Out Control. Fierce Panda 2009

    Raveonettes. Raven In The Grave. Vice Records 2011

    Raveonettes. Observator. Vice Records 2012

    Raveonettes. Pe’ahi. Beat Dies Records 2014

    Raveonettes. Sing. Cleopatra Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Wade in the water

             Comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, Fouad ! Petit et fluet, il ne prenait pas beaucoup de place. Il souriait toujours. On a dû lui demander une fois d’où il venait. De Tunisie. Mais il ne rentrait pas dans les détails. On se doutait que son père bossait à l’usine Renault. Il avait intégré notre petite bande sans rien dire de spécial. Il avait dû voir qu’il restait une place dans la bagnole, alors il avait demandé s’il pouvait venir avec nous. Pas de problème. Il était toujours bien habillé. Sa mère devait lui repasser ses pantalons car les plis étaient toujours parfaits. Elle devait aussi repasser ses chemises. Et ses petits mocassins noirs étaient toujours cirés. Il était bien coiffé. Il n’ouvrait le bec que si on lui posait une question. Il n’existait pas de mec plus gentil et plus transparent que Fouad. Quand on allait passer la soirée chez Jean-Claude, l’oncle qui tenait une boîte de nuit à la campagne, Fouad se mettait dans un coin et s’arrangeait pour ne pas se faire remarquer. Quand on arrivait à le déloger, il venait danser avec les autres et gardait le sourire. Il refusait poliment tous les verres qu’on lui proposait. On insistait, mais non. On rentrait à l’aube et on le déposait au pied du HLM où il vivait. Il nous serrait la main à tous les trois et nous souhaitait une bonne journée avant de disparaître dans la cage d’escalier. Au fil des mois, on avait fini par apprécier sa discrétion. On sentait qu’on pouvait lui faire confiance. On décida de lui proposer un baptême du feu. Il ne savait rien de nos activités «parallèles», alors on le mit au parfum. Ça n’eut pas l’air de l’effrayer. Il écoutait et restait concentré. N’importe qui à sa place aurait pris la fuite.  Mais il gardait son calme et hochait la tête en signe d’assentiment. On lui mit le «marché» dans les mains. Il s’agissait d’un braquage. Pas compliqué, tu entres, tu leur dis de se coucher au sol et tu fous ton calibre sous le nez du caissier. Il va te remplir le sac vite fait. On partage en 4. D’accord ? Fouad hocha la tête. Le lendemain, il mit sa cagoule, entra dans la banque. On attendait juste devant avec le moteur qui tournait. Fouad sortit de l’agence avec le sac plein, mais pas de pot, une balle le toucha dans le dos et le projeta en avant. On eut tout juste le temps de le récupérer et de filer. Les pruneaux sifflaient de partout. Il vivait encore. On alla le déposer dans sa cage d’escalier.            

     

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             Pendant que Fouad se fait trouer la peau, Wade trouait le cul de la meilleure Soul du monde, la Soul de Chicago, si tant est qu’elle ait un cul.

             Dans les early sixties, Wade Flemons fut une star de Vee-Jay, le grand label black de Chicago. Son premier hit fut «Here I Stand», un shoot de calypso demented. Wade Flemons fait partie des Soul Brothers arrivés dans le circuit avant la Soul. Il tapait pas mal d’hits signés Otis Blackwell et Curtis Mayfield. Il aurait pu devenir énorme, mais il est appelé sous les drapeaux en  1965 et ça va briser sa carrière. Deux ans plus tard, il tente de redémarrer avec Maurice White dans les Salty Peppers, qui vont ensuite devenir Earth Wind & Fire, mais sans Wade qui va alors sombrer dans les ténèbres, puis casser sa pipe en bois assez prématurément.

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             Pour se faire une idée du talent fou de Wade Flemons, l’idéal est de choper Here I Stand: 20 Greatest Hits. C’est le grand gourou de Chicago, Robert Pruter, qui en signe les liners. Wade Flemons est entre de bonnes mains. La compile reprend son unique album sans titre paru en 1960, plus huit autres vaillants cuts sans peur et sans reproche. Ça démarre bien sûr sur «Here I Stand», pur jus de Black Power. Il a un côté cha cha fabuleux, comme le montre «What’s Happening». C’est du wild r’n’b de juke magique. «Easy Lovin’» est l’un de ces grooves qui te font croire en Dieu, tellement c’est profond. Back street alley strut de Chicago. Flem est un prodigieux artiste. «It’s So Much Fun» sonne comme l’heavy balladif des jours heureux - It’s so much fun to be with you - Et puis voilà qu’il rend hommage à Jimmy Reed» avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», bien axé sur l’axe, c’est du big barrelhouse avec des chœurs de jolly jollies, un solo de sax et un beurre au fond d’un son d’une étonnante résonance. Avec l’«At The Party» singé Curtis, il piétine les plates-bandes des petits culs blancs. Encore de la pop de zip zip boom avec «Keep On Loving Me», on le voit tournoyer comme Nicolas et Pimprenelle dans le Manège Enchanté. Il revient aux affaires sérieuses avec le «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Il le chante de l’intérieur du menton. Il fait la danse du canard sur «When It Rains It Pours», cut solide et bien déboîté, et il s’en va faire un tour à Broadway avec «That Other Place». Il tient rudement bien le choc du stay away from me baby.

             Avant de quitter cette planète, Jean-Yves m’envoya un ultime SMS pour me recommander l’écoute de Wade Flemmons et d’Harold Burrage.

    Signé : Cazengler, Wade Flemmard

    Wade Flemons. Wade Flemons. Vee-Jay records 1959 

    Wade Flemons. Here I Stand: 20 Greatest Hits. Vee-Jay Records 2000

     

     

    Lowland of thousand dances

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             Tu te demandes comment vont s’en sortir les Lowland Brothers : ils montent sur scène après Early James. Ils n’auraient peut-être pas dû prendre ce risque et accepter de jouer en première partie. Dès leur cut d’ouverture de set, on voit qu’ils

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    ne vont pas faire le poids, et pourtant leur son t’intrigue. Ces Dunkerquois ont un petit quelque chose qui s’appelle le feeling, et plus précisément le mec au chant, qui sous son bonnet, distille une Soul blanche d’une finesse extrême. Il s’appelle Nico Duportal et il n’est pas né de la dernière pluie. Il ne passe jamais en force, il fait

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    l’anguille, il opte pour la finesse et gratte des poux à discrétion sur la belle Jaguar blanche. Ils vont ramer, car ils savent qu’ils partent en mauvaise position, mais au fil des cuts, ils finissent par rétablir une sorte d’équilibre. T’as même hâte d’écouter leurs deux albums, pour retrouver l’éclat de certaines compos. Leur petit défaut

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    serait de vouloir jouer la carte du participatif, qui ne marche pas toujours en France. Par contre, ça marche très bien dans les églises en bois. Le club n’est pas une église en bois, mais bon an mal an, les gens claquent des mains à la demande. Et puis Duportal monte certains cuts au sommet du feeling, par la seule magie de sa voix. Il

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    ne t’en faut pas davantage. Pour un groupe qui part avec un handicap, c’est assez remarquable de les voir rafler la mise sur la seule foi de brillantes compos. Tu tends l’oreille et tu vois ce mec groover au micro comme un vétéran de toutes les guerres. Tu sais déjà qu’il faudra les revoir.

     

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             C’est avec un réel empressement qu’on s’installe pour écouter leur premier album sans titre paru en 2021. On retrouve cette belle Soul blanche bien balancée et l’excellent «Two Pounds Of Loaded Steel» qu’ils tapent en rappel. Duportal sait poser sa voix. Ses deux mamelles sont l’accent perçant et la science du smooth. Il sait aussi élever le ton. On le voit plus loin groover au paradis avec «Driftin’». C’est une merveille. «Share Your Load» est le cut d’ouverture de set, un cut puissant, monté sur un thème vainqueur, ils ouvrent des portes et l’infernal Max Bass vole le show avec un drive pharaonique. Ils swinguent encore la Soul avec «Love Reigns Over Me», un cut qu’ils placent en plein cœur de set. C’est une merveille absolue. Duportal pousse l’art de la Soul blanche dans les orties et vise l’imparabilité des choses. L’irrépressible Max Bass y fait encore des ravages. Tu te régales à écouter cet album, tu y retrouves tout leur enthousiasme scénique.

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             Bien sûr, tu retrouves les cuts qui t’ont tapé dans l’œil sur leur deuxième album, Over The Fence, et plus particulièrement ce «Shape Up» que Duportal groove au max des possibilités, et derrière les Brothers montent bien le groove en neige. C’est du pur Marvin d’I know Iaïeeeeee. Ce «Shape Up» est le cœur battant du set, un hit d’une ampleur considérable. Duportal re-rafle la mise avec un «Here Come The Shadow Heroes». Pas de problème, il peut chanter comme Eddie Kendricks, c’est un grand falsetteur devant l’éternel, il sait rester sur la note haute pour couler des couplets magiques. On retrouve l’excellent Max Bass dans «For A While» et tu te régales de cette belle atmo de Soul blanche. Les Brothers te soignent la Soul aux petits oignons. Oh quelle surprise : tu croises le nom de Don Cavalli, co-signataire d’un cut-hommage à Arthur Penn, «Little Big Man». Hélas, mille fois hélas, le cut ne fonctionne pas.  

    Signé : Cazengler, lowlarve

    Lowland Brothers. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Lowland Brothers. Lowland Brothers. Wita Records 2021

    Lowland Brothers. Over The Fence. Underdog Records 2024

     

     

    Frankie teardrop

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             Avec un nom de groupe comme Frankie & The Witch Fingers, t’y vas en confiance. Tyva le cœur léger. Tyva en courant. Presqu’en sifflotant. D’ailleurs ça tombe bien, c’est le printemps. Au plus spongieux de ton for intérieur, tu te dis que tu vas passer une bonne heure au pied d’une magnifique brochette de rockers californiens. Et comme jolie petite cerise sur le gâtö, t’iras ramasser quelques beaux vinyles au merch. Il t’en coûtera un bon billet de 100, mais qu’est-ce qu’un billet de 100 comparé à l’univers ? Pffffff ! Rien ! Dans le feu de l’enthousiasme, tu monteras peut-être même jusqu’à 200, pfffff, tellement le grouillement graphique des pochettes psychédéliques agit sur tes muqueuses. D’ailleurs, avant le set, tu vas faire un tour au merch en éclaireur, histoire de t’humecter les trompes : ils sont tous là, bien étalés, comme des quartiers de viande, ou les poissons crevés du poissonnier, de 25 à 35 euros, pfffffff, tous en vinyles colorés, tous plus psychédéliques les uns que les autres, c’est à te damner pour l’éternité ! T’es déjà damné mais tu te re-damnes de bon cœur. Tu sens tes talbins palpiter au fond de ta poche. T’as même hâte que le set s’achève pour faire main basse sur toute cette collection de vinyles qui te font de l’œil comme le faisaient les putes, jadis, au bas de la rue Saint-Denis. Tu montes, chéri ? T’en bandes déjà.

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             Bon alors les voilà, les Fingers. Ils commencent par checker les instros pendant une éternité, ce qui n’est pas un bon présage. Check one ! Check one ! T’en repères deux en particulier : le blond au fond qui se prend pour John Dwyer, avec sa SG, son bermuda et ses tattoos jambaires, et la blonde à la basse qui s’est teint partiellement les cheveux en vert et qui porte une espèce de robe design-noire-moulante «à-ras-le-bonbon», comme le miaule Leo Ferré dans «C’est Extra». Elle va danser du pied droit pendant une heure et offrir aux smartphones qui la filment un sourire de madone punk. Les smartphones adorent ça. Les smartphones adorent n’importe

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    quoi. C’est leur raison d’être. La madone punk soigne son image et groove ses lignes de basse au mieux de ses possibilités. Dans son genre, elle est assez irréprochable. Ils se décident enfin à attaquer leur set. Tu entres assez facilement dans leur jeu. Ils développent une énergie qu’il faut bien qualifier de considérable. T’as un mec plutôt balèze au beurre, un autre qui tripote son synthé dans un coin, et un deuxième guitar slingler qui gratte les cordes d’une Strato, et qui prend des solos à consonance vaguement éruptive. Disons qu’il fait illusion. Ces braves Fingers font bien monter

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    leur neige, mais pour une raison X, ça n’accroche pas. Comme ils sont opiniâtres, ils vont tenter cut après cut de rafler la mise, mais la mise ne veut pas se laisser rafler. Bas les pattes ! Elle fait sa mijaurée. Alors ils insistent encore à coups de wild punk californien, le plus mauvais de tous, mais il plaît infiniment aux pogoteurs normands, ah il faut voir comme ça frétille dans la fosse ! T’as même un corps qui vole par-dessus les têtes et qui s’écrase malencontreusement sur les smartphones du premier rang. Ça devient assez burlesque. Crash dans les smartphones ! Et comme la mise continue de chipoter, les Fingers tentent le tout pour le tout, en tirant l’overdrive psychédélique, et t’as l’autre blondinet là-bas au fond qui fait son John Dwyer avec sa SG montée très haut sur la poitrine et ses tattoos jambaires, mais il n’est pas John Dwyer, il est même assez loin du compte. N’est pas Dwyer qui veut, baby. Et pour jouer un rock psychédélique californien digne de ce nom, il est préférable de s’appeler Anton Newcombe. Sinon, t’es mal barré.   

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    Signé : Cazengler, (bonne) Franquette

    Frankie & The Witch Fingers. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2025

     

     

    *

             Waouh !!! quelle chaleur, cet air saturé d’humidité gluante, pas possible que je sois dans la bonne ville de Troyes, j’ai dû prendre une mauvaise sortie sur un giratoire, je dois être à  La Nouvelle Orléans, un peu distrait tout de même, j’ai traversé l’Atlantique sans m’en apercevoir, pourtant c’est bien le 3B au bout de la rue, remets-toi Damie, c’est le groupe que tu vas voir qui a effectué la grande bourlingue, des ricains, venus du Delaware, pour une tournée en Europe, un véritable experimental escape game en immersion totale avec la réalité américaine du rockabilly.

    TROYES - 3B – 31 / 05 / 2025

    KID DAVIS & THE BULLETS

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                    Z’ont mis le plus jeune au milieu. Avec sa casquette plate et ses cheveux longs Pat Kane arbore un look années 70. L’est solidement encadré, à sa droite Mickaël Rich Davis, cheveux court et Fender bleue, à sa gauche, Bobby Bloomindgale cheveux et collier de barbe neigeux au côté d’une immense upright agrémentée d’une monumentale volute. Nous avons exploré face à nous la base du triangle, ne reste plus qu’à rechercher, comme dirait René Char, le sommet dans lequel Paul Ramsey est  relégué  placidement assis, tout sourire, derrière sa batterie.

             D’abord on entend le son. Pas la musique. Le temps de nous accoutumer, à ce son inouï qui ne vient pas d’ailleurs mais de l’Amérique, sont sympas, ne se pressent pas, ne nous poussent pas, un instrumental, deux guitares, de temps en temps le riff survient, se déploie, disparaît, ni vu ni connu, c’est comme si on réapprenait à lire, l’on se cale sur les lettres les plus apparentes, les deux guitares, pour la couleur facile la Fender bleue pâle c’est Kid Davis in person, la bécane telecaster mordorée c’est Kane, c’est maintenant le temps de l’indécision, une chose certaine le puncher c’est Kid, quant à Pat l’on dirait qu’il ne casserait pas trois pattes à un canard, le mec fait semblant de gratouiller, puis lorsque  le capitaine Kid nous foudroie d’un coup de boule, le Pat qui n’est plus votre pot, vous fomente une torpille qui vous entortille dans les cordes du ring, du coup Kid rétorque par un percussif hâtif au-dessous de la ceinture, c’est là que Athéniens s’étreignent, impossible de savoir qui fait quoi, le résultat c’est le son prodigieux de ces deux guitares enchevêtrées. Apparemment la section rythmique marque le rythme, l’on les yeux sur les guitares, on leur fait confiance, lorsque brutalement le regard se pose par hasard sur les doigts  de Bloomindgale, des crochets, des pattes d’araignées qui courent vers une proie, on commence à comprendre pourquoi le son est si dense et en même temps si nerveux, l’air de rien il propulse la capsule sonore hors du champ de l’attraction terrestre, pas le temps de vous réjouir votre cerveau a enfin identifié le carillonnage de Paul Ramsey sur ses cymbales, vous distille un propergol solide capable d’édifier des pyramides.

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    (Photo : Michel Joubier)

             L’on a compris que l’on à faire à de super musicos. Alors pour ne pas trop nous perdre ils nous filent un super hameçon, un Summertime Blues torride, un Cochran adapté à nos temps de réchauffement climatique. Notre cœur de rocker palpite de bonheur. Surprise, après le hors d’œuvre suit le cours de rockabilly in extenso, pur jus d’americana. Pas de blabla, juste des faits. Par exemple vous voudriez savoir ce que c’est que le surfin, et paf ils vous embarquent dans un cours de glisse sur les grosses lames du Pacifique, tout ce que les guitares doivent savoir faire et comment contrebasse et batterie y mettent du cœur. Des pédagogues, prennent leur temps, la pente, la crête, la descente, les arrêts brusques les dérapages incontrôlés totalement contrôlés. Dix minutes de technique pure. Petite récréation : le slow brûlant, saisir sa cavalière, la faire tanguer longuement de tous les côtés, l’enivrer, ne plus la lâcher, enfin le coït terminal. Vont-ils nous refaire un rock pur jus ? Attention les gars n’oubliez pas le country, très roots, très cowboy, très ranchy, la course des long horns, le corral avec la bagarre qui va avec, la joie du cavalier solidaire sur son cheval, qui jumpe joliment, toute l’Amérique défile devant vous.

             Font une pause. Sidération générale L’on en profite pour reprendre nos esprits. C’est un peu comme si Aristote était venu nous faire un cours De la Nature du Rockabilly. Le deuxième set débute par Be Bop A Lula, Twenty Flight Rock, plus tard Rock This Town. Que du bon ! Dans leur style. Ne vous crachent pas le morceau, expédié-oublié, vous le cisèlent, vous en montrent les beautés cachées, ne vous le dés-art-iculent pas à la façon du Led Zeppe, un tempo légèrement ralenti pour vous en donner plus, les morceaux en sont transfigurés, Kid Davis se lâche, vocal uppercut à l’arrache et coup de tabac sur la Fender, c’est sa technique, des accélérations foudroyantes et aux copains de s’emparer du bébé pour l’emmailloter, le dorloter, lui faire risette, et chacun fait de son mieux, un festival, vous repeignent le troupeau d’éléphants en des couleurs que vous n’auriez jamais imaginées, les cordistes se partagent le vocal et Bloomingale nous étonne, certes il ne chôme pas sur son cordier, mais son vocal est extraordinaire, du country-cow comme vous n’en avez jamais entendu, des changements d’intonation mirobolants, un débit hyper fluide, et des espèces de yodels assassins à vous couper le souffle, abruptement la température  explose.

    Nouvelle pose. On ne le savait mais on n’avait encore rien vu, rien entendu. Un Honey Don’t manière de quitter le parking, un Johnny Cash à finir ses jours à Folsom, et le grand jeu. Durant les deux premiers sets,  Kid a un peu maltraité sa guitare, on ne dira rien de ses arrêts hyper brusques,  l’a commencé à la frotter contre le pied de son micro, vous savez les mauvaises habitudes, tout compte fait l’a décidé que de ne jouer que d’une seule main, laissant le micro prendre son pied à jouer en slide,  devant les acclamations, Billie debout sur deux tables lui laisse la place lorsque le Kid nous fait le coup de jouer avec sa guitare dans le dos, puis il la pose sur la table comme un dobro, humecte les cordes avec un fond de bière et s’amuse à passer les notes avec le cul d’un verre,  idem avec un portable qu’une âme compatissante lui tend, enregistrement direct live, c’est au tour d’un briquet allumé de remplacer le téléphone, un petit slow sirupeux pour calmer la poudrière, puis un Tear it Up à démâter un brick pirate, on ne veut plus les lâcher, des vieux loups de mer, trente ans qu’ils sont dans le circuit, sortent l’âme fatale le That’s Allrigt Mama d’Elvis.

    Quelle soirée ! Le rockabilly du Delaware ce n’est pas celui de la Champagne pouilleuse ! Ovations ? remerciements… Un dernier scoop : Béatrice la patronne à qui l’on doit toutes ces soirées merveilleuses a changé de coiffure ! The girl can help it !

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 683 du 27 mars 2025 nous regardions la dernière vidéo d’Ashen Crystal Tears, dans notre introduction nous déplorions l’absence d’un nouvel album qui regrouperait certains titres déjà parus en vidéo et d’autres nouveaux. Nos vœux ont été comblés. La sortie de l’album Chimera, 12 titres, est prévue pour le 13 juin de cette année. Coup double, en avant-première est parue ce 15 mai une nouvelle vidéo d’un des prochains titres.

    COVER ME RED

    ASHEN

    (Out Of Line Music  / Mai 2025)

    (Réalisation : Bastien Sablé)

    Clem : chant / Tristan : drums / Antoine : guitar / Niels : guitar.

             A première vue, je parle des six premières secondes c’est raté. Ashen et Sébastien Sablé le producteur de la vidéo nous ont habitué à des mises en scène davantage baroques. Tellement déçu par le décor minimaliste vous ne faites même pas attention à la statue toute rouge perdue dans les grosses lettres rouges qui accaparent  tout l’écran au milieu de ce hangar désertique. Un vaste local, genre parking sans voiture, atelier sans machine, pour les images suivantes, ils ne donnent pas dans l’originalité, dans ce grand ensemble vide, une formation rock, je trio de base, deux guitares blanches, un batteur derrière une batterie transparente, devant le chanteur haut rouge, large panta-jupe noir à pattes d’éléphanteau pataud. C’est à ce moment que vous entendez le son. Ce n’est pas tout à fait de la musique. Ce n’est pas du tout du noise non plus. Un son battérial et guitarique claqué. En avez-vous déjà entendu de semblable ? En tout cas, à voir les musiciens s’activer l’on en déduit que sa production doit exiger une énergie froide. Une espèce de fureur congelée.  Clem est au micro. Un vocal de rorqual. Un vocal de racal. Ne vous en voulez pas si vous n’avez jamais entendu ces deux animaux vagir. Le gosier de Clem émet un son

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     inqualifiable, un peu comme s’il passait une tringle de fer tout le long de son larynx, la seule chose que vous comprenez ce n'est pas qu’il n’est pas content, état de mal-grâce qui relève de l’anecdote circonstancielle, c’est qu’il n’est pas heureux ce qui trahit une état d’in-transe métaphysique. Jusque-là tout serait parfait s’il n’y avait pas cette ombre, grise, noire, rouge qui s’immisce un tiers de seconde entre les images. Clem vous regarde, ses cheveux bouclés, ses yeux pointus, ses mains crochues, désolé il ne s’intéresse pas à votre personne, il parle à quelqu’un, se tourne-t-il vers ses musiciens pour les scalper de son vocal agressif, il cause à lui-même, mais chaque fois que l’on pense en sa tête ne parle-ton pas à soi-même, plus grave, de temps en temps, le temps d’un éclair sa tunique rouge se couvre d’appendice dégoûtantes, des tuyaux d’extraterrestres ou des tubulures de homard ébouillanté, épouvanté. Etrange phénomène, l’inconnu rouge apparaît de plus en plus souvent entre les images, bientôt l’on ne sait plus s’il ressemble à Clem ou si c’est Clen qui lui ressemble, peut-être mêmes tous deux n’en forment-ils qu’un, mais chacun séparé de l’autre, les deux moitiés d’un androgyne platonicien qui se retrouveraient mais qui ne parviendraient pas à s’harmoniser en une seule identité harmonieuse,  maintenant Clem rampe sur le plancher à la manière d’une panthère rouge qui se serait mordue et recouverte de son sang, le monstre se rapproche, il grandit, sa tête doit toucher les verres du toit, prend la pose, il étend ses bras

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    maléfiques à la manière du Christ, il semble que désormais sa tête ressemble à celle de Clem, Clem crie, le monstre clemique hurle, est-il descendu de l’astral dans lequel il donnait l’impression de flotter, maintenant il mache sur le sol, d’un pas décidé, c’est le plus beau moment du clip, la musique s’arrête presque, on ne l’entend presque plus, et le délire tempétueux reprend, il vient, il se penche, il crie, la voix de Clem l’habite, à croire que c’est son frère jumeau qui ne lui ressemble pas, d’une autre nature, qui l’invective, peut-être souffre-t-il autant que Clem, peut-être est-il Clem lui-même, ou peut-être Clem est-il lui, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, Clem seul devant l’orchestre, il se tourne vers le trio, le morceau est fini, la crise schizophrénique est terminée. Tous marchent normalement, d’un pas serein Clem quitte la répétition. Croyez-vous qu’il ait vaincu le monstre, qu’ils ont fait la paix intérieure. Que l’un et l’autre ne sont que la continuation de son alter ego. Mais sous une autre forme.

             L’on est toujours séparé de soi-même. Et de l’autre.

             Splendide.

    Damie Chad.

     

    *

                Rien de plus attirant que ce que vous ne comprenez pas. Avec ce groupe vous êtes servi. Viennent de Buffalo, ville située tout près des chutes du Niagara. Les lieux d’où l’on provient s’immiscent-ils plus ou moins dans nos représentations du monde ? Disons que contrairement aux volatiles embruns neigeux dégagés par ce site touristique américain, leur musique roule une écume aussi noire que la nuit abysmale…

    ESSENCE OF THE VAST EXPANSE

    MOGRA

    (Ancestral Flame Production / Mars 2025)

    Mogra, je concède que c’est un mot gras, obscur dont la signification n’est pas évidente, consultez votre dictionnaire de botanique, attention ce n’est pas simple, trois plantes différentes revendiquent  leur appartenance à la famille des mogracées, dont une qui n’en fait pas partie, que voulez-vous il y a toujours des resquilleurs, pour les deux qui restent élisez la première acception, ignorez le Jasminum Sambac, si malgré ces conseils avisés vous hésitez, choisissez celle qui se nomme Tuvaraka en langue sanscrite. Considérée à tort par certains comme l’idiome originel de l’Humanité, que voulez-vous pour les plantes, davantage que pour tout autre vocable, il est normal de rechercher la racine. Si vous êtes atteint de la lèpre, mâchonnez quelques feuilles et quelques fruits de cet arbuste, le prince Rama en personne, pas n’importe qui, le héros mythologique du Râmayâna, une épopée indienne dont vous vous empresserez de lire les 84 000 vers aussitôt cette kronic terminée, s’est  ainsi débarrassé de cette terrible maladie…

    Pour l’identité du groupe je suppose que loin d’être des aficionados des Ramones, ils se contentent de se cacher derrière le mur de l’anonymat : Chris Wall : drums / Mick Wall : guitars / Mike Wall : guitars. En plus c’est nous qui devons avoir des oreilles pour les écouter.

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    Vos yeux sont-ils bons ? Vous en aurez besoin pour déchiffrer la couve. C’est tout noir avec une tache blanche. Immédiatement, vous pensez aux eaux mouvantes et tumultueuse du Niagara. Z’habitent tout près. Oui mais si vous fixez l’image une demi-minute, ne serait-ce pas un paysage nocturne de montagne sur lequel subsisteraient quelques arpents de neige. Perso je devine même le rebord pierreux d’un cratère de volcan dans lequel giseraient quelques névés résiduels. Vous n’êtes pas obligés de me croire.

    Je suis sûr que le Cat Zengler qui adore cette expression traduirait le titre : Essence of the vaste expanse par Extension du domaine de la lutte. Ce qui n’est pas mal du tout. Quant à moi, je me demande si quelque chose en train de s’épandre, un peu comme la couleur tombée du ciel de Lovecraft peut se plier aux règles philosophiques d’un cadre essentiel. Et si cette expansion n’était pas l’évocation de la lèpre qui étend son royaume blanc sur la chair d’un malade… Evidemment, il existe quelque chance pour que le terme de lèpre soit employé en un sens métaphorique de lèpre mentale. Dans ce cas-là vous avez sûrement besoin d’une cure urgente et mograïte…

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    En 2021, ils ont déjà sorti un EP de deux titres explicites. Une couverture explicite. Un oiseau de nuit (= Nött) une effraie blanche perchée entre deux branches dépouillées de feuilles d’un arbre dont la ramure nue s’inscrit sur l’abîme (= Abysm) de la nuit.

    Sur celui que nous écoutons les titres sont réduits à leur propre impersonnalité numérique :

    : imaginons un moteur de bathyscaphe en plongée, descente intérieure cela va de soi, les poissons grisâtres que vous entrevoyez lentement se mouvoir dans les eaux troubles des grandes profondeurs sont les concepts décolorés qui hantent vos pensées. Ils ne sont pas nombreux et ne se livrent à aucune gymnastique intellectuelle, ils s’approchent, vous ne savez point les retenir, ils glissent sans se presser, ils savent que jamais vous n’aurez assez d’influx et de vigueur pour les retenir dans votre pensée. Si la musique est si lente, si noire, c’est que vous êtes dans l’incapacité de penser, ce sont les concepts qui vous pensent, ils vous guident dans cette descente interminable, si le background est chargé d’angoisse, de grésillement mais aussi d’excitation, c’est uniquement parce que vous êtes l’objet passif de leurs réflexions, ils se livrent à une expérience qu’ils n’ont encore à ce jour jamais tentée, faire de l’homme pensant un homme pensé, vous voici sujet d’étude, une espèce d’éponge vivante alourdie par le poids de son ignorance passive, qui s’enfonce doucement, sans bruit, sans colère, sans curiosité en une dimension dont vous êtes incapable de fomenter ne serait-ce qu’un semblant d’idée. Pas de parole, vous subissez une espèce de scanner instrumental dont les résultats ne vous seront jamais communiqués, qu’en feriez-vous, quelles déductions pourriez-vous en tirer ? Aucune. Heureusement que votre pensée pense pour vous. Ne vous êtes-vous jamais douté, qu’à une stase superficielle de communication avec les autres, c’est le langage qui parle pour vous, qu’il vous enveloppe comme un suaire et que l’ossature conceptuelle forme le boulot de canon qui vous entraîne obstinément vers le fond. Musique amplifiée pour marquer votre stupide stupéfaction, de comprendre que vous n’êtes rien d’autre que le jouet de ce que vous n’êtes pas. II : sérénité musicale, vous êtes-vous engoncé dans le paradis, le nirvana ou tout autre état comateux de l’intelligence abolie, quelles sont ces vagues sonores qui vous assaillent, prenez-vous enfin conscience grâce à ces électrochocs, hélas déjà enfuis au loin, de qui ou de quoi vous êtes le résultat, bruissement, les concepts se hâtent-ils de fuir, ont-ils compris l’inanité de leur démarche, a-t-on une seule fois réussi à réveiller de sa léthargie une momie du désert enfouie dans les tombereaux des sables égyptiens, ce qu’il y a de sûr c’est que vous ne vous êtes jamais cru, avec raison, autrement que comme identifiable à vous-même, que comme cette infinitésimale présence endormie de vous-même, dont  déjà les spectographes braqués sur votre corps rendent compte de l’inanité.

    Damie Chad.

    P. S. : nous avons pu nous procurer le rapport scientifique qu’a suscité cette étude méticuleuse. Il est très court. De fait il n’y a rien à signaler si ce n’est la fiche technique que nous recopions in extenso : ‘’ Un mélange viscéral de post-black metal, de doom et de slowcore, agrémenté d'accords massifs imprégnés de distorsion provenant de Big Muffs vintage et d'amplis à lampes, vous plongeant dans une expérience atmosphérique et écrasante.’’ Est-il vraiment nécessaire d’ajouter que les amplis à lampes n’ont jamais ne serait-ce que par un seul petit clignotement qu’ils auraient rencontré en vous un minuscule atome de véritable présence.

     

    *

             La semaine dernière, dans notre présentation des premières images filmées de Gene Vincent, nous avons mangé notre pain blanc. Trois séquences extraites des Town Hall Party de Gene Vincent enregistrées en public. Certes des prestations télévisées un peu spéciale, rien à voir avec un véritable concert donné dans une ‘’véritable’’ salle de concert devant un public venu librement voir leur idole… Pour cette semaine nous retournons en arrière puisque nous commençons en 1956. Hélas nous n’aurons droit qu’à du playblack !

    *

    THE GIRL CAN’T HELP IT

    (01 / 12 /1956)

             Par contre niveau qualité d’image et sonore nous jouons sur du velours. Une séquence tirée d’un film à grand succès. Ce n’était pas un film pro-rock’n’roll. Une comédie : un producteur sur le déclin qui s’obstine à transformer la fiancée de son patron jouée par Jayne Mansfield  en chanteuse. Un seul problème, elle ne sait pas chanter. Pas de panique, les chanteurs de rock’n’roll, de véritables égosilleurs que l’on aperçoit sur les chaînes de télévision ne chantent pas mieux qu’elle… Un scénario pas très finaud mais qui permet de voir Little Richard, Eddie Cochran, Fats Domino, les Platters et bien sûr Gene Vincent. Un régal pour la jeunesse rock qui n’en croyait pas ses yeux, d’autant plus que La Blonde et Moi, bénéficiait d’une pellicule couleur ! Un must !

             Bien sûr les passages de nos idoles étaient, continuum du scénario oblige, de temps en temps entrecoupées de rapides images des acteurs ou d’interjections peu amènes, mais faute de grives l’on est prêt à avaler sans rechigner le moindre merle adjacent.

             La séquence est bien connue. Attention sur Beat Patrol TV lors des deux soli de guitare  apparaît une photo hommagiale à Cliff Gallup, l’auteur de ces déraillements guitariques jamais égalés… Pour la petite et la grande histoire du rock’n’roll les deux guitaristes originaux des Blue caps Cliff et Wee William sont rentrés à la maison, fatigués des tournées et… n’étant pas spécialement des mordus de rock’n’roll !

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             Certes la caméra s’attarde su Gene, qu’est-ce qu’il est jeune et beau ! L’on sent l’énergie et l’on devine qu’il  se retient, pas de pitreries s’il vous plaît, faut que les spectateurs en aient pour leurs mirettes. Certes ça tangue, mais le groupe reste à sa place, les plans de scène sont parfaits car la caméra les cadre tous, Paul Peek à notre gauche à la rythmique, Russel Willifred sur notre droite à la lead, Gene rayonnant au centre, au fond légèrement à droite Jack Neal à la contrebasse et au centre légèrement décalé par rapport à Gene, Dickie Harrell le batteur fou.

             Sur les murs de grands portraits de musiciens classiques. Il était prévu qu’à la toute fin de Be Bop A Lula les portraits des grands ancêtres s’écroulaient… Un beau symbole. Mais au montage la fin du morceau a été coupé… Aucun respect pour le rock’n’roll ! La fin iconoclaste de la séquence n’a jamais été retrouvée… A-telle vraiment été tournée…

    THE ED SULLIVAN SHOW

    (17 / 11 / 1957)

             L’émission Ed Sullivan Show diffusée le dimanche soir sur CBS de 1948 à 1971 est devenue mythique. Tous les grands artistes de ces années fastes se devaient d’y passer… L’on a beaucoup glosé à l’encontre d’Ed Sullivan, nous ne rentrerons pas dans ces stériles querelles. Nous rappellerons que ce ne lui fut pas toujours facile de s’obstiner à passer des artistes noirs sur l’antenne dans une émission de large audience regardée par un public blanc…

             Il m’étonnerait que notre présentateur ait connu le Sonnet 48 des Amours d’Hélène de Pierre Ronsard, pourtant la mise en scène choisie pour présenter  Gene Vincent et les Blue Caps dans la structure triangulaire dans laquelle sont enfermées le groupe présente d’étranges relations avec le poème du chef de la Pléiade…

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             Attention, émission diffusée en noir et blanc, ne nous plaignons pas, les costumes clairs de nos chers protagonistes permettent de mieux apprécier leurs mouvements.  Sept sur scènes regroupés en un triangle isocèle. A la base Gene flanqué de ces deuc clappers boys, Tony Facenda et Paul Peek. Au sommet tout en haut Dickie Harrel l’on ne voit pas sa batterie mais il lève si haut ses baguettes comme s’il s’apprêtait  planter ses banderilles dans le dos d’un taureau furieux, Max Lipscomb, flanqué de Jonhhy Meeks et de Bobby Jones fendent l’air de leurs Fenders.

             J’ignore si le réalisateur Jean-Christophe Averty a eu le privilège de visionner ces images, lui qui aimait au début des années soixante à bousculer le regard des spectateurs français en découpant en tranches géométriques les écrans des télévisions familiales… Car dans ce clip, les musiciens sont encadrés par deux couples de danseurs endiablés, confinés sur deux étroites  bandes verticales de l’écran désormais partagés en trois, Gene et ses sbires bleus, tantôt  au centre, tantôt sur la moitié gauche puis droite, successivement réfugiés dans la moitié supérieure et ensuite logiquement dans la moitié inférieure…

             Une mise en place qui évoque les mises  en scène des théâtres de Broadway, de temps en temps passe le fantôme de Charlot… Dans la gesticulation des Blue Caps, ils interprètent (en playback) Dance To The Bop l’on décèle aussi de la pantomime. Et peut-être même ne résisterons-nous pas à citer le black face. Les racines noires du rock’n’roll puisent beaucoup plus profond qu’on ne l’admet.

    BIG D JAMBOREE

    (  Octobre 1958)

    Il est difficile de dater avec précision ce troisième document, sur Beat Patrol 2 Gene Vincent Collection 1956 – 1965 il est daté avec in point d’interrogation du 24 octobre. Notons que le 25 octobre, Gene était à Los Angeles pour sa première participation au  Town Hall Party  Une vidéo unique apparue sur You Tube voici quelques années, l’auteur est anonyme. C’est un film. Pris au Big D Jamboree en 1958.

    Le Big D Jamboree est une émission à l’origine (1948) de radio puis très vite de télévision diffusée sur CBS, filmé au Sportatorium de Dallas. Cette émission, de la même veine que le Town Hall Party (voir livraison 692) était un passage quasi-obligatoire qui offrait aux artistes country un accès au Louisiana Hayrade et au Grand Ole Opry.

    Elle n’hésita pas à s’ouvrir à programmer la courbe ascendante country-hillbilly-rockabilly-rock’n’roll approuvée et soutenue par un public plus jeune : voici quelques participants issus du milieu rock : Carl Perkins, Johnny Carrol, Warren Smith, Ronnie Dawson, Charlie Feathers, Wanda Jackson auxquels nous ajoutons Johnny Cash, Willie Nelson, Lefty Frizzel, et bien sûr Hank Williams.

    David Dennard, il fit partie dans les années 60 du groupe Novas et une vingtaine d’années plus tard de Gary Myrick & The Figures… au nom de cette formation l’on sent le nostalgique, il se mit à rechercher dans Dallas des archives du Big D. Il découvrit ainsi Ronnie Dawson et fut bientôt attiré par Gene Vincent… Il finit par apprendre que le Country Music Hall of Fame de Nashville possédait des transcriptions sur acétate de concerts du Big D. Ces enregistrements furent effectués  par l’Armed Forces Radio Network pour soutenir le moral des boys envoyés en Corée. Hélas il ne trouva que seize enregistrements. Le reste se trouvait à la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C.. Il trouva un trésor 120 disques, un seul attribué à Carl Perkins, tout le reste sans aucune annotation…

    Rectification : il avait cru trouver un trésor. La dizaine de disques qu’il confectionna à partir de ces acétates se vendirent à moins de 2500 exemplaires. Seul le cd The Lost Dallas Sessions de Gene Vincent, paru en 1998, réalisé à partir de 19 concerts de Gene atteignit 6000 exemplaires, tous pays confondus…

    Nous reviendrons sur ces Dallas Sessions, mais dans cette série nous nous intéressons aux images. Ultime notification qui possède son importance : la caméra de notre illustre inconnu n’enregistrait que les images. Pas le son ! Ne soyez pas déçus, un des enregistrements radio de David Dennard colle parfaitement, du moins nous faisons semblant de le croire, aux images…

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    Soyons juste, on n’y voit pas grand-chose. Ce serait un mensonge d’affirmer que l’on y voit que du noir. En fait c’est le rouge qui prédomine. Le rouge des costumes des scène des Blue Caps. Soyons précis, surtout celui des clappers boys. Dans son livre irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock Jean-William Thoury cite Johnny Meeks et Max Lipscomb aux guitares, Clifton Simmons au piano, Bill Mack à la basse, Butch White à la batterie, et ne mentionne pas de boys aux jeux de mains et de vilains, font tout de même une prestation éblouissante, propulsent Dance to the bop à la vitesse d’un hors-bord, quant à Gene vêtu de sombre, tout comme la panthère Noire de Leconte de Lisle faut avoir des yeux aigus comme des flèches pour le distinguer dans l’obscurité, au début l’est à votre droite, ensuite il semble entouré de ses musiciens, par contre l’on discerne pour la première fois ses jeux de micros qui feront sa renommée. En tout c’est un joyeux foutoir, un superbe micmac qui donne une idée de ce que fut l’explosion rock…

    HOT ROD GANG

    (Mars 1958)

            Nous terminerons comme nous avons commencé par des images tirées d’un film. Nous ne nous attarderons pas sur le synopsis, puisque je possède la cassette que je présenterai dans un prochain épisode. Nous nous contenterons des trois morceaux que Gene interprète, en play-back. Contrairement à The Girl Can’t Help It, Hot Rod Gang ne bénéficie pas de la couleur…

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             Encore Dance in the Street mais personne ne se plaint, l’occasion de voir de plain-pied le jeu de scène de Gene Vincent and the Blue Caps, car c’est bien d’un groupe, à part entière, même si au fil des tournées les changements, les départs et les retours sont nombreux. Plus je regarde ces vidéos, plus je me dis que si Gene a été si rapidement oublié par le public américain malgré la reconnaissance et le respect qu’il avait acquis durant les trois premières années de sa carrière, et malgré un comportement un peu erratique dû à sa blessure et  l’alcool, c’est parce que chez ce rocker blanc dans son jeu de scène, de par son aisance, et la chorégraphie de ses boys, il y avait en ses prestations quelque chose d’indéfinissablement, inconsciemment, fautivement, ressenti par le public blanc, des origines noires du rock’n’roll. Ce qui est d’autant plus ironique c’est que Gene (n’oublions pas Eddie Cochran) est celui qui  a œuvré à la métamorphose du rockabilly en rock’n’roll… Gene au centre, Clifton Simmons totalement excentré à notre gauche en train d’abîmer son piano. Les Clappers, Facenda et Peek, moins délirants que sur la pellicule précédente, l’encadrent tels des serre-livres atteints d’une irrémissible maladie de Parkinson, gros plan sur le visage de Gene, visage épanoui, les yeux levés vers le ciel, à croire qu’il voit des oiseaux bleus voleter sur l’arc-en-ciel, et cette voix qui coule sans fin à la manière d’un torrent sautant de rocher en rocher, les Clappers jetés à genoux, les guitaristes inclinés, c’est à peine si l’on entrevoit Juvey Gomes aux tambours, l’on se dit que ça va s’arrêter mais ça continue comme si l’instant présent ne devait jamais se terminer. Félicitations pour les plans de la caméra.

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             Passons les scènes intermédiaires surtout que retentissent les premières notes de Baby Blue. Difficile de savoir si c’est la caméra ou la figure en lame de couteau de Gene - nous quittons les scènes intermédiaires légères, pour ne pas employer les mots gnangnan et rigolotes - nous entrons dans le drame, pourtant tout le monde sourit, Gene, ses acolytes et le public qui se dandine comme des canards qui vont à la marre… l’on ne sait pas pourquoi Gene chante Baby Blues mais l’on entend, l’on voit Antigone, cette pose tous à terre, la silhouette noire de Gene dressée tel le pistil du destin et les vestes blanches des musiciens pareilles aux pétales affalés d’une fleur fanée, sourire extatique sur les lèvres, à croire que la mort et l’éros sont une seule et même chose, et le déchirement final qui surgit comme le vent de la tentation de vivre, puis les dernières notes effacées, crépusculaires… It’s all over now, baby blue, ajoutera Bob Dylan.

    Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 692 : KR'TNT ! 692 : ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES / PERE UBU / DUKE GARWOOD / ALBERT WASHINGTON / ALICIA F ! / APHONIC THRENODIC / HOFFA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 692

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 05 / 2025

     

     

    ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES /

    PERE UBU / DUKE GARWOOD /

    ALBERT WASHINGTON

    ALICIA F !  / APHONIC THRENODIC

    HOFFA / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 692

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Massacre à la ronronneuse

    (Part Three)

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             Aux grandes histoires de chaos, de sex and drugs and rock’n’roll que sont celles des Stones, de Jerry Lee Lewis, des Stooges, des Pistols et des 13th Elevators, il faut désormais ajouter celle du Brian Jonestown Massacre, et plus précisément d’Anton Newcombe. Jesse Valencia (avec son livre Keep Musil Evil) et Ondi Timoner (avec son film Dig!) en témoignent de façon assez spectaculaire. Même trop spectaculaire dans le cas du film. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du Brian Jonestown Massacre (qu’on va simplifier par BJM) est celle d’un joli bordel.

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             Au commencement était le verbe, celui de Brian Jones. Anton Newcombe ancre le groupe dans un esprit résolument sixties. D’ailleurs son tambourine man Joel Gion porte les superfly shades que porte Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash». Au commencement, tout le monde, y compris les Dandy Warhols, chante les louanges du BJM. À sa sortie en salle, Dig! fit sensation, même si on ne comprenait pas qu’Ondi Timoner ait pu tourner des kilomètres de rushes sur des groupes aussi peu excitants que les Dandy Warhols et le BJM, alors qu’elle disposait d’autres grosses poissecailles californiennes, du type early Lords Of Altamont ou Dwarves. Pendant une demi-heure on pataugeait dans une gadouille de bad movie, on croisait beaucoup trop de personnages aux identités incertaines. Avec Keep The Music Evil, Jesse Valencia passe un temps fou à réparer les dégâts en donnant des informations. D’ailleurs l’analyse descriptive du film occupe un bon tiers de son livre, c’est-à-dire une centaine de pages. Malgré tout cet amateurisme cinématographique, on reste en alerte, car non seulement les BJM ont du son, mais ils arborent les oripeaux qui firent la grandeur mythique de Brian Jones, énormes rouflaquettes, guitares Vox, tambourins, franges de cheveux, bug eye shades et sens aigu du psyché Satanic Majesties.

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             Très vite, Ondi Timoner centre son film sur Anton Newcombe, un brun aux cheveux raides qui écrit des centaines de chansons, qui joue de tous les instruments, qui ne pense qu’à la musique et qui frappe violemment ses musiciens quand ils font des fausses notes. Il est l’œil du cyclone. Grâce à la progression du film, on découvre peu à peu son envergure, ses drogues et ce chaos permanent qu’il s’ingénie à instaurer. Anton Newcombe n’a rien, pas d’argent, pas de maison. C’est un SDF. Le portrait est si bien fait qu’il chasse très vite les mauvais souvenirs qu’ont pu laisser ses albums. Il faut bien dire qu’on ne se relève pas la nuit pour écouter Strung Out In Heaven. On gardait le souvenir d’un rock sixties un peu mou du genou, alors qu’Alternative Press encensait le groupe. Dans le film, les extraits de concerts californiens sont extravagants. Anton Newcombe n’hésite pas à se présenter comme le next big thing. Sur scène, la ligne de front du BJM comprend trois guitaristes et Joel Gion au tambourin. Ils détiennent le pouvoir suprême. Leur son est raunchy. Attiré par le fromage, le business accourt au Viper Room de Los Angeles. Mais Anton opte pour cette forme de chaos ultime qu’on appelle le sabotage. Il vire ses guitaristes et Joel Gion qui avoue en rigolant avoir été déjà viré à 21 reprises. Pour Anton, c’est le chaos ou rien. Pas question de vendre son cul à ces majors qu’il hait profondément. No sell out. Il n’en finit plus de marteler «I’m not for sale !» Les gens d’Elektra étaient venus lui proposer un contrat d’un million de dollars. Il préfère saboter le show. C’est là où ce mec devient fascinant. 

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    Greg Shaw

             Par contre il s’entend bien avec Greg Shaw, le boss de Bomp!. Aux yeux de Shaw, Anton Newcombe est une sorte de prophète, pas un jerk. Anton accepte d’enregistrer son prochain disque sur Bomp!. En échange, Greg Shaw loue une maison à Los Angeles pour le groupe. C’est la fameuse Larga House qu’Ondi Timoner filme en long et en large. L’épisode Larga House renvoie aux grands mythes des maisons rock’n’roll : la villa des Stones à Villefranche-sur-Mer, la maison du MC5 à Ann Arbor, la ‘Woodland Hills house’ du Magic Band, sur Ensanada Drive. Ondi Timoner va rentrer dans cette maison avec sa caméra et ramener quelques-unes des plus grandes images de l’histoire du cinéma rock. Elle surprend Matt Hollywood au réveil : il s’empare immédiatement d’une guitare, avant même d’avoir bu un café. Pas de meubles. Pas d’hygiène. C’est une party-house. Des gens comme Harry Dean Stanton y traînent. C’est là que le BJM enregistre l’album Give It Back. Ces coqueluches de Capitol que sont les Dandy Warhols viennent même y faire une séance photo, histoire de s’encanailler. Voilà tout le paradoxe du film : les membres des deux groupes sont amis mais tout les sépare. Chaque fois qu’Anton Newcombe écrit une chanson, il écrase Courtney Taylor par son génie de songwriter. Les Dandy Warhols sont dans le carriérisme et le BJM dans le no sell out. Anton Newcombe a une classe que Courtney Taylor n’aura jamais. On l’entend clairement. On sait à quel point les albums des Dandy Warhols sont mauvais. Il faut voir Anton coiffé de sa toque en fourrure et les joues mangées par d’énormes rouflaquettes déambuler dans les rues de New York en patins à roulettes et se casser la gueule. Une vraie dégaine d’Elvis trash, vêtu de blanc et le visage dévoré par d’immenses lunettes à verres jaunes. Il veut entrer dans une fête où jouent les Dandy Warhols mais la grosse à la caisse le fait dégager. Bizarrement, Ondi Timoner insiste beaucoup sur les Dandy Warhols, et leur côté putassier, en montrant notamment des extraits des mauvais clips MTV. Leur musique frappe par son insignifiance. Ils tentent même de réinventer la Factory à Portland parce qu’ils ont le mot Warhol dans le nom de leur groupe. Ondi Timoner nous montrera aussi leurs mariages et on entendra même les membres du groupe dire qu’il vaut mieux avoir la tête sur les épaules pour pouvoir payer les factures. De toute évidence, le conformisme des Dandy Warhols sert à mettre en valeur le génie trash d’Anton Newcombe.

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             Le clou du film, c’est la tournée américaine du BJM, qu’Hector Valencia surnomme The Tragical Mystery Tour. Suivi par l’équipe de tournage, ils roulent à travers les USA à bord d’un van et donnent des concerts improbables. À Cleveland, ils jouent dans le local du parti communiste pour dix personnes. C’est le sommet du trash. Des mecs tapent sur les musiciens. Ils embarquent Joel Gion dans un coin pour le tabasser. Chaos total. Sur la route, Anton fume de l’herbe et de l’héro pour se maintenir éveillé et pouvoir continuer à conduire, sans permis, bien sûr. À Homer, en Georgie, ils tombent sur un contrôle. Permis ? Pas de permis et les  flics ventripotents trouvent de l’herbe dans le van. Ondi Timoner filme tout ça. Joel Gion se marre. Il ne fait que ça tout au long du film, se marrer. Anton Newcombe va au trou et Greg Shaw le fait sortir. Mais le groupe explose. Une fois de plus.

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             Quand TVT Records signe le groupe, on envoie Joel à la place d’Anton à New York. Le mec qui tente de manager le BJM a la trouille qu’Anton fasse tout foirer une fois de plus. Derrière ses grandes lunettes de Rolling Stone, Joel est plié de rire. Il signe les paperasses qu’on lui présente. Lors de la sortie du film en salle, tout le monde se marrait, comme s’il s’agissait d’un film comique. L’autre grande scène riveuse de clou du film est celle où Anton fait monter Courtney Taylor dans une bagnole pour lui faire écouter «Not If You Were The Last Dandy On Earth» sur l’auto-radio. Taylor est sidéré par le son du BJM. C’est Matt Hollywood qui chante ça. Comme Brian Wilson, Anton s’enferme dans son univers. Il passe à l’héro et plonge dans un maelström musical permanent, il compose et expérimente, enregistre des bandes et des bandes qu’il stocke dans des boîtes et qu’il oublie. C’est l’époque de Strung Out in Heaven, un album un peu ennuyeux qu’il faut cependant réécouter. Anton finit par virer tous les musiciens. Il repart en tournée avec sa sœur qui chante comme une casserole. Un mec du public l’insulte, alors Anton lui dit : «Approche, si t’es un homme !». Le mec approche et Anton shoote dans sa tête comme s’il shootait dans un ballon de foot. En pleine gueule ! C’est d’une rare violence. Les flics le coffrent pour agression. Chaos, suite et jamais fin. Enchaîné et enfermé dans une cage, Anton continue d’éructer. Il crache sur le music business et sur tous ces fucking assholes qui ruinent la musique.

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             De son côté, Jesse Valencia révèle dans son livre que les avis sur le film sont partagés. Tout n’est pas aussi automatique qu’on veut bien le croire. Ondi Timoner est persuadée d’avoir rendu un grand service au BJM : partout où passe le film, les gens achètent les disques du BJM - The record stores sell out - Mais Anton Newcombe ne partage pas du tout l’enthousiasme d’Ondi Timoner. Aussitôt après la sortie du film, Anton balançait ça sur le site du BJM : «Je m’investis beaucoup dans ma musique, je l’ai toujours fait et j’espère que le film est assez clair là-dessus. Mais quand j’ai vu le résultat final, c’est-à-dire le film tel qu’il est sorti, j’ai été choqué. Il résumait plusieurs années de travail acharné à une série de bagarres et d’incidents sortis de leur contexte, avec en plus des mensonges flagrants et des mauvaises interprétations des faits réels. J’espère que les gens qui verront ce film sauront quoi en penser.» Jeff Davies est du même avis. Il dit que ce fut très pénible les deux premières fois où il est allé voir le film en salle. Ça ne correspondait pas du tout à la réalité - It was so untrue - Davies dit qu’Ondi Timoner s’arrangeait pour filmer en cachette des plans de shooting up d’héro ou de baise - Elle te parlait et tu remarquais, à l’autre bout de la pièce, une caméra planquée sous un chapeau - Betsy Palmer qui faisait tout pour ramener le focus sur la musique et non sur les punch-up fut aussi déçue par le film : elle voulait que le film montre le processus créatif du BJM. Elle est furieuse, car le film s’achève avec la désintégration du groupe, alors qu’en réalité, le BJM continuait de tourner et de travailler. Ce dont se sont aperçus tous ceux qui continuaient d’acheter les albums. Les albums sonnaient plutôt bien.

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    Ondi Timoner

             Il n’empêche qu’en tant que cinéaste, Ondi Timoner s’en sort avec les honneurs. Quels que soient les avis, le film continue d’échauffer les cervelles, et c’est bon signe. Jesse Valencia avoue qu’il découvre de nouvelles choses à chaque fois qu’il revoit Dig! C’est parfaitement exact. On peut revoir ce film de loin en loin et on découvrira toujours de nouveaux détails, ou des choses mal interprétées auparavant. Aux yeux de Jesse Valencia, Dig! se situe au niveau des grands classiques du cinéma rock. Il cite comme exemples Don’t Look Back, Gimme Shelter et The Kids Are Alright. Il indique aussi qu’Ondi Timoner a dédié son film à Greg Shaw, rappelant au passage que le BJM fut le dernier groupe dont s’était occupé Shaw avant de casser sa pipe en bois - Shaw remained the BJM most faithful champion until his death in 2004 - C’est en 2005, lorsque le film est sorti sur DVD que le BJM est devenu culte. Les places de concerts s’arrachaient en deux heures. Voir le BJM à Paris était devenu impossible. Anton continuait pourtant de grogner : «Ce film raconte une histoire et cette histoire n’est pas vraie. J’ai été arnaqué. Je pense qu’elle aurait pu faire un grand film. Quel gâchis !» Furieuse, Ondi Timoner répond par interview interposée : «Il n’en finit plus de m’insulter. Je ne supporte plus d’entendre son faux accent anglais !»

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             Jesse Valencia indique qu’il est devenu fan du BJM en voyant le film, fasciné par la personnalité ‘abrasive et charismatique’ d’Anton. Alors il s’est mis à écouter les disques, à aller voir le groupe sur scène, puis il s’est lancé dans la rédaction d’un livre qui est en fait un pensum extraordinaire, une mine d’information sur le plus underground des groupes californiens. On peut considérer cet ouvrage comme l’œuvre d’un fan et la profondeur de sa perspicacité rejoint celle d’un Richie Unterberger. Tout est ruminé dans le moindre détail. Les notes de bas de pages ralentissent la lecture mais n’en finissent plus de ramener des détails à la surface d’un océan d’informations.

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    Joel Gion

             Joel Gion fait très vite son apparition dans le groupe en tant que God of Cool & party animal - I was really really into being fucked up back then - Joel affirme que personne ne pouvait l’égaler au petit jeu du fuck-it-up. À l’époque de la sortie du film en salle, nous étions nombreux à penser qu’il volait la vedette à Anton Newcombe. Le God of Cool se marrait quand Newcombe s’énervait.

             Valencia revient longuement sur l’héro qui selon lui a failli détruire le groupe. Un témoin raconte que the Larga House was a train wreck, c’est-à-dire le désastre d’un train qui a déraillé, avec un Anton qui ne se lave plus et qui ne change plus de vêtements. D’ailleurs, on le voit un peu allumé à un moment donné dans le film, avec des rouflaquettes qui ont doublé de volume. ‘Anton was pretty far gone’, ajoute Dawn Thomas. Valencia collecte aussi tous les récits d’incidents, allant un peu dans le même sens qu’Ondi Timoner : bon d’accord, il est bien gentil le rock psychédélique, mais les gens s’intéressent beaucoup plus aux scènes de violence. À lire le book de Valencia, on finit aussi par croire qu’Anton Newcombe passe son temps à se battre et à se fâcher avec les gens de son entourage. Des shootes éclatent quasiment à chaque page. Dans une scène que décrit minutieusement Valencia, on voit Anton pisser sur le blouson de Dave Deresinski, le premier manager du groupe.

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    Matt Hollywood

             Le livre ramène aussi quantité de détails sur le Tragical Mystery Tour. Les membres du BJM en ont tellement marre du despotisme d’Anton qu’ils profitent de son sommeil pour se tirer en douce avec le van et le matos. Mais un concert du BJM est booké à Austin, alors Anton monte seul sur scène et forcément le public gueule, ce qui le fout en pétard. Malgré tous ces revers de fortune, Anton réussit miraculeusement à maintenir le cap. Sa volonté dit un témoin lui permettait de surmonter tous les obstacles - It was the most superhuman feat I’ve ever seen - C’est là où il devient spectaculaire. Les gens le voient même comme une sorte de Raspoutine, charismatique, avec des zones d’ombre, presque un personnage de fiction. Il finit par ne plus porter que du blanc. Et dès qu’il signe un nouveau deal avec TVT, Anton achète des tas d’instruments : trois douze cordes, un Hammond B3, des guitares Vox, des sitars, un kit Pearl Ludwig et avec sa toque en fourrure, il se donne des airs de Charles Manson. Pendant qu’il dépense sans compter, Joel et Matt doivent se contenter de 20 $ par semaine. Pas de voiture. Ils sont coincés dans la maison d’Echo Park qu’Anton transforme en studio. Avec le temps, Joel est devenu fataliste : il a fini par comprendre qu’il ne gagnerait pas un rond dans le BJM. Anton récupère tout. Kate Fuqua qui séjourne un peu à Echo Park à l’époque raconte qu’Anton prenait tellement de drogues qu’il lui arrivait de perdre tout contrôle : il pouvait subitement bondir par-dessus la table pour sauter à la gorge d’un mec et tenter de l’étrangler. Mais Greg Shaw reste confiant : «Pourquoi auraient-ils réussi à tenir tant de temps pour finir par se détruire ? Impossible ! Ça voudrait dire qu’ils ressemblent à tous les autres groupes.»

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             Puis Anton s’installe dans une maison sur Lookout Mountain, à Laurel Canyon, une maison où avait vécu LeadBelly. On trouve aussi dans ce livre les petites frasques du record business, incarné ici par un nommé Dutcher qui pendant qu’Anton et Joel font la manche dans la rue pour gagner de quoi s’acheter à bouffer et des clopes, se paye un voyage de noces d’un mois en Europe avec sa femme Debbie. Dutcher dément, bien sûr. Il rétorque en accusant Anton d’avoir claqué tout le blé en dope. Parmi les gens qui gravitent autour d’Anton, on retrouve Bobby Hecksher et Peter Hayes. Bobby voudrait bien jouer avec le BJM, mais il arrive au moment où le groupe sombre dans la déprime, alors il va monter les Warlocks. Lors de cette même répète, Peter Hayes monte le Black Rebel Motorcycle Club. Quand un mec qui se croit malin demande à Anton s’il va aller voir le Black Rebel Motocycle Club sur scène, Anton lui répond que Peter Hayes a appris à jouer de la guitare avec lui - Know what I mean ?  I’m going to the pub to have a pint ! - Ces deux groupes doivent tout à Anton, notamment leur son et leur état d’esprit. Valencia dit aussi que Moon Duo s’inspire directement de ce son - That droning driving psychedelic rock sound.

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             Quand Anton perd tout, son groupe, son manager, son label, son père et son matériel, il redémarre à zéro avec l’EP Zero. On retrouve ces cuts sur l’album Bravery. Témoignage fascinant aussi que celui d’Ed Harcourt qui est accosté dans la rue par un maniaque aux yeux ronds comme des soucoupes : Anton lui demande de venir faire des voix sur un cut, il a besoin d’un British singer. La séance dure toute la nuit, Anton et Ed s’engueulent, et au matin Anton raccompagne Ed à son hôtel.

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             Valencia revient assez régulièrement sur le line-up du BJM, mais on a un peu de mal à suivre. Il semble tout de même qu’à une époque Anton ait réussi à stabiliser un line-up avec Don Allaire, Frankie Teardrop, Rob Campanella et Ricky Maymi. Mais les gens continuent de le voir comme un mec insupportable, jamais content, qui se plaint des éclairages et du son, qui engueule ses musiciens et qui insulte le public. Il annule encore des concerts, et se barre dès que les gens commencent à le huer. Il réalise à un moment qu’il tourne en rond aux États-Unis. Sick of America. Il s’est installé à New York et il sent que ça lui tire sur la couenne. Il ne veut plus non plus se voir rattaché à l’image que donne Dig! du BJM, l’image d’un groupe stupide, violent et drogué. Dès qu’un journaliste mentionne Dig! dans une interview, Anton se barre. C’est là qu’il décide de changer d’environnement. Direction l’Europe. En 2008, il s’installe à Berlin.

             Il commence par arrêter de boire. Pas facile - J’ai vite compris que j’allais crever si je continuais à boire, et ce n’était pas mon intention de finir comme ça. Pourtant j’adorais être pété du soir au matin, mais à la façon d’un cowboy, où comme le dit Sinatra, ‘La fête continue, let’s all drink Martinis forever.’ Ça n’avait pas grand-chose à voir avec le rock’n’roll - Mais même sobre, ses proches le perçoivent mal - Ce n’est pas qu’il ait changé, he was a sober dick, c’est-à-dire un con sobre. Pour son entourage, Anton est cinglé, qu’il soit à jeun, pété ou sous héro. C’est la même chose.

             Tout ceci n’en finit plus de jeter des éclairages sur l’œuvre d’Anton Newcombe, l’une des œuvres majeures du rock moderne. Un certain Alan Ranta déclare que le génie d’Anton Newcombe est palpable dans la période 93-03 du BJM. Pour lui, certains cuts figurent parmi ‘the finest experiences of rock’n’roll’.

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             Tiens on va faire un petit break et entrer dans le rond de l’actu : le BJM est à la Cigale, alors pas question de rater ça. Tu viens Jean-Yves ? Oui ! Anton Newcombe a pris du bide, et il planque ses cheveux blancs sous un grand chapeau. Il a deux guitaristes avec lui et le sosie de Brian Jones en bug eye shades à la basse. T’as toute la magie du BJM dès le «Maybe Make It Right» d’ouverture de set, mise en place impeccable, vitesse de croisière immédiate, et t’as ce «Vacuum Boots» qui suit et qui

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    sonne comme un hit des sixties. La bonne nouvelle est que Joel Gion est aussi là, et que, comme d’usage, il ne sert strictement à rien, il sourit et claque son tambourin sur les fantastiques heavy grooves californiens qui se succèdent. Il ne se passera rien de plus que tout ce que tu sais déjà du BJM, mais tu savoures chaque seconde de BJM, car tu sens vibrer les racines en toi, c’est un son qui te parle et que joue sous tes yeux l’une des dernières grandes rock stars. On lui passe très vite une Vox douze cordes. Quand il part en solo psychédélique, il se rapproche de son Brian Jones et ils font leur petit cirque au fond de la scène en tête à tête. Sacré Anton, même ventru, il

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    continue d’avoir de l’allure. Tous ces grooves se mettent merveilleusement en place. Il les chante un par un, il va en chercher des plus anciens comme le «Vacuum Boots» et des plus récents comme «Do Rainbows Have Ends». Il aménage des grandes zones de vague à l’âme entre chaque cut, et fait semblant de s’interroger sur la suite. Il semble être devenu extrêmement pacifique. Il ne distribue plus des coups de poing dans la gueule des gens comme avant. Dommage, ça avait du charme.

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    Ils font même monter sur scène le mec des Big Byrd qui jouait en première partie. Ce set est à la fois un événement et un non-événement. Diable comme la Cigale est belle, diable comme les parisiens aiment à surfer sur la tête des gens, diable comme la bière est bonne au bar après le set et diable comme les T-shirts à l’effigie de Brian Jones sont chers, mais comme ils sont beaux, diable comme la foule est dense et diable comme la scène est haute, diable comme les grooves te caressent la peau, et diable comme tu aimerais que le BJM joue jusqu’à la fin des temps, diable comme «When The Jokers Attack» a pu garder toute sa candeur virginale, diable comme tu te sens seul sur le trottoir à la sortie. Tu repars avec tes fantômes.

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    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

    Ondi Timoner. Dig! DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

    - Early n’est pas en retard

             Histoire de rigoler un bon coup, l’avenir du rock va voir un psy.

             — Allongez-vous sur le divan, avenir du rock.

             Le psy s’assoit un peu en retrait. Il attend. Une longue minute passe. Puis deux...

             — Je vous écoute, avenir du rock...

             — Ah c’est à moi de parler ? Je croyais que vous alliez me poser des questions.

             — En vertu de mes principes éthologiques, je ne pose pas de questions. Ce serait prendre la place du père. Vous pourriez souffrir du complexe d’intrusion. Parlez-moi de vous...

             — J’ai tous les défauts. Je suis une vraie catastrophe...

             — Les défauts élaborent l’image spéculaire de vos qualités...

             L’avenir du rock ne pige rien à ce que raconte ce con, mais il poursuit:

             — Je suis égoïste, et même un gros porc d’égoïste, je suis malveillant, jaloux, tordu, raciste, avare, macho, envieux, pourri, colérique, paresseux, obsédé sexuel, libidineux, dépravé, frimeur, menteur, lâche, hypocrite, vous zavez pas idée, mytho et miso à un point qui me dépasse, et des fois je me demande si je suis pas homophobe, mais comme j’adore Ziggy Stardust, ça me rassure, vous voyez le truc ?    

             — Poursuivez, je vous prie...

             — Sais pas si l’orgueil est un défaut ou une qualité, mais on me l’a souvent reproché, notamment toutes mes ex. C’est pas fini ! Chuis un gros ringard, un bas du front têtu comme une bourrique, mais le plus grave, c’est le côté ténébreux, suis sournois comme une grosse araignée, superficiel comme un clerc de notaire...

             — Tout cela est assez banal. Quel est le pire défaut selon vous ? Celui que vous n’acceptez pas ?

             — Une ex m’a dit un jour, au moment du coït : « Tu pues de la gueule ! ».

             — Brossez-vous les dents. Pendant que votre ego peine à pousser son rocher sisyphien vers le sommet, votre alter ego couve les œufs d’or de vos qualités. Vous les connaissez certainement...

             — Une seule : la ponctualité ! Suis jamais en retard !

             — Comment vous représentez-vous cette représentation ?

             — Toujours early ! Early James, bien sûr !

     

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             Alors ça c’est une bonne surprise ! Un petit Alabama boy débarque en Normandie et vole le show. On peut dire qu’il a la main leste. Pouf, ni vu ni connu. Il joue en première partie et on se fait vraiment du souci pour les Lowland Brothers qui vont devoir jouer après lui. En une petite heure, il a mis le club dans sa poche.

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    On voit rarement des mecs aussi brillants. Artistiquement, il est complet. Voix et poux. Il gratte sa Tele comme un beau diable, il va chercher la craziness country, il tape des pointes de vitesse et peut rivaliser de fluidité avec James Burton et Larry Collins. Côté voix, il tape dans un baryton de type Nick Cave, mais en nettement plus fruité, plus élégiaque, plus technicolor. Early James est LE nouveau crack du boum-hue, il devrait faire des ravages chez les becs fins. Ses compos montent droit au cerveau, et quand il part en solo, il file droit sur l’horizon. Il gratte avec un onglet de pouce et tiguilite mille notes à la seconde, sans même jeter un œil sur son manche. Il tape dans tous les registres, le dirt boogie d’Alabama, l’heavy blues d’Alabama, le Southern Gothic d’Alabama, enfin tout ce qu’on peut bien imaginer. Il n’a pas l’air de connaître le mot limite. Par l’extrême beauté de ses compos, par la force de sa présence scénique et par sa technique de picking, il sort du lot. Sa dimension artistique est réelle. Early James est un géant.

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             Un géant sans doute timide, car il n’est pas d’un abord facile. Il enregistre sur le label de Dan Auerbach, mais il est d’accord sur le fait qu’Auerbach transforme le son des Blackos. S’il connaît Matt Patton ? Oui, bien sûr. Il évoque aussitôt les Drive-By-Truckers. Il vit dans ce monde-là, le nouveau monde des cracks du Deep South. Même s’ils sont blancs, ce n’est pas grave, l’essentiel est qu’ils perpétuent cette tradition issue de Muscle Shoals.

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             Sur scène, deux mecs des Lowland Brothers l’accompagnent : Max (basse) et Hugo (beurre). Pas de problèmes, ils jouent comme des vieux pros. L’Early tape surtout des cuts tirés du troisième album, Medium Raw, notamment «Steely Knives», enlevé en mode fast country, ou encore «Gravy Train» et «Tinfoil Hat» qu’il tape vers la fin du set et qu’il charge bien de la barcasse. Il articule tout ça avec les arpèges du diable. On se re-régale de ce «Gravy Train» qu’il emmène la gueule au vent. Encore des retrouvailles avec «Rag Doll» qu’il agrémente au gras de cabaret incertain, mais il arrondit les angles avec des variantes roundy. Il passe à l’heavy

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    country avec «I Could Just Die Right Now», il l’arrange à la traînasse du singing the blues, il reste à la fois intense et cool as fuck. Il passe à l’heavy doom d’Alabama avec «Dig To China», il peut descendre dans l’heavyness de la meilleure espèce, avec les vieux ressorts du seventies blasting. Il termine en mode heavy blues-rockalama avec «I Get This Problem», il claque son cloaque à la mode ancienne. Doté d’une présence vocale inexorable, il groove dans le dur d’Alabama, mama.

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             Ses albums sont là pour rappeler qu’Early james est un touche-à-tout de génie. Sur Strange Time To Be Alive, il peut faire le white nigger («Racing To A Red Light», heavy gloom d’Alabama qu’il place en cœur de set), il tape le Big Atmospherix au plus haut niveau («My Sweet Camelia», puissant dans les ténèbres), il fait aussi du cabaret d’Alabama («Pigsty», pur jus de round midnite), les Beautiful Songs n’ont aucun secret pour lui («Splenda Daddy» et «Wasted & Wanting», qu’il arrose de parfum des îles, avec un chant incroyablement raw to the bone). Il sait aussi taper un

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    duo d’enfer («Real Low Down Lonemome») avec Sierra Powell. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour y claquer des espagnolades d’Alabama. Il regagne la sortie avec le captivant «Something For Nothing» - I just want something/ For nothing/ Some kind/ Of strange alchemy - Te voilà conquis.

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             On peut même remonter sa piste jusqu’au premier album, Singing For My Supper, un Nonesuch de 2020. Il se pourrait bien que ce soit son meilleur album. Il met une grosse machine en route dès «Blue Pill Blues». Il a tellement de son et tellement de gras dans le timbre. Il chante d’un timbre assez unique, gras et plat à la fois, un timbre colérique et puissant, très écrasé. Il se planque derrière son ombre. Il n’est ni Van The Man, ni Scott Walker, ni Tom Waits. C’est encore autre chose. Early James. Il craque bien le climat avec «Way Of The Dinosaur». Sa voix porte en profondeur. Il attaque toujours de bonne heure. Il crée des climats à la seule force de la voix. Il peut descendre dans des abysses jusque-là réservées à Lanegan. «Way Of The Dinosaur» sonne comme un sommet de la gloire. Il tape son «Easter Eggs» en mode country légère. C’est lumineux, bienvenu, accueilli à bras ouverts. Quel entrain et quelle ampleur ! Il en fait une valse à trois temps. Il passe à la grosse dramaturgie avec «It Doesn’t Matter Now». Il se jette à corps perdu dans la balance qui s’écroule. C’est toujours la même histoire : les balances ne sont pas faites pour ça. Il tient encore la dragée très haute avec une samba du diable, «Gone As A Ghost». Peu de gens sont capables d’aller chercher une telle puissance interprétative. Il crève le ciel !

    Signé : Cazengler, Early in the morning

    Early James. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Early James. Singing For My Supper. Nonesuch 2020

    Early James. Strange Time To Be Alive. Easy Eye Sound 2022

    Early James. Medium Raw. Easy Eye Sound 2025

     

     

    Devil in the Garwood

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             Pas la peine de te raconter des histoires : tu vas voir jouer Duke Garwood uniquement parce qu’il a fréquenté Lanegan. Assister à son récital, c’est une façon de se rapprocher de Dieu, c’est-à-dire Lanegan. Mais si on l’aborde pour lui demander d’évoquer Dieu, Garwood botte en touche. Deux fois, une fois avant, et

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     une fois après le set. Garwood est comme Dieu, il n’en a rien à foutre. Rien à foutre de rien. Ni du temps, ni du public, ni des conventions. Il s’en fout comme de l’an 40. En une heure trente, il réussit à vider la salle. On n’avait pas vu ça depuis longtemps.

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    Pendant une heure trente, il s’accorde et se désaccorde, il enchaîne les cuts les plus désespérés qu’on ait pu entendre ici-bas depuis ceux du camp tsigane d’Auschwitz-Birkenau. Si tu veux te suicider, écoute Duke Garwood. Il cultive le désespoir extrême, celui des ceusses qui se paument dans le désert. Il s’égare dans l’immensité de son austérité. Il est le prince de la désolation. Il bat les Birthday Party à la course.

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    Il bat même le «Ballad Of The Dying Raven» de Dieu, c’est-à-dire Lanegan, à la course. Il bat aussi le «Dead In The Head» de Lydia Lunch à la course. Il bat Smog, Big Maybelle, tous les cracks du désespoir, et pourtant, tu ne t’en lasses pas. Quand croyant lui faire un compliment, tu lui dis qu’il sonne exactement comme Lanegan,

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    ça le bloque encore plus. Il se ferme comme une huître. Crack. T’en tireras rien. Que dalle. Pas un mot sur Dieu. Au fond qu’espérais-tu ? Allait-il te dire que Dieu était génial ? Allait-il te dire que Dieu avait créé le monde ? Allait-il te dire que Dieu n’était pas mort ?

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             Bon, à ce stade des opérations, il est important d’aller voir ce qui se passe dans les disks. On ramasse Rogues Gospel au merch de la désolation. Deux clébards sur la pochette. Ouaf ouaf ! Un batteur accompagne le Duke. C’est un big album. On croit tout simplement entendre Lanegan. Le Duke tape «Country Syrup» à la plaintive horizontale et retrouve les accents chauds de Lanegan. Même chose avec «Maharajah Blues», «Neon Rain Is Falling» et le morceau titre, qui sonnent comme des complaintes de nuit de pleine lune. Son hypno du désert est tellement riche qu’il en devient spongieux. On sent comme une résurgence des Screaming Trees dans «Neon Rain Is Falling». C’est exactement le même son. En B, il va chercher des infra-basses dans les ténèbres laneganiennes pour «Heavy Motor». Les enceintes vibrent  et menacent de rendre l’âme. Le Duke cultive la latence de la persévérance et ramène un sax oublieux dans «Whispering Truckers». Il regagne la sortie avec un «Lion On Ice» aussi paumé qu’un lion sur la banquise.

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             Comme on avait au temps de Lanegan ramassé tout ce qu’il avait enregistré, on retrouve Duke Garwood dans l’étagère. Pas grand-chose à dire de Black Pudding qu’il enregistrait voici 12 ans avec Dieu, c’est-à-dire Lanegan. On s’y ennuie un peu. La guitare de Garwood se perd dans le désert. La perdition est son fonds de commerce. On croirait entendre Ali Farka Touré en plus gris. Lanegan psalmodie. Il parle de Jésus, ce qui paraît logique vu qu’il s’agit de son fils. On tombe plus loin sur un «Mescalito» tapé en mode beat machine. Lanegan y évoque un autre fonds de commerce, le sien, qui est le sorrow. Les chansons, comme l’album, sonnent comme des causes perdues. Le désespoir qui y règne est d’une profondeur insondable. À force de dénuement, «Death Rides A White Horse» paraît beau. Avec «Cold Molly», Dieu se livre à un fantastique exercice de cold cold style. Il nous boppe son cold et avance en crabe sur une plage de sable noir. T’as l’image. 

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             Dieu & Duke remettent ça cinq ans plus tard avec With Animals. C’est bien planté du décor. Ils te font le désert sans eau. Dieu dans ses œuvres. Dieu quémande de l’amour dès «Save Me». Dieu fait du pur Lanegan avec «Feast To Famine», un heavy balladif de when you cut me/ I bleed. C’est bien épais et sans le moindre espoir. Au coin d’un couplet, Dieu te confie ceci : «You know I’m good for the damage.» On s’en serait douté. Cet album est gorgé d’une présence indicible. Dieu y va au I love you baby. Dieu fait le show, il psalmodie à la plaintive décharnée. Le Duke claque les notes d’«LA Blue» out of the blue. Tout est bien plombé sur cet album. Ça grince dans la tombe du rock et t’as même l’orgue de barbarie dans «Lonesome Infidel». C’est pire que tout, funèbre à l’extrême. Encore du classic Lanegan avec «One Way Glass». Ce fantastique chanteur de rock groove les profondeurs de son âme ténébreuse.

    Signé : Cazengler, Duke Gare du Nord

    Duke Garwood. Le Kalif. Rouen (76). 3 mai 2025

    Mark Lanegan & Duke Garwood. Black Pudding. Ipecac Recordings 2013

    Mark Lanegan & Duke Garwood. With Animals. Heavenly 2018

    Duke Garwood. Rogues Gospel. God Unknown Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Ubu Roi

     (Part One)

     

             Le vieil Ubu David Thomas vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous de ce pas lui dresser un autel funéraire et célébrer une messe païenne puisqu’il nous incombe d’honorer son honorifique mémoire. Pour ce faire, nous sortirons du formol un texte ubuesque paru dans les Cent Contes Rock. Ce texte fit d’une pierre deux coups, puisqu’il chantait les louanges du deuxième single de Pere Ubu («The Final Solution»), et celle du Grand Précurseur de tout devant l’éternel, le spécialiste des solutions imaginaires Alfred Jarry.

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    Principaux personnages :

    Crocus Behemoth : gros chanteur palotin

    Mère Ubu : protagoniste circonstanciée

    Tom Herman : premier guitariste

    Peter Laughner : second guitariste

    Tim Wright : bassiste court sur pattes

    Scott Krauss : tambour de guerre

    Dave Taylor : pilote de spoutnick

     

    Crocus Behemoth

    — Merdre !

    Mère Ubu

    — Oh ! En voilà du joli, Crocus Behemoth ! Qu’avez-vous donc à jurer comme un cocher anglais ?

    Crocus Behemoth

    — En tant que leader charismatique de Pere Ubu, je dois faire une déclaration universelle !

    Mère Ubu

    — Ici, à Cleveland ? Dans le trou du cul du monde moderne ?

    Crocus Behemoth

    — À Cleveland, à Varsovie ou à Pétaouchnock, cela reviendrait au même. De par ma chandelle verte, ce que j’ai à déclarer est de la plus haute importance ! Ôtez-vous de mon chemin car ma voix doit porter loin ! Qu’on fasse venir mes fidèles musiciens illico-presto !

    Tom Herman

    — Nous voici au grand complet, sire, prêts à vous servir jusqu’à notre dernière goutte de sueur.

    Crocus Behemoth

    — Accorde ta guitare et ferme ta boîte à camembert, vil guitariste ! Tu nous feras des commentaires lorsque je t’aurai sonné, est-ce bien compris, face de rat ? Il s’agit pour l’heure de s’adresser à la postérité et le monde attend que Crocus Behemoth fasse sa déclaration universelle.

    Mère Ubu

    — Et alors, gros sac à foutre, qu’as-tu donc à déclarer de si important, toi qui es plus con qu’une queue de curé ?

    Crocus Behemoth

    — Justement, Mère Ubu, j’y viens. Prenez garde qu’à coups de génie je ne vous fasse ravaler vos paroles. Orchestre, êtes-vous prêts à sonner l’hallali ?

    L’orchestre

    — Nous voilà fin prêts, sire. Nous épouserons les lignes harmonieuses du moindre de vos désirs et vous suivrons jusqu’aux cimes de votre génie, sans cordes ni piolets !

    Crocus Behemoth

    — Jetez plutôt vos métaphores à mes chiens, bande d’étraves. Je ne mange pas de ce pain-là ! Alors, hâtez-vous de vous mettre en ordre de bataille. Je veux un tempo lourd comme le pas d’un éléphant, et veillez à ce qu’il se charge des plus grandes menaces ! Que les peuples d’Aragon, de Pologne et du Michigan s’enfuient comme des volées de moineaux à notre arrivée...

     

    L’orchestre exécute les ordres du roi jean-foutre à la lettre. Tim Wright frappe sur ses cordes de basse, martelant un rythme digne des éléphants de Scipion l’Africain traversant les Alpes. Dom do-do dom... Dom do-do dom. Au bout de deux mesures, il est rejoint par la meute au grand complet. Ils entrent dans la danse et rudoient leurs instruments, les yeux fixés sur les pointes de leurs escarpins. Un spoutnick s’élève et traverse la salle du trône en zigouinant.

    Crocus Behemoth, d’une voix d’outre-tombe :

    — Les filles ne me touchent pas car je suis atteint d’une déviance...

    Crocus Behemoth lâche un pet atomique.

    Mère Ubu

    — C’est fort honnête à vous de bien vouloir reconnaître que vous êtes déviant, gros dégueulasse !

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Et vivre la nuit n’embellit pas mon teint...

    Crocus Behemoth lâche un second pet atomique.

    Mère Ubu

    — Ah quelle pestilence ! Plus je vous contemple et plus vous me faites l’effet d’un gigantesque navet puant !

    Crocus Behemoth, d’une voix hystérique :

    — D’après les symptômes, il s’agit d’une épidémie sociale...

    Mère Ubu

    — C’est vous, pachyderme au cul crotté, qui êtes une épidémie !

    Crocus Behemoth, d’une voix de bête traquée :

    — Le fait de s’amuser un peu n’a jamais été une insurrection !

    Mère Ubu

    — Vous allez nous faire pleurer avec vos jérémiades. Avez-vous d’autres couplets ?

    Crocus Behemoth, d’une voix mielleuse :

    — Ma mère m’a foutu à la porte jusqu’à ce que je trouve une culotte qui m’aille...

    Crocus Behemoth lâche un pet rachitique.

    Mère Ubu

    — Avec un cul pareil, vous avez dû en baver.

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Elle n’apprécie pas vraiment mon sens de l’humour...

    Mère Ubu

    — Vous êtes bien le seul que le grotesque n’effraie pas. Je vous plains amèrement.

    Crocus Behemoth, d’une voix de castrat à l’agonie :

    — Je suis tellement excité, je serai toujours perdant, on me jette de partout, je n’insiste pas...

    Mère Ubu

    — Bien fait pour vous. Vous mangez comme un porc. Regardez-vous dans un miroir !

    Crocus Behemoth, sentant la moutarde lui monter au nez :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale !

     

    Une accalmie s’ensuit, embellie par des gazouillis d’oiseaux. Tim Herman joue un pont dada, grattant quelques subtiles variations destinées à tromper la vigilance de l’ennemi massé aux frontières.

    Crocus Behemoth, d’un ton guerrier :

    — Achetez-moi un ticket pour un voyage sonique...

    Crocus Behemoth lâche un pet embarrassé de tuberculeux.

    Mère Ubu

    — Alors bon voyage ! Nous allons de nouveau pouvoir respirer l’air pur !

    Crocus Behemoth, d’une voix de boucher :

    — Les guitares devraient sonner comme la destruction atomique...

    L’orchestre s’arrête. Une chape de plomb tombe sur la salle du trône.

    Crocus Behemoth, d’une voix nietzschéenne :

    — J’ai l’impression d’être victime de la sélection naturelle...

    Mère Ubu

    — Oh voilà qu’il recommence ! Mon cœur battait de joie à l’idée que ce numéro de cirque fût enfin terminé !

    Crocus Behemoth, d’une voix de paria épileptique :

    — Retrouvez-moi de l’autre côté, dans une autre direction !

    Mère Ubu

    — Bon débarras. Voilà enfin une bonne nouvelle pour le royaume !

    Crocus Behemoth, frisant l’apoplexie :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! I want a final solution !

     

    S’ensuit une nouvelle accalmie. Des gazouillis succèdent à l’épouvantable tintamarre de l’orchestre.

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    Puis, mugissant comme un bœuf qu’on fait entrer de force à l’abattoir :

    — SOLOUCHIONNNNNNNNNE !

    Agité de spasmes, Crocus Behemoth lève le bras en l’air et fait le signe de la victoire.

     

    C’est le signal. Un officier sanglé dans un costume austro-hongrois présente à son roi une télécommande surmontée d’un gros bouton rouge. Crocus Behemoth assène un formidable coup de poing sur le bouton rouge. Une bombe à hydrogène explose quelque part au Japon. Le souffle de l’explosion fait trois fois le tour de la terre. Les cheveux des musiciens de l’orchestre s’envolent. Les radiations leur flétrissent la peau. Crocus Behemoth pointe son sceptre sur Tom Herman. Celui-ci s’incline respectueusement et attaque un solo de guitare qui s’envole majestueusement, wah-wahté avec raffinement. Le solo prend toujours plus de hauteur, atteignant les cimes de l’Olympe.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

    Tim Herman suit des chemins escarpés, repoussant toujours plus loin les limites de la splendeur, donnant à son solo des tournures proprement aventurières.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman élève toujours sa mélodie dans les nues, menaçant à chaque instant d’échapper à l’entendement, et donc au roi. Les cimes de l’Olympe ne sont plus pour lui qu’un pâle souvenir.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Pourvu d’une nature céleste, Tim Herman maintient son solo en vie pendant d’interminables minutes, réinjectant sans cesse de la vie dans ses gammes éphémères.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman déroule toujours son écheveau mirifique. Il devient une excroissance du royaume. Il étend sans cesse son empire. Il délie de fabuleuses lignes mélodiques qui montent au ciel et s’en viennent chatouiller les couilles de Dieu. Agréablement surpris, Dieu s’allonge sur son nuage et écarte les cuisses. Il retrousse sa jupe de coton immaculé. Oh ! Il croyait qu’il ne bandait plus. La musique s’arrête. Dieu débande. Il appelle un ange et ordonne qu’on lui amène ce terrien qui est l’égal de ses fils, les demi-dieux. L’ange qui est un peu con descend sur terre et remonte un an plus tard avec Peter Laughner.

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             Signé : Cazengler, Pere Abus

    David Thomas. Disparu le 23 avril 2025

    Pere Ubu. The Final Solution. Hearthan 1976

     

     

    Inside the goldmine

    - Washington d’ici

     

             Tous ceux qui le connaissaient le disaient érudit, mais Albite ne parlait jamais de rock. Il ne parlait que de ses mésaventures sentimentales. Enfin, sentimentales, c’est un bien grand mot. Albite était obsédé par le sexe. Il nous arrivait parfois de faire route ensemble, et c’était plus fort que lui : il monopolisait la conversation pour évoquer une à une ses conquêtes, ça n’en finissait pas, et il n’existait aucun moyen de l’interrompre pour le ramener dans le droit chemin. Il les décrivait une par une, les classait dans les chaudes et les pas chaudes, celles qui avaient du répondant et celles qui n’en avaient pas, il préférait celles «qui aimaient les hommes», comme la Toulousaine qui bien qu’étant chaude, lui donnait pas mal de fil à retordre.

             — Quel genre de fil ?

             — Elle veut pas que j’la sodomise !

             Avec ça, on était bien avancé, et il repartait de plus belle sur la Martiniquaise qui l’arrosait de sang de poulet avant la copulation, il passait ensuite directement à cette jeune femme juive qu’il avait traquée pendant des mois et qui avait fini par céder, mais il y eut un sacré problème.

             — Quel genre de problème ?

             — C’était une trans.

             Le pauvre Albite collectionnait les revers de fortune, mais ça ne l’empêchait pas de persévérer. Son appétit sexuel était tel qu’il n’existait aucune limite. Il lui fallait de la chair, fraîche ou pas fraîche, ça l’excitait rien que d’en parler :

             — Ah putain si tu voyais le cul qu’elle a !

             Il levait les bras au ciel, il clamait sa soif de toisons, son besoin maladif de palper des seins, il râlait son rut, il tanguait au cœur d’une violente tempête libidinale et atteignait une sorte d’extase organique. Lorsqu’il lâchait le volant, il fallait vite le rattraper, car la bagnole partait de travers. Il roulait à 160.  

     

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             Pendant qu’Albite collectionnait les conquêtes, Albert collectionnait les hits inconnus. On le sait grâce à une compile Ace qui s’appelle Blues & Soul Man.

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             Franchement, c’est un choc ! Albert Washington forever ! Cette compile est une bombe atomique ! Tu vois Albert sur la pochette avec sa veste de charlot et sa guitare et tu te dis : «No Way !». Hé bé, comme on dit à Toulouse, ton no way, tu peux te le carrer où tu penses, car Albert est une bête ! T’es hooké dès l’heavy blues de «Doggin’ Around». Avec «Tellin’ All Your Friends», il passe à l’heavy Soul noyée d’orgue. Albert insiste bien sur la qualité. Il gorge sa Soul de Soul. Il a le diable au corps, il est encore perçant et définitif avec «Rome CA»,  et affolant d’hot avec «You Get To Pay Your Dues». Albert est une diable, il groove la Soul du rock. Il sait chauffer le cul d’un cut, comme le montre encore «I’m The Man». Il a le power et l’argent du power. «Woman Love» sonne comme un heavy groove descendant, c’est d’une invraisemblable modernité, une vraie révélation, là t’as un groove incroyablement crépusculaire. On note encore l’incroyable qualité du solo de gras double de Lonnie Mack dans «Turn On The Bright Lights» - What a fool have I been - Albert est un surdoué, complètement inconnu au bataillon. Encore de la fantastique modernité avec «Hold Me Baby», tout est terrific, chez Albert et t’as en permanence ce que les Anglais appellent des killer guitars - Mack is at his manic best - Tu tombes plus loin sur «Crazy Legs Pt 1», fantastique dancing jive tapé au beat de syncope aventureux. Idem pour le Pt 2. Everybody ! Tu t’effares encore de l’incroyable audace du dancing beat de «Mischevious Ways». T’as toutes les mamelles que tu veux : la vélocité du beat et le gras du chant. Il réclame son heure de power dans «Hour Of Power». Il a tous les pouvoirs, surtout celui du power. Il sonne comme les Capitols et t’as Lonnie Mack dans la course. Retour à l’heavy blues avec «If You Need Me». Il chante ça d’une voix juvénile très pure, à la Sam Cooke. Ce fabuleux Soul Brother qu’est Albert Washington sait aussi faire du Sam Cooke ! 

             C’est un universitaire, le Dr Steven C Tracy, qui se tape les liners de la compile. Il raconte qu’il est allé voir Albert en 1996 à l’hosto universitaire de Cincinnati. Albert fait partie de la génération des années 30, et son éducation passe comme de bien entendu par le gospel. Puis il est attiré très jeune par le Deep South country blues - His main blues artist in them days wad Blind Boy Fuller, a performer of salacious blues to be sure - Et puis en 1949, nous dit l’universitaire, la famille Washington s’installe au Kentucky. Le père casse sa pipe en bois, écrasé sur un chantier, et Albert finit de grandir en se passionnant pour Sam Cooke et B.B. King. C’est là qu’il puise son inspiration pour gratter ses poux. Il flashe aussi sur Big Maybelle et Cab Calloway. Puis il va devenir the King of the Cincinnati blues scene. Il enregistre, mais ça ne marche pas. Il ne vit que grâce aux clubs. Les cuts rassemblés sur la compile Ace sont ceux enregistrés pour un petit label de Cincinnati, Fraternity Records d’Harry Carlson. L’un des artistes signés sur Fraternity n’est autre que Lonnie Mack, d’où la collusion.

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             On retrouve l’excellent Albert sur trois albums, à commencer par Sad And Lonely, un Eastbound de 1973 devenu culte. On comprend le comment du pourquoi dès «No Matter What The Cost May Be», un fast funk aventureux. C’est le funk le plus sauvage du coin. Ahurissante modernité ! C’est enregistré à Memphis, au studio TMI de Steve Cropper ! Il s’installe dans l’hard funk avec «You’re Messing Up My Mind», c’mon tell me, il veut savoir, listen yah ! C’est l’hard funk de rêve, sous-tendu à la vie à la mort. On retrouve l’hard funk dans «Mischievous». C’est là qu’il est bon. L’hard funk vipérin n’a aucun secret pour lui. Sinon, il fait un peu d’heavy blues («Wings Of A Dove»). Il perd un peu de hauteur, dommage mais il a des chœurs de rêve. Retour à l’heavy funk avec le morceau titre et ça bascule dans la pop de Soul. Il fait aussi du petit boogie de Memphis avec «I Can’t Stand It No More», mais il ne dégage rien de particulier. Il s’accroche une dernière fois avec «Do You Really Love Me» et ça se termine en giclée de belle Soul.

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             Il revient dans l’actu en 1992 avec Step it Up And Go. Bon c’est pas l’album du siècle, mais on sent la singularité d’Albert, notamment cette façon qu’il a de chanter d’une voix pincée. Il drive à merveille l’heavy boogie de «Things Are Getting Bad», et l’heavy blues d’«Hold On To A Good Woman» montre qu’il est très axé sur l’édentée. Il campe bien sur ses vieilles positions, il bêle plus qu’il ne chante, mais c’est pas mal. Ses cuts sont classiques mais beaux. Il swingue la good time music d’«Everything Seems Brand New», c’est une merveille de délicatesse. Quelle fantastique présence vocale ! Il chante d’une petite voix fine admirablement altérée, pas méchante pour deux sous. Il fait sa petite leçon de morale avec le slow boogie blues de «Leave Them Drugs Alone», if you wanna live a long time. Il chante son «You’re Too Late» au feeling pur et claque un coup de génie avec l’extraordinaire boogie down de «Keep On Walkin’». C’est le boogie archétypal d’Albert le crack. 

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             Sur A Brighter Day, t’as Harvey Brooks au bassmatic, alors attention ! Ça groove dès le morceau titre d’ouverture de bal. Albert chante aux dents de lapin. Il tape deux Heartbreaking Blues de choc, «You’re Gonna Lose The Best Man You’ve Ever Had» et «Standing There All Alone». Le premier est amené au riff d’I’m A Man et le deuxième sent bon la classe supérieure. Il revient à son cher boogie blues avec «I Walked A Long Way», c’est à la fois lourd de sens et lourd de conséquences, autrement dit heavy on the beat. Avec «Travelin’», il se glisse merveilleusement dans un shake de funk, puis il fait son ‘boire ou conduire’ avec «Don’t Drink & Drive». Globalement, il colle bien au terrain de l’heavy blues. Tout ce qu’il entreprend est assez fin. Albert est un orfèvre, un délicieux groover aux dents de lapin. Ah comme il affine ! 

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Albert Washington. Blues & Soul Man. Ace Records 1999

    Albert Washington. Sad And Lonely. Eastbound Records 1973.

    Albert Washington. Step it Up And Go. Iris Records 1992

    Albert Washington. A Brighter Day. Iris Records 1994

     

    *

             Laissez-moi rire avec la malédiction du deuxième opus. Le pauvre artefact incriminé n’y est pour rien. Par contre il existe deux sortes d’êtres humains, ceux qui se répètent, qui répépiègent à n’en plus finir, et ceux qui avancent sur leur chemin, tout droit, conscients que chaque pas les rapproche de leur propre fureur de vivre. Alicia Fiorucci fait partie de ceux-là. 

    SANS DETOUR

    ALICIA F !

    (La Face Cachée / Avril 2025)

             Super belle couve. Alicia s’offre à vous sans détour, telle une citadelle imprenable qui vous toise du haut de ses murailles. Une pose de guerrière aguerrie qui vous défie d’un regard sombre et compatissant, qui attend sans hâte que vous portiez le premier coup, sûre que vous ne vous y risquerez pas, que vous ferez comme si vous ne l’aviez pas vue. Une volonté inexpugnable chevillée à son corps et à son âme.

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             Alicia F (comme fulgurante) est au chant un peu le d’Artagnan des quatre mousquetaires avec qui elle ferraille sur les douze pistes noires et rouges du disque : Tony Marlow qui use de sa guitare comme d’une rapière meurtrière, Gérald Coulondre qui frappe fort à l’aide de sa masse d’arme ensanglantée, Amine Leroy qui propulse de sa contrebasse des carreaux mortels d’arbalète.

    Les assassins à ciel ouvert : avancent à pas couverts devrait-on avoir le temps d’écrire, mais la guitare froissée de Tony vous bouscule, Alicia lui emboîte le pas, avec un tel titre on augurait qu’elle prendrait un ton lugubre, ben non, l’est toute guillerette, pensez à ceux qui dansaient la Carmagnole durant la période révolutionnaire, l’insurrection n’est pas obligatoirement triste, dénoncer, remettre le cours des choses à l’endroit impulse un sentiment de libération et une vivacité débordante. Coulondre transforme sa batterie en feu d’artifice, Tony allume une chandelle romaine incandescente, le punk c’est comme Picasso, il a sa période bleu pétrole mais ici c’est la période rose délurée, qui domine, la joie de s’affranchir de ceux qui vous adressent des sourires cauteleux pour mieux vous asservir.  Abortion : le Marlou attaque à la hache d’abordage, les gars catapultent les chœurs et ça déboule grave, Alicia prend position pour la liberté d’avorter, pour le devoir de faire de son corps ce qu’elle veut, attention c’est une espèce d’éruption vésuvienne, un mini-opéra vénusien, contrechants wagnériens, imprécations gutturales, revendications en lettres de sang, Amine slappe à mort, Marlou et Gérald vous pondent à deux un solo comme vous n’en avez jamais entendu, Alicia vous a le dernier mot qu’elle dépose à la fin du morceau comme une couronne sur sa royauté de femme, Abortion ! La vie est une pute : un crachat punk, une intro de menuet, mais très vite ça remue un max, les gars vous dressent des guirlandes, car parfois il vaut mieux en rire qu’en pleurer, la vie n’est pas un conte de fées, faut prendre les choses comme elles viennent mal, les douces fraîcheurs mentholées se métamorphosent en senteurs mortifères, Alicia vous met le tréma sur le u de pute. Cielo drive love song : quand le présent n’est pas gai, que le futur ne promet pas une amélioration, une seule solution : se réfugier dans le passé, pourquoi croyez-vous que la guitare de Marlow sonne comme une cithare et que Gérald vous tamponne des rythmes festifs, même Amine rend sa contrebasse sautillante, et Alicia chante les jours heureux des sixties, en Californie, au temps des doux rêveurs, et des hippies inoffensifs… hélas ne gobez pas les mouches avec la chantilly du gâteau, Cielo Drive était l’adresse où Sharon Tate fut assassinée… Baltringue : ici pas de piège, franc et direct comme une décharge de chevrotines, un rock uppercut, Gérald frappe dur, le Marlou sonne le glas, l’Amine n’est pas réjoui, Alicia règle les comptes, pas de cadeau, l’emploie les mots qui tuent et le ton comminatoire qui chasse les nuisibles de son territoire. Teenager in grief : une rythmique country sympathique, Alicia vous prend sa voix de petite fille innocente, pourquoi les trois boys viennent tout gâcher en usant de leurs instruments comme d’une apocalypse, la forçant à casser sa voix et son rêve, parce que l’histoire qui commence bien, finit mal, ce n’est pas la peine de pleurnicher non plus, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, voilà pourquoi elle reprend son ton allègre. Méfiez-vous des apparences. Votre calvaire : intro surprenante, l’on ne sourit plus, l’on est dans une espèce de blues-noise qui vous écorche les oreilles, Alicia ne chante plus, elle parle, elle rappelle, elle accuse, elle crie, elle hurle, elle dénonce, elle condamne, les boys lui emboîtent le pas, maintenant elle chante et les instrus grincent et gémissent, Dieu jamais nommé puisqu’il n’existe pas - ce qui permet de circonscrire les coupables dans leur ignominie - est le paravent des bien-pensants à la morale étriquée. Le cache-sexe des grandes cruautés. Somptueux. Love is like a switchblade : elle s’en est pris à la vie, la voici qui s’occupe de l’amour. Elle décidé de crever les baudruches multicolores qui empêchent de voir la réalité. C’est sa manière à elle de verser de l’acide sur les caresses que l’on vous a prodiguées. La guitare du Marlou gronde comme un tigre, Alicia pousse des soupirs de jouissance, en plus elle vous chuchote tout fort ce qu’il faut savoir pour ne pas être dupe, ni des autres, ni de soi-même. Un bon rock prestement appuyé. Comme un coup de couteau. Charnelle détresse : encore un gars qui en prend pour son grade. Elle ne l’envoie pas dire. Mais elle prononce les mots qui blessent. Exploration de la misère sexuelle de nos contemporains. Les gars la suivent dans ses accusations. Lyrics assassins et musiciens qui tirent sans sommation. Joe Merrick : une trombe sonore dédiée à la souffrance de Joe Merrick surnommé Elephant Man, est-ce pour cela que les instruments cornaqués par le vocal de feu d’Alicia barrissent si fort, la colère contre l’humanité perpétuelle l’emporte sur la pitié aujourd’hui inopérante. Une vieille histoire, qui saigne encore. Trust no one : cette deuxième face se termine en feu d’artifice, rythmique punk renforcée par la fougue instrumentale. Un ballon de rugby entre les poteaux. Un single parfait. Non, je ne regrette rien : elle a gardé la reprise pour la fin, l’on aurait parié pour les Ramones, paf, c’est Piaf. Le genre de truc casse-gueule par excellence. L’a su s’y prendre. Pas d’emphase, pas de trémolo, juste l’énergie, une vague débordante qui emporte tout, et porte Alicia au pinacle.

             L’on sort de ce disque rincé. Dans chaque morceau gisent trois ou quatre trouvailles, ces petits trucs inattendus mais terriblement définitifs dès la première audition. L’on imagine mal ce qu’il y aurait pu avoir à leur place.

    Alicia n’a pas réalisé un bon disque de plus. Elle a édifié, avec ses trois acolytes  une pierre angulaire de la production rock actuelle. Un album magnifiquement structuré qui a toutes les chances d’être une référence pour les créateurs et les amateurs de demain.  Ses lyrics tantôt en anglais, tantôt en français, révèlent le monde intérieur d’Alicia, son implantation critique et combattante dans la vie.

    Damie Chad.

     

    *

             Il suffit de suivre les traces, elles parlent d’elles-mêmes, nul besoin d’embaucher une équipe de détectives, un soupçon de flair et c’est in the pocket, comme disent les anglais, d’ailleurs ils sont anglais, z’ont produit dix opus depuis 2013, les pochettes ne sont pas des indices mais de véritables preuves accablantes, inutile de vous les montrer les titres parlent d’eux-mêmes…When Death Comes Again / The Loneliest Walk / The All Consuming Void / Of Loss And Grief / Of poison and grief (Four Litanies For The Deceased) / When Death Comes / Of Graves, Of Worms and Epitaphs / Immortal in Death / First Funeral… bref avant que la grande faucheuse ne les emporte, nous nous pencherons sur le dernier album, tout frais sorti, peut-être d’un casier réfrigéré de la morgue…

    A SILENCE TOO OLD

    APHONIC THRENODIC

    ( Bandcamp / Mai 2025)

             A mon avis un groupe qui se déclare a-phonique mérite le détour. Quant à Thrénodic, les amateurs d’antiquité auront d’instinct reconnu la racine thrène qui désignait les chants composés en l’honneur des héros morts.

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             Quant à la couve d’apparence paisible, un vieux sage, endormi sur un épais et antique grimoire, serait-ce un ermite ou un druide, en tout cas maintenant il sait - il a reçu les réponses qu’il a cherchées en vain durant toute sa vie – qu’au bout de l’existence se trouve la mort. Sans doute s’en doutait-il, mais maintenant il ne doute plus. Que cet enseignement vous serve de leçon.

    Riccardo Veronese : guitars, bass, keys a appelé un vieux complice : JS Decline : drums, guitars solo. Tous d’eux ont l’habitude d’inviter un ou plusieurs artistes sur leurs réalisations : ce coup-ci ils ont choisi : Déhà : vocals.

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    Annabelle : ces notes répétées, sûr ce n’est pas du dodécaphonique, un conseil profitez-en car dès que Déhà pose sa voix, tout change, ce qui n’était qu’une douce musique d’ambiance se transforme en une confession malédictoire, d’autant plus que JS vous Decline le destin trompeur de toutes choses avec ces frappes battérialles qui vous emphatisent l’ambiance, désormais vous êtes obligés de suivre, un fleuve sonore, tout ce qu’il y a de moins aphonique, je vous rassure, vous emporte dans ses méandres majestueux, la voix se crispe, se charge d’angoisse, de peur, et de terribles résolutions, pourquoi cette note revient-elle toujours, le chagrin appelle-t-il l’amertume, débouche-t-il vers les plus farouches décisions, deuxième pose, une demi-seconde, le temps de lancer un regard vers le couteau que vous vous apprêtez à planter dans le dos de celle qui est partie, Déhà énonce des paroles terribles, il a repris sa voix douce et profonde, endormeuse, mais les mots roulent comme des cailloux de haine et des caillots de sang. Il ne sait plus ce qu’il dit mais il sait ce qu’il va faire. Il n’hésitera plus, toutes les divinités seront punies, désormais il sera le bras armé de l’enfer terrestre. Light the way : fracas de lumière noire, penser est une chose mais passer à l’acte est ce qui importe. Une fois le geste accompli, encore faut-il l’assumer, affronter sa folie, métamorphoser sa noirceur en sa propre lumière, c’est le chœur de Déhà qui résonne, il déclare la guerre à la terre entière, il s’élève au plus haut de l’horreur, mais ce n’est pas l’horreur qui compte mais ce surplus de plénitude que par son acte il a atteint, il grogne tel un ours furieux, les tambours de la suprématie scandent sa marche, il ne se presse pas, il écrase tout ce qui ne saurait résister, le rythme est lent mais intraitable, des accords de guitares sombrement doucereux, il marche au-delà du bien et du mal, les assassins et les innocents ne sont-ils pas le scotch à double-face de toute personnalité qui se mure en sa démesure, c’est en grandissant que l’on traverse les limites de la mort pour accéder à la vie. A silence too old : méditation funèbre, un synthé joue du cor, c’est beau comme de la musique classique, un requiem doom tout doux, la marche à l’intérieur de soi-même, le temps a passé, l’assassin a vieilli, son épée victorieuse pèse un peu, mais cela n’est rien, c’est l’esprit qui tourne en rond sur lui-même, un tour face au soleil, un tour face à la nuit, la folie n’est-elle pas une lumière aveuglante, le guerrier tournoie en lui-même, la liberté n’est-elle pas l’autre visage de la folie, tout tourne, la musique vous a une de ces ampleurs virevoltantes, encore cet arrêt méditatif et la reprise d’évidence, toutes ces pensées incapacitantes qui tournent depuis trop longtemps dans ma tête que la lame y mette terme, et si c’était Icare qui tuait le soleil et non le contraire. Further on : plus fort, plus loin, ne croire qu’en soi, ne serait-on qu’une illusion, montée éclatante, victorieuse, en bas, bien plus bas, le soleil agonise, juste croire en soi, avancer toujours plus loin, toujours plus haut, la voix clame et plane au-dessus des glaciers les plus altiers, maintenant le haut et le bas s’égalisent et je suis aussi un insecte rampant, pitoyable, agonisant, au plus bas du plus bas, la basse s’en donne à cœur joie, moment de contrition, instant de contraction, il me reste encore une arme à portée de ma main, ne pas s’avouer vaincu, rester son propre maître, celui qui a tranché ses dilemmes par un fer sanglant peut encore répéter son geste par un suicide froid et méthodique, échos féminins et emprise masculine sur soi-même. Apothéose. Oath of nothing : sombres cordes, dernier acte, ultime épreuve, la porte s’ouvre sur un sentier de glace, l’ennemi m’attend, c’est le dernier duel, celui qui risque de vous inoculer la mort, lourdeur des membres, du mal à soulever l’épée, il est plus fort que moi, je grogne comme un animal blessé qui ne s’avoue pas, qui ne s’avouera jamais vaincu, à quoi sert-il d’ailleurs de se battre, l’un gagnera, l’autre perdra, tous deux triompheront car l’on ne se bat que contre soi-même, ne suis-je pas mon pire ennemi, une plainte musicale pointue comme un dard de scorpion s’enfonce dans mon cœur, tout cela n’est qu’une fausse mort, qu’une fosse vie, désormais une paix funérale nous englobe, nous réunit, c’est pourquoi nous ne faisons plus qu’un avec nous-mêmes. Avec soi-même. C’est ainsi que l’on obtient une sorte d’accalmie, une espèce d’apaisement. Retentit comme un hymne à la joie musicale qui se termine par un cri venu de très loin, d’une scène fondatrice. Tne void of existence : chant de sirène, ou trémolo d’un ange qui viendrait me caresser, serait-ce Dante reçu sur les bords de l’Eden perdu par la Beatrix retrouvée, quelques notes de piano paradisiaque qui rêveraient d’une existence humaine, très humaine, ai-je donc tant vécu selon mon enfer, qu’il me reste encore la moitié de mon existence à revivre avec ce fantôme d’Annabelle désincarnée, enfermée telle une reine dans ma tête, je crie, je glapis comme le renard, je vomis comme le serpent, je siffle comme l’homme, honneur et repos à tous ceux qui sont morts, et si je criais, y aurait-il un ange rilkéen qui m’entendrait quelque part, tout en haut, tout en bas, tout en moi-même. Une spirale sonore qui repasserait toujours sur-elle-même mais toutefois à chaque fois en dehors d’elle-même. Comme une trace d’elle-même obligée de s’effacer pour réapparaître d’elle-même. L’on ne va jamais plus loin que soi-même.

             Poetic doom. Mais ne sommes-nous pas trop vieux pour entendre ce silence qui sourd de cette funèbre mélopée. Fin magistrale.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout pour déplaire, une tronche d’intello sur la couve, pas belle avec ses lunettes, à la John Lennon qui lui refile un air idiot, oui mais le titre de l’album est un tantinet bizarre, toutefois un genre de phrase où il y a à boire et à manger. J’ai décrété que c’était des anglais, leur humour, leur nonsense, ben non des amerloques, du Michigan, capitale tout en haut des States, bordé par les Grands Lacs.

    WE KNOW WHERE THE BODY IS

    HOFFA

    (Bandcamp /Mai 2025)

             Retour sur la pochette. Elle mérite attention. Elle est de Jev et Alex Franks desquels j’ignore tout. Pas vraiment un beau gosse, on le devine mal dans sa peau. Impression que nous mettons en relation avec le titre : généralement l’on sent son corps quand il nous fait mal. D’ailleurs n’oublions pas le nom du groupe : le mal d’Hoffa est une inflammation du genou. Soyons franc, le gars a peut-être mal au genou, mais c’est surtout dans sa tête qu’il claudique. L’a des yeux jaunes, comme les chats, pourtant il n’est pas habité par la grâce féline, par contre si vous regardez les verres de ses besicles, vous apercevez ses obsessions. Au début je pensais à une fille, mais la silhouette pourrait aussi bien être celle d’un homme. En fait ce n’est pas une affaire de sexe, son problème numéro Un, c’est l’Autre. Au sens infernal de la misanthropie métaphysique sartrienne. L’on pourrait croire que le grand problème de l’Humanité soit la mort, perso j’opinerai plutôt pour la vie, la mort est un acte solitaire par lequel l’on se retrouve confronté avec soi-même, la vie vous force à vivre avec les autres, de près ou de loin, mais rarement seul. Or notre égo nous pousse à nous croire supérieurs aux autres…

    anton newcombe,early james,pere ubu,duke garwood,albert washington,alicia f !,aphonic threnodic,hoffa,gene vincent

             Autre détail sur cette peinture : le titre de l’album qui suit la courbe des épaules de notre spécimen d’humanoïde patenté. A même la peau. Le tatouage est une habitude sociale amplement partagée ces dernières années, Paul Valéry ne disait-il pas que ce que l’homme avait de plus profond c’était sa peau.

    Andrew Martin : guitar, bass, vox / Hank Belcher : guitar, bass, vox / Pete Free : drums.

    Cockroaches : un titre qui n’est pas sans évoquer La Métamorphose de Franz Kafka, une certaine vision cafardeuse de notre espèce, si le ramage musical se rapporte à son état mental, notre hôte n’est pas revêtu de l’éclat du phénix de la bonne santé. Ne soyons pas surpris, Hoffa ne se présente-t-il pas par une phrase qui nous laisse une grande latitude d’interprétation : ‘’ Parfois nous faisons du punk, parfois du metal, parfois ni l’un ni l’autre’’. Pour les trente premières secondes ils ne mentent pas, un peu de bruit, une guitare toréador qui survole l’escarpolette balancée à toute vitesse et le gars qui s’égosille à crier toute sa haine, du punk de chez punk, l’on a envie de danser de tout casser, de se fracasser contre le mur du son, ( Saint Spector, priez pour nous), pour le metal qui normalement devrait suivre, ils font l’impasse, plongent tous habillés dans le ni l’un ni l’autre, direct le chaos, la folie, le gars déraille, l’instrumentation aussi, il craque, il pète la camisole de force du conditionnement social, l’envoie valdinguer sa petite vie bien proprette, il hurle comme King Kong quand il brise ses chaînes, il a envie de tuer, alors il tue, pousse des cris de serial killer, dommage que le disque ne soit pas en couleur, on le suivrait à la trace sanglante qu’il laisse derrière lui, mais que fait la police, elle arrive, elle vous conseille de vous mettre à l’abri, le killer peut tuer n’importe qui. Evidemment tous les rockers n’obéissent pas, ils ouvrent les fenêtres et descendent dans la rue, ne veulent pas perdre une miette de cette carbonisation intégrale. Le rock et la révolte ont toujours fait bon ménage. Nice carrot, but we already saw the stick : (la carotte et le bâton, pour une fois la langue française davantage concise et percussive que l’anglaise si pragmatique) : changement d’ambiance, fini la cavalcade, l’on se croirait à un concert des Pogues, l’amicale de la bonne franquette, bon dans sa tête ce n’est pas tout à fait pareil, l’est toujours habité par la haine, l’est dans un drôle d’endroit, les gentils flics ont dû l’emmener à l’asile, alors parfois il hurle dans une salle capitonnée, et les cinglés autour de lui chantent une chanson douce pour l’accueillir et lui faire comprendre qu’il est des leurs, qu’ils vont s’amuser comme des fous, sa mère vient le voir, les Beatles lui rendent visite, il habite au fond de l’océan, bien sûr il y a une guitare qui pond un solo comme un navire qui fait naufrage, et vous entendez la visserie de son cerveau qui grince et ne tourne plus rond… Homunculus : il fut un temps où dans l’asile, les fous se prenaient pour Napoléon, maintenant ce n’est plus tout à fait pareil, ils prophétisent, ils vous apportent la bonne nouvelle tout droit sortie de leur ciboulette détraquée, en plus il est modeste, il se décrit sans se prendre pour le bon Dieu, il pousse quelques hurlements à la Jim Morrison, l’orchestration essaie de calmer la bête musicale, faut tout de même comprendre ce qu’il annonce, lui qui modestement se présente comme un étron masturbatoire couvert de merde, il promet la société parfaite, elle s’occupe de vous, ne vous laisse même pas le temps de sortir du ventre de votre mère, l’enfançon grandira maladivement, son éducation fera de lui un esclave, l’a tout dit, il ne rajoute pas un mot, la musique essaie d’illustrer ce bonheur pressurisé et concentrationnaire, essayez d’imaginer les sons discordants qu’elle produit, pour vous mettre du baume au cœur, une voix d’infirmière sans âme vous rappelle les conditions optimales de votre bien-être. Pour bien goûter l’ironie du titre, l’Homonculus est une opération alchimique, ce petit homme symbolique désigne la matière déjà travaillée, en gestation d’elle-même qui finira par se transformer en pierre philosophale… Scylla : Scylla est le monstre marin et tentaculaire qui priva Ulysse de six de ses matelots… drôle d’idée de se prénommer Scylla, à moins que le groupe tienne à nous souffler dans l’oreille que les meilleures intentions débouchent parfois sur de terribles catastrophes, réduit à l’impuissance, la voix alentie par les cachets, la musique n'ose plus faire de bruit, juste quelques éclats lorsqu’il promet qu’une fois en possession de tous les pouvoirs, les gens heureux danseront dans les rues, le bonheur pour tous sera assuré, dans sa magnanimité il ira jusqu’à retirer le Christ de sa croix. Sacrilège ! Si la société n’a plus à offrir le rachat de l’âme humaine, pourquoi les hommes continueraient-ils à obéir… Est-ce pour cela que le directeur l’a affublé du nom de ce monstre hideux qu’est Scylla… Pink polo shirt neighbords : plus un mot, seulement sept minutes d’instrumentalité peu éclatante, un peu comme si des guitares souffraient d’asthme cordique qu’elles ne parvenaient plus à produire que des soubassements sonores incapables de la moindre vigueur, une espèce de sonorité taciturne, imaginons que les aliénés américains de haut niveau ou de grande profondeur abyssale ne puissent plus parler, ne plus émettre un son, la glotte bloquée, tétanisée, paralysée par des surdoses médicamenteuses, soient revêtus de camisole rose afin de souligner leur dangerosité… triste fin pour ceux qui avaient faim d’une autre vie…

             Hoffa nous livre un opus sur la réalité contemporaine. Un regard sans aménité mais d’une grande lucidité. Tout vous pousse à péter les plombs, mais l’on sait comment réparer les ampoules grillées. Il suffit de les mettre sur le mode opératoire ‘’ basse tension’’. Nous sommes tous des morts-vivants en attente. Réfléchissez avant qu’il ne soit trop tard.

             L’esprit en partance, le corps restera votre dernier refuge.

             Hoffa veut peut-être nous avertir  que c’est déjà trop tard. A écouter, même s’il n’y a plus d’urgence.

    Damie Chad.

     

    *

             Longtemps que je ne regarde plus mon DVD sur les prestations Town Hall Party de Gene Vincent. Le son est loin d’être parfait, par contre je vous encourage à la visionner si vous n’avez jamais vu des images flottantes, elles se baladent un peu à droite, beaucoup à gauche, montent vers le haut et descendent vers le bas, elles ressemblent à des poissons prisonniers dans un aquarium cherchant vainement une issue… J’étais très heureux le jour où j’ai déniché une vidéo au contenu similaire sur un autre label. Hélas les images étaient aussi flottantes que sur la précédente, elles ont continué leur danse de saint-Guy… J’ai accusé mon ordinateur. J’en ai acheté un tout neuf… qui m’a offert le même désolant spectacle…

    Or voici que depuis quelques mois paraissent sur You Tube de nouvelles vidéos sur Gene Vincent, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis jeté sur les trois Town Hall Party présentées par la chaîne Beat Patrol, et à ma grande surprise les  images n’ont pas effectué leurs pérégrinations habituelles, elles sont restées sages comme des images !

    *

             Si Elvis Presley fut l’homme le plus photographié du vingtième siècle, ce ne fut pas le cas de Gene Vincent. De nos jours, si vous êtes au fond de la salle, vous ne voyez plus les artistes sur scène, vous les envisagez multipliés en petits formats autant de de fois qu’il y a de spectateurs (moins 1 = vous) en train de filmer le spectacle qu’ils ne regardent jamais plus, mais qu’ils gardent dans le cachot oublié de leurs insu-portables, lisez la chro du Cat Zengler, sur le Zénith des Viagra boys, livraison 690 du 15 / 05 / 2025… Les enregistrements des prestations scéniques de Gene Vincent sont rares… Elles sont le plus souvent confinées dans les archives des émissions télévisées.

    TOWN HALL PARTY STORY

             Nous sommes dans la préhistoire du rock’n’roll, William B Wagnon organise des concerts de country music, notamment de Bob Wills, dans la région de Sacramento. Il ne tarde pas à acquérir une salle de bal pouvant accueillir jusqu’à trois mille danseurs, in Compton proche de Los Angeles… La suite coule de source, posséder son propre orchestre capable aussi d’accompagner des chanteurs de passage, et danse la galère. Wagnon suit le modèle du Grand Ole Opry qui depuis 1925 offre une émission de radio hebdomadaire à tous  les amateurs de musique populaire… En 1951 Town Hall Party possède ainsi son émission radio. Et en 1953 son émission de télévision est diffusée par KTTV-TV sur Los Angeles. Town Hall Party à l’origine très Country et Western ne sera pas insensible au rockabilly, en 1957 elle programmera Gene Vincent, Eddie Cochran, The Collins Kids, Carl Perkins…

             La dernière session de Town Hall Party se déroula le 14 janvier 1951. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur l’histoire, notamment sur le tout début de cette aventure aux nombreuses ramifications. Pour cette fois nous nous pencherons sur les trois apparitions de : Gene Vincent.

    *

    GENE VINCENT

    TOWN HALL PARTY (1)

    25 / 10 / 1958

            Si vous ne devez regarder une seule des trois sessions c’est celle-ci qu’il faut choisir, c’est elle qui possède le meilleur son - toutefois qualifié d’improbable – c’est la plus longue et surtout pour la présence de Johnny Meeks et Grady Owens, sans oublier Cliff Simmons au piano qui participa à certaines nuitées des premiers enregistrements Capitol. Clyde Pennington est à la batterie.

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             Quelques secondes sur le public sagement assis, la surprise vient de l’exiguïté de la scène, très étroite à tel point qu’il est difficile d’avoir tout le groupe dans le cadrage de la caméra. Pour l’instant elle est encombrée des membres de l’orchestre ‘’ officiel’’ du Town Hall. Tex Ritter au micro joue le Monsieur Loyal, il chante plus qu’il ne parle, ensuite il énumère le programme de la soirée, à ses côtés on reconnaît sous son chapeau de cowboy Joe Mathis le guitariste émérite. Ces deux premières minutes qui seront très écourtées sur les deux autres vidéos offrent une valeur documentaire sociologique inoubliable. Comme cela paraît daté !

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             Gene surgit et s’empare aussitôt du micro, à sa gauche Grady Owens et Johnny Meeks entament le ballet, il semble qu’ils tiennent en même temps les rôle de Clapper boys – il est vrai qu’a l’origine Grady maintenant à la basse a été embauché pour remplacer Tony Facenda – et celui de musiciens, se démènent, un ballet réglé au millimètre, bascules, déhanchements, pliures, et redressements se succèdent, ce qui n’empêche pas Johnny de mâcher placidement son chewing gum, au milieu de ce tourbillon Gene vêtu de noir mais la chemise sombre  engoncée dans un blouson clair, les yeux levés au ciel chante Be Bop A lula avec une étonnante ferveur décontractée, sur le pont mouvementé le piano de Simmons ricane méchamment pendant que Clyde semble chasser les mouches sur un capot de voiture à coups de marteaux. Tout de suite après un morceau de choix, le piano galope comme un dératé, Penning use de ses toms, mais l’intérêt d’High Blood Pressure réside en les vocalises, belle photo de famille, Grady, Gene, Johnny, leur trois têtes autour du

     

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     micro comme trois as de pique en folie, la voix de Gene rauque et sauvage à souhait, suit un Rip It Up dévastateur, les spectateurs les plus jeunes sont debout… déboule un  Dance to The Bop débité à grande vitesse, Gene et le piano  de Simmons font la course, tandis que Meeks vous pousse un solo cavalcade avec la même facilité avec laquelle vous tournez votre purée mousseline dans sa casserole sans vous en apercevoir. Gene annonce que la tournée s’arrêtera quelques jours pour subir une opération, sans s’attarder il annonce You Win Again, l’en profite pour citer une deuxième fois Jerry Lou, vous la joue un peu à la Platters, pas besoin de creuser profond pour trouver la palpitante veine noire  du rock’n’roll. Pour terminer le bouquet final, For Your Precious Love, une interprétation magique, quel chanteur, cette bluette sentimentale, toute douce, vous percute autant que les trois rocks endiablés du début.

    TOWN HALL PARTY (2)

    25 / 07/ 1959

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             Aïe ! Aïe ! Aïe ! un son déplorable ! Bye ! Bye ! les Blue Caps, Gene se produit avec le staff de service. Ce n’est pas qu’ils jouent comme des brêles, c’est qu’ils n’ont pas le feeling rock, heureusement qu’il y a Gene parce derrière ils jouent western swing, Jimmy Pruiitt active un piano peut-être pas civilisé mais pas assez sauvage, , le violon d’Harold Hersly reste inaudible, ce n’est pas de sa faute mais c’est dommage à l’origine Rocky Road Blues fleure bon le l’herbe bleue, quant à Rose Maphis, clapper girl d’office, elle applaudit poliment sans enthousiasme,  Hersly essaie de sauver Pretty Pearly avec son sax, mais le son calamiteux ruine ses efforts. Sur Be Bop A Lula la batterie de Pee Wee Adams est trop lourde, pour la première fois l’on a tout de même droit au jeu de jambe de Genes. Deuxième set : Gene revient en boîtant, il lance un  High School Confidential, boosté par l’exemple de Jerry Lou le piano se démène fort joliment, le guitariste sur Over The Rainbow serait-il Merle Travis, encore une fois Gene termine son set sur une douce mélodie. Sans nous décevoir.

    TOWN HALL PARTY (3)

    07 / 11 / 1959

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    Gene porte un tricot semblable à celui qu’il arbore sur la pochette du 45 tours français de Baby Blue, Jerry Merritt assure la lead, parfait pour nous découper les angles purs et cassants de Roll Over Beethoven, une nouvelle version d’Over the Rainbow,  la voix de Gene bien plus pure que sur la deuxième session, mais Jimmy appruiitt vraiment trop fort sur son piano il casse les ailes des oiseaux bleus qui volent au-dessus de l’arc-en-ciel… l’on se quittera sur un She She Little Sheila frétillant tel un poisson d’argent… Gene quitte la scène en boîtant.

    Damie Chad.

    (A suivre).

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 665 : KR'TNT ! 665 : JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SILVER LINES / MYSTERY LIGHTS / CLIFF NOBLES / DREAMLONGDEAD/ HORRENDOUS / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ / JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 665

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 11 / 2024

     

     JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SIVER LINES

    MYSTERY LIGHTS /  CLIFF NOBLES

     DREAMLONGDEAD / HORRENDOUS

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ 

    JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 665

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - ExtenGion du domaine de la lutte

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             Joel Gion revient en force dans l’actu avec une grosse autobio, In The Jingle Jangle Jungle, sous-titrée Keeping Time With The Brian Jonestown Massacre. On saute dessus pour deux raisons évidentes : un, Joel Gion était devenu le chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves !), et deux, Joel Gion est sans conteste le rocker le plus drôle de l’histoire du rock, c’est en tous les cas le souvenir qu’on a tous de sa presta dans Dig!, le magic movie d’Ondi Timoner, qu’on a tous a-do-ré. 

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             Et voilà qu’arrive ce pavé de 350 pages d’une rare densité, tant par les choix typo que par la qualité du style. Joel Gion est un fantastique écrivain. Il brosse bien sûr un portrait somptueux d’Anton Newcombe, et nous narre dans le détail l’histoire du psychedelic underground de San Francisco dans les années 1990. In The Jingle Jangle Jungle a tout du passage obligé. Au prix d’un billet de trente, c’est pas cher payé pour un passage obligé, autrement dit un classique d’art rock contemporain. Alors, on va te dire une fois encore : «Ahhhh mais c’est écrit en anglais», et tu vas devoir répondre une fois de plus : «Tu passes ta vie à écouter des trucs chantés en anglais, alors où est le problème ?» Au bout de 50 ans, on finit par se fatiguer d’avoir à rétorquer la même réponse. Les Anglais ont un joli mot pour qualifier cette tare typiquement française qui consiste à écouter des chansons sans comprendre les paroles : nonsense.

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             Un seul mot pour qualifier l’humour de Joel Gion : dévastateur. Un seul mot pour qualifier son style : rock électrique (au sens où l’entend Eve Sweet Punk Adrien). Un seul mot pour qualifier ce rock book : chef-d’œuvre. Ce qui donne en résumé : un chef-d’œuvre de rock électrique dévastateur, à ranger dans l’étagère du haut à côté des deux Nick Kent, des trois Andrew Loog Oldham, des trois Sweet Punk Adrien, des Mick Farren et des quelques autres régulièrement cités.

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             L’humour ! Joel se pointe dans une gare routière pour se rendre à Portland, et arrivé à la caisse, il se dit ça : «I’d always wanted to ask in my best Edward G. Robinson voice, ‘Shaay, shee, when’s the next bus up to Portland? Shee, meah.’» Il dit aussi qu’une nuit, il était tellement défoncé qu’il s’est endormi sur les marches d’une église et qu’il a été réveillé par la foule de churchgoers qui arrivaient pour la messe : il bloquait la porte. Revolution is not supposed to be easy, rappelle-t-il en bas de page. Dans un autre passage hilarant, Joel raconte qu’Anton lui propose de goûter le DMT - I take a hit. It kinda tastes like a tire. As I exhale the smoke away from me, a computer grid-like psychedelic world is released that comes toward me and surrounds the smoke from every direction, seemingly a melding of another dimension which I am also surruounded by - Bref, ça lui monte aussitôt au cerveau, il trippe comme un malade. Il tombe sur le dos et Anton lui replie les genoux en cadence sur la poitrine, comme pour sauver un noyé, «Out with the bad... in with the good... out with the bad...» Le trip tourne au gag. Pure ExtenGion. Et quand il dit qu’il n’apprécie pas trop la coke, il explique que c’est en fait «the key factor in why my brain still functions enough to even be writing all of this today.»

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             Joel est un remarquable styliste rock. Cette langue purement rock est celle qu’on recherche chaque fois qu’on attaque une autobio. Là, crack, c’est immédiat. Ça, par exemple : «What I did not see coming was that from that night forward I’d begun the bonkers, out-of-my-head journey that would eventually lead me to the mental state where playing the tambourine as a life-identity role made perfect sense.» Oui, Anton ne lui demande qu’une seule chose sur scène : jouer du tambourin. En quatre lignes, Joel résume tout l’épisode Brian Jonestown Massacre. C’est aussi l’époque du renouveau de l’underground à San Francisco, et il a une formule magique pour exprimer ça : «The underground rave scene is one of today’s major subcultures, and tonight its San Francisco Bay Area guard are currently holding ceremony on the outer edge of America.» C’est à la fois somptueux et vrai : on eut clairement l’impression à l’époque que le Brian Jonestown Massacre réinventait le rock, comme Loose Gravel, les Charlatans et les Groovies l’avaient fait auparavant. Ils ramenaient l’élément fondamental qui est l’excitation. Et il a les mots pour décrire ce qui se passe sur scène avec le groupe, et notamment Jeff Davies, truly a guitar player’s player : «His fingers began dancing a fast motion can-can up and down the fretboard doing this rockabilly country twang thing then suddenly spun around to show bare, ferocious garage-rock fangs. A fusion of both gorgeous melody and rotten trash that traded off and combined into metamorphosed melodies fluttering all around him like vampire butterflies.» Cette langue riche et imagée, tu la bois comme tu bois l’eau au sortir du désert. Car c’est bien de cela dont il s’agit : savoir dire les choses du rock, que ce soit dans le vécu ou dans l’écoute. Joel jongle à n’en plus finir avec des trucs de son invention, du style «pilled-out whiskey speed buzz-ball», des caravanes entières de mots valises, des mots qui parlent tout seuls, et si tu es traducteur, tu sais que c’est intraduisible. Aussi intraduisible que le sont dans des styles différents, Henry Miller, Bukowski et Milton Mezz Mezzrow. Pour décrire le coup de pied dans la gueule que lui envoie Matt Hollywood, Joel tape ça sur son clavier : «Instead, what happens is whacked-out whiskey-wasted Matt goes into such a football style wind-up kick that it even includes a run-up step and he kicks me right in the face as hard as he can.» Tout ça pour dire que Matt prend son élan et frappe dans la tête de Joel comme dans un ballon de football. On le voit d’ailleurs dans le Dig! movie, ça se bagarre pas mal dans le BJM. Anton a le coup de poing facile.

             Quand il monte défoncé dans le van, Joel s’écroule sur le siège passager, la gueule contre la vitre «and not even trying to hide the fact that I am fucked.» Il a aussi cette façon de décrire les parties et les backstages qui est assez unique - Backstage at La Luna, there’s all kinds of intoxicating options and after doing some rounds of the markeplace I pass on the coke, weed, ecstasy, acid and do a take-up on my old spirit chemical, speed - Et puis ça qui en dit long sur sa désinvolture naturelle : «Not to say Beatles boots are the most comfortable shoes out there, because they aren’t. But they’re not supposed to be; neither is life.» Ces traits d’esprit le situent admirablement bien. Il conserve une distance par rapport au manège du rock, même s’il passe le plus clair de son temps à se défoncer, mais l’esprit reprend toujours le dessus. Même quand il dégueule  - It was a thin but long healthy squirt fountain of fire-engine-red Kool-Aid barf. The sight of this gets me going again and I start convulsing like a cat with a hairball -  Et pourtant le fête continue, le groupe monte sur scène - The show is going rock solid and for me this is one of those unusual moments in life where all high expectations are fulfilled - Il sait dire l’intense bonheur d’être sur scène. Comme Will Carruthers au temps des Spacemen 3 et de Playing The Bass With Three Left Hands, il sait de quoi il parle.

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             L’héros du book, c’est bien sûr Anton Newcombe. Quand Joel voit Anton sur scène pour la première fois avec le BJM, c’est en 1991, en pleine vogue shoegaze anglaise : des groupes comme Ride et Lush jouent à San Francisco. Pour Joel, le BJM sonne comme les Spacemen 3, mais il se sert de ses influences pour en faire «his own new thing». Joel est aussitôt fasciné par Anton - There is an indescribable natural aura about him, a drugless zen of the kind that is up to the observer to find, because he himself seems to be uncounciuous of it. Like a cool vibe that comes with a house; it just is - C’est finement observé. Un mal dégrossi aurait dit d’Anton qu’il est «fucking great», et Joel préfère le «drugless zen of the kind that is up to the observer to find». C’est toute la différence entre un écrivain et un mal gégrossi. Joel raconte l’enregistrement du troisième album du BJM, Take It From The Man, et comment Anton apporte les dernières touches au «Sonic Big Bang» - One hour ago it didn’t exist. Now it does - C’est la façon qu’a Joel de résumer en une formule le génie sonique d’Anton Newcombe.

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             Joel quitte parfois le groupe, mais Anton est toujours content de le revoir - Il s’était fait couper les cheveux après la débâcle du Viper Room, et là, il revenait à son look Mod, portant un simple navy-blue pullover et un Levis blanc. Il me voit à travers la pièce et me fait un grand sourire. Time to get back to work - Ce book est aussi l’histoire d’une fantastique amitié entre Joel et Anton. Un Anton qui remet souvent les choses au carré. Joel le cite : «Je veux juste qu’on soit the best band we can be.» Et plus loin, il repart de plus belle : «The Beatles, Ha! Right ... Les Beatles jouaient dix sets par jour en Allemagne et ils sont devenus the best band on the planet. Est-ce que les autres membres du groupe sont prêts à ça ? Je me pose la question. J’en ai marre de perdre mon temps avec des mecs qui se plaignent que c’est dur.» Il ne faut pas perdre de vue qu’Anton est une locomotive. Sans locomotive, les groupes ne vont nulle part. C’est pour ça qu’à un moment, les BJM ne sont plus que deux : Anton et Joel - Dean, Matt, Peter, Brad and Jeff were all gone now for their individual reasons - Anton continue d’avancer, il se maque avec un nouveau manager, Michael Dutcher - He’s a big Allen Klein type fo guy who has perhaps watched Martin Scorsese’s mafia films too many times - Mais il a, nous dit Joel, «proper industry connections». C’est là qu’Anton commence à porter une toque en fourrure, «David Crosby hat», une tunique blanche, un Levis blanc «and Easy Rider style yellow-lensed glasses» qui lui donnent «that psych-business casual look that signifies preparedness fort the next level.» Et puis ça, qui en doit long sur la nature profonde d’Anton Newcome : «Traditionally, Anton a toujours donné le meilleur de lui-même lorsqu’il était acculé dans les cordes. Je n’ai jamais vu personne réussir à évoquer the best elements of the tried and true and yet dismantle and distill them down into a sound totally anew. This is what they mean by the real deal.» C’est un hommage superbe à la modernité d’Anton Newcombe. Tous ceux qui ont écouté les albums du BJM depuis Methodrone en 1995 jusqu’à The Future Is Your Past savent de quoi Joel parle.

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    ( Jerome Green aux maracas)

             On a bien sûr dans le book tout le détail des aventures du BJM. Joel est engagé comme joueur de tambourin. Il faut juste qu’il trouve «the key to timing», pas facile lorsqu’on boit du rhum et qu’on monte sur scène avec des lunettes noires. Il doit se caler sur les instruments et jouer «from the inside» - The goal was to learn to feel the inside, not to play it - Il s’amuse bien avec cette notion d’inside. Il se voit comme Gene Clark, a tambourine-player frontman. Il cite d’autres cracks du tambourin : Nico, Mark Volman, Davy Jones des Monkees, et bien sûr «the original ‘maraca man’ in rock», Jerome Green, qui accompagnait Bo Diddley. Bring it to Jerome !

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             À l’époque, Joel découvre les Mary Chain sur scène au Fillmore - Their album Stoned & Dethroned provided many of my summer anthems - Il trouve que les frères Reid «looked like tousled versions of a ‘66 dandified Dylan who’d joined The Velvet Underground.» Et il rend hommage à l’un des hits les plus ultraïques de l’histoire du rock : «William Reid’s very impressive all-in-one beer chug during the noise solo section in the yet-to-be released ‘I Hate Rock’n’Roll’.» Il rend aussi un hommage bizarre aux Dandy Warhols : «They were playing the best music I’d seen from people my own age since I first saw The Brian Jonestown Massacre at the Peacock Lounge four years ago.» Eh oui, le «four years ago» ne fait pas de cadeaux. Le BJM était et reste toujours en avance sur son temps. C’est exactement ce qu’on voit dans Dig!. Le Dig! movie ne parle que de ça.

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             Joel évoque aussi Oasis. Il aime bien le son d’Oasis, pas Anton qui trouve que ça sonne trop Tom Petty. Mais Joel en pince véritablement pour «Columbia». Joel tente de faire copain-copain avec Noel Gallag en lui proposant «the most righteous speed you are ever gonna do», mais Noel Gallag lui dit «No thanks. We only do coke» et lui referme la porte du tour bus au nez, le laissant comme deux ronds de flan. L’autre grand cake qu’on croise dans ce book, c’est bien sûr Greg Shaw, qui vient de sortir Thank God For Mental Illness avec Joel sur la pochette, «doing my best Christopher Lee as Dracula.» - Greg was hyper-intelligent, an absolute sage of the cool side of guitar-based music - Joel avoue aussi une petite obsession pour Easy Rider. Il croise parfois Peter Fonda, mais ça ne se passe pas très bien. Joel assiste à une projection de The Hired Hand et à la fin, il y a un débat avec Peter Fonda. Alors Joel lève le doigt et demande : «I was wondering if you could explain what you meant when you said ‘We blew it’ toward the end of Easy Rider.» Fonda ne répond pas et indique à la salle qu’il est venu pour parler de The Hired Hand. Ce qui est humiliant pour le fan Joel. Il y revient à la dernière page de l’autobio, quand Anton lui raconte qu’il s’est retrouvé dans la queue du Sunset Ralph Supermarket et que Fonda a levé le pouce en signe d’admiration pour la façon dont Anton et sa poule Tara étaient habillés, «he was just all smiling and nodding at us like ‘Yeahhhh’h, then put his thumb up because he knew we knew and he was totally diggin’ it, ya know?» Évidemment pour Joel, c’est un choc, mais il répond : «That’s soo cool!» Because that’s exactly what it was.

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             Sur scène, à côté d’Anton en Levis blanc et en pull bleu marine, il y a Dean Taylor, good-looking sur sa gratte. Sur scène, Joel est systématiquement out of his mind - The amount of valium pills I’d taken along with whiskey and beer plus the fresh-from-the-garage-lab snorts added up to an equation that now has me slightly hovering above the stage floor during our entire set - Et bien sûr, il n’est pas le seul a être complètement défoncé. Joel disparaît de la circulation pendant l’enregistrement de Their Satanic Majesties Second Request, le quatrième album du BJM. Il dit que l’album sonne comme «a modern experimental version of classic experimental sounds; It didn’t sound like any other band from back in the day and especially not now.» Et il ajoute, émerveillé : «I was listening to one of my favourite albums I’d never heard, encoding itself into me in real time.»

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             Trois albums coups sur coup, Their Satanic Majesties Second Request, Thank God et avec Mental Illness qui vient de sortir : il est temps de partir en tournée - It’s time to roll hard with it, and yet somehow because of the drugs I still find myself currently go-go dancing the line between realist of the for-realest and complete fuck-up - Joel va nous décrire ça dans le détail. Les tournées sont un désastre complet : pannes de van, salles vides, bagarres, pas de blé, désertions. Joel avoue avoir oublié des épisodes entiers - Because from here, I have a drunken memory blackout - Il évoque le show catastrophique du Viper Room, où Anton vire tous les musiciens et leur pète la gueule. Ça bascule dans le chaos «with the rest of the band crawling on the stage floor in dazed confusion before being physically thrown out the stage door by club security.» C’est du sabotage. T’as les gens d’Elektra dans la salle. Anton détruit tout. On voit la scène dans le Dig! movie.

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             Chaque fois qu’on revisionne le Dig! movie, il paraît toujours plus sombre, plus violent, un peu comme Performance. Ça démarre pourtant sur un flash de modernité avec le BJM sur scène en 1995, c’est très anglais, avec Joel/bug eyes/maracas/Jack Flash/Brian Jones. Pour un groupe américain, c’est fabuleux d’anglophilie. Les commentaires vont bon train : le BJM interprète the past et se projette into the future, c’est exactement ça. Mais c’est le groupe d’Anton. Pas de place pour les compos de Matt Hollywood qu’on voit chanter «Give It Back». Le chaos est omniprésent. Joel dit qu’il a déjà 21 départs officiels du groupe à son actif. Ondi filme aussi the Larga house. Pas de meubles. Tout par terre. Puis t’as la première tournée américaine, avec des salles vides (Cleveland), et à New York, Anton vire Dave, le manager. Il récupère un peu de blé et achète un van pour aller tourner dans le Sud. Ondi filme le contrôle de police à Homer, Georgia. Le film est affaibli par tous les plans des Dandy Warhols qui eux deviennent des stars en Europe, avec de moins bonnes chansons. On retrouve Anton à New York en Crosby hat et patins à roulettes, il se casse la gueule. Not If You Were The Last Dandy On Earth ! Ce film est décidément violent, peut-être trop cru. Pas de tout repos.

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             Qu’on se rassure, Anton et Joel vont se réconcilier. Mais Anton remplace Joel sur scène par Sophie, sa poule française. Joel sait qu’il est plus proche d’Anton qu’elle ne l’est, parce qu’il a appris à cultiver avec lui «a power of unspoken understanding, a state of not needing  to verbalize every angle of our points.» Joel se retrouve à Portland avec le couple. Ils partagent un matelas tous les trois dans un studio. Joel n’est pas très bien - I was broke, dirty and my feet permanently hurt, but I loved it - C’est sa façon de dire l’abnégation. Il a tout quitté pour le groupe, un groupe qui est à la ramasse financièrement. Il ne possède de rien, il n’a même pas les bonnes pompes, mais il fait partie du BJM, et c’est ça le plus important. En 1997, Anton, Sophie, Matt, Brad, Dave et Joel redescendent en Californie pour un nouveau départ. Greg Shaw leur a loué une baraque au 3261 Larga, en échange de leur prochain album. Il y a en plus Peter Hayes, futur Black Rebel Motorcycle Club. Ils se répartissent les chambres - Joel et Matt dans le salon, Brad dans une chambre, en face, Peter, Jeff est dans un placard, Anton et Sophie ont une chambre avec une salle de bain. Dave a pris la petite pièce attachée au garage. Pas de meubles, bien entendu. Alors Brad ramène une télé et Anton soupire : «Great, now all we need is a cement truck.» Le concept de la Larga house est le même que celui de la Woodland Hills house, sur Ensenada Drive, où Captain Beefheart a séquestré son Magic Band pendant 6 mois, pour enregistrer Trout Mask Replica.

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             Puis il y a ce drug bust sur la route, tel qu’on le voit dans le film. Dean et Brad quittent le groupe. Ondi a une place dans son SUV pour rentrer en Californie, alors Joel ne peut pas résister, il en marre des errances et des pannes du BJM, et il décide de rentrer au bercail. Ne restent plus que trois survivants : «Anton, Matt et Peter would soldier on like The Kingston Trio or something.» Mais au moment de faire les adieux, on lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir son permis de conduire, alors il est baisé - Fuuuck... Just like in The Godfather III, man. ‘Just when I thought I was out, they pull me back in!’ - Ils repartent et le van tombe en rade - the engine throws a rod - Ils se garent derrière les poubelles d’une station-service pour éviter d’attirer l’attention - For the next three days, we are a bunch of Californian hippie rock weirdos hiding in a van behind a garbage dumpster at a gas station in Butts County, Georgia - Toutes les situations que décrit Joel ressemblent à des gags : toujours cette distance et cette fabuleuse auto-dérision. Avant de devenir les superstars que l’on sait, le BJM est un gang de losers - After the New York disaster, the North Carolina disaster, and both Georgia disasters, we are all commited now to the grand delusions of surviving this whole thing - Ils collectionnent les disasters. Peter Hayes quitte le groupe pour aller monter The Black Rebel Motorcycle Club. Puis les derniers survivants abandonnent Anton qu’ils surnomment the mustache en pleine nuit, prenant garde de ne pas le réveiller - Puis on s’éloigne dans la nuit. Anton se réveillera demain matin pour voir qu’il est tout seul pour finir les deux dernières semaines de la tournée. Je me dis que j’ai quitté le groupe pour de bon, I’m gone for good - L’histoire du BJM n’est que ça, une succession d’incidents, un chaos constant. Anton va d’ailleurs finir la tournée tout seul. Pas de problème.

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             Il va bien sûr récupérer Joel. Puis c’est l’album du succès, Strung Out In Heaven.  Joel est fasciné de voir Anton en studio - How did he come up with those lyrics so off the cuff? Ce n’était certainement pas la première fois que je le voyais agir ainsi, et je ne l’ai jamais vu avec un carnet de notes en séance d’enregistrement. That guitar solo really is a barn burner thought - Joel veut dire qu’Anton a tout en tête. Il a reconstitué tout le BJM avec Charles (bass), Billy (beurre) et Adam (guitar).

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             Après avoir quitté le BJM, Joel entame une carrière solo. Pas de doute, son Apple Bonkers est un coup de maître. Dès «Smile», t’es face à un gros déplacement d’accords Jonestowniens. C’est dynamique et bardé de bada californien, le meilleur, celui de San Francisco. Et t’as un certain Robert Campanella on fuzz lead ! Deux cuts te renvoient directement au Brian Jonestown Massacre : «Mirage» et «Don’t Let The Fuckers Bring You Down». Heavy riffs de base, pur barrage d’accords crépusculaires. Joel ne sait faire que ça : du groove jonestownien. Ce mec Gion est une bénédiction, il perpétue bien le spirit d’Anton Newcombe. Classe inébranlable ! Quant au «Sail On», c’est une pure marychiennerie, avec le chant descendant les marches de l’escalier. Somptueux ! Joel a le grain de voix de Jim Reid. Il déclenche encore l’enfer sur la terre avec «Radio Silence». Il a ça dans la peau. Il peut même virer glammy dans les couplets de «Two Daisies». On sent bien le mec libre.

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             Son deuxième album sans titre date de 2017. Il vaut le détour pour deux raisons principales : la Beautiful Song «Come To Light» et le coup de génie «Conjecture». La flûte, c’est son truc à Joel : ça groove sur un bassmatic allègre dans «Come To Light». Il vise une sorte de félicité. S’ensuit l’excellent «Conjecture». Sa pop psyché est une aubaine pour l’humanité, une bénédiction tombée du ciel. Il flûte encore sa pop dans «Partner», et il y va au «Someday I’m gonna die/ I’m alive.» Il crée bien son monde. En B, il chante son «December» dans l’écho de la proximité. Il sonne très Peter Perrett sur «Gone» et vire psyché sur «Mercury In Retrograde». Grosse machine, bien graissée au gras double. Il cultive son côté Peter Perrett.

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             Back to the magic carpet book. Joel rend un hommage fulgurant à Brian Jones : «Brian is clearly the master of ceremonies, having just personally elevated them from a blues cover band with a psychedelicized makeover introducing sitars, marimbas, flutes, harpsichords, Eastern bells, maracas, piano, and for this time, ‘Lady Jane’, the dulcimer. Brian’s hand is bandaged and broken, which adds to the rebel menace as he plays it with aggression despite the injury.»

    Signé : Cazengler, Joel Fion

    Joel Gion. Apple Bonkers. The Reverberation Appreciation Society 2014

    Joel Gion. Joel Gion. Beyond Beyond Is Beyond Records 2017

    Joel Gion. In The Jingle Jangle Jungle. White Rabbit 2024

    Ondi Timoner. Dig!. DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

     - Empty Full Space ritual

             Boule et Bill viennent d’entrer dans le bar. L’avenir du rock sent venir l’embrouille. Il sait que les deux compères vont l’entreprendre pour essayer de l’asticoter. Boule attaque :

             — Alors ça va bien, avenir du rock ? Toujours avec un verre à moitié plein ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton philosophique :

             — Ou à moitié vide...

             Ils savent très bien que l’avenir du rock déteste ce genre de conversation. 

             — C’est comme dans la vie, avenir du troc, tu vois plutôt le bon côté des choses ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton énigmatique :

             — Ou le mauvais côté des choses ?

             Comme l’avenir du rock ne réagit pas, Boule met la pression :

             — Avec la gueule que t’as, on ne sait jamais si t’es bien luné !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton méphistophélique :

             — Ou mal luné...

             — Si t’es à voile ou à vapeur !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton épistémologique :

             — Si t’es du lard ou du cochon...

             — Si t’es de gauche ou d’extrême-droite !

             — Si t’es con ou si t’es pas con...

             — Si tu préfères Dieu ou bien le diable !

             — Si t’es rond ou si t’es carré...

             L’avenir du rock attend qu’ils se fatiguent et qu’ils tombent en panne d’argumentation pour vider tranquillement son verre, le poser, payer et leur dire, d’un ton bien clair, pour qu’ils mémorisent correctement :

             — Empty Full, Boule... Pour répondre à ta première question...

             — Quoi ?

             — Emp-ty Full. Tu veux pas en plus que je te l’écrive ?

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr d’Empty Full Space, un quintet psyché parisien qui comme Slift, a décidé unilatéralement de rafler la mise. Toute la mise.

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             Soirée psyché dans la cave. Trois groupes. Tu pourrais flasher sur les trois, mais tu vas te contenter de bien flasher sur le deuxième, les Parisiens d’Empty Full Space. Sont pas psyché au sens où on l’entend généralement, avec des grandes tignasses et des habits colorés. Sont pas concernés par les lois du look. Vraiment rien à cirer. Mais sont concernés par les lois de l’excellence, et là amigo, ils battent pas mal de monde à la course. Ce sont les rois du far-out so far out, les cracks du freakout psycho-psyché à l’anglaise, t’entends même les spoutnicks d’Hawkwind, ils développent des courants qui te parcourent de la tête aux pieds, qui t’éclatent ton Sénégal et ta copine de cheval, qui te lèvent des tempêtes épidermiques, ils savent déclencher l’immarcescibilité des choses, leur viande grouille de molécules multicolores, te voilà une fois encore confronté à la réalité d’un vrai son et, comme chaque fois que ça se produit, tu espères secrètement que ce concert va durer pour l’éternité. Les cinq Empty Full Space sont absolument brillants, les deux guitaristes savent mêler les poux qu’ils grattent pour lever la pâte, et t’as ce petit mec sur sa Jag bleue qui s’arc-boute de tout son corps sur son manche pour tailler un costard à la mad psychedelia, avec un punch et une audace incroyables.

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    Les deux guitaristes se répartissent bien les interventions, mais c’est le petit mec sur la Jag bleue qui vitupère le plus et qui remplit son cosmos d’urgences et de stridences. Il savent créer un climat et faire sauter la Sainte-Barbe, ils connaissent toutes les ficelles du genre et ne semblent jouer que pour le plaisir des amateurs. Comme tu ne connais pas les cuts, tu te laisses porter. Et ce son te parle, ils sont d’une crédibilité absolue, tout est bien : le Dikmik indien là-bas au fond, le blond au beurre qui bat tout ce qu’il peut avec brio, et puis t’as ce bassman dans son coin d’ombre qui joue ces grandes échappées dont Lemmy s’était fait une spécialité au temps d’Hawkwind.

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    Tu retrouves dans leur son tout ce qui fait la grandeur des Heads, des Wooden Shjips, de Loop, des Telecopes et du Brian Jonestown Massacre, tu retrouves les énergies de Bevis Frond et de Bardo Pond. Et bien sûr tout le fabuleux ramdam d’Hawkwind. C’est inespéré de voir des inconnus au bataillon aussi brillants.  

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             Leur album s’appelle From The Limbo et sort sur un label espagnol, Spinda Records, qui est aussi le label de Maragda, le trio barcelonais qui va jouer après eux. C’est un bel album de Mad Psychedelia, tu y plonges aussitôt, dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est le space rock du meilleur acabit d’Akaba. Quelle respiration ! Ils jouent leur son comme s’ils s’ébrouaient dans une fontaine de jouvence. C’est même criant de justesse, avec un bassmatic voyageur. Leur «Morphogene» est plus tendu, comme cavalé à travers la plaine, une vraie farandole extra-terrestre, très Barrett, ça se déroule merveilleusement, ils dépotent le nec plus ultra tout en cultivant la dimension du voyage. Et avec «The Wheel», on assiste à des plongées somptueuses qui rappellent les grandes heures du duc de Bury. Les zones s’alternent brillamment, ah comme ils adorent plonger dans leur jouvence ! Ils te font le coup du tir de barrage d’accords magiques. En B, ils tapent «Amnesia» à la grosse attaque psychédélique. Ça coule comme de l’eau de roche, intense et colorée de wah. On a aussi des jolis vents mauvais et un riff bien heavy, bien écrasé sous le talon. Le bassman est un voyageur impénitent, un cadreur qui sait se décadrer à bon escient, avec un son bien rond. Son bassmatic a bon dos. Et ce bel album se dirige vers la sortie avec «2C». C’est le riff de basse qui tire le cut vers le haut, c’est bien hypno, ça file droit dans l’œil du cyclope. Les grattes rentrent violemment dans la danse, alors ça explose. T’as le power et l’argent du power, c’est-à-dire le power d’Hawkwind. Les petits Full Space s’exportent dans le cosmos.

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             Les trois Maragda n’auraient peut-être pas dû jouer après un groupe aussi brillant qu’Empty Full Space. On passe d’un son plein à deux guitares à un son moins plein. Les Barcelonais ne sont que trois, et même s’ils jouent comme des beaux diables, on sent comme un déficit. Le bassman de Maragda multiplie les prouesses techniques et le guitariste gratte sa Tele avec insistance, mais c’est un peu comme s’il leur manquait une guitare pour remplir le son. Ça tient la route, forcément, mais ils virent plus prog que psyché, les structures sont plus alambiquées, le bassman développe une énergie considérable, mais il leur manque l’étincelle de la Saint-Barbe.

             Par contre, ils ont deux albums au merch. Ton petit doigt te dit que c’est meilleur sur disk que sur scène. Alors zyva.

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             Leur premier album sans titre date de 2021. Il s’y niche une belle énormité : «The Calling». Pas de psyshé là-dedans, mais les clameurs sont volontaires, on sent les Barcelonais propulsés vers l’avenir et le sommet en même temps. Leur Calling sonne comme un hymne, avec son bassmatic élastique, ses reprises explosives, son slinging protubérant, là oui, t’as tout l’écho du monde et le barbu devient fou avec son bassmatic tonitruant. Sinon, ils restent assez prog, avec une quête permanente d’ampleur. Même si patacam/patacam, t’es impressionné et en même temps, c’est n’importe quoi. On les sent déterminés à vaincre. Les Barcelonais ne rigolent pas. Pluie d’acier sur la Catalogne ! En studio, ils sonnent mille fois mieux que dans la cave. La Tele prend de l’ampleur. Leur «Beyond The Ruins» est assez dévastateur. Ils lèvent tous les trois une véritable tempête sonique. C’est assez inattendu de la part des Barcelonais. Ils privilégient les belles dynamiques. C’est sûr, ils n’ont aucun problème ni de vélocité ni de motivation.

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             Tyrants enfonce bien le clou de la différence entre le studio et la cave. Et en écoutant le disque, t’as pas l’inconvénient des épaves qui dansent devant toi avec des verres de bière à la main. L’album est résolument prog, avec des spoutnicks par-dessus le marché. Les Barcelonais adorent la cavalcade, rien ne saurait les arrêter dans leur élan. Tu tombes rapidement sur une pièce montée nommée «Endless». Ça pulse à la vie à la mort. Ils ramonent bien la cheminée, avec un son plein comme un œuf, c’est vraiment bien remonté des bretelles, il s’agit même d’un hit, les canards boiteux ont intérêt à se tirer vite fait. Ils savent aussi lancer un assaut, comme le montre «My Only Link». Et puis on se régale de «Sunset Room», un cut extrêmement bien articulé. Le beurre, l’argent du beurre et le barbu sont des orfèvres en la matière, ils savent tramer un son et la Tele n’a plus qu’à s’y prélasser. Ils travaillent essentiellement sur l’extension du domaine de la lutte. Ils font chanter la montagne dans «The Singing Mountain» et partent en voyage avec «Godspeed». Le barbu fait le show avec un bassmatic entreprenant, et ça se termine en mode gros prog barcelonais avec «Loose». C’est un groove ensorcelé et le guitariste gratte des solaces extraordinaires qui rayonnent sur toute la Méditerranée. 

    Signé : Cazengler, Empty tout court

    Empty Full Space. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Maragda. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Empty Full Space. From The Limbo. Spinda Records 2024

    Maragda. Maragda. Spinda Records 2021

    Maragda. Tyrants. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - The Silver machine

             — Hey, avenir du rock, si on te dit Silver, tu réponds quoi ?

             — Bon alors Boule, tu commences à me courir sur l’haricot avec tes petits questionnaires rock à la mormoille.

             — T’es vraiment un gros con, avenir du rock, tu connais même pas «Silver Machine» !

             — Mon pauvre ami, tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Tu sais ce que c’est la Silver Machine ?

             — Ben oui, l’emblème du space rock, la fusée argentée, aille tooke a raïde in the silvère machine !

             — T’es encore plus con que je ne pensais ! Ça n’a jamais été une fusée !

             — C’est quand même pas une merguez ?

             — Et pourquoi ne serait-ce pas une merguez ? Tu ne savais pas que les merguez volaient ? Comme les cons ? Demande à Michel Audiard.

             — T’as raison, avenir du rock, j’en ai vu une qui volait l’autre jour ! Zzzzzzzzzzz ! Elle fumait un peu et lâchait derrière elle des gouttes d’huile parfumée, c’était beau ! Zzzzzzzzzzz ! Incroyablement beau ! C’est parce que tu m’en parles que je t’en parle, avenir du rock. Sinon j’aurais jamais osé.

             — Quand l’as-tu vue ?

             — Bah, vendredi tu sais, le jour des élections-piège-à-cons ! Elle traversait la Seine, du côté du Pont Mirabeau...

             — Alors on a vu la même ! J’y étais aussi, je sortais du métro à Javel. C’était une merguez bien dorée ! Pas trop brûlée ? Dans l’esprit d’une toile de Magritte ?

             — Oui, même que ça m’a donné faim !

             — Incroyable ! Viens là mon p’tit Boule que je t’embrasse !

             Bon laissons-les s’embrasser. L’avenir du rock aurait très bien pu dire à Boule que la Silver Machine était en réalité la mobylette que conduisait Robert Calvert, au temps où comme Nik Turner, il vivait encore à Margate. Il aurait pu aussi évoquer d’autres Silver de choc, comme les Silver Apples, les Silver Jews, mais surtout les Silver Lines.

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             Viennent d’où ? Sais pas. Parlent des bouts de français. Bonnejoue, new som’ lé lin’ argentte. Doivent être mexicains. Comme ça au pif. Sont jeunes. Joli nom de groupe : The Silver Lines. Zéro frime. Doivent être pauvres. Au fond, t’as un gros au bassmatic, et derrière, un tatoué au beurre. Et devant deux kids, rois de la zéro-frime, petits cheveux bouclés, T-shirt blanc pour le chanteur, et petit pull blanc & Tele blanche pour le guitariste. La ramènent pas. Mais ça joue tout de suite.

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    Et là tu fais wham bam ! Premier cut, c’est dans la poche. Gros son. Le kid au chant fait son Johansen. Oui t’as bien lu, les mains sur les hanches et du pur Johansen, sans les escarpins et sans Johnny T, ils font ça à l’anglaise, il a toutes les mimiques, t’es tout de suite dans le haut niveau, mais avec des kids à peine sortis de l’adolescence, ils ont le power et là t’es pas près d’en revenir, car ils te rockent le boat à l’ancienne, le kid Johansen charge la barque et il est fantastiquement bien soutenu car le tatoué bat le beurre du diable, mais à l’anglaise, et le gros au bassmatic tient bon la rampe en grattant des figures sophistiquées d’une effarante efficacité. Ils ont tout bon, tout bien pigé, ils s’ancrent dans la Stonesy, les Dolls, les Only Ones et les Saints, et franchement, dans le genre, on n’avait pas entendu un groupe aussi bon depuis des lustres. Pureté d’intention extrême. Leur set est criant de véracité, tout repose sur la qualité des compos et la voix du kid Johansen. On est toujours surpris de voir surgir de nulle part un groupe aussi bien éduqué. Mais soudain, le kid craque et sort de scène. Le gros vient eu micro et parle d’hiccups, c’est-à-dire de hoquet. En fait, c’est une crise d’angoisse. Il va revenir une demi-heure plus tard et fracasser la boutica, sous un tonnerre d’applaudissements.

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             Personne au merch. Et à la fin de la deuxième partie du concert (Man Man), les Silver Lines ont disparu avec leur maigre merch de deux singles. Le mec du merch d’à côté nous dit qu’ils ont plié bagage car ils avaient trop honte. Incroyable ! Fuck it ! L’un des meilleurs groupes anglais actuels ! Tout part en fumée, les singles et l’occasion de papoter. Reste plus que le Bandcamp.

             Tu y retrouves leur dernier EP, And The Lord Don’t Think I Can Handle It, et tout leur côté flamboyant te saute à la gueule, dès «Roaches», pur jus de garage-punk d’attaque en règle avec du wanna change my sex, et de la bravado à gogo. T’as tout là-dedans, les riffs séculaires, t’es pas venu pour rien, c’mon now, il a la voix de rêve, tout le power du because it’s you, cette façon de poser le chant sur un back-up explosif et bien sûr t’as les incursions thunderiennes dans le flot du flux. Avec «Cocaine», ils déclenchent un petit enfer sur la terre, bien sous-tendu par une horrifique cocote riffique, ça vole vite en éclats. Alors tu vas à la pêche aux infos, et tu découvres que les Silver Lines sont de Birmingham et que les deux kids en blanc sont deux frères, Dan Ravenscroft au chant, et Joe aux poux. Bon maintenant, il faut attendre la suite. Ne cachons pas notre impatience.

    Signé : Cazengler, Silver Lie

    Silver Lines. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Silver Lines. And The Lord Don’t Think I Can Handle It. Not On Label 2024

     

     

    Magical Mystery Lights Tour

    - Part Two

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             Ça doit bien faire la troisième fois que les Mystery Lights ramènent leurs fraises en Normandie. Mike Brandon est toujours aussi charismatique, mais il semble avoir pris un petit coup de vieux. Avec sa 335, il avait des airs d’Alvin Lee. Maintenant, il tire plus sur le Jorma Kaukonen tardif. Mais sur scène, il reste fidèle à sa légende de marsupilami : il saute partout. Boinggg ! Boinggg ! Il incarne bien la fameuse insoutenable légèreté de l’être dont Kundera fit jadis ses choux gras. S’il existait une épreuve olympique du marsupilamisme, il n’est pas certain que Keith Streng arrive en tête. Brandon accompagne toutes ses montées de fièvre de bonds cathartiques, il sait aussi sauter en extension et faire des ciseaux dédoublés en saut croisé. Le jeté d’épaule aérien n’a aucun secret pour lui. Force est d’admettre qu’il est plus athlète que garagiste. Il fait partie de ceux que les Anglais qualifient de performers. Il est tellement intense qu’il en devient intègre.

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    Mike Brandon est à la fois un rude coco et un fier rocker. On lui donnerait le bon dieu sans confession, et ce, dès le «Mighty Fine And All Mine» d’ouverture de set qui fait aussi l’ouverture de balda de Purgatory, leur cinquième album. Le set s’intitule d’ailleurs le ‘TV Eye Record Release Show’. Ils tapent un gaga californien très psyché, à la fois classique et offensif. Luis Alfonso Solano gratte des poux bien gras sur sa SG, il sort un son incroyablement agressif de bronco apache sur le sentier de la guerre, il doit confondre la fougue et la foudre. On voit bien que ces mecs sont tombés dans la marmite Nuggets quand ils étaient petits, ils sont tellement brillants qu’ils revitalisent cette très ancienne tradition, et du coup, ce vieux gaga parcheminé reprend des couleurs, et même une sacrée allure. Alors on s’est demandé en conseil restreint s’il fallait amener les Mystery Lights dans la cour des grands, soit en leur confiant les clés de l’avenir du rock, soit en les bombardant directement Wizards & True Stars, et puis finalement, le comité a décidé de les laisser tranquilles, de ne pas les accabler d’honneurs, de leur épargner le miroir aux alouettes, le mieux est qu’ils poursuivent leur petit bonhomme de chemin, qu’ils régalent les citadins avec des bons concerts bien survoltés et des albums bayardiens, c’est-à-dire sans peur et sans reproche. Ah on peut dire que les Normands adorent le gaga sans peur et sans reproche, comme si ce gentil Bayard californien qu’est Mike Brandon trouvait un écho dans cette ville saturée de moyen-âge qui pue la pucelle cramée.

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             Comme ses prédécesseurs, Purgatory sort sur Wick Records qui est en fait un subsidiary de Daptone. Comme Colemine, Daptone prospère sur la Soul, mais ne ferme pas la porte au rock quand il est bon. Alors si Colemine crée Karma Chief pour accueillir GA-20, Say She She et les Gabbard Brothers, Daptone crée Wick pour accueillir les mighty Mystery Lights.
        Purgatory est un album de Californiens très à l’aise, qui savent lancer une attaque de clairette au débotté de sept lieues. Ils sonnent très sixties, très Nuggets, c’est même pas loin des Remains et de tous ces machins-là. Ce sont des accros. Les tricotages de grattes sont superbes sur «Sorry I Forgot Your Name». Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais il y a de beaux éclats. On sent l’élan pathétique de l’early Airplane dans «Can’t Sleep Throught The Silence» et «Cerebral» sonne un peu comme «The Trip» de Kim Fowley. T’as vraiment l’impression d’entendre un vieil album sixties aventureux. «Automatic Response» sonne comme un bijou rare, on croit entendre Television, ils sont en plein Marquee Moon

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             Television ? Justement ! Tu retrouves «Little Johnny Jewel Parts 1 & 2» dans cette double page de Shindig! où Mike Brandon salue les «10 cuts that inform new album Purgatory». Et il n’y vas pas avec le dos de la cuillère : «Smart, playful, jazzy, forward-thinking punk.» Il dit aussi que ce single sorti sur Ork en 1976 - et qu’on pouvait acheter chez Givaudan sur le Boulevard Saint-Germain - était «mind-blowing» «to us as teenagers.» Il cite aussi les Thrills de 1967, quatuor de blackettes qu’il ne faut pas confondre avec les Thrills irlandais. Brandon flashe sur «Underneath My Makeup», b-side d’un single Capitol qui vaut bien sûr la peau des fesses. Brandon parle de «mesmering back-up vocals» et salue «l’incredible vocal delivery» de Donna Lynton. Il rend aussi hommage au Fred Cole de Dead Moon via l’un de ses side-projects The Western Front : il tire «Looking Back At Me» d’un EP. Parmi les inconnus au bataillon qu’il cite, t’as Gandalf et Paul Martin. Retour aux superstars avec les Rationals et «Sunset» - This song screams «Detroit»! - Il vante encore les mérite du «vocal delivery» de Scott Morgan, puis il passe directement à Soft Machine et «Save Yourself» - British jazz-infused psych rock from Canterbury - Et il ajoute ça qui sonne comme une parole d’évangile selon Saint-Rock : «Soft Machine has the same psychotic pop feel that we love so much about Syd Barrett.» Brandon a tout compris. On lui serre la pince. Et puis les Monks, avec «I Hate You», qu’il reprend d’alleurs sur scène - Everything about this song is perfect - et il revante les mérites de l’«animated vocal delivery» de Gary Burger. Voilà pourquoi les Mystery Lights sont un groupe passionnant. Ils illustrent fort bien le vieil adage : qui écoute bien châtie bien.

    Signé : Cazengler, Mystery Larve

    Mystery Lights. Le 106. Rouen (76). 8 octobre 2024

    Mystery Lights. Purgatory. Wick Records 2024

    Hearts of darkness. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La noblesse de Nobles

             Harry Normal portait bien son nom. Rien ne dépassait. Brun, cheveu tallé court, lunetté de frais, physique passe-partout mais pas désagréable, Normal, tout était Normal en lui, son expression, son discours, sa taille, son odeur, sa carrière, sa camaraderie, et même sa simili-bienveillance paraissait Normale. En réunion, il ouvrait un eMac Normal et chacune de ses interventions qu’on aurait qualifiée ailleurs de pertinente nous paraissait Normale. Sa Normalité nous rassurait. Elle constituait même l’un des atouts majeurs de notre petit conglomérat. Ce n’est pas facile d’être Normal, Harry Normal en sait quelque chose, on le devine en l’observant. On se pose même la question : aimerait-on être Normal, aussi Normal que lui, probablement pas, mais c’est certainement plus reposant que d’être anormal, c’est-à-dire anticonformiste. L’anticonformisme, c’est comme une chaudière, il faut l’alimenter, avec des excès en tous genres, des incidents et des accidents, des déviances et des défiances, des maux et des mots, c’est un chantier quotidien et harassant, alors que la vie d’Harry Normal doit être de tout repos, alors forcément ça donne à réfléchir. Mais la vraie question qu’il faut se poser est la suivante : peut-on apprendre à devenir Normal ? Comment se conformer à la Normalité ? Faire l’Harry Normal n’est pas un jeu, plus on y réfléchit et plus on comprend qu’il faut produire des efforts surhumains, comme par exemple tuer le désir, tuer l’envie, tuer la fantaisie, mettre sa libido en laisse et lui interdire d’aboyer, faire une croix sur les paradis artificiels, et sans doute le pire, entrer dans l’univers médiatique de la Normalité, avec une vraie sincérité, trouver Normal ce qu’Harry Normal trouve Normal, les nouvelles du monde, la vie économique et la vie sociale, oh et la vie politique, humer avec force l’inconscient collectif pour vibrer à l’unisson, non pas du saucisson, mais de la Normalité, et le reste devrait suivre, le choix des vêtements, le lunettage, la coupe de cheveux, le rasage quotidien, le professionnalisme de la Normalité, et petite cerise sur le gâtö, l’insoutenable légèreté du non-être, épitome de la délivrance.

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             Aucune noblesse chez Normal, mais on en trouve à la pelle chez Nobles. La noblesse, c’est la Soul. Zéro Soul chez Normal, mais de la Soul à gogo chez Nobles. L’un éclaire l’autre. Le jour et la nuit. Normal et ses ténèbres, Nobles et sa lumière. 

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             Cliff Nobles est lui aussi une star de la Northern Soul. C’est d’ailleurs dans ces compiles infernales qu’on croise sa piste. Pour creuser un peu, il existe une excellente compile, The Phil-LA Singles Collection 1968-1972, parue en 2008. Le noble Cliff prend sa Soul à la petite arrache de glotte obstinée et revancharde. «The More I Do For You Baby» ? Alors là oui. Cliff est un Soul Brother en mocassins blancs. Ça bascule très vite dans le génie avec «This Love Will Last», c’est amené avec allure sous un certain boisseau. Tu te retrouves soudainement en compagnie de l’un des rois de l’underground de la Northern Soul, ah il faut le voir revenir à la charge ! Il y va au oh-oh-oh. Même topo avec «Love Is All Right», véritable percée dans la nuit de Philadelphie. Aw comme Cliff est bon ! Il coule son groove dans le moule du r’n’b, et c’est arrosé de cuivres. Pression rythmique énorme ! Il faut le voir épouser ses nappes de cuivres. Peu de gens atteignent ce niveau de pétulance. Il tape ensuite «Judge Baby I’m Back» au scorch to the raw, il tape vraiment dans le dur du scorch, au sock it to me baby ! Plus loin, tu vas tomber sur l’instro du siècle : «The Horse». Échappée par le haut, wild heartbeat, c’est pulsé par les cuivres et la rythmique bass/drums est demented, l’une des plus demented dans le genre. Selon les liners non signés, «The Horse» fut un hit énorme à l’époque où les instros paradaient en tête des charts. Ce sont les Anglais qui ont écouté «Love Is All Right», qui se trouvait de l’autre côté du single. Et pouf, en 1968, c’est devenu un hit de Northern Soul. Mais le pauvre Cliff doit sa légende à un instro sur lequel il ne chante pas - A legendary accident in rock’n’roll history, nous disent les mystérieux liners. 

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             Le Pony The Horse paru en 1969 n’est pas l’album du siècle. Le noble Nobles nous propose un assortiment de slow grooves d’allure latente, épicés de remugles de mambo mambique. On sent parfois poindre des pointes de Blue Beat. On en pince légèrement pour le «Wonder Baby» de bout d’A, ce heavy groove de baseball bat très New Orleans noyé de sax et de bassmatic. Le noble Nobles sait tailler un costard. En B, il ramène des chœurs de gospel dans l’épais brouet de son «Rock And Roll Angel» - C’mon darlin’/ Stop teasin’ me - Et la fête continue avec un «Rock A While» chargé à l’extrême, digne de Cosimo, et traversé par des solos de sax. Ça jerke, mais à l’ancienne, comme au bon vieux temps des jukes en bois. 

    Singé : Cazengler, Cliff nubile

    Cliff Nobles. Pony The Horse. Moon Shot 1969

    Cliff Nobles. The Phil-LA Singles Collection 1968-1972. Jamie Records Co. 2008

     

    *

    Ils sont grecs. D’Athènes. Ils ont d’office toute ma sympathie. Ils ont une deuxième qualité : ce sont des cousins lointains mais germains, peut-être  s’ignorent-ils n’ayant jamais su qu’ils existaient, un continent les sépare, mais il y a une communauté d’esprit entre C.I.A. Hippie Mind Control (voir notre livraison 661 du 17 / 10 / 2024) et :

    DERELICT

    DREAMLONGDEAD

    (Novembre 2024)

    Tessos Palaiologou : guitar, vocals, piano / Yiannis Poussios : Vocals / Leonidas Vranas : bass / Manos Glakamoumakis : drums / Achilles Champilas : guitars, synths, keyboards.

             Leur premier opus date de 2013, ils n’ont sorti en leurs cinq premières années qu’une quinzaine de titres qui dépassent facilement les dix minutes. Ils se sont arrêtés durant quatre années et reviennent avec une nouvelle équipe et ce nouvel opus. Les trois vocables qui composent le nom du groupe, pourquoi coaguler et rétrécir ce qui est censé être long et durer longtemps, incitent à la réflexion, serait-ce pour signifier qu’il faut examiner cette coagulation telle une sorte de palindrome d’un genre nouveau qui devrait se lire et se dé-lire, selon une lecture se jouant des structures grammaticales différentes des langues française et anglaise, de gauche à droite ou de de droite à gauche, selon les deux sens, le juste et le faux, soit la mort d’un long rêve soit le rêve d’une longue mort. Oui je sais souvent je délire, inutile de vous mettre en état de déréliction.

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             Ils n’ont pas choisi n’importe qui pour la couve. Un ‘’Sans-titre’’ de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski (1929 - 2005), toutes ses œuvres portent ce même ‘’ titre’’, Beksinski ne montre pas des choses à voir, il traduit des états d’âmes, rien n’est plus concret que les représentations de ses tableaux mais il faut les regarder comme des objets métaphysiques à parts entières. Il m’étonne que ces architectures flamboyantes et ces fragmences minérales closes sur elles-mêmes ne soient pas davantage présentes sur les pochettes de Death metal. Suivez mon exemple : au jeu de qui perd gagne, j’ai perdu un temps fou dans la contemplation de ses œuvres.

    TAPHOS

    Mortuary : étrange, certains s’écrieront inconvenant, la pochette n’est pas vraiment gaie, Taphos sigifie tombe, le titre Mortuary n’est en rien cocasse, mais les premières mesures de ce morceau paraissent joyeuses, heureusement que des growlements intermittents nous rappellent la triste situation qui nous est présentée. Tout dépend du regard que l’on porte sur les choses, ici ce n’est pas la foule des morts qui se lamentent sur leurs tristes sorts, c’est le Dieu ploutocrate  de la mort qui fait ses comptes, l’est heureux, tout va bien, tout marche à merveille, il traque les morts et les emporte en son royaume, la chasse est bonne, chant de triomphe et fanfares victoriales, n’est-il pas le maître absolu, celui qui détraque à volonté les horloges de la vie, est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, que la batterie tape à la cadence du couperet d’une guillotine, le monde des vivants et des morts lui obéit, il est celui qui préside non pas à la marche du monde, mais à sa dé-marche car les marches si elles s’escaladent se descendent aussi, générique de fin, monumental, il est bien plus qu’un Dieu, il est le principe entropique du monde, des choses, des êtres vivants, des hommes, de tout ce beau monde qui court inévitablement vers sa fin. Victoire finale. Carnage : Changement d’ambiance, après le triomphe, voici  la folle fête, l’ivresse du hallali, écoutez ces cordes de guitares qui courent vers les tombes, c’est l’heure du repas, que faire des morts entassés dans les chambres froides de la mort, la mort est la reine des zombies, elle se rue sur les cadavres afin de les dévorer, ne sont-ce point les morts qui se bouffent eux-mêmes, un grand bâfrage généralisé, le sabbat, la danse des morts, la nef des fous, l’épave des anthropophages, kermesse et flonflons l’on n’est jamais plus heureux que lorsque l’on a le ventre plein… mais quelles sont ces résonnances cordiques, exprimeraient-elles le vide du néant, la situation s’assombrit, final liturgique, quelle tristesse philosophique si l’on  pense, à tous ces morts qui se dévorent et s’entretuent, finale grandiloquent, la passion de la destruction n’est-elle pas la passion de  de l’auto-destruction mais sous une autre forme, la mort descend l’escalier sans fin de sa propre mort. Imaginez la scène du film que vous tourneriez si vous étiez réalisateur, DreamLongDead vous a préparé la bande-son. A bouffer le navet par les racines !

    ANTARTICA

    Erebus :  deuxième partie de l(opus, nous rentrons dans sa saison hivernale, notez la structure, deux instrumentaux entourent le morceau central, celui qui donne son nom à l’ensemble. Des instrumentaux parce qu’avant et après une catastrophe aucune parole ne saurait en prédire ou en mesurer l’étendue. Le morceau n’est pas très long pourquoi le serait-il, son  titre désigne le lieu le plus obscur du noir absolu, palpitement du néant, synthétiseurs d’église, tourbillons de cymbales, vous avancez dans le noir, bruit d’outils est-ici l’atelier où l’on fragmente les os à la scie égoïne, vous tournez en rond, il est impossible d’aller plus loin que sa propre mort, le bruit s’amenuise, seul le silence est grand nous a appris Alfred de Vigny. Derelict : après le cœur de la nuit, vous entrez dans le froid de la mort, froid et mort ne sont-ils pas d’ailleurs la même chose, vous voici au zéro absolu, le morceau le plus long, sans doute parce qu’il est impossible de le faire durer éternellement, vous marchez dans la neige jusqu’à mi-cuisse, un bel accompagnement pour une scène de film décrivant un groupe d’explorateurs épuisés, titubants, explorant l’hiver d’une planète sans retour, hurlements d’agonie, même les ours blancs ne supportent cette froidure, ils gisent sur le dos, ils agitent spasmodiquement leurs quatre pattes levées vers le ciel noir, les ultimes paroles, vous découvrez la vérité de la terre maintenant aussi vide qu’un frigidaire géant, vous allez disparaître, comme ont déjà cédé place  les différents âges des temps historiques, préhistoriques, et toutes les époques antérieures, notre planète colonisée par des civilisations extra-terrestres, elles aussi n’ont fait que tomber, elles ont disparu, vous n’êtes un jalon pas plus nécessaire, peut-être moins important  que tous ceux qui vous ont précédés, vous êtes pénétrés de ces anciennes présences, existerait-il une mémoire de la mort à laquelle seule la mort vous permet d’accéder, ne portez pas votre regard vers le passé, d’autres nous suivront, ils viendront, ils ne seront pas spécialement sympathiques. Terror :  des pas qui s’approchent, non ce n’est pas vous, ce ne sont pas non plus ceux qui vous ont précédé, la chose étrangère qui se rapproche est bien plus terrifiques que vos devanciers qui comme vous ont passé l’arme à gauche, des inoffensifs, mais la musique se froisse comme si quelqu’un posait ses doigts sur la bande-son de votre mort, que vous veut-il, qui est-il, comparé à lui, si ce n’est ce tic-tac inexorable de l’horloge la musique deviendrait presque humaine comme si elle était produite par un groupe de death metal, elle perd son éclat, sa force, elle s’estompe, ne subsiste_plus que le battement d’un cœur, ce ne peut être le vôtre puisque vous êtes mort. N’est-ce pas terrifiant ? Si vous étiez sagement assis dans un cinéma (première fois que je m’aperçois que ce mot commence, quel sinistre hasard, comme cimetière) vous trouveriez le suspense de cette scène insupportable.

    XENO

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    Anark : ce titre terminal est paru une quinzaine de jours avant l’opus en son entier. Il a bénéficié d’une couve personnelle de Chris Printezis, son Instagram ne dévoile presque rien, un style assez proche de la bande dessinée toutefois sont exposés trop peu de posts pour en juger, par contre si vous avez du mal à voir ce que présente le dessin, avec un peu d’observation vous y arriverez parfaitement tout seul, bon prince je vous refile la solution. Une représentation du Kaos. Un peu naïve, un peu Goldorak, je le concède, essayons cependant de comprendre un tantinet. Dans la mythologie grecque l’Erèbe est le fils du Kaos, qui se place donc antérieurement à son fils, et qui est même primordial. Ce n’est pas un personnage mais une énergie inextinguible issu d’une fente, au fur et à mesure qu’elle jaillit en créant l’espace, elle perd de sa force, d’elle naissent les puissances les plus terribles, notamment l’Ananké, le destin de ce qui doit être auquel tout le monde doit se soumettre, même les Dieux Olympiens qui surviennent pratiquement en bout de course, juste avant nous les hommes… Le voici, tout clinquant, tout resplendissant, il était là avant tout le monde, s’il y en a un qui est l’Alpha et l’Omega c’est bien lui, la puissance irisante des riffs nous le confirment, il s’adjuge très vite la parole pour se présenter, il était là avant que ne commence le temps, il est le créateur séminal et l’exterminateur final, il donne naissance aux mondes pour les détruire ultérieurement, il s’amuse comme un enfant avec un jeu de cubes, la batterie imite l’empilement de ces jouets cosmiques et les guitares traduisent le chamboulement de ces constructions qu’il envoie rouler d’un coup de main dans les abysses du néant, il hurle, la musique y va mollo, comme quand vous jugez qu’il est inutile de contrarier d’un bambin qui pique une crise de delirium tremens, il meugle comme un rhinocéros, d’un coup de pied il joue au foot avec les planètes puis au billard avec les astres, ne le traitez pas d’irresponsable, ne lui infligez pas l’infâmante appellation d’anarchiste, il est le prince agrégatif et l’empereur du désagrégatif, il est Anark, l’Anarque, non pas celui d’Ersnt Jünger humain top humain mais le Cosmique, cet être qui se suffit à lui-même, cette force incommensurable qui n’a besoin ni de personne ni de rien  même pas de sa cosmicité, pour un peu cela deviendrait comique, mais tremblez car il détient les clefs de la mort entre ses mains et il s’en sert comme d’un hochet capricieux. Contrairement à Dieu, Anark ne meurt pas.

             Je vous laisse sur cette bonne nouvelle. Et ce disque aussi gai que terrific !

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent plus que d’autres. Celui-ci suscite les souvenirs de ma jeunesse et de mon maître en philosophie le poëte Pham Cong Thien  qui m’apprit à manier les concepts ontologiques. Qui à l’âge de ses seize ans fut qualifié d’ ‘’enfant génial du Vietnam’’ par la presse de son pays

    ONTOLOGICAL MYSTERIUM

    HORRENDOUS

    (Season of the Mist / Août 2023)

             Viennent de Philadelphie, entre 2005 et 2018, ils ont commis quatre albums remarquables et remarqués, ont disparu durant cinq ans pour revenir avec ce chef-d’œuvre.

    Jamie Knox : drums / Matt Knox : guitars, vocals / Damian Herring : guitars, vocal / Alex Kulick : bass.

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             La couve est signée par Alexander L Brown, lui-même guitariste et designer. Si vous parcourez son Instagram sa prédilection pour le blanc et noir vous marquera, l’on s’étonne même de l’orange effulgence de cet artwork. L’on savait que Cerbère avait trois têtes, maintenant l’on se souviendra que la bouche d’ombre possède trois crânes, soudés entre eux, à tel point que l’on ignore s’il en subsiste une, deux ou trois. Une réalisation alchimique qui a su métamorphoser la mort noire en pierre philosophale. Tout en lui infligeant le rappel de la formalité de sa provenance. Art de feu et d’incendie.

    The blaze : guitares discordantes, cordes assourdissantes, chuchotements de l’ombre, clameurs lointaines, glissandi infinis, flammes finales, séquences musicales alternées en toute vitesse, il se bouscule  tant de phénomènes obscurs dans ce comprimé agglutiné en cent soixante secondes, qu’il est nécessaire d’écouter et de réécouter encore cette gélule d’épopée qui se déploie en sa propre effervescence, l’histoire d’une montée impie, d’un pari insensé de prendre son essor afin d’être plus que le soleil du  ciel, qui chaque soir tombe et se meurt. Chrysopoeia (The Archeology of Dawn) : l’histoire d’un transmutation aurifique, horrifique aussi si l’on en croit le profil barbelé de ce morceau, impossible de saisir le fil de cette pétaudière, trop riche, trop intense, imaginez que vous visitez le dédalle labyrinthique des mille salles du palais de Knossos en quinze secondes, ou que l’on vous fasse boire de l’or potable et que l’on vous demande d’expliquer doctement ce qui se passe dans le tube de votre œsophage au fur et à mesure que le liquide dévale vers l’estomac, ce serait impossible la seule personne capable de vous comprendre serait vous seul, vous traversez le feu pour vous en extirper, et vous voudriez vous en tirer sans mal et en sortir frais comme les doigts de la rose de l’aurore, le tourment de cette musique qui concasse votre esprit ne vous laisse aucune chance, quel ramdam phonique, consolez-vous c’est d’une beauté extatique, le groupe ne vous laisse pas tomber il vous tire vers le haut avec ses pinces coupantes, un solo de guitare vous cloue sur la paroi pour vous empêcher de tomber, parfois la voix se fait douce comme une caresse avant de se muer en crise épileptique. Non, vous ne sortez pas indemne, l’on ne revit ni la mort tni la naissance du soleil sans y laisser des plumes. C’est exactement cela que l’on appelle l’épreuve du feu. L’ordalie métaphysique. Pour qui te prends-tu, Achilles ne l’a pas réussi. Comme toi il avait une blessure secrète. Neon Leviathan : nous quittons les mythes pour nous confronter au monstre fascinant de l’organisation humaine, nous sommes en pays de connaissance, peut-être est-ce pour cela que malgré l’emballement final , le hennissement guitarique et le hachis battérial sommes-nous dans un morceau monstrueux de death metal qui ressemble davantage à une civière de métal et de laboratoire qu’à la mort, vous ne bougez pas, vous ne risquez rien, si ce n’est une amélioration, quel est ce galimatias qui vous indique que la  science moderne est capable de vous faire traverser, ô comme c’est beau, ô comme c’est lyrique, ô comme c’est exaltant de n’avoir rien à faire si ce n’est de subir une transmutation alchimique dont votre corp sera l’athanor, le réceptacle et le résultat, gloire à la médecine moderne et sa nouvelle race d’opération, la guitare vous caresse, levez-vous, une nouvelle ère vous attend. Après l’épreuve vous avez touché votre récompense, l’expérience vous a transformé. Aurora neoterica : instrumental, ici tout n’est que calme et volupté, même si Matt fait un peu de bruit sur son tambour, te voici comme un homme nouveau, prêt à entonner de nouveaux chants, aurore poétique, tout a changé, rien ne changera jamais plus, tu as franchi une nouvelle étape, tu es un humain augmenté, crois-tu que tu pourrais un jour accéder à un tel bien être. Preterition Hymn : le rêve continue, la musique se fait douce comme la peau d’un fruit, pourquoi hurles-tu avec cette voix éraillée, est-ce la joie qui te rend fou, oui tu as atteint un stade supérieur, les Dieux eux-mêmes t’aideront dans tes désirs, dans tes faiblesses, oui je suis comme Enoch qui dans la Bible et le Ciel marchait aux côtés de Dieu. Il existe une Official  Music Veo sur la chaîne Y T de Season of the Mist, étrangement la beauté des images n’oblitère en rien, et aide à mieux saisir, la complexité de ce morceau. Cult of Shaad’hoa : exaltation suprême, je suis un guerrier invincible, je le crie, je le hurle, mon cœur résonne comme la batterie folle d’un groupe de death metal, je cours, je file, je grimpe, je m’élance, je m’envole, rien ne m’arrête, les Dieux m’adorent, je percerai le dôme du ciel, je trouerai l’azur souverain, je mène le char du soleil, là où je veux, quand je veux, comme je le veux, je suis le feu vivant. Exeg(en)esis : le métal exulte, il se contente de marmonner dans sa barbe, va-t-il trop loin, pour qui se prend-il, est-il le maître d’une nouvelle genèse, les guitares angéliques le couvrent de leur éclat, il se projette dans le jardin dans le jardin d’Eden, manifestement il se croit tout permis, il recrée le monde en expliquant le processus de sa propre création. Ontological mysterium : il ose se prendre pour Dieu, il ordonne le monde, est-ce la folie, est-ce de l’inconscience, que craint-il n’est-il pas le plus fort, Dieu ne marche-t-il pas à ses côtés, il est la vie, les guitares chantent, les tambours s’emballent, s’en aperçoit-il, y fait-il seulement attention, non ce n’est pas Dieu qui va le punir, le mal, l’échec, la mort surgira de sa profusion vitale, trop d’arbres tuent les arbres, trop d’herbes écrasent l’herbe, le mystère ontologique s’énonce ainsi ce n’est pas la vie qui naît du néant de la mort, c’est la vie qui produit la mort, Dieu n’est-il pas mort du seul fait qu’il ait existé… tout cela n’est-il pas déjà consigné dans les anciens écrits. L’exubérance de ce morceau ne court-il pas à sa propre extinction. The death Knell Ringeth : pour qui Dieu sonne-t-il le glas ! Sirènes d’alarme, le morceau tremble sur ses bases. Tu as voulu parler à Dieu et maintenant c’est lui qui te cause, d’une voix menaçante, ne cherche pas je suis au-dedans de toi puisque tu as voulu te prendre pour moi. La comédie est finie. J’aboie comme le chacal du désert, ma colère est telle les épines du figuier stérile, que veux-tu, misérable créature, la musique obéit au doigt et à l’œil, elle galope à une vitesse excédentaire, elle te pousse vers ton destin, tu as surpassé les Dieux, tu t’es pris pour mon égal, mais d’un coup de cuillère à pot je t’expédie dans le lieu de ta punition éternelle, en enfer !

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             J’espère que cette fin morale servira de leçon à tous les lecteurs présomptueux de ce site. J’avoue qu’elle me déçoit quelque peu. Enfin beaucoup. Elle n’est pas à la hauteur du jeu coruscant des musiciens, le synopsis tombe à l’eau, il traîne ses sabots dans une vieille histoire. Je me demande si c’est un vieux fond idéologique plus ou moins inconscient des racines puritaines de la Grande Américaine… Un défaut ontologique de fabrication !

             Toutefois ne boudons pas notre plaisir, c’est un bel opus qu’il vaut mieux écouter sans trop chercher à le comprendre. Ils ont raté l’opération alchimique, nous pensions qu’ils avaient trouvé la couleur de la pierre philosophale, c’était celle des flammes de l’enfer. Errare humanum est.

    Damie Chad.

     

    *

             Chose promise, chose due. Nous avons vu le concert la semaine dernière, au 3 B de Troyes, nous chroniquons maintenant le disque que nous en avons ramené.

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ

    (Sound  Flat Records / SFR-45_065 / Juin 2024)

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             Un disque, un vrai, un simple avec une pochette en carton aussi épaisse qu’ un porte-avions, sont des modestes, ne se sont pas mis sur la pochette, à la place ont écrit leur nom en gros, style dazibao maoïste qui bouffe presque la moitié de la couve, à côté ils vous offrent leur cœur, seraient-ils des monstres qui n’en auraient qu’un pour cinq, doivent se le passer à tour de rôle pourquoi pas, après tout les trois Grées terribles divinités grecques primordiales peu sympathiques ne possédaient qu’un seul œil qu’elles se refilaient de l’une à l’autre selon les nécessités, en tout cas ils doivent y tenir, pour ne pas le perdre ils l’ont attaché à une grosse chaîne, ne sont pas gars très soigneux puisque l’attache du médaillon semble cassée. Par contre j’ai appris quelque chose : je croyais que les initiales U.F.O. qui en anglais sont celles de Unidentified Flying Object signifiaient en notre douce langue françoise Ovni, pas du tout, c’est du français pure (enfin presque) souche, qui veut dire : Unique Fuckin’ Obsession, ZZZ

    You move me baby : légère tambourinade, Terric ouvre le menuet, pardon le remué, Bee Dee Kay est pratiquement le premier à entrer dans la danse. Benny lance illico le hérisson de sa guitare dans la cheminée, vous êtes averti ça va chauffer, Fi-Cel fait tourner le moulin à café de son Upright bass, en quinze secondes ils ont atteint leur vitesse de croisière, si vous vous croyez en classe touriste sur le pont d’un paquebot, c’est foutu, l’on sentait comme des ratés dans le moteur, c’était Grand Siffley  qui rongeait les câbles des freins, une fois son sabotage terminé, c’est fini, les haricots sont cuits, le sax se met à pétarader comme une Torpedo, il ondule comme le col du cygne  qui s’apprête à pénétrer dans le vagin de Léda, vous l’entendez hurler, des grincements éraillés de bicyclette sortie du grenier dans lequel elle était remisée depuis un demi-siècle, après l’on ne sait plus, Bee Dee Kay proclame qu’il est un chanteur de rockabilly, c’est vrai, hélas il est traversé par une folie meurtrière, il hurle comme un loup qui cherche à bouffer la lune, phénomène contagieux, ses camarades ne se retiennent plus,  la guitare de Benny vrille un max,  le sax se prend pour un éplucheur à patates et vous entendez le nid de crotales qui nichaient dedans qui détestent se retrouver pelés de la tête à la queue, la section rythmique se prend pour un régiment d’assaut, si à la fin du morceau vous en ressortez indemnes, c’est que vous avez eu de la chance. Beaucoup plus que Bee Dee Jay qui se retrouve à l’asile à skis.

    Wake up honey : si elle a besoin d’être réveillée après le tintouin qu’ils viennent de faire c’est qu’elle est sourde ou qu’elle est morte. Démarrent en trombe, la voix de Bee Dee Jay tressaute sur les cahots, Benny joue aux castagnettes sur sa guitare, le général Grant souffle dans son sax pour sonner la charge il n’arrête pas de barrir tel un troupeau de mammouths, Terric et Fi-cell foncent droit devant, personne ne les devancera, quelques lancées de poudre explosive de Benny pour terminer en beauté (convulsive), z’ont donné tout ce qu’ils avaient, Dee Bee Jay qui n’avait rien à distribuer nous offre l’essence vocale et explosive du rock’n’roll.

             Qu’existe-t-il de plus jouissif en ce bas monde ?

             Rien.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Dans la vitrine de ma libraire c’est tout mignon, tout joli. Un livre pour les gamins, l’on fait de satanées belles choses pour les têtes blondes, remarquez, six ans révolus elles n’ouvrent plus un livre. C’est de qui ? zut alors c’est du sérieux, un Baldwin que je ne connais pas, un inédit en plus !

    LITTLE MAN, LITTLE MAN

    UNE HISTOIRE D’ENFANCE

    JAMES BALDWIN

    Et YORAN CAZAC

    (Denoel / Août 2024)

             Les jeunes lecteurs de KR’TNT ! ont toutes les raisons de ne pas le connaître. C’est rassurant, ça prouve qu’ils n’appartiennent ni à la CIA, ni au FBI, ni à quelques officines de services secrets. Au milieu des années soixante James Baldwin était le numéro trois d’une sacrée liste, les deux autres n’étaient pas n’importe qui, jugez-en par vous-mêmes, Malcom X et Martin Luther King ! 1965 pour le premier, 1968 pour le deuxième, en 1970   James Baldwin qui n’avait aucune envie de se reposer dans un cimetière éprouva l’irrépressible et salvateur besoin de trouver refuge en France… Il y mourut (de mort naturelle) en 1987.

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             C’était un homme dangereux. Pour un nègre il avait des idées trop claires. Un écrivain, un intellectuel. Homosexuel et antiraciste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. L’avait de drôles d’analyses, il pensait que le christianisme était un cadeau empoisonné que les blancs avaient donné aux noirs : il est inutile que les esclaves qui bossent dur et souffrent un maximum se révoltent, puisque Dieu leur réserve une éternité de paradis. Il pensait aussi, il explique longuement dans ses essais, que le racisme gangrénait et causait autant de mal, en enfermant et en isolant les individus dans leurs ressentiments, à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire.  Il affirmait aussi que le problème n’était pas résolu à plus ou moins long terme la situation exploserait. La montée dans les années soixante de l’idéologie de l’emploi de la violence dans le Black Panther Party avait tendance à porter crédit à ses thèses…

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             Nous avons déjà chroniqué en ce blogue plusieurs livres de James Baldwin, celui-ci est un peu différent. C’est bien un livre pour les enfants. Très instructif pout les grands. C’est aussi un livre de commande. Un peu spéciale. Elle provient de son neveu Tejan qui du haut de ses quatre ans lui demande pourquoi il n’écrit pas un livre sur… Tejan. Baldwin lui promet qu’il le fera. Il tiendra parole. Le livre paraîtra en 1976 avec les illustrations de son ami Yoran Cazac. Vous trouverez dans les différentes préfaces et postfaces des principaux protagoniste, témoins et participants de cette histoire.

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             Ce n’est donc pas un véritable inédit, un de ces manuscrits trouvés au fond d’un tiroir puisque le volume fut édité en Amérique. Mais l’œuvre de Baldwin est si foisonnante, romans, essais, théâtres, articles, correspondances… que ce livre illustré a été quelque peu occulté dans la mémoire collective. Ce n’est sûrement pas un hasard s’il a été sorti de par chez nous durant la campagne présidentielle américaine…

             Que nous conte ce Little Man ? Pas grand-chose et beaucoup. Les dessins de Yoran Carzac occupent la plus grande partie des pages, pour la petite histoire Cazac n’avait jamais mis les pieds à Harlem, lieu où se déroule le récit. Il s’est laissé guidé par les propos de Baldwin, les photos familiales qu’il lui a remises et quelques documents photographiques glanés de-ci de-là.  Entre nous soit dit nonobstant le fait que tous les personnages sont noirs, les teintes claires des aquarelles et l’innocence qui émane de ces vues familières de la vie de trois enfants auraient très bien pu être utilisées pour raconter une enfance provençale…

             Le récit possède une unité de lieu et une unité de profondeur. Bien sûr TJ s’échappe de temps en temps de la rue dans laquelle il habite, mais elle demeure l’axe central de l’action. Donc trois gamins, TJ et son ballon, WT qui ne rate une occasion pour danser, et Blinky la grande sœur (huit ans) qui les suit partout, qui de fait est là pour les surveiller. Ou plutôt, sachez apprécier la différence pour les protéger. De quoi au juste. A part jouer au ballon, rendre service aux voisines, acheter quelques sous de bonbons, ils ne font pas grand-chose, ne dites pas qu’avec les voitures un accident est vite arrivé. Il surviendra comme il se doit, pas grand-chose pour nous, un tantinet traumatisant pour des gaminos, mais rien de grave.

             Baldwin n’en dit pas plus, tout est bien qui commence et qui finit bien. Baldwin révèle tout. La grande menace. La grande défense. Pire que le racisme, la grande misère, les gens ne meurent pas de faim, mais de leurs vies étriquées, éteintes, et de leurs corollaires la drogue et l’alcool, portraits saisissants de voisins engoncés dans les cul-de-sac de leurs existences flétries. Juste un regard d’enfant qui voit tout sans tout comprendre, aucun réquisitoire, aucun jugement, juste la sensation d’une réalité estompée par la naturelle ignorance de l’enfance, jusqu’à cette intervention de la police, prémonitoire en le sens où elle ressemble à une feuille de calcul prévisionnel Excel, Yoran Cazac nous la transpose en images de comics économiques ou de série télévisée en blanc et noir…

             Face à ce quotidien implacable, rien. Si un filet de sécurité invisible. Les enfants ne sont jamais seuls, les adultes avec leurs failles ne sont jamais loin, de même les enfants sans le savoir apportent une aide précieuse aux adultes dans leurs difficultés, la communauté possède ses remparts, elle encaisse les coups mais tout comme la présence des leucocytes dans le sang elle possède ses moyens de défense prêts à atténuer et à stériliser l’entrée pathogène des virus… Les globules blancs défendent les corps noirs, ils ne sont d’ailleurs jamais tout à fait noirs non plus, Baldwin explore les teintes, nous dirons qu’ils sont dorés. Aussi précieux que l’or.

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             Quelques pages à ras d’enfance, Baldwin ne dit rien, il montre tout. Mieux il démontre. Sans une once de moraline. Sans discours étayé. L’art d’un grand écrivain.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pourrais pas vous donner la date exacte, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas, bref c’était en octobre, le matin, et j’étais en train de beurrer les biscotes…

    GENE VINCENT, MOI, ET LES AUTRES

    RETOUR DANS LE PASSE

    … de mon petit déjeuner. Une occupation sacrée à laquelle je consacre toute mon attention, avec le même soin que je prendrais, moi le kroniqueur branleur et branlant, si j’étais en train de préparer une libation propitiatoire en l’honneur de Poseidon, l’ébranleur de la terre. En tout cas, Poseidon doit encore ronflouter doucement sur un doux lit d’algues parfumées, il ne moufte pas, la matinée s’annonce calme, le tchou-tchou bienveillant de la cafetière électrique berce en moi les derniers relents de sommeil, la radio marche mais je ne l’écoute pas. L’art de beurrer une biscote  exige soin, application, et concentration, c’est un peu le contraire de l’origami, la matière friable que vous tartinez ne doit aucun cas plier et rompre sous la pression du couteau, la radio cause toujours, l’on est sur France-Inter qui s’infiltre dans mon oreille distraite et Claude Askolovitch débute sa chronique en évoquant un enfant que ses parents endorment au son d’Elvis Presley et de GENE VINCENT, je sursaute, ma cafetière aussi, est-ce que le nom de ces deux américains lui a rappelé les westerns de son enfance, toujours est-il qu’illico elle se transforme en locomotive à vapeur lancée à plein régime, son tchou-tchou vaporeux s’est instantanément métamorphosé en grondements terrifiants, au tintamarre qui envahit la cuisine j’en déduis qu’elle est poursuivie par une bande de peaux-rouges criards ivres de sang et de fureur, eux-mêmes pris en chasse par le Septième de Cavalerie qui galope ventre à terre de toute la force de ses clairons… bref je ne parviens pas à saisir le nom de cet individu ni la suite de sa carrière.

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             Que le nom de Gene Vincent soit prononcé avant sept heures du matin demande une enquête. Qui est cet enfant béni des Dieux que ses parents ont élevé dans la plus stricte orthodoxie rock’n’rollienne, comment a-t-il évolué, serait-il aujourd’hui devenu un chanteur de rock… Au plus vite je récupère le podcast de l’émission sur le net. Je vous livre son nom : il s’agit de Djubaka, son nom est fièrement claironné sur les antennes de France Inter chaque fois qu’est diffusé un morceau de musique. Il est le directeur musical de la chaîne. Disons que je ne partage pas ses goûts, je fais souvent la grimace, bon au moins il aura servi une fois à quelque chose dans sa vie puisque grâce à lui le nom de Gene Vincent est prononcé sur France-Inter.

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             L’histoire aurait pu se terminer là, mais le Démon de la perversité cher à Edgar Poe m’a poussé à en savoir plus. Qu’apprends-je sur lui, outre ses goûts musicaux, il avoue toutefois qu’il aime la noise music mais qu’il  n’en programme point sur Inter parce que cela déconcerterait le public aux oreilles sages.  Entre parenthèses le gars n’a pas l’air idiot, l’a une allure de dandy, tous les goûts sont dans la nature (sans doute parce que la nature, marâtre impitoyable, n’a pas de goût, cette assertion demanderait une lecture attentive de L’Ethique de Spinoza), mais lorsque l’on cherche l’on s’expose à trouver ce que l’on ne cherchait pas. En l’occurrence je ne cache pas que je dois être le centre de l’univers, puisque ma recherche me ramène très rapidement à ma modeste personne. Avec sa compagne Anne, Djubaka animent aussi la luxueuse revue papier Hey ! Modern Art & Pop Culture, je file illico sur le site, je clique un peu au hasard sur le nom d’un artiste et je tombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers, diable mon ordi est fatigué, je reclique et retombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers et j’apprends que Paul Toupet participe du 11 octobre au 21 novembre 2024 à l’exposition Harmonie ou Le milieu des Mondes organisée dans Le Carmel.

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             Lieu que je connais bien, puisque je suis né à Pamiers et que mon collège, aujourd’hui détruit (qui abritait aussi en ses murs multi-centenaires une école primaire) faisait face à ce Carmel, longtemps abandonné… Bref je remercie Djubaka, Gene Vincent et les mille chemins ouverts du monde de m’avoir ramené chez moi. Sur les lieux de mon enfance.

    Damie Chad.